mercredi 5 mars 2014

archives pour une mémoire vécue de notre histoire immédiate - 6.8 Mai 2007



Election présidentielle 2007

observations & réflexions

XVI

 Je vis personnellement les résultats de cette élection – et la communion conjugale y donne des touches que je ne vivrais et ne trouverais pas seul – d’une manière assez analogue à ce que j’ai vêcu à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974.
Il me sembla alors que tout un parcours grand et beau, efficace spirituellement et politiquement, était terminé : le brillant et assuré ministre des Finances du Général et de Georges Pompidou était élu contre le gaullisme, tout paraissait revanche, et donc destruction détestable et douloureuse.
Je me suis en bonne partie trompé, à deux points de vue.
D’une part, ce n’était pas VGE qui avait déclaré la guerre aux « gaullistes » mais bien ceux-ci dès 1966 quand Georges Pompidou sans l’aveu du Général retira les Finances à celui qu’il pressentait devoir être son rival pour la succession, et ce sont ces mêmes prétendus « héritiers » qui vont gâcher tout le septennat de 1974 à 1981, incapables de discerner la qualité majestueuse de Raymond Barre à Matignon, pourtant engagé volontaire dans la France libre, et faire naître, impunément et dans la haine de tout président qui à l’Elysée occuperait une place leur revenant, prétendent-ils, de droit… Sur le tard, valéry Giscard d’Estaing regrette d’avoir été séparé des « gaullistes » non parce qu’il aurait perdu en n’étant pas des leurs, mais parce que son image à lui s’en est trouvée détachée d’une œuvre et d’un homme qu’il a admirés (quoiqu’il en ait d’abord écrit, ses articles du Figaro en 1967-1968) et auxquels il rend surabondamment hommage maintenant. D’ailleurs, à l’instant décisif de la fin de Mai 1968 tandis qu’à Matignon, la relève s’affiche prête, l’ancien ministre des Finances en appelle à de Gaulle et à sa légitimité : Georges Pompidou parle à Louis Joxe d’un « vieux qui est fini » [1], Valéry Giscard d’Estaing, moderne plus encore que légitimiste, croit au président de la République.
D’autre part, remis en perspective, le septennat de Valéry Giscard d’Estaing s’il n’est lu ni selon les éphémérides de presse (les diamants, alors qu’on a tant toléré de ses successeurs…) ni selon la défaite électorale finale, a été positif et parfois fondateur. En tout cas, de très bonne volonté. Contrairement à beaucoup d’impressions et d’analyses du moment (dont les miennes, que publiait alors Le Monde de Jacques Fauvet).
Je puis donc me tromper du tout au tout sur Nicolas Sarkozy et son avènement. Mais si je me trompe et suis finalement surpris, ce sera bien parce qu’il aura présidé et gouverné tout autrement que ce pour quoi une majorité des Français viennent de l’élire.


Etait-ce mathématique ? L’addition des voix de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers au premier tour, produit déjà près de 44%. Un tiers des électeurs de François Bayrou au premier tour revenant à la majorité sortante au second tour, amène le favori à 50%. Tout cela automatiquement. Restent les trois points faisant la massivité de la victoire. Une lassitude des Français pour la politique du verbe et la séduction d’une « culture de résultats ». Trois points qui peuvent être perdus d’ici l’automne, si – précisément – il n’y a pas de résultats. Pour Ségolène Royal, aucune automaticité pour aucun groupe de voix. Pas même au Parti socialiste. Les suffrages qu’elle obtient sont personnels, en très grande part, pour elle et contre celui qui a gagné. Le débat n’a pas été droite/gauche. Ou plutôt la droite et la gauche qui se sont comparées ne sont plus les habituelles, elles ont été vraiment incarnées et fortement marquées de paramètres personnels, psychologiques.

Une exceptionnalité de cette élection a déjà été observée : la jeunesse des candidats du second tour, mais Valéry Giscard d’Estaing reste le plus jeune à avoir accédé à la présidence de la République (si l’on ne compte pas Louis-Napoléon Bonaparte). Une autre est cependant substantielle : seule de toutes depuis 1965, elle a été pronostiquée dans son résultat depuis deux ans ; cette exceptionnalité est peu commentée, elle pose la question d’une certaine portance par l’ensemble d’un système politique et médiatique. Sur la troisième – qu’on peut croire subjective – je dis quelques éléments en mais en ferai le thème d’une prochaine note donnant la transition entre la série que j’avais ouverte à l’automne dernier pour suivre cette élection présidentielle, et celle que je vais tenter en observation du mandat qui va commencer.


