samedi 8 mars 2014

archives pour un mémoire vécue de notre histoire immédiate - 14.20 Mai 2007



Observation & réflexions

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Lundi 14 . Dimanche 20 Mai 2007

La presse parisienne gratuite peu indulgente pour les jours en mer du nouvel élu. Les hebdomadaires, sauf l’Observateur qui titre sur « Sarkozy et l’argent », sont complaisants : le baiser sur la pointe des pieds donnée par l’épouse le soir de l’élection, Match commente depuis dix-huit mois en termes d’émotion, laquelle ? et de qui ? Le portrait noir-et-blanc pour Le Point : un acteur de série dans les années 1930, un masque peu déchiffrable de complaisante naïveté. Le même en couleurs pour L’Express. La carrière et la biographie sont devenus un destin. Les mêmes encadraient l’an dernier Ségolène Royal : comment elle a raflé la mise ?

Jusqu’au dernier moment de voter, les électeurs qui ont « fait la différence », semblent avoir hésité. La bataille a été d’image personnelle : l’idéal ou le repoussoir (à divers titres dont le socialisme, dont le genre féminin) pour Ségolène Royal, trois ou quatre idées fortes pour Nicolas Sarkozy (l’étranger chez nous doit se conformer à nous, la Turquie jamais, le travail). L’élection acquise, l’alternative a disparu, les querelles immédiates au haut de la hiérarchie du Parti socialiste et la mise en cause de la perdante, y sont pour beaucoup, mais le nouveau cours à en juger sur ses premiers jours plaît : 69% des Français – paraît-il – sont satisfaits de la formation du nouveau gouvernement, en réalité de l’appel à quelques personnes non encartées, car il semble que Jean-Louis Borloo était davantage souhaité que François Fillon.

C’est au tour de l’étranger d’être perplexe. Avec Ségolène Royal, il eût été à l’aise. Une femme comme elle aurait répondu à l’image – ou au fantasme – qu’on se fait de la France élégante et féminine. Pour le fond, l’appareil diplomatique aurait suffi. La réputation de Nicolas Sarkozy en fait une interrogation puisqu’on lui prête le caractère propre à davantage de ruptures que de continuité ou de conformisme.

Etat de grâce dont l’expérience de la Cinquième République et surtout de Jacques Chirac, montre qu’il est de durée de plus en plus brève. Renouvelée, l’Assemblée nationale devrait être peu différente – en répartition des sièges – de la sortante, ce qui n’a pas de précédent sous la Cinquième République.



Le nouveau pouvoir vient de l’élection. Celle-ci n’a pas été forcée ni par les circonstances ni par le passé exceptionnel ou la position acquise d’un des candidats. Elle place un homme qui reconnaît avoir souhaité la fonction toute sa vie, l’opinion approuve cette pétition : Nicolas Sarkozy justifie tous ceux (et celles) qui sont ambitieux, et veulent parvenir. La démocratie et l’ « ascenseur social » ont bien fonctionné.

Ce pouvoir est nouveau, sans doute le plus nouveau depuis 1958, puisque le nouveau président de la République est élu pour sa liberté de jugement et ses expressions sans précaution. Les relations internationales de la France, la politique intérieure appelée à devenir un exercice de gouvernement et non plus un jeu de rôles et d’affiches, sont du coup dépendantes d’orientations personnelles, dont on ne connaît que des aspects ou des points ayant fait la fortune électorale de Nicolas Sarkozy, mais pas la cohérence ni l’ensemble. Il est probable que cohérence et mise en perspective seront à déduire, et ne seront pas exposés comme tels. L’élu du 6 mai et ancien ministre de l’Intérieur ou des Finances n’a que le charisme du terrain, surtout miné (parfois par lui-même), il n’est homme ni du verbe ni de la plume. Caractère sans prestance, mais impressionnante réputation de volonté et de liberté.

Inconnu d’une personnalité ainsi mûe par le désir du pouvoir suprême, inconnu surtout de la réaction que va produire la rencontre de cette personnalité avec les faits, et sur la durée avec l’opinion publique française, et avec des partenaires internationaux dont beaucoup changent d’ici peu. Le plus stable est la Chancelère allemande ; heureusement.



