Simples
réflexions sur la Chine
et nous
… points de départ
Des observations et réflexions fondatrices sur l’Amérique (les
Etats-Unis) depuis Tocqueville -, des regards et constructions multiples sur
l’Allemagne depuis Staël, relayée par notre école juridique avant et après la Grande Guerre (Carré de
Malberg, Capitant, Bonnard) puis par le trio exceptionnel de nos jours (Rovan,
Grosser, Ménudier) -, l’Angleterre depuis Montesquieu jusqu’à Siegfried -, mais
la Chine ?
hors l’exergue de Napoléon et les essais d’Alain Peyrefitte. Sans doute, des publications mais aucune qui structure
l’opinion et notre intelligence de gouvernement. Du moins à ma
connaissance.
Nous ne savons pas si c’est la puissance hégémonique de demain, si elle
est agressive et expansionniste ce qu’elle n’a jamais été dans le passé (Tibet
excepté). Nous découvrons – trimestre par trimestre – un aspect nouveau d’une
sensationnelle montée en scène internationale : le marché pétrolier
désormais gouverné par une autre demande et d’autres intérêts que ceux des
Etats-Unis, le financement de la dette américaine et donc la tenue du dollar et
donc l’ensemble monétaire mondial, la pesée déterminante sur la question
coréenne et donc sans doute sur la nomination du prochain secrétaire général
des Nations unies, et maintenant le sommet sino-africain dont ni les Etats-Unis
ni l’Union européenne n’ont su imaginer le précédent chez eux… ni semble-t-il
le prévoir utilement ces semaines-ci. Pendant des décennies, la question de
Chine était un problème japonais puis soviétique, il a été transféré aux Américains, pour combien de temps encore ? et ceux-ci
seront-ils à l’échelle ?
Notre ignorance pose autant de
questions préoccupantes que la puissance-même de ce pays.
Une diaspora qui ne se dénationalise pas – à l’instar en général des
diasporas de pays en phase totalitaire, les appuis allemands outre-Atlantique
au régime hitlérien : exception, la diaspora russe – une dialectique pas
encore déchiffrée entre le capitalisme sauvage (pour les personnes, les
environnements, les concurrents de pays tiers, ce dernier aspect commençant de
s’illustrer en France par un récent « désinvestissement ») et la
dictature politique intérieure (avec sa balance dont nous n’avons jamais rien
compris quand il y avait une version soviétique, pourtant plus étudiable, entre
la collégialité et l’autorité d’une personne unique).
Donc pas de clé d’intellgence.
Et aucune stratégie. Car
l’actuelle est faite de non-dits. La relation est – pour le public –
lénifiante : conquête des marchés, accord sur la pacification des
relations internationales, oubli total de ce que les valeurs ne sont absolument
pas les mêmes et, en l’espèce, il ne s’agit pas que des droits de l’homme. En
fait, l’embarras partout parce que l’émergence d’une puissance mondiale dans
l’histoire universelle a eu généralement pour origine des guerres, donc des
dates et du manichéisme. Nous assistons (nous ne participons pas… c’est là
notre problème) à une émergence d’apparence non belligène, et précisément à
l’occasion de la paix ambiante, guerres d’Irak et drame israëlo-palestinien à
part. Une émergence qui n’est donc que puissance, et non pas enchainements de
stratégies ou de « coups » comme l’Allemagne ou l’Union soviétique ou
le Japon nous l’avaient démontré. Une puissance dont nous ne savons pas si elle
tient au seul nombre ? à une organisation nationale très difficilement
pénétrable ? à des effets de réseaux ? à une accumulation de
capital ? à l’arsenal militaire et nucléaire ? à autre chose encore
telle qu’une alternative profonde que le Tiers-monde qui continue d’exister ne
l’attend plus des « Occidentaux ».
Une puissance qui peut dominer
donc sans guerre, sans violation du droit, sans invasion au sens habituel et
historique du mot, presque sans le vouloir ?
