jeudi 31 mai 2012

lecture de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères - Le Monde daté du 30

Lecture critiquede l’entretien donné au Monde
– mercredi 30 Mai 2012 –
par Laurent Fabius, nouvellement ministre des Affaires étrangères


Considérations personnelles préalable. – Fréquentation un temps assez régulièrement d’un homme affable, accueillant, serein, disponible : ce fut une période, la mienne ou la sienne ? Première rencontre à partir de 1988, quand il préside l’Assemblée nationale, puis ensuite quand il anime le groupe parlementaire socialiste au Palais-Bourbon. Guère de correspondance écrite, une photo dédicacée, grande écriture comme la signature au bas de lettres, au feutre. Une soirée à l’hôtel de Lassay pour recevoir le président de l’Etat d’Israël. Un discours public affable et mesuré. « Plus jeune Premier ministre » qu’ait connu la France, j’entendais dire de lui par la haute fonction publique des capacités, du sérieux, du travail. Image ensuite avec des ajouts, la moto., la jeunesse, le divorce mais peu d’exposition au public. L’ambition évidente et le ressac des années politiques, Bercy accepté de Jospin, le Quai maintenant, faute de l’investiture au suffrage des militants pour candidater à l’Elysée qu’il n’aura pas eu. Son livre disant Les blessures de la vérité était vrai et pudique. – Il n’a pas encore répondu à mes communications sur la politique étrangère et la françafrique que je lui ai adressées quand la probabilité qu’il vienne au Quai d’Orsay fut répétée. A très peu près, il aurait eu à se contenter de la Défense. La Cinquième République comme les précédentes a le vieux ressort de ces retours de personnalités de haut rang qui pour revenir acceptent le moindre. Est-ce déchoir ? mais c’est utile au pays.

Que donne donc la maturité et d’avoir connu plus naguère ? Raymond Poincaré et Joseph Caillaux, leurs retours…

Le titre du journal « Bachar Al-Assas est l’assassin de son peuple. Il doit quitter le pouvoir » donne un propos politique assumé mais qui ne peut être un énoncé officiel. C’est le tonneau, propre à Laurent Fabius : les formules sur l’invitation improviste de Jaruzelski à Paris par François Mitterrand furent de l’homme, pas du Premier ministre.

Syrie – banal constat de l’impasse au Conseil de sécurité, mais juste observation : « l’armée syrienne est puissante ». La prise d’otage serait le Liban, ce n’est donc pas l’obsession de couvrir Israël. Continuité implicitement admise avec l’action précédente : Conseil de sécurité, Poutine, rassemblement de l’opposition. Prudence extrême quand aux livraisons d’armes et à la prééminence des stratégies américaines dans l’affaire. Affirmaation de doctrine : « quand la France vend des armes, elle veille à ce que celles-ci ne puissent pas être retournées contre les peuples ». Ton et assurance qui étonnent, car le ministre parle et résume comme s’il était en place depuis des années. Il n’énonce pas des ruptures mais des permanences, au moins à propos de la Syrie. Qu’entendre par le risque d’ « irakisation » du pays ? – Comment a été préparé cet entretien ? Réflexion personnelle du ministre ? notes des services ? « Scenario de la chute du dictateur, suivie par son remplacement par un de ses épigones » ? Perplexité évidente. Alors pourquoi parler ?

Syrie : « nous n’en sommes certainement pas là ». Iran : « des avancées iraniennes significatives. Or, pour l’instant, elles n’ont pas eu lieu ». Relation au temps et en fait aux initiatives d’autres que nous. Le ministre n’a pas commencé son propos ni âr une vision du monde ni par un bilan de l’action ou des erreurs françaises.

Comment prendre – à huit jours seulement de l’inauguration du nouveau mandat présidentiel – cette longue formule ? (répondant à la question : en quoi votre politique sur l’Iran diffère-t-elle de la politique des années Sarkozy ? «  Le président de la République a rappelé notre position : fermeté, très grande fermeté même. Mais il n’y a pas lieu d’avoir compétition dans la fermeté. Sur ce sujet comme sur d’autres, dans la séquence internationale intense qui vient de se tenir, la France, en la personne du président de la République, a remarquablement tenu ses engagements et son rang ».

Reprise de concepts et d’étiquetage d’autrui : « il faut éviter, selon la formule du président de l’Union africaine, un Afghanistan africain », cela à propos du Mali. « La France, pour sa part, n’a pas vocation à intervenir directement ». Première affirmation ayant une application pratique. A suivre… pas d’analyse de la région, ni d’évocation du Niger, de la Libye ou surtout de la Mauritanie.

« La question principale n’est pas de savoir s’il faut ou non rompre avec nos prédécesseurs, mais de conduire la politique qui est la bonne pour la France. François Hollande a engagé une stratégie générale de redressement du pays. La poltiique étrangère s’inscrit pleinement dans cet objectif, de redressement économique en particulier ». Le ministre se situe avec la plus grande humilité – que je crois réelle – entre Sarkozy et Hollande, sans les distinguer pour ce qui est de son propre domaine.

Abord proprio motu de la question d’Europe : « le couple franco-allemand fonctionne d’autant mieux qu’il est fondé sur une relation d’égalité ».

L’entretien monté initialement, semble-t-il, sur les questions d’actualité : Syrie, Iran, Mali, apprend autant sur la psychologie du nouveau ministre – le parallèle de mon journal avec Alain Juppé ne préjuge pas du contenu à venir de nos décisions ou réactions, mais du calme que donnent l’expérience et la sûreté d’une position au sein du gouvernement – que sur la relation, qui sera certainement de plus en plus complexe pour quelques mois, entre le cours Hollande et le cours Sarkozy. « Le bilan du précédent quinquennat est contrasté, tant la politique étrangère y a été fluctuante ». Attention qui date de Maastricht et de son refus du projet de Constitution pour l’Europe en 2005 : l’atlantisme, mais il n’annonce ni un nouveau retrait ni une attitude saillante.  «  la France est à la fois une puissance singulière et universelle ». Il  répète sa référence : « lorsque nous prenons une décision, nous ne nous demandons pas, avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault, si elle est ‘gaullo-mitterrandiste’ ou si elle est … Le Monde : néoatlantiste ? – Evitons ces classifications ! Nous nous demandons si cette décision est juste et efficace. » Curieuse position intellectuelle : une décision propre est considérée du dehors dans ses effets et non dans son origine, son émergence. Détachée de son auteur pour que celui-ci en juge !

« Il ne sert à rien d’être provoquant ni complaisant, et encore moins d’être successivement l’un et l’autre ». C’est bien un entretien de posture, marquant une existence et une pétition d’existence dans l’assemblage qui commence de fonctionner. Laurent Fabius se présente comme l’un des éléments du trio conduisant le pays. Sans date d’origine. Posément.

Quelques balises pour la suite, le communiqué franco-chinois sur le Tibet, la pénalisation du génocide arménien, la question palestinienne. Ton anodin pour indiquer : « j’aurai naturellement un contact avec le gouvernement israëlien. La France peut jouer un rôle utile, car elle a une relation de confiance avec les uns et les autres – La France peutelle envisager d’aller plus loin en termes de reconnaissance de l’Etat palestinien ? – ce