     Le point de départ

La France en est à son sixième règne républicain. Les formes précédentes de la République, après la chute de Mac Mahon et une fois vêcue la forte parenthèse de Vichy à l’occasion de la guerre mondiale, n’étaient pas d’une inauguration, d’un cérémonial et d’une ambiance ouverte de décisif commencement ; elles ne s’approchaient pas autant – moins l’hérédité – de l’ancienne royauté. Les choses étaient éphémères et concoctées entre élus et selon les partis, le président de la République n’existait pas et ses velléités étaient contrées aussitôt (Alexandre Millerand de 1920 à 1924), le gouvernement avait une durée de vie de quelques mois, d’une certaine manière la politique n’articulait pas la vie des Français, ce qui bougeait c’étaient la société et nos relations internationales. Le vase était clos, mais le pays rayonnait, nous étions au premier rang et celui-ci était peu garni. L’industrie était puissante, les groupements d’intérêt davantage corporatifs qu’aujourd’hui, la presse était multiple et de grands tirages. Les médias d’aujourd’hui n’étaient pas soupçonnés ni non plus un régime où le chef de l’Etat peut faire appel au peuple et a toutes les nominations publiques à sa discrétion, c’eût été le Second Empire, repoussoir pour plusieurs générations que le « cartel des non » contre un de Gaulle ayant fait la paix en Algérie, tenta vainement de rappeler en 1962. Erreur du même ordre que de tenter une élection de la peur, il y a quinze jours : le nouveau président a certainement – en plus du sien propre et de celui de Jacques Chirac – l’électorat de Jean-Marie Le Pen mais les Français ne le prennent pas pour le porte-parole du Front national.

La défaite de Ségolène Royal n’était pas telle qu’elle produise le vide autour du nouveau pouvoir. La remise en cause de son leadership auquel sa renonciation – si elle est définitive – à la députation pour cette législature, semble signifier qu’elle y consent, sans doute par contrainte, s’accompagne au Parti socialiste d’un débat que François Mitterrand avait su lui éviter : alliance au centre et figure de parti classique, machine et élus servant des carrières dont la coalition ambitionne l’alternance au pouvoir – ou bien dialectique révolutionnaire d’affirmer une identité d’analyse et d’idées en suscitant ou en accompagnant le mouvement social, ce qui suppose un comportement et des antécédents que n’ont jamais eu les socialistes en France faute d’enracinement dans le syndicalisme. Le débat opposa Guesde, Millerand, Briand, Jaurès. Enoncer comme cela les rivalités entre Laurent Fabius, François Hollande, Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn, en attendant qu’une autre génération, pas forcément plus jeune, mais jusqu’à présent pas sur le devant de la scène, mette fin à ce type de débat, c’est dire que la place – médiatique et politique – d’une opposition palementaire va rester vide et n’intéresse pas les Français. Pour le moment. Car Nicolas Sarkozy a été élu pour l’action, selon lui et selon ses électeurs, et en réaction très précise à toute conduite gouvernementale qui serait du discours et du débat. L’attente est de changements et de décisions précis et immédiats. La perspective est d’une période de cinq ans où la consultation populaire ne mettra pas en cause le nouveau pouvoir, ce ne seront que les sénatoriales et les municipales.

Nicolas Sarkozy n’a qu’à poursuivre, ses adversaires ont encore à naître. François Bayrou n’ayant pas gagné, a tout perdu : les pronostics ne lui donnent que trois ou quatre députés ; à la proportionnelle, le reflet de son score du premier tour, il en aurait eu cent. Notre mode de scrutin le lui interdit, mais il y a plus. Les Français sont sans mémoire des Républiques antérieures, sans mémoire-même des exercices précédents du mandat présidentiel, des figures demeurent – essentiellement le général de Gaulle et François Mitterrand – mais indépendamment des bilans gouvernementaux. Ils sont sans mémoire de la campagne qui vient de s’achever. Ce ne sont pas nos institutions qui structurent notre vie politique, encore moins qui font l’accès aux responsabilités publiques, ce sont nos habitudes mentales.