    Signification du résultat

Deux pistes d’interprétation me paraissent possibles. L’une essaie d’aller au tréfonds français de ce début de siècle tel que les élections présidentielles de 2002 et de mainenant nous en donnent quelques intuitions – à contrôler. L’autre banalise le scrutin et l’analyse en sociologie politique.

Six observations pour la banalité :

1° la France est en déficit de gauche. Il semble bien que le rapport droite/gauche n’a été qu’accidentellement en faveur de la gauche, et seulement deux fois, en 1981 et en 1997, par l’adjonction – précisément… – d’électeurs généralement de droite mais excédés par la personnalité au pouvoir dans le moment : Valéry Giscard d’Estaing, Alain Juppé. Cette fois-ci, le génie de Nicolas Sarkozy a été de faire valoir une image et une méthode acquises dans le gouvernement sortant tout en proposant, puis incarnant la rupture Une rupture bien plus qu’avec ce gouvernement, avec toute la manière de gouverner depuis des décennies, analysée de manière négtraive, et comme un propre de la gauche qui aurait contaminé la droite, et notamment le président sortant. C’était correspondre exactement avec un électorat formé pour élire Jacques Chirac mais de moins en moins satisfait de le soutenir. En face, la gauche n’a pas su prévoir le recul de ses extrêmes et n’a apparemment visé que d’être au second tour, pas davantage. La candidate était seule avec un électorat nouveau à constituer et avec un concurrent imprévu, François Bayrou, présentant comme Nicolas Sarkozy une analyse globale des décennies passées mais avec une solution différente, en finir avec les clivages : c’était fixer à la fois une partie du vote contestataire et une bonne part des électeurs visés par Ségolène Royal. La nouvelle gauche peut-elle naître dans l’opposition ? La candidate proposait qu’elle naisse de la victoire. Si sa défaite l’élimine, les socialistes confirment leur image : préférer des luttes pour le pouvoir que seul François Mitterrand put, non sans peine, faire cesser pendant une petite dizaine d’années (du congrès de Metz qui l’avait investi au congrès de Rennes qui votait sa succession), reprendre la discussion entre la coalition avec le centre, coûteuse idéologiquement mais juteuse électoralement, et le retour à l’identité, lequel suppose de susciter le mouvement social, au moins d’y adhérer avec constance – ce que, de Léon Blum à Lionel Jospin, le parti n’a jamais su faire.
Je dis autrement : la France est en déficit d’imagination. François Bayrou et Ségolène Royal lui ont proposé tout autre chose, les Français l’ont refusé.

2° les Français sont réputés bonapartistes. Le sarkozysme serait la forme  contemporaine d’un certain césarisme. Mais le bonapartisme naît d’un homme solaire dans une période sans repères ni légitimité, une personnalité pré-romantique à l’évident génie militaire, à l’étonnante culture administrative, douée pour la propagande et la psychologie de masse. Le neveu y ajoute du système – grâce à l’audace républicaine de fonder le suffrage universel : c’est l’appel au peuple. Le général de Gaulle n’y apporte d’abord que peu, la gloire, le sens de l’Etat sont confirmés mais la responsabilité avec sa sanction, la mise en jeu du mandat et le départ en cas de désaveu sont décisivement nouveaux. Depuis 1969, ils n’ont pas fait jurisprudence. Jacques Chirac a même été fondateur de tout le contraire : se maintenir sur une dissolution manquée et un referendum au résultat négatif. Voter pour la poigne et le discours simpliste en forme de revanche sur une époque qui semble tourner autrement, c’est du boulangisme, la « revanche » contemporaine pourtant toute différente, ce n’est plus avec l’étranger annexionniste mais avec eux-mêmes que les Français semblent avoir à se battre. La probabilité est que Nicolas Sarkozy présidera, gouvernera même avec autorité, mais que le quinquennat ne sera pas celui des consultations populaires, ni dissolution ni referendum. Vote en partie populiste, discours direct faisant écho à des préjugés, régime se disant autoritaire (il n’est pas acquis qu’il le soit dans les faits, faute que s’y prêtent la société et l’Etat d’aujourd’hui, et parce que le libéralisme économique s’en accomoderait mal), ce n’est nouveau pour les Français qu’en temps de paix [2].

