lundi 10 mars 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 31 Mai . 5 Juin 2007




Observation & réflexions

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Jeudi 31 Mai . Mardi  5 Juin 2007

Les perspectives : deux tours pour renouveler l’Assemblée Nationale les 10 et 16 Juin, le G 8 le 6 Juin, le Conseil européen les 20 et 21 Juin.
Le contexte : la tension américano-russe à propos du bouclier anti-missile installé en Europe orientale. Les éphémérides : la libération qu’on peut croire imminente d’Ingrid Bétancourt, que s’annexe par avance Nicolas Sarkozy (cf. Charles Pasqua et les otages au Liban revenant à la veille du second tour de la présidentielle de 1998 – ici, ce serait l’inauguration internationale).

erratum – O&R 002, p. 4 : René Monory,  avec un seul n

L’agenda du Président de la République – sans y compter la campagne pour le renouvellement de l’Assemblée Nationale – montre a posteriori que depuis le referendum négatif, le pouvoir politique n’était plus qu’apparence. Aucun des sujets que cherche à traiter Nicolas Sarkozy – personnellement – ne l’était plus. La France a perdu deux ans quelles qu’aient été l’ambition puis la bonne volonté de Dominique de Villepin, Premier ministre. Ce qui fait comprendre que la démocratie peut être – aussi – une manière efficace de gouverner. La démission de Jacques Chirac au soir du referendum, à la manière du général de Gaulle trente six ans plus tôt, aurait anticipé opportunément l’élection présidentielle ; elle aurait grandi le président sortant, tombé sur un thème forcément d’avenir : l’Europe.

Je le répète : la coincidence voulue – tant qu’il n’y aura ni dissolution de l’Assemblée Nationale ni succession présidentielle anticipée par la démission ou la mort du chef de l’Etat – entre les élections présidentielles et législatives implique un arrêt de la machine législative pendant trois mois. Perte de temps, si le candidat élu était prêt à gouverner. Maturation des textes à proposer au Parlement.


     Nouvelle génération et antécédents consensuels

Un accord qui se sent dans sa généralité, un autre qui n’est qu’implicite mais qui importe davantage.
Une nouvelle génération est arrivée au pouvoir, Alain Juppé et Michèle Alliot-Marie avec des carrières ministérielles de vingt et quinze ans sont les derniers des aînés. Autant François Mitterrand reste présent – en modèle de stratégie gagnante et en pratique du personnage – dans toutes les gauches, autant de Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing sont absents des structures de pensée de l’actuel gouvernement (et du nouveau président de la République). La table rase mais – heureusement – sans la forfanterie de faire mieux que jamais. La dominante est une critique implicite de l’exercice de ses fonctions par Jacques Chirac, tout est à faire et à tenter parce que rien n’a été fait depuis douze ans, s’ajoutant à l’habituel déni de compétence de légitimité que la droite assène à la gauche depuis que – dès Janvier 1982 – des élections législatives partielles avaient semblé désavouer déjà la rupture de 1981. Cette génération est-elle politique ? incarne-t-elle les nouvelles générations françaises, s’il est possible ? la fracture entre une jeunesse se voyant peu de chances d’aboutir et ayant la mémoire héréditaire des frustrations, et une autre, d’origine moins modeste et moins située géographiquement, qui se dénationalise volontiers, qui accepte une grande mobilité de métiers et de sites (d’attaches affectives aussi), qui n’a pas de mémoire que celle d’un échec collectif de la France, selon elle, depuis des décennies. La composition du gouvernement est politique, elle a peu d’ambition sociologique, sauf en la personne de la nouvelle Garde des Sceaux incarnant le même appétit de parvenir que le nouveau chef de l’Etat, une revanche des origines.
Les précédents au consensus actuel – qui déborde la majorité présidentielle – sont en France nombreux. Les changements durables, ceux qui ont été la matrice de la France contemporaine, ont tous été acquis par une ambiance qui avait précédé les faits ou les consécrations institutionnelles. Ainsi l’évolution du Second Empire vers le parlementarisme a-t-il présagé la seule forme que pouvait avoir la République pour s’implanter, autrement que par une catastrophe à oublier. Ainsi, les réformes de Vichy, et les projets de la Résistance et de la France libre, venaient-ils du même terreau, voire des mêmes groupes de réflexion et des études dans les années 1930 : la réforme du parlementarisme, l’organisation du travail, la planification, la vote des femmes. Le mot qu’on croyait de de Gaulle seulement, dans les jours où il fut ressassé : la participation, se trouve dans la bouche de presque tous les orateurs du débat parlementaire de censure le 21 Mai 1968, soit trois jours avant le discours du général censé le porter au referendum. Aujourd’hui – le verbatim des deux concurrents du second tour de l’élection présidentielle récente le montre – les thèmes sont les mêmes de chaque côté : travail, autorité. En principe donc, légiférer devrait produire du consensus. Mais là apparaît le clivage fondamental qui va déterminer la dialectique président/pays dans les mois à venir : la réforme doit-elle être contrainte pour aller plus vite et plus complètement ? ou doit-elle être débattu jusqu’à véritable accord ? Si Nicolas Sarkozy et François Fillon veulent une telle majorité à l’Assemblée Nationale, c’est à la ressemblance – qu’ils se gardent d’invoquer (et dont ils n’ont sans doute pas conscience) – de Jacques Chirac et surtout d’Alain Juppé en 1997 : avoir les élections derrière soi pour faire « tranquillement » de l’impopulaire avec cinq ans devant soi. Au contraire, Ségolène Royal prévoyait le referendum institutionnel dès cet automne et un lien permanent entre le mouvement social et la mécanique législative.