Nous voulons un responsable unique et visible. Nous acceptons, sans discussion, des cooptations, des systèmes de cour et de clan pour les grandes nominations. Nous ne regardons dans les carrières que l’aboutissement – gage, croyons-nous, que le même sort peut être le nôtre ou celui de nos enfants, prestige double des arrivistes, avoir réussi et être parti de plus bas que nous parfois. Simplification de magazine au rebours de la complexité et de l’interdépendance des grandes questions. Dialectique de délégation et de dessaisissement. La façon d’avoir géré une carrière gage – pour le moment – la bonne gestion à venir du pays. Cela ne fait pas un accompagnement, encore moins la participation.

Ce vide autour du nouveau pouvoir – qui peut devenir solitude – et la généralité de ce consentement qui n’est pas même attentiste, sont nouveaux en France. Le général de Gaulle arrivait surtout pour régler la question algérienne, il était attendu à cela, il le fit mais surtout bien d’autres choses. Georges Pompidou était regardé en référence à son prédécesseur, le procès en fidélité était aisé et il y était sensible (j’y ai participé avec esprit de système et partialité). Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand incarnèrent le changement, voulaient la rupture et peuvent paraître des précédents à l’investiture de Nicolas Sarkozy, mais le premier n’avait pas de majorité propre, ni dans l’électorat présidentiel, ni dans l’Assemblée nationale et le second s’enferma dans deux systèmes contraignants en acceptant le jeu européen et en ne proposant le referendum que selon la permission du Sénat. Tous deux avaient à faire à une opposition qui, d’abord assommée par l’échec à l’élection présidentielle, pesa de plus en plus : opposition interne à la majorité, celle des chiraquiens recostumant les gaullistes et contestant la personnalité et la stratégie de Valéry Giscard d’Estaing, opposition d’une droite prétendant dès des élections partielles survenues dans les six mois de la victoire de la gauche, que celle-ci était déjà dépassée. Un système d’opposition qui, de 1981 à 2002, gênait d’autant plus l’exercice des prérogatives présidentielles que l’une des deux chambres du Parlement – le Sénat le plus souvent, mais l’Assemblée nationale dans les trois cohabitations – n’était pas du côté de l’Elysée. L’opposition ne faisait pas la rue, mais pouvait l’accompagner, en profitait.

Jacques Chirac avait en 1995 et en 2002, à chacun de ces avènements très différents l’un de l’autre comme configuration politique, les mains aussi libres que Nicolas Sarkozy les a, ces jours-ci, mais au premier tour, il n’avait pas recueilli 20% des voix. La marge de popularité initiale du nouveau président de la République est tout autre, sans atteindre pourtant celle du général de Gaulle en 1965 – mais la mise en ballotage effaçait psychologiquement cette marge dont, à l’époque, faute de précédent, on ne pouvait apprécier la consistance, de Georges Pompidou ou de François Mitterrand. Cette marge est considérable parce qu’elle ne tient ni à un héritage ni à un programme dépassant en 1969 ou en 1981, la personne. A l’exception de l’homme du 18-juin, Nicolas Sarkozy est le premier élu en France à l’être autant sur sa seule personnalité. Ce qui, pour le moment, place la réorganisation de la gauche, si celle-ci doit être l’opposition, sur un tout autre plan où les Français ne se situent pas encore : le plan des idées et du contrôle.