3° les Français ont voté, sinon en connaissance de cause, du moins très avertis. Pour la première fois depuis que l’élection présidentielle se joue en France au suffrage direct, la personnalité, l’équilibre psychologique, l’ego du favori ont été évalués – ce qui devrait se faire pour tout candidat – et mis en cause. Son manque de « transparence » (puisque le terme est devenu de mode sans que son acception soit très précise), aussi. L’élection a été éminemment personnelle, ce qui est le cas ordinaire pour un président sortant, mais ne l’a jamais été pour un candidat nouveau.

  pour le vainqueur, la majorité au Parlement dans six semaines ne fait pas de doute (elle est structurellement acquis au Sénat qui ne s’opposa – rapprochement symptomatique – qu’à de Gaulle et à François Mitterrand, quoique ce dernier y ait siégé). L’addition des intentions de vote à l’Assemblée Nationale pour des candidats autres que ceux de l’U.M.P. n’a pas de sens tant que le scrutin uninominal majoritaire demeure ; des accords de désistement entre le Parti socialiste et la formation que met sur pied François Bayrou ne permettront que très peu de victoires ; la plupart des sièges obtenus par la gauche le sera par le Parti socialiste, quelles que soient ses alliances ou ses concessions à des partenaires. Il est cependant à observer que le vote socialiste pour les législatives est pour l’instant estimé à cinq ou six points de plus que le score de Ségolène Royal au premier tour.

5° pour les socialistes, la suite est incertaine par leur propre faute. Et tout donne à penser depuis quarante-huit heures qu’ils vont la commettre. Changer d’attelage au lieu de consacrer Ségolène Royal dans la continuité d’une légitimité acquise en campagne, et dee lui permettre d’occuper peu à peu la position politique et morale qui avait été celle de François Mitterrand au moins depuis le congrès d’Epinay (1971). Débattre, ce qui peut durer, sur l’alternative d’une alliance et d’un repositionnement idéologique vers le centre ou d’un retour à l’identité, soit une querelle – qui a certes du fondement – entre Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. C’est un vrai choix, mais la stratégie centriste a déjà été choisie par la candidate. Et le retour à l’identité signifierait, pas tant un programme, qu’une réelle osmose du Parti socialiste avec le mouvement social. Ces débats, s’ils sont engagés, montreront surtout que les dirigeants du Parti – les adversaires en fait de Ségolène Royal – n’ont rien compris au vote du 6 mai, qui s’est fondé sur l’engouement des Français pour du concret : la « culture du résultat » prônée par Nicolas Sarkozy. Il y aura donc d’un côté ce qui paraîtra des conciliabules de comités et de l’autre un président fouaillant les ministres et apparaissant sans cesse à l’écran. Il existe heureusement un recours à gauche, le vote militant est nécessaire pour la place de premier secrétaire ou pour l’emploi de candidate. Contre Michel Rocard jusqu’au congrès de Metz (1980), François Mitterrand put toujours s’appuyer sur les militants.
Ségolène Royal, si elle conquiert la direction du parti, donc de l’opposition, peut progressivement incarner l’alternative au pouvoir qui va se mettre en place. Elle aura en tout cas démontré une habileté bien plus grande que celle déjà déployée pour l’investiture du parti à l’élection, puis pour la campagne, surtout vers la fin. La difficulté pour François Mitterrand était du côté communiste : se les allier sans en être prisonnier, celle de Ségolène Royal n’est que du côté des siens, elle a déjà montré sa capacité entre les deux tours pour dialoguer avec le partenaire obligé : François Bayrou, et pour dominer – sans doute trop – le futur vainqueur en face-à-face. Les Français, éventuellement lassés ou soudainement inquiets du nouveau président, se souviendront peut-être de son irrésistible mais sainte et authentique colère. De ce regard qui fit fuir l’adversaire réfugié vers les journalistes.

6° nul n’est propriétaire de ses voix. Jean-Marie Le Pen encore moins que d’autres. Il y a des tropismes, ils ont joué à plein pour Nicolas Sarkozy, ils auraient – à gauche – joué davantage en faveur de François Bayrou, placé au second tour, qu’ils n’ont – au centre – favorisé Ségolène Royal.