Il est paradoxal que ce que l’on appelle – sans jamais la définir – la
communauté internationale, s’acharne à organiser le libre-échange :mondial
(au détriment principal de l’Europe et du seul acquis de la construction
européenne : le tarif extérieur commun) et à empêcher deux Etats, à tout
prendre très secondaire et possible à réduire à la première velléité de réelle
agression : l’Iran et la
Corée du nord, d’accéder à l’arme nucléaire, et ai laissé
grandir une telle inconnue qui dispose, et pas d’hier, de tous les attributs de
la super-puissance, sans chercher à l’élucider (à temps). Paradoxal aussi qu’à
la chute de l’Union soviétique, les différents « services » dans la
plupart des pays se soient ingéniés à trouver le nouvel ennemi dans un Islam
voisin de nous humainement, stratégiquement et culturellement, voire
religieusement – quoiqu’on dise trop rapidement le contraire, et n’aient pas « vu » la
Chine. Du moins à ma connaissance. Ou alors on choisit comme ennemi ce qui
paraît réductible et l’on se garde de désigner ce qui est trop fort ?
Ainsi posée, la question de Chine appelle une observation et des
analyses autrement élaborées que jusqu’à présent : une vue beaucoup plus
globale d’évolutions qui peuvent toutes la regarder. Ainsi l’entrée de l’Inde
dans le jeu des grandes entreprises mondiales, ainsi le changement de Premier
ministre au Japon sans doute beaucoup plus nationaliste et passéiste que son
prédécesseur, ainsi les prodromes d’une économie post-pétrolière, ainsi les
changements climatiques et les grandes endémies pour rester dans l’actualité,
etc… à mesure des temps actuels. Elle appelle surtout une stratégie de
précaution telle qu’un changement des données actuelles soit produit. Car les cartes actuellement étalées, et il en
vient continuellement de nouvelles, ne sont pas assez lisibles et n’inspirent
pas un jeu gagnant.
L’observation et l’analyse sont
probablement affaires bilatérales. La mise en commun devrait n’être
qu’européenne, en y incluant le Vatican. La connaissance de ce monde dans
les années 1900 à 1940 a
été surtout religieuse et consulaire. Certaines diplomaties y ont ancré leurs
représentants pendant des décennies, l’Allemagne. Les expatriés aujourd’hui
tournent trop vite. Toutes les méthodes pour le « rapport
d’étonnement » donné par tout voyageur, expert, habitué ou touriste, ou
autre encore seront mobilisées. Lire et écouter aussi. Les supports classiques,
la « toile ». Les stages étudiants, les travaux universitaires à
favoriser. Les amitiés personnelles avec la mise en expression d’un bien
commun, peut-être de valeurs analogues.
L’analyse aussi de l’ombre portée. La coopération chinoise en Afrique
ne date pas de ces années-ci. J’ai été le témoin fortuit de son début – puis de
son exemplarité – en Mauritanie à partir de 1965. A l’évidence des
qualités d’efficacité et de désintéressement que les aides française,
européenne, américaine n’avaient pas, l’Union soviétique absente par manque de compréhension
de ce continent. Des qualités de
fidélité personnelle et d’Etat à Etat. L’entrée de Pékin aux Nations unies
s’est faite par cette méthode et selon ces patientes amitiés. Une réelle
intelligence des manières et des besoins de l’Afrique, un respect vrai autant
que j’ai pu le voir et l’entendre (l’exceptionnelle amitié dont m’a honoré le
président Moktar Ould Daddah, au pouvoir de l’origine moderne de l’Etat
mauritanien en 1957 à 1978).
A la manière des Etats-Unis, de l’Union soviétique, il est probable que
l’évolution de la Chine
a son antidote interne. S’il doit y avoir une mûe pacifique, ce sera selon des
facteurs endogènes. Alors que l’expérience européenne – les hégémonies
française à la Révolution
ou allemande de Bismarck à surtout Hitler – montre que les évolutions se font
par rupture exogène, c’est-à-dire par écrasement militaire. Il faut donc favoriser cette antidote. Ce fut fait
avec habileté pour l’Union soviétique : de Gaulle et Samuel Pisar, Willy
Brandt aussi, les peuples satellisés surtout contribuèrent à ce qu’on ne laisse
pas passer la perte de foi des dirigeants communistes dans leur propre système.