     Les commencements

La personnalité du nouveau président était, pour ses adversaires, marquée par trois traits inquiétants – et dans un débat électoral, censés inquiéter tellement que la défaite paraissait possible, une élection par exclusion. Le rapport à l’argent a été confirmé, tranquillement, sinon cyniquement, par les quelques heures de yacht. Cent autres façons de décompresser étaient imaginables et possibles, avoir voulu celle-là et que la polémique, comme au début de la campagne présidentielle, ait porté sur des références historiques, sinon idéologiques (Léon Blum et le premier Bolloré), qui ne sont pas, en principe, le fond de commerce de la droite et de son candidat, confirme ce qui a fait le succès du nouvel élu depuis cinq ans : le culot. La propension à susciter (ou à organiser) l’auto-censure dans beaucoup des médias les plus importants (sinon influents) a été confirmée : l’incident de contenu mineur d’une nouvelle presque d’alcove quoiqu’il s’agisse du devoir civique de l’épouse du président, et que le Journal du Dimanche renonce à publier. Il y a deux étés, c’avait été une couverture, il est vrai provoquante, de Paris-Match ce qui coûta sa place au rédacteur en chef de l’époque. Le rapport à l’argent peut se retourner contre le président de la République, ses prédécesseurs en ont chacun eu un, très différents. Ici, le soupçon est d’influence pratique et mentale, ce qui n’a jamais été le cas pour un chef d’Etat en France. Tandis que la question des attitudes de la presse et surtout des financiers de celle-ci est grave si nous nous prétendons en démocratie. On avait dénoncé certaines influences – par sympathie pour l’Etat d’Israël – à la fin du mandat du général de Gaulle. On a depuis la constitution de « l’empire Hersant » - mais qui était si visible, qu’il en perdait de l’efficacité – une restructuration des medias écrits et audiovisuels qui est encore peu analysée et dont le poids sur l’opinion publique n’est encore ni mesuré ni critique. Surtout si la majorité parlementaire est encore plus considérable que la sortante, cette place des intérêts économiques proches du pouvoir politique, et le soutenant à titre personnel pour son chef, sera de plus en plus préoccupante. L’exercice du mandat présidentiel par Jacques Chirac avait été pollué par l’exercice antérieur de ses fonctions de maire de Paris. Celui de Nicolas Sarkozy peut devenir suspect, sans qu’il soit forcément su ni dit en quoi ni pourquoi. Le dernier trait a été la confirmation d’un intitulé sinon d’une compétence de ministère : l’immigration, l’intégration et l’identité nationale en lettres d’or aux frontons de la République française. Cela faisait tollé en campagne électorale, pas de commentaire aujourd’hui.

Mais les traits positifs – qui ont fait la victoire de Nicolas Sarkozy – sont retenus bien davantage. Comment ne pas approuver l’humilité et le sérieux de la démarche présidentielle pour choisir le chef de notre diplomatie ? La politique extérieure est le plus souvent la découverte du nouvel arrivé à l’Elysée, d’apparence gratifiante arce qu’apparemment elle n’implique aucune sanction en politique intérieure. Spontanéité et amateurisme alors que les fautes de politique intérieure sont immédiatement sanctionnées puis oubliées, celles affectant nos relations internationales peuvent nous suivre pendant plusieurs générations. Hubert Védrine n’a pas accepté. L’eût-il fait, il battait les records de longévité dans la place ou proche de la place établis par Vergennes et Couve de Murville. Les quatorze ans avec François Mitterrand étaient déjà une forte expérience diplomatique, à quoi s’étaient ajoutés les cinq ans, habilement vêcus entre les cohabitants de 1997 à 2002. Le Quai d’Orsay doit être commandé, il l’eût été, alors que depuis 2002 il ne l’a pas été. Bernard Kouchner risque de ne pas avoir cette emprise sur les services, mais son expérience des questions d’aujourd’hui, la place des Nations Unies et de l’humanitaire dans les problématiques internationales et pour un positionnement rayonnant de notre pays, est certaine. Il a le renom voulu. Le choix est bon. Nicolas Sarkozy marque un point, pas tant par un débauchage socialiste – le nouveau ministre a été très souvent daubé au Parti socialiste et ne parvenait pas à se faire élire, en bonne partie du fait des militants dits de base – que par la mise à l’affiche de l’homme qu’il faut. Le maintenir en correspondance avec notre ancien ambvassadeur à Washington, déjà collaborateur d’Alain Juppé, Edouard Balladur étant remier ministre, puis de Jacques Chirac à l’Elysée, est judicieux.