Un cheminement pour une autre interprétation.

Robert Badinter assurait en 1996, au Sénat où il entrait, que la politique française se « lepénisait » et Tony Dreyfus adjurait ses amis socialistes, à la fin de la période de Lionel Jospin de ne pas concourir avec la droite sur les thèmes sécuritaires, à peine de perdre son âme, et de perdre tout simplement… ce qui advint. Jacques Chirac avait été tenté par cet appel à l’électorat du Front national en 1988 pour sa seconde tentative présidentielle. Son succès en 1995 se fit au centre, et même au centre gauche, du fait qu’Edouard Balladur se situait au centre-droit. En 2002, le Front national était ailleurs, c’est-à-dire indisponible et excellent repoussoir. Nicolas Sarkozy a voulu une élection qui soit à un tour, mais au premier pas au second. La performance n’étonne pas, elle est une stratégie avouée autant que l’ambition qu’elle soutient, toutes deux publiques depuis la réélection de Jacques Chirac.

Ce qui étonne, c’est le rôle joué par deux acteurs qui avaient pourtant la décision en mains. Comment Jean-Marie Le Pen n’a-t-il pas réagi ? La réponse est sans doute dans son incapacité à gagner une voix du premier au second tour en 2002. Médusé par son succès, voyant la contagion de ses manières et de ses thèses, il n’a pas réagi, il n’a pas même monnayé, très à l’avance, sa complicité contre un changement du mode de scrutin pendant la législature 2002-2007 en vue de la suite. Les communistes – au moins au niveau de la pétition – avaient été toujours plus habiles : une Assemblée unique et la représentation proportionnelle. L’autre acteur, c’est évidemment l’électorat constaté majoritairement en faveur de Nicolas Sarkozy le 6 Mai. Comment a pu se faire sur son nom le décisif appoint « lepéniste » ? comment un électorat sensible aux opacités financières, plutôt antisémite et qui s’est d’abord reconnu dans le rejet de l’immigration, soucieux aussi de valeurs familiales, anti-américain – enfin a-t-il pu voter pour une personnalité dont aucun aspect ne lui correspond ? à deux points près cependant qui ont donc tout occulté. Le parler franc, l’exemple médusant d’une ascension sociale jusqu’à l’ultime.

2007 n’est donc pas le retour à la norme des élections présidentielles d’antan, bien « républicaines » dont la suite avait été troublée en 2002.  2007 est la réussite de ce qui n’avait pu se concrétiser au deuxième tour de 2002. Un système d’idées, longtemps jugé extrêmiste et simpliste, devient programme de gouvernement, devient légitime, praticable, sans anathème. Il n’y manque pas même la touche provocatrice : les conceptions de criminologie du ministre-candidat qui ne sont pas moins controversables que l’analyse par Jean-Marie Le Pen de la population ayant contracté le sida.

En regard, Ségolène Royal, fille de militaires et lorraine, autochtone s’il en est, manifestement douée pour produire sur la scène internationale un effet très favorable parce qu’elle répond à l’image d’une France élégante et acceptant, enfin, avec imagination un premier rôle féminin, n’a pas été retenue autant qu’il eût été logique par des Français voulant la rupture. Nicolas Sarkozy – en défi du président régnant, en pétition d’énergie, en boulimie de pouvoir, en agencement de réseaux et de concours de toutes sortes – est le décalque du maire de Paris à ses débuts.


    Les précédentes élections

L’écart de six points entre Nicolas Sarkozy et Ségolène n’est pas un record. 2002 est évidemment hors concours, mais le général de Gaulle avait obtenu 55,19% des voix en 1965, soit onze points de plus que son adversaire de gauche et Georges Pompidou 58, 21% face à Alain Poher et surtout aux abstentionnistes (le candidat communiste n’étant au premier tour distancé que de deux points par le président du Sénat qui, au départ du général, avait reçu l’intérim de la présidence de la République, selon la Constitution). Cet écart est cependant supérieur à celui séparant en 1995 Jacques Chirac de Lionel Jospin, celui-ci avait obtenu 47,36 %. La performance de Ségolène Royal est davantage au premier tour, égale ou presque à celle de François Mitterrand en 1981 (25,84%) et bien supérieure à celle de Lionel Jospin en 1995 (23,30%), qui – pourtant – avait surpris.