        Une périlleuse prétention
   
Président de la République, Premier ministre en place, ancien Premier ministre de Jacques Chirac (Jean-Pierre Raffarin) tous sont d’accord pour vouloir et prévoir une majorité écrasante dans la nouvelle Assemblée Nationale. Ce serait indispensable pour opérer les réformes.
Le vouloir, c’est cumuler beaucoup d’erreurs. L’obtenir est dangereux.
Sans doute, la victoire annoncée – qui n‘aurait de précédent que celle de Juin 1968 si ambiguë puisqu’elle conduisit de Gaulle à sa chute politique et força la gauche à s’unir et à se définir pour un programme commun, lequel finit par l’emporter dans les urnes et détermina l’alternance au pouvori – va-t-elle ouvrir une nouvelle ère. La confirmation du président fraîchement élu ne sera pas nouvelle, François Mitterrand et Jacques Chirac l’obtinrent respectivement en 1981, 1988 et 2002. Ne pas l’avoir aussi explicitement est à l’origine du mal-être de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing vis-à-vis de groupes parlementaires qui n’étaient pas initialement formés pour les soutenir. Pour la première fois depuis 1981, la majorité sortante sera reconduite (et même augmentée).
Mais le débat parlementaire va-t-il y gagner ? Qu’il ne soit pas principalement animé par l’opposition n’est pas un inconvénient, surtout si celle-ci ne parvient pas à la cohérence et ne se donne pas, incontestablement, un porte-parole dont la légitimité et l’envergure doivent être celles de François Mitterrand à partir de 1965 et en tout cas de 1974. Une majorité trop nombreuse interdit politiquement la dissolution. Elle devrait permettre des illustrations personnelles et des dissensions, porteuses de propositions de débat et d’ambitions d’infléchir ou de contrôler l’orientation gouvernementale. Plus réduite à l’Assemblée Nationale, la majorité parlementaire du président régnant reflèterait mieux, à long terme, l’opinion du pays. Le débat n’est pas tranché que la lettre de la Constitution laisse libre : le Parlement est-il un instrument de gouvernement ? traduisant l’accord du pays pour tout un mandat avec ou contre le président régnant ? ou est-il la représentation permanente du pays, fluctuante et souple, capable d’assurer que le gouvernement est légitime ou de le contrôler s’il mécontente ?
L’élection reste décisive – pas seulement pour que le président puisse gouverner grâce à une majorité acceptant que le Premier ministre et les ministres ne soient que des serviteurs d’un dessein acquis lors du scrutin présidentiel, mais parce que les carrières politiques, donc les possibilités d’exister, de durer, de s’opposer en dépendent. François Bayrou, Marie-George Buffet et Alain Juppé, s’ils sont battus, disparaîtront : ils n’ont pas l’autorité morale d’un de Gaulle ou d’un Mendès France. Deux choix, celui de Ségolène Royal et celui de Dominique de Villepin, chacun compétiteurs de Nicolas Sarkozy : ils ne seront pas pour ses débuts dans le nouveau Parlement.
L’U.M.P. ne sait débattre ni pour son programme ni pour l’investiture de son candidat à l’élection présidentielle, mais pour les organigrammes, les lots de consolation ou la réduction de l’opposition, elle a du mordant. Nicolas Sarkozy, avant d’être un repoussoir dans une partie de l’électorat (mais cela lui a réussi) l’a d’abord été chez les siens. L’opposition interne est bien plus tétanisée encore que celle de gauche.
Un statut de l’opposition – octroyé – n’a pas de sens ni politique ni constitutionnel. L’opposition est une force qui ne dépend que de ceux qui – dans le pays – la veulent pour les exprimer en contestation et en proposition, en perspective. Commencer par lui dénier toute légitimité ou un diagnostic selon laquelle elle est nulle, n’est pas le chemin pour un débat. Les droites haïssent les gauches, bien davantage  que la gauche la droite. Ce n’était vrai ni sous la Révolution ni aux débuts de la Troisième République.


        La probation diplomatique

Le calendrier est imposé au nouveau président de la République. Chacun de ses prédécesseurs – sauf de Gaulle – avait diposé de quelques mois pour regarder le monde d’où il était nouvellement parvenu. Pour Nicolas Sarkozy, dans les six semaines de sa victoire, le G 8 et le Conseil européen.
Le candidat et le ministre de l’Intérieur ou des Finances a montré ses points forts et ses limites. Points forts, des convictions précisément énoncés sur des sujets difficiles mais n’ouvrant aucune alternative : le « mini-traité » qui textuellement ne peut l’être autant qu’esquissé, la Turquie refusée. Limites, j’en vois deux. L’homme est capable de reculs (ainsi au Parlement à la fin de la session sur certaines dispositions pénitentiaires aux fondements scientifiques contestés) mais l’est-il de négociations, de compréhension du point de vue de l’autre pour faire davantage approcher le sien que par ultimatum ? S’il a une vision du monde, elle est d’ordre psychologique, les hommes, leur malléabilité, leur mobilisation, il n’en a pas démontré de l’ordre international. Or, l’ordre actuel des choses, ces jours-ci précisément, prête à réflexion. Le débat sur le bouclier anti-missile américain et le prétexte iranien saisi par les Américains pour consolider en logistique leur implantations, dans l’ancien camp retranché soviétique, aux frontières-mêmes de la Russie, est-il un nouveau changement d’époque après celui de l’implosion de l’empire stalinien puis le lèse-majesté du 11-septembre ? Tout semble aller à la confrontation avec une dubitation sur la capacité – non seulement diplomatique, mais technologique – des Etats-Unis, des essais ratés tandis que Russie, Chine et Corée du nord ont procédé à des expériences plutôt concluantes. Naturellement, faire passer la Russie pour une menace envers l’Europe est tout l’intérêt des Etats-Unis : la vassalité exigée en retour de la protection, tandis que l’émancipation commence avec un doute que cette protection soit efficace parce qu’il est impossible qu’elle soit altruiste, et si elle ne l’est pas, elle est réversible. L’Europe a intérêt à considérer la Russie comme un partenaire et non comme une menace, tandis que les Etats-Unis qui peuvent – provisoirement – satelliser la Chine, n’ont rien à offrir à la Russie. L’empêchement aux bonnes relations euro-russes est la conception (et la pratique) que le régime de Moscou a de la démocratie et des libertés. Cette conception et cette pratique peuvent évoluer s’il ne s’agit que d’elles, Mikhail Gorbatchev l’a montré. En revanche, si la Russie – mise à nu depuis 1991 mais pas à terre – se sent menacée, et c’est aux Etats-Unis de prouver le contraire, elle n’évoluera certainement pas dans le sens que souhaitent les Européens bien davantage que les Américains. Une politique française et européenne conséquentes serait, ces jours-ci et au G 8, de prendre parti pour Poutine contre Bush. Il est peu probable qu’aucun des « leaders » « occidentaux » ait cette liberté intime d’expression : depuis soixante ans, pas un – sauf de Gaulle qui, au contraire, l’anticipait et le prévoyait d’initiative américaine – qui n’ait redouté le « découplage ».

L’entente avec les Etats-Unis qui d’homme à homme – le côté « illuminé » des deux présidents aux fortes références religieuses et au comportement d’inspiration et de vocation personnelle – semble aller de soi (en sus de la pétition libérale) va être vite mise à l’épreuve. La France de Nicolas Sarkozy (selon une voie ouverte par Jacques Chirac à grand spectacle et reconstitution biographique) ne peut être écologiste aussi officiellement que le fait voir la position d’Alain Juppé dans l’organisation gouvernementale de maintenant, et se satisfaire du refus absolu de l’Amérique d’honorer le protocole de Kyoto. La probable confrontation, d’abord avec nos partenaires de l’Union, puis avec les Etats-Unis dans le cadre de l’O.M.C. à propos d’un protectionnisme européen – que tout légitime, y compris la possibilité ainsi recouvrée de favoriser nos « protégés » d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique – n’est pas plus aisément soluble.

Sur des sujets très différents de ceux qu’avait à traiter et surtout que discerna de Gaulle, Nicolas Sarkozy va se trouver dans la même situation, donc d’avoir à être gaullien. A priori, il lui manque la capacité de synthèse, et plus encore une expression universaliste de son analyse. Il était de prudence de ne pas la tenter avec les deux rencontres multilatérales de ses principaux homologues : il est trop attendu. Mais ensuite – la probation personnelle faite autour de la table – il faudra s’exprimer et envisager le long terme, une stratégie tout autre qu’électorale.


     La quadrature du cercle ?

C’est un fait que depuis trente cinq ans, aucune des politiques pour l’emploi n’a donné de résultats structurels et indépendants de la conjoncture mondiale. Nos performances, supérieures aux moyennes européennes jusqu’au début des années 1970, sont régulièrement inférieures, malgré une démographie dynamique.
Nous n’avons pas trouvé de rechange à ce qui avait été – sinon notre génie – du moins une originalité patiemment forgée et finalement ratifiée par un large consensus. Les excès de nationalisations en 1982, puis de privatisations à partir de 1986 et jusqu’à maintenant nous ont fait perdre plusieurs instruments, notamment : la planification, instrument de concertation et de prévisibilité ; le secteur public, lieu d’exemplarité si possible en matière sociale et d’entraînement de la demande en biens d’équipement ; les négociations salariales collectives. Nous n’avons pas su inspirer l’Europe en matière d’emploi alors que nous avions été, pour l’agriculture et pour l’union monétaire, des pionniers mentalement et diplomatiquement. Paradoxalement, à l’époque d’un marché intégré de près de quatre cent millions de consommateurs, nous nous laissons accroire que des politiques nationales vont nous tirer définitivement d’affaire, quoique leurs deux déclinaisons nous soient habituelles : l’aide à l’embauche moyennant des avantages financiers pour l’employeur et des facilités juridiques de plus en plus grandes pour le licenciement d’opportunité ; les manipulations fiscales. Pas de lien entre emploi et politique monétaire, pas de concertation entre Etats membres sinon à huis clos des ministres des Finances (conseil Ecofin) sans qu’il en sorte quoi que ce soit.
Rien ne peut être résolu en montant une partie des Français contre une autre, ceux qui profitent et ceux qui travaillent, les méritants et les astucieux. Chaque casquette serait d’ailleurs réversible.
La réflexion présidentielle – en campagne de Nicolas Sarkozy, depuis deux ans, ou selon ses livres – semble partir davantage de ce qui a réussi aux autres pays comparables ces années-ci que de ce qui nous avait réussi naguère. Elle n’exploite pas le fond français, ne se fonde pas sur la mémoire mais sur l’appétit. Si elle propose de l’importation – avec le paradoxe du protectionnisme en économie mais de l’ouverture et du dépaysement pour le mental – elle devra rencontrer très vite le succès. L’originalité est promise, mais pas encore démontrée. L’énergie est annoncée en termes de calendrier.

BFF – 31 V . VI 07

disponibles par courriel sur demande :

15 notes sur la campagne et l’élection présidentielles,
rédigées du 12Novembre 2006 au 8 Mai 2007

journal réfléchi

14.20 Mai 2007
Le point de départ
Les commencements
Les contradictions inévitables
Les lacunes institutionnelles

25 Mai 2007
Quelques « grilles de lecture »
Le pouvoir personnel ou « l’homme d’une nation » ?
La sécurité (du pouvoir)
Le concret, le terrain, les urgences : qu’est-ce à dire et à faire ?

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