En revanche, si l’affirmation de la liberté de recrutement du nouveau président va à son actif, l’application à Eric Besson – je rends compte par ailleurs de son livre Qui connaît Madame Royal ? – est moralement périlleuse. L’expertise du président d’Emmaüs est certaine, mais son relationnement aussi : Nicolas Sarkozy y gagne, le sujet à traiter sans doute aussi, mais l’impétrant ? En ce sens, le nouveau président est un révélateur, pour l’opinion publique qui a, grâce à lui, admis sa sensibilité aux thèses de Jean-Marie Le Pen, jusques là culpabilisantes, et pour les personnalités auxquelles il fait appel.

La composition du gouvernement donne une belle part à la professionnalisation – sans changement – de la politique. Il s’agit de satisfaire ou de caser certains, un portefeuille vaut-il plus que la présidence de l’Assemblée nationale, et si oui, lequel. Le système risque d’être renforcé par une novation – en totale contradiction avec l’esprit fondateur de la Cinquième République – la possibilité rendue aux membres du gouvernement sans passer par les urnes avec la permission de leur suppléant, de revenir au Parlement s’ils y étaient avant leur nomination. Ainsi s’affirmera que la carrière politique a deux étapes, la députation puis le gouvernement, alors que de Gaulle et Michel debré avaient voulu la séparation des fonctions, et si possible des carrières. Il est vrai qu’à partir de 1967, et précisément pour faire valoir devant l’électeur le bilan gouvernemental, les ministres en place étaient partis en campagne, mais – battus – le ministre es Affaires étrangères et celui des Armées (Maurice Couve de Murville et Pierre Messmer) n’avaient pas pour autant été remerciés. C’est Georges Pompidou suivi par François Miterrand qui fera la jurisprudence, qui est battu aux élections perd son portefeuille. Pourtant, ces nominations tiennent peu au souci de se concilier des forces dans la majorité présidentielle ; elles sont la rétribution de soutiens qui n’ont pas été inutiles à Nicolas Sarkozy (Michèle Alliot-Marie, Hervé Morin) ou une simple fidélité (Brice Hortefeux). La participation d’Alain Juppé est sans gloire pour celui-ci : le portefeuille est un intitulé sans services véritables. Le président et l’ancien Premier ministre avaient intérêt à cette combinaison. Dominique de Villepin, s’effaçant au moins provisoirement et Jacques Chirac, attendant l’amnistie, il n’existe dans l’U.M.P. que le maire de Bordeaux pour organiser une éventuelle contestation. L’environnement étant un engagement d’afiche pour le nouveau président comme ce l’était devenu pour l’ancien, il est bien servi par une persnnalité de premier plan. En revanche, pour quelqu’un dont à la réélection de jacques Chirac en 2002, on pouvait se demander s’il saurait attendre jusqu’en 2017… on ne voit d’explication que sociologique : faire de la politique sans être au gouvernement, c’est rester au petit pied.

Les gages donnés en fidélité aux thèmes de campagne : la nomination de la garde des Sceaux ou le retour de Roselyne Bachelot ou plus encore l’entrée de Christine Boutin au gouvernement, sont davantage justifiés. Ils honorent certes des parcours et des carrières d’ambition, mais aussi de conviction : ce ne sont pas groupes qui sont ainsi admis au pouvoir, mais des personnes (quels que soient les jugements ou sympathies et antipathies qu’elles éveillent). Ces nouveaux venus semblent devoir s’intégrer aux équipes de professionnels du gouvernement bien mieux que les « membres de la société civile » sous les présidences de François Mitterrand (Roger Fauroux, Pierre Arpaillange) et de Jacques Chirac (Francis Mer, Luc Ferry), simplement parce que leur relation avec le président de la République est forte, assurée, parce qu’ils symbolisent en fait, bien plus – et mieux – que les professionnels ou les fidèles (Michel Alliot-Marie, Brice Hortefeux, Hervé Morin, Xavier Darcos), ce que veut être Nicolas Sarkozy.