La participation au premier tour a été un record : 84,60% ; en 1965, elle était de 84,75%. Celle du second tour – dont je n’ai pas tous les éléments – aura un sens particulier comme en 1969. Alors, les communistes – dont le candidat Jacques Duclos avait recueilli 21,27% des suffrages au premier tour – prônèrent l’abstention, faisant le succès de Georges Pompidou : la participation tomba à 68,86%. Le 6 mai, Jean-Marie Le Pen recommandait l’abstention et le tiers des électeurs de François Bayrou eurent ce comportement. L’abstention, eu égard au taux du premier tour, sera significative. En 1995, au second tour, elle était de 20,30% et en 2002 de 19,06% ; or, le choix était binaire, de l’acceptation de tous. Il ne l’était pas le 6 mai.

Cette élection a failli apporter une importante novation. Voter pour le président de la République devrait se faire sans le souci des combinaisons du mandat précédent. Les coalitions de partis devraient se dénouer et se refaire sans jurisprudence, en fonction seule des candidats. Surtout si les élections pour l’Elysée et pour le Palais-Bourbon sont de dates voisines. La sécession de François Bayrou n’a amené qu’un tiers de ses voix à quitter la majorité sortante. Ce n’est pas un réagencement général de la vie politique française. Mais pour la première fois, il n’y a pas eu le désistement convenu à l’issue de la primaire, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Chirac, Raymond Barre et Edouard Balladur, personne n’a voulu « faire perdre son camp », sauf en for intérieur.



     Les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy et la démarche du nouveau président

Seul Jacques Chirac, à son entrée en fonctions, n’a pas prétendu que s’ouvrait une ère nouvelle. Le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958 en inaugurait une, la seule inconnue étant sa durée et surtout la pérennité des institutions et de la politique, notamment extérieure, qu’il avait fondées. Georges Pompidou en lui succédant résolvait la principale inconnue, celle de l’ancrage du régime dans un pays où depuis la Révolution française. Valéry Giscard d’Estaing prétendait que la politique serait faite autrement, décrispée et attentive à l’opposition : paradoxale recherche du consensus, qui est aussi le thème de François Bayrou et de Ségolène Royal pour une plus grande efficacité sociale et économique, alors que le très jeune président d’alors fondait le clivage droite/gauche en faisant désormais se confondre la majorité au pouvoir avec toute la droite puisque les réformateurs de Jean Lecanuet et de Jean-Jacques Servan-Schreiber l’avaient rallié, et que la gauche s’unissait totalement dans l’opposition et pour présenter une alternative unique, stratégie de toujours d’un François Mitterrand, issue pourtant de formations politiques très modérées. L’arrivée de celui-ci au pouvoir fut d’abord un changement d’orientation gouvernementale – total – mais ses quatorze ans à l’Elysée inaugurèrent une autre façon d’être président de la République. Les Français ont maintenant deux personnages en mémoire pour ce qui est du pouvoir suprême, mais surtout d’une certaine incarnation du pays, sans rapport immédiat avec des résultats, des succès ou des impasses, lesquels s’oublient : lui et l’homme du 18-juin.

Les drames sont ceux de l’époque gaullienne, il n’y  pas que le caractère qui appelle la tempête et structure les solutions, il y faut les circonstances, avec le Général la France était servie, la décolonisation prolongea les débats de la guerre et de l’après-guerre. Aucun n’était gratuit, ils mettaient tous tout en cause, la conception était du monde et non de la société. La politique était politique, la société et l’économie étaient secondes. Jacques Chirac a été contemporain de drames, et s’il y a matière à indulgence pour l‘exercice de ses deux mandats, elle portera sur l’Irak (même s’il a eu plus de chance que de volonté pour arrêter sa décision) à propos duquel il n’a pas entraîné la France dans ce qui apparaissaient et s’est confirmé être une machination désastreuse, et elle portera sur la « crise des banlieues » à l’automne de 2005 : celle-ci aurait pu dégénérer, les protagonistes étant ce qu’ils étaient de Beauvau à Clichy-sous-Bois, puis Stains et partout. Ayant pris le temps d’observer, il prononce alors le meilleur discours de sa carrière [3] et bat les records d’audience de la coupe du monde de 1998, tant il était attendu. (la comparaison peut se faire avec celui du général de Gaulle, le 24 mai 1968, attendu lui aussi mais sans effet – il est vrai que le 14 novembre 2005, la fiève retombait et que la décision d’état d’urgence avait déjà huit jours).