Il est vital que cela se fasse pour les Etats-Unis en passe de devenir un Etat
agressif, contredisant ses propres lois et valeurs, son héritage, et un régime
fondamentaliste en sus de la tendance hégémoniste qui est la version
contemporaine de l’isolationnisme. L’erreur serait de « supporter »
la surpuissance américaine comme contrepoids éventuel à la Chine ; elle a déjà
coûté tout son élan à l’entreprise européenne étranglée par le corset
atlantique. Quelle est cette antidote ? Certainement, l’ouverture à
d’autres valeurs accompagnant la pratique maintenant acquise du capitalisme. Le terrain d’essai est l’évolution russe :
le contre-pouvoir qu’aurait pu être le capitalisme privé et individuel est
réduit par l’actuel maître du Kremlin, les anciennes Républiques soviétiques
fédérées sont regagnées petit à petit grâce à l’économie et aussi à la
diaspora ; or, la Russie
est demanderesse d’une relation intime avec l’Union européenne pour des raisons
physiques et géographiques. Elle peut partager avec nous sa connaissance intime
de cinquante ans du système politique et mental chinois. Mais si nous laissons
se reconstituer une dictature à Moscou, nous ne parviendrons pas à donner aux Chinois la certitude que
l’avenir est à la démocratie.
Le pendant de cette approche interne est d’avancer beaucoup plus vite
vers l’organisation de la démocratie mondiale. L’ensemble du système des
Nations unies n’est qu’un exécutif qui n’a de légitimité que les Etats. Les
peuples et les questions d’intérêt évidemment commun : principalement la
gestion et la protection prévisionnelles de la planète, ne sont pas dans le
système actuel. La gouvernance mondiale est une relation entre des exécutifs
s’étant approprié le pouvoir législatif universel et tâtonnant pour un pouvoir
judiciaire international, jusqu’à présent doublement contestable (le refus
américain de la Cour
pénale internationale, le procès de l’ancien régime irakien : occasion de
nouveaux martyres et d’un motif supplémentaire de haine envers les Etats-Unis).
Or, le pullulement des organisations non gouvernementales, l’éveil manifeste
d’une conscience mondiale de nos périls planétaires, les consensus apparus chez
les peuples nonobstant le conformisme ou la timidité des gouvernements
(affaires d’Irak, drame palestinien, acuité de la question des immigrations par
exemple) rendent possible l’agencement juridique d’une expression d’un suffrage
universel mondial. Une course de vitesse
entre la domination de certaines puissances : Etats-Unis et Chine notamment,
et la démocratisation des Nations unies, doit – impérativement – être
gagnée par la conviction et la pratique démocratiques. Washington et Pékin ont
en commun de ne pas s’attacher à une démocratie mondiale, les Etats-Unis parce
que ce serait risquer leur hégémonie, la Chine parce qu’elle n’en est pas encore là et que
le système en pratique, y compris la
dominance américaine, lui convient parfaitement, à preuve sa montée accélérée
en puissance.
Autant d’ailleurs exprimer ces interrogations, ces doutes et ces
demandes de comprendre et d’évaluer… à l’objet-même de l’investigation. Il est
probable que les Chinois n’en seront pas étonnés, et d’une certaine manière se
prêteront à l’exercice. Si énormes soient leur pays et leur histoire, ils
n’aiment pas être seuls. Plutôt qu’ils formulent par eux-mêmes – et peut-être
pour eux-mêmes seulement – le modèle du monde qu’ils veulent, formuler le nôtre
en le dialoguant avec eux pourrait produire la synthèse qu’il est salubre d’ambitionner. Il est probable
qu’ainsi nous apprendrons beaucoup, non seulement sur la Chine, mais sur nous-mêmes,
et que peut-être ce modèle pour être commun, sera plus riche que celui que nous
peinons à exprimer et surtout à appliquer. Nous ne serons plus entre
quelques-uns – comme si le monde était resté comme avant 1914 l’Europe et
l’Amérique – mais deviendrons capable de changer oreille et regard sur le monde
entier, l’actuel. Dépaysement et mûe de notre part pour arriver à ce que
d’autres vivent leurs ambitions (et leurs charges…) en intelligence profonde
avec nous./.
BFF – 5.6 Novembre 2006
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