Le choix du secrétaire général n’est pas original, la fonction a toujours été tenue par un fidèle, au moins pour commencer : de Gaulle reprit son aide-de-camp de Londres en 1940, Georges Pompidou celui qui avait dirigé en Mai 1968, Valéry Giscard d’Estaing son principal collaborateur rue de Rivoli. François Mitterrand avait agi autrement, Pierre Bérégovoy n’était pas de son courant au Parti socialiste et n’avait pas d’expérience particulière de la haute fonction publique, mais il avait du poids. Plusieurs, étant secrétaire général, ont pensé devenir Premier ministre, Pierre Bérégovoy, moyennant deux fortes transitions ministérielles, a été été le seul à aller à Matignon. Claude Guéant était depuis cinq ans le directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy, y compris hors du gouvernement ou en campagne électorale. Il semble avoir un rôle dépassant beaucoup celui qu’ont joué ses prédécesseurs.

L’agenda des premiers jours confirme une bonne intelligence des priorités par le président de la République. La relation franco-allemande, le replâtrage d’Airbus. Les entretiens avec les syndicats avant l’entrée en fonctions aussi, celui avec la présidente du MEDEF seulement après l’intronisation.

Les premiers jeux d’image ont leurs précédents sous Valéry Giscard d’Estaing, car la droite ne se fait élire qu’en prétendant rompre – aussi – avec la droite à laquelle elle succède. Nous avons donc en perspective les « états généraux de l’agriculture », un « Grenelle de l’environnement » et tout de suite : une ministre arrivant en auto-stop, le chef de l’Etat et le Premier ministre entretenant de conserve la forme… et Alain Juppé, le rigide à vélo comme il y a dix ans roulait Lionel Jospin à Amsterdam. Les mots de Nicolas Sarkozy, élu, restent ceux du ministre, la campagne avait été prudente. On prêtait à de Gaulle, on répétait François Mitterrand, on approuve Nicolas Sarkozy en paroles même s’il choque. La prose ne faisant pas partie de son programme, son peu d’aptitude à l’envol oratoire n’est pas une lacune. Il ne surprendra que s’il hésite.


     Les contradictions inévitables

La pétition libérale de Nicolas Sarkozy a fait une part de sa réputation, assortie aussi d’un penchant atlantique tel que dans la rumeur hostile l’évocation de notre accompagnement des Américains en Irak s’il aavit déjà été à la place de jacques Chirac en 2003, a tenu une place presqu’aussi grande que le soupçon d’atteinte aux libertés publiques. La réalité sera autre. Le protectionnisme européen qui suppose une renégociation des textes principaux de l’Organisation mondiale du commerce, en s’appuyant sans doute sur ceux des Nations Unies ou de groupements régionaux tels que l’Union africaine, ne peut être obtenu par le nouveau président qu’au prix d’un retournement complet de tendances à Bruxelles. Ce qui appelle de grandes habiletés ou des avancées spectaculaires compensant cette pétition, et faisant également admettre le « petit traité » à substituer au projet de Constitution pour l’Europe. Un protectionnisme (la préférence communautaire) qui ne nous fera pas bien voir des Etats-Unis dont la pétition la plus continue date des premières années du Marché Commun : profiter de celui-ci (Le défi américain, livre prophétique de Jean-Jacques Servan-Schreiber, parfaitement appliqué par les internationales américaines aux dépens de presque toutes les européennes sur leur propre territoire d’origine…).

La refondation sociale, voulue par le MEDEF depuis 1997, en coincidence avec le retour de la gauche au pouvoir, n’a pas été finalement entreprise. Dix ans durant lesquels les syndicalismes patronaux et salariés ont laissé l’initiative aux gouvernements successifs : les réformes des régimes de retraite et de sécurité sociale, les grands financements du chômage n’ont donné lieu qju’à des barouds d’honneur, n’ont été efficaces ces dix ans que les manifestations étudiantes coûtant leur place aux successifs ministres de l’Education nationale. Or, l’intérêt du pays est la structuration des représentations sociales. C’est le chantier, pas trop mis en avant par le candidat de la droite car il va forcément le tirer vers la gauche et les propositions de Ségolène Royal sont un ensemble qui devrait le tenter à pas grands frais. Ce qui place l’Etat en situation d’initiative et de poids. Le programme du candidat n’était pas tellement celui-là ce qui le distinguait – peut-être le seul point – du programme propre à l’U.M.P. qui a des relents (encore) de gaullisme (social). La restauration du Plan serait d’ailleurs partie de cette refondation, il manque aux diverses « parties prenantes » de la prévision économique et du dialogue social, le lieu de rencontre, l’instrument de prévision et de mise en commun. Jacques Chirac, dernier politique actif à avoir participé à des conseils présidés par de Gaulle, l’avait supprimé. Il est vrai que l’institution n’avait plus du tout le rôle ni le prestige des « trois glorieuses » et ne fonctionnait plus que comme un conseil de stratégie, celui qui l’a remplacé. Pour ne rayonner en rien ni dans le public ni dans l’Etat.