Bien que chacun de personnalité forte et avouée, et cultivant une communication les caractérisant fortement, les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy ont tous été transparents à leurs fonctions. En particulier, l’exercice gouvernemental a été décisif, à deux courtes exceptions près : Georges Pompidou ne s’entendant pas sur les principaux sujets avec Jacques Chaban-Delmas, trop en communion avec Simon Nora, ancien collaborateur de Pierre Mendès France, et François Mitterrand ne partageant pas les vues et analyses de Michel Rocard, ont dû laisser se faire une différenciation entre Matignon et l’Elysée. La généralité a été un débat, probablement le seul qui fonctionne sous la Cinquième République, jusqu’à présent, mais sans témoin. La cohabitation lui a donné, non une charge conflictuelle comme il peut être cru à première vue, mais un enjeu d’avenir, le Premier ministre cohabitant ne manquant pas de penser à une succession à son avantage, puisque jouissant déjà d’une majorité à l’Assemblée Nationale hostile au président régnant.

Nicolas Sarkozy aura un Premier ministre, mais quels seront ses rapports avec lui ? Valéry Giscard d’Estaing se limitait à des instructions écrites au Premier ministre – peu délicatement communiquées à la presse (la note que rédigea de Gaulle l’été de 1968 sur les réformes ne fut publiée par Le Figaro qu’hors du consentement de l’Elysée, elle n’était qu’un aide-mémoire à l’intention de Maurice Couve de Murville et de Jean-Marcel Jeanneney). François Mitterrand faisait tout en tête-à-tête, y compris les mises en disgrâce. De Gaulle se fit imposer beaucoup de choses par son Premier ministre quand c’étaient Michel Debré et Georges Pompidou. Nicolas Sarkozy promet des lettres de mission annuelles pour chacun des ministres et l’évaluation de ceux-ci à l’Elysée. Où sera le Premier ministre ? quelle sanction de responsabilité puisque la censure parlementaire ne peut viser que celui-ci.

Un autre élément d’exceptionnalité et d’imprévisibilité du prochain mandat présidentiel est la présence d’un prédécesseur qui va très vite redevenir intact et qui est e relativement bonne santé. Georges Pompidou, mort, et François Mitterrand, bientôt mort, n’ont pu exercer d’influence ou de jugement sur leur successeur respectif, quoiqu’ils aient chacun prévu, sinon souhaitait, qui ce serait. Valéry Giscard d’Estaing devait porter le poids de la défaite et ne pouvait ressurgir que par la grâce de son successeur et opposant, grâce, c’est-à-dire nomination à Matignon (le précédent de Raymond Poincaré) qu’il espéra certainement en 1986 et en 1992. Jacques Chirac, une fois réglé par la sourdine son imbroglio judiciaire personnel, est disponible pour un nouveau rôle : il va rejoindre en écologie et climatologie Mikhaïl Gorbatchev et Al Gore, il plaira d’ici peu de nouveau aux Français. Son image a tout à gagner d’une ambiance autoritaire qu’animera son successeur ; il sera bientôt la référence libérale. Nicolas Sarkozy dominait Jacques Chirac, président de la République. Le changement de rôle peut changer le rapport de forces.


     Quelques scenarii pour les cinq ans pour les cinq ans à venir

Nicolas Sarkozy, autant que les deux autres « principaux » candidats, se sont engagés à ne pas décevoir, à tenir chacun des paroles données – ce qui était un antiportrait unanime du président sortant. Mais les engagements de Nicolas Sarkozy sont aisés à mémoriser pour les plus saillants : le plein emploi d’ici 2012 ne s’annoncera pas six mois avant la fin du mandat mais dès la première année. Si rien ne se vérifie… Les grandes nominations soumises à l’approbation ou à l’évaluation parlementaire, ainsi qu’aux Etats-Unis : d’emblée, il est probable que cela ne se fera pas, pour la raison simple que l’Assemblée sortante est sans pouvoir depuis déjà un mois selon les lois organiques la régissant, et que le nouveau président ne va pas rester jusqu’à la fin de Juin sans nommer personne… Le gouvernement limité à quinze ministres ? pour compenser avec des secrétaires d’Etat ? La « culture de résultat » appelle un verdict constant. La France n’a plus de réserve droite, elle n’a jamais élu, sous la République, une personnalité aussi orientée vers l’extrême dans la manière et dans le fond, on ne pourra expérimenter davantage que ce que va entreprendre Nicolas Sarkozy. Celui-ci est lié de méthode et de programme et de résultat. Et plus fortement encore de psychologie personnelle.

Le pays est peu syndicalisé. Sans doute, répète-t-on à droite que ce qui empêche de gouverner « sainement » la France, ce sont les syndicats. Mais précisément, les Français sont peu syndicalisés. Et l’organisation patronale elle-même est loin de représenter les entreprises françaises puisque les grands groupes à l’échelle internationale se désintéressent du CNPF devenu MEDEF depuis une vingtaine d’années (la première vague des privatisations sous Jacques Chirac et Edouard Balladur à partir de 1986). Personne des candidats n’a vraiment proposé la restauration du plan et de qui avait organisé et fait fructifier pendant des décennies un dialogue entre tous les acteurs du mouvement économique. Nicolas Sarkozy et le gouvernement qu’il va nommer sont donc acculés soit à imaginer les structures du dialogue, de la concertation et de la mise en commun : c’était le programme de Ségolène Royal et le patronat comme les syndicats de salariés l’auraient accepté, mais proposé par la droite ? soit à procéder autoritairement, c’est-à-dire par la loi. Périlleusement donc. Car les grandes questions reportées par Lionel Jospin pour après 2002 n’ont été traitées qu’à titre transitoire par les gouvernements de Jacques Chirac, ces cinq ans : retraites et budgets sociaux.

Premier avenir possible. Une reprise de la croissance en France parce que générale en Europe. Le gouvernement la mettra à son crédit, mais n’y sera en réalité pour rien. Le cou de frein aux délocalisations et un certain protectionnisme ne sont praticables qu’en consensus européen. Comment la France l’obtiendra-t-elle de ses partenaires ? si elle ne concède pas sur le traité établissant la Constitution pour l’Europe. Il n’y a donc pas de cadre prévisible assurant une croissance durable et qui soit le fait avéré d’un tournant de politique économique nationale. Le gouvernement et le président de la République, en revanche, vont être jugés coup par coup à chaque délocalisation, à chaque licenciement boursier, à chaque départ de dirigeant d’entreprise vers une retraite trop dorée. Profil économique du quinquennat… et résultats incertains. Ou volte-face doctrinale d’un candidat libéral et atlantique en économie, converti au protectionnisme depuis le début de sa campagne, et qui rendrait à l’Etat les instruments et le poids d’arbitrage dont il a été systématiquement dépouillé par la droite comme par la gauche depuis 1986 ?

La courbe sociale devra s’afficher sécuritaire. Les statistiques économiques et sociales se manipulent, les policières aussi ; elles sont toutes le fait d’administrations soumises à leur hiérarchie, même s’il filtre de plus en plus des démentis ou dénégations de la part de ceux qui tiennent les « banques de données ». Le quinquennat sera donc celui du maintien de l’ordre ou au contraire de débordements tels que rien ne sera contenu car les forces qui en ont la charge ne choisiront pas le gouvernement contre la population. Nicolas Sarkozy va donc tout faire pour éviter ou camoufler les confrontations violentes. Or, elles sont le fait – pour les plus graves – du hasard et de circonstances peu contrôlable. Le débat sera sur des incidents et sur des statistiques. Il peut aussi y avoir un feu qui couve et dans notre pays ce n’est jamais le même : les révoltes étudiantes depuis le printemps de 1968 et l’automne de 1986 avaient un contexte politique dont le président de la République en place sut tirer parti, cohabitation ou pas, celles qui suivirent contre Claude Allègre ou contre le C.P.E. ne furent qu’ad personam ; les grèves selon des secteurs d’activités ou selon des statuts professionnels ont des succès divers selon la contagion, jamais prévisible, qu’elles suscitent ; quant aux émeutes de banlieues, elles sont cachées comme aujourd’hui la mort dans les familles. Cinq ans sans incendie…

Le plan politique est donc le seul prévisible et assuré. Une majorité compacte et disciplinée, plus en phase avec le gouvernement qu’elle ne l’était avec Jean-Piertre Raffarin et Dominique de Villepin – chacun daubé. Donner plus de poids institutionnel à l’opposition, faire du Parlement un point fort du régime, c’est promis, mais cela se pourra-t-il ? mécaniquement et surtout dans la manière du nouveau président de la République si l’on extrapole ses façons place Beauvau et rue de Bercy. Il est vrai que – contrairement à Dominique de Villepin – Nicolas Sarkozy sait reculer à l’Assemblée Nationale et ménage bien mieux sa face. Il peut y avoir une inventivité qui n’aurait de précédent que ce à quoi parvint Valéry Giscard d’Estaing en début de son septennat (notamment la saisine du Conseil constitutionnel, rendue loisible à l’opposition). Il faudra alors que les oppositions de la gauche et du centre sachent le reconnaître. Un des rares débats consensuels de la législature qui s’achève – celui du 29 Novembre 2005 pour l’adoption de la loi antiterroriste – montre que c’est possible, et le projet était défendu par Nicolas Sarkozy.

Rigidité et incertitude. A première vue et selon une image volontrairement assumée, c’est à la ressemblance de la psychologie du nouveau président. L’imprévisible serait que Nicolas Sarkozy pratique certaines des pages de son livre Témoignage où il livre sa manière de changer d’avis ou de se faire une opinion sur ce qu’il n’a pas encore examiné. La France dépendante d’une psyché ?

                                                                                        BFF – 6.8 V 07



disponibles sur demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007

12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de candidatures et de programmes

20 Novembre 2006
Le choix et la manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en conclusion d’étape.

2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences

16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des Français en forme de questions
Quel contexte ?
2 Janvier 2007
Le naturel  des partis
Les clivages ne correspondent plus aux partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour

9 Février 2007
Les mises en campagne
Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour l'avenir
La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que tel par personne

18 Février 2007
L'opinion et les candidats
Les candidats et l'opinion
L'absence de choix en matière institutionnelle
Le mauvais énoncé de la question européenne
24.25 Février & 4 Mars 2007
Des certitudes négatives
De rares certitudes positives, mais qui sont sans doute la matrice d’un système nouveau
Apathie ou désespérance des électeurs ? ou médiocrité des acteurs ?
Quelque chose prendrait-il forme ?
Le monde, pendant ce temps-là…
Les résultats du capitalisme tel qu’il se pratique en français

9.11 Mars 2007
La campagne modifie peut-être la fonction présidentielle
La campagne révèle aussi bien notre vie politique intérieure que l’état de nos relations extérieures

13.15 Mars 2007
La refonte possible des institutions
Quel que soit l’élu, un président très différent de ses deux prédécesseurs
Effondrement de la gauche ou fin d’un clivage ?

17.23 Mars 2007
L’ordre de bataille
Le vote utile
Cristallisation d’image et psychopathie des prétendants
La démocratie émolliente ?

2.13 Avril 2007
Sensations de la campagne, notamment à la télévision
Le test de personnalité
Les sujets traités
L’opinion des Français ?
Les scenarii pour le prochain mandat et notre avenir

19.20 Avril 2007
Quel challenge ?
Le contexte de la présente élection
Les buts de toute élection présidentielle
Les candidatures entre lesquelles choisir

27.28 Avril 2007
 Les résultats
L’échec collectif possible
La suite n’est pas acquise
D’une élection présidentielle à l’autre

5 Mai 2007
Rassemblements ou démarches individuelles ?
Les moyens
L’échéance la plus importante


[1] - Jean Mauriac, L’après de Gaulle . Notes confidentielles 1969-1989 (Fayard . Novembre 2006 . 540 pages) p. 384 :  Il n’y a plus de général de Gaulle. Maintenant, c’est moi qu’il faut suivre.
[2] - projet de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles présenté au nom de M. Albert Lebrun, président de la République, par M. le maréchal de France Ph. Pétain, président du conseil – documents parlementaires . chambre des députés . 16ème législature . session extraordinaire de 1940 . annexe n° 7205
[3] - C’est une crise de sens, une crise de repères, c’est une crise d’identité. … Nous ne construirons rien de durable sans… si nous ne… 14 Novembre 2005 in Jacques Chirac, Mon combat pour la France (Odile Jacob . Mars 2007 . 644 pages) p. 159 & ss.

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