Union
Européenne-Russie : le dialogue impossible ?
Nul ne sait comment évoluera la crise
Ukrainienne : guerre ouverte avec la Russie ? annexion définitive de la Crimée par la Russie? partition de
l’Ukraine ? guerre civile Ukrainienne? réconciliation et cohabitation
au sein d’une structure fédérative ou confédérative ? ou toute autre issue
encore ?
En fait l’histoire se construit au jour
le jour, au gré des circonstances et des évènements, en fonction de telle ou
telle décision des hommes de pouvoir dans chacune des parties prenantes et il est tentant de ne voir aucun déterminisme dans leur
évolution et leurs rapports mutuels.
Mais peut-on pour autant nier la
capacité des hommes à orienter l’avenir ? Pour prendre un exemple, si le
nouveau pouvoir Ukrainien n’avait pas dans l’euphorie de son succès sur la Place Maïdan décidé en urgence
le déclassement de la langue russe et supprimé son statut de langue officielle,
la réaction des Ukrainiens Russophones aurait elle été aussi brutale et aussi
décisive pour la suite de la crise ?
L’histoire peut-elle dans une certaine mesure se construire par la
volonté de quelques uns ou du moins se prédire avec quelque chance de ne pas
être démentie par les faits ?
Si tel n’était pas le cas, il ne
servirait à rien d’élaborer dans les sphères les plus élevées de nos gouvernements
des politiques et des stratégies pour atteindre les objectifs qu’ils espèrent
réaliser.
A la lumière de ces réflexions, reprenons
l’affaire Ukrainienne et resituons là dans le contexte géopolitique de la
décennie 90. La réunification de l’Allemagne avait alors fait l’objet de la
part des dirigeants occidentaux de l’époque de promesses relatives à l’absence
de bases de l’OTAN sur les territoires
des anciens pays satellites et de garanties pour l’autonomie d’une Crimée,
partie intégrante de l’Ukraine.
Nonobstant ces engagements, les
Etats-Unis n’ont eu de cesse depuis plus de 20 ans de pousser l’élargissement
de l’OTAN jusqu’aux marches de la
Russie. Il aura fallu en 2008 un brutal coup de semonce de
Moscou pour stopper leurs velléités d’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine
dans l’Alliance Atlantique. L’Union Européenne a suivi sans état d’âme et sans
aucun discernement cette politique d’expansion qui portait pourtant en elle le
germe prévisible d’une tension Est-Ouest, sinon de casus belli, au sein du
continent européen. Cette extension de l’Alliance Atlantique n’a pas abouti à
l’intégration de l’Ukraine. Mais imaginons un instant ce que serait la
situation présente si l’Ukraine, devenue membre de l’Otan, agressée militairement
en Crimée, demandait de faire jouer l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord,
garantie suprême de la solidarité Atlantique…C’est ainsi que naissent les
guerres et l’Europe s’en souvient, un siècle après avoir été au cœur de l’apocalypse
du 1er conflit mondial.
En fait l’Ukraine n’est pas entrée dans
l’OTAN et bien évidemment nous n’en sommes pas à voir l’Alliance riposter au
coup de force Russe en Crimée. Ce n’est pas pour autant que la situation ne soit
pas dangereuse pour la paix sur notre continent.
Celui-ci retrouve depuis quelques
semaines non pas les conditions de la guerre froide, mais tout-au-moins le
climat tour-à-tour glacial et caniculaire qui la caractérisait. Nous avons une
longue expérience de cette pratique russe qui consiste à souffler le chaud et
le froid, à aller jusqu’au bord de la guerre chaude pour atteindre l’objectif
stratégique qu’elle s’est fixée et s’en tenir en définitive à la guerre de
l’intimidation. Cette dialectique était celle des décennies 50 à 90 et nous
savons combien elle peut être efficace si elle n’est pas contrée par une
diplomatie déterminée et réaliste.
Et c’est bien là l’une des lacunes
viscérales de l’Union Européenne. Y-a-t-il réellement une politique Européenne
vis-à-vis de la Fédération de
Russie ? L’UE a-t-elle une vision claire et réaliste des rapports qu’elle
se doit d’entretenir avec cette puissance qu’elle n’a en fait cessé d’ignorer
ou d’humilier inutilement depuis 2 décennies, le dernier affront en date
n’étant pas le moindre : le boycott des jeux de Sotchi par les chefs
d’Etat Européens, sur fond de sarcasmes de la presse à l’encontre de
l’engagement personnel de Poutine pour leur réussite, n’était pas, c’est le
moins que l’on puisse dire, de nature à créer les conditions d’un apaisement
des relations au moment où le drame de Maïdan commençait à se nouer.
La clé de cette crise en plein cœur de
l’Europe est en fait dans l’apaisement et la normalisation des relations entre
l’UE et la
Russie. Contrairement à l’emballement médiatique, elle n’est
pas dans l’exaltation romantique d’un peuple en révolution pour sa liberté et
son indépendance. Elle est encore moins dans la diabolisation d’un Poutine,
qui, pour n’avoir pas les réflexes d’un démocrate à l’Européenne, n’est pas le
tsar dictatorial et machiavélique que certains nous dépeignent. La solution
n’est pas non plus dans la condamnation d’un peuple russe ou des populations
ukrainiennes russophones et russophiles
qui ne se reconnaissent pas dans l’évolution libertaire des sociétés
européennes et qui, revenues de l’endoctrinement idéologique des régimes
totalitaires, aspirent à un retour aux racines culturelles et religieuses de
leur histoire.
Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que la Crimée qui est Russe depuis
plus de 2 siècles souhaite le redevenir ou du moins rester dans la mouvance
Russe ? Qu’y a-t-il d’anormal à ce que des Ukrainiens se souviennent que
c’est à Kiev qu’est née, il y a plus de 3 siècles, la Russie tsariste et
souhaitent demeurer dans la zone d’influence économique et culturelle de
Moscou?
Ce ne sont pas les réalités ethniques
et les aspirations nationales elles-mêmes qui sont contestables, c’est la
manière que le Kremlin a prise pour les renverser qui est inacceptable. L’Union
Européenne ne saurait accepter que de tels bouleversements dans les frontières
et les nationalités se fassent par la force, comme c’est actuellement le cas en
Crimée et comme on peut craindre que cela le devienne demain dans l’est
Ukrainien.
C’est pourquoi la fermeté doit être de
rigueur dans les négociations qui devraient s’engager au plus vite entre
l’Union Européenne, puissance économique, sinon politique, et une Fédération de Russie qui, en dépit de
sa dépendance à l’export de ses richesses minières, est bien la 2ème
puissance de notre continent.
Les négociateurs Européens, loin de
céder à la mode d’anti-russisme relativement primaire et superficiel qui sévit
ces temps-ci en Europe, se devront d’œuvrer dans un climat de respect et de
compréhension mutuelle. Il revient aux
instances dirigeantes de l’UE de trouver dans les arcanes de sa diplomatie les hommes ou les
femmes susceptibles d’apaiser les passions. Cette négociation ne doit
évidemment pas se faire sur le dos d’une Ukraine, enflammée par sa révolution
et déchirée dans sa population. Tout en donnant des garanties aux Ukrainiens
sur un soutien de principe à leurs aspirations démocratiques, l’Union
Européenne doit énoncer clairement sa position sur l’inopportunité d’une
intégration dans l’Union même à terme visible. L’intérêt de chacune des parties
prenantes est de trouver pour ce pays un statut de pont, de trait d’union entre
les 2 puissances économiques et politiques qui se partagent l’espace européen. Le
choix de l’Ukraine ne peut-être binaire. Ce n’est pas, ce ne peut pas être la Russie ou l’Europe. Cela doit être la Russie et l’Europe. L’Ukraine a besoin des deux
pour sa prospérité et le continent européen
aussi pour la sauvegarde de la paix.
Il se trouve que les ministres des
Affaires Etrangères des Pays du Triangle de Weimar ont joué un rôle indéniable
dans l’apaisement de la crise sur la place Maïdan, sauvant au moins
provisoirement l’honneur d’une diplomatie Européenne peut-être présente dans l’ombre mais
peu perceptible.
Pourquoi ne pas capitaliser sur un 1er
succès de ce trio symbole de réconciliation au sein de l’Europe
continentale ? Certes ce succès a été rapidement obscurci par la suite des
évènements et il faut en relativiser la portée. Mais le triangle de Weimar
n’est-il pas à l’origine de nombreuses initiatives lancées dès 2010 pour une
relance de la Politique
de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) ? Cette volonté commune à l’Allemagne,
la France et la Pologne de rendre l’Union
Européenne plus responsable au plan diplomatique, plus visible en matière de
défense, avait du reste été rejointe par l’Italie et par l’Espagne, mais
s’était heurtée aux réticences de la Grande-Bretagne, dans sa crainte obsessionnelle
de voir l’Europe de la Défense
concurrencer l’OTAN. On mesure du reste aujourd’hui combien il pourrait être
dangereux d’impliquer l’OTAN dans le règlement de la crise présente et combien
il serait bénéfique pour la paix sur notre continent d’avoir au niveau de
l’Union Européenne une Politique Etrangère et de Sécurité Commune, ce rêve à peine
ébauché de la PESC, et de disposer des structures et des moyens
d’une politique de défense et de sécurité commune, cette PSDC que le sommet
Européen de décembre dernier a tenté timidement de réanimer après plusieurs
années d’hibernation.
Donner à la PSDC une réalité plus tangible,
susceptible d’apporter un soutien crédible à une véritable Politique Etrangère
Européenne, dont le besoin se fait si puissamment sentir en ces jours où la
diplomatie doit jouer pleinement son rôle, tel est le vœu du réseau des
Associations EURODEFENSE qui couvre 13 pays de l’Union Européenne et qui,
s’appuyant sur l’expertise et la compétence de ses membres, propose aux
instances Européennes et aux citoyens de l’Union les éléments d’une réflexion
sur l’équilibre géopolitique et géostratégique de notre continent. C’est du
reste en cela que, dès 2012, EuroDéfense-France, bénéficiant des conseils de Philippe de
Suremain, ancien Ambassadeur de France à Kiev, analysait l’état des relations
entre l’Union Européenne et la
Fédération de Russie en matière de défense et de sécurité et
a rédigé en liaison avec l’ANAJ-IHEDN un rapport (*) qui mérite probablement
d’être consulté dans le contexte présent.
C’est dans ce sens que je signe cet
article qui n’est qu’une illustration parmi d’autres des réflexions qui peuvent
aider à la compréhension et à la résolution de la crise actuelle.
Général
(2s) Jacques Favin Lévêque
Membre
du Bureau d’EuroDéfense-France
(*)
Voir sur le site eurodefense.fr l’étude intitulée « Quelles perspectives
pour une coopération Union Européenne-Russie en matière de
Défense ? »
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