Les intitulés gouvernementaux, compliqués pour que l’affiche soit lisible, induisent une volonté de diminution de la masse salariale publique. Est-ce la seule économie possible ? vouloir le pouvoir, prétendre l’exercer avec efficacité et diminuer l’instrument ?


     Les lacunes institutionnelles

Avoir voulu la coincidence des élections présidentielle et législative – pour éviter une nouvelle cohabitation – fut la proposition de loi conjointe de Raymond Barre et de Michel Rocard. La technique en était discutable puisque l’exercice du droit de dissolution défera la coincidence de 2002 et de 2007, à moins qu’on le fasse tomber en désuétude. François Fillon et Nicolas Sarkozy, dans leurs livres respectifs, le veulent en tout cas sanctionné en cas d’échec par la démission du président régnant. On voit en tout cas l’inconvénient immédiat. Les pouvoirs de l’Assemblée nationale expirant le premier mardi d’Avril de la cinquième année de mandat, le président nouvellement élu est dans l’impossibilité de légiférer pendant les deux premiers mois de son entrée à l’Elysée. La formule : au boulot, lancée aux ministres lors du premier conseil, n’a de sens qu’en publicité. Ils sont en majorité en campagne électorale, par nécessité personnelle et pour que les prévisions de victoire écrasante de la majorité sortante – ce qui sera sans précédent depuis 1981… et n’était pas acquis avant le second tour de l’élection présidentielle qu’on pensait pouvoir être corrigé pour que soit contrôlé Nicolas Sarkozy à défaut qu’il soit vaincu – soient vérifiés. Le système prive le gouvernement d’un instrument et retarde de deux mois la véritable mise au travail. Si tant est que la tâche gouvernementale soit de faire légiférer le Parlement… Un des engagements présidentiels – le contrôle ou la soumission au Parlement des grandes nominations – ne peut être tenu tant que la nouvelle Assemblée n’est pas en place : attend-on deux ou trois mois pour ces nominations ?

Vouloir limiter à deux mandats, la longévité au pouvoir d’un élu à la présidence de la Républqiue peut séduire l’électeur, elle est dangereuse poiur deux raisons. La brièveté du mandat présidentiel – voulue par tous les partis, dans l’incompréhension de l’esprit originel de la Cinquième République, mais ratifiée par un referendum où près de 80% des Français se sont abstenus – a l’inconvénient qu’on vient de subir : la succession s’ouvrant dix-huit mois à l’avance, le pouvoir n’a guère que trois ans devant lui pour agir librement. S’il est en sus acquis que le président sortant ne peut constitutionnellement se représenter une troisième fois, les brigues se déclareront dès sa réélection. Mais, plus grave, si le pays se trouvait dans des circonstances difficiles, la seule personnalité d’expérience et probablement d’autorité morale serait interdite de candidature. Un atout, peut-être décisif, ne pourrait être joué. La Constitution ne peut être une loi de circonstance, elle l’est depuis plusieurs années. Y inscrire le nombre – désormais – des départements ministériels serait dérisoire : la loi, vieille de soixante ans, sur le nombre maximum des membres d’un cabinet ministériel a été constamment tournée.





BFF – 14.20 V 07

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15 notes sur la campagne et l’élection présidentielles,
rédigées du 12Novembre 2006 au 8 Mai 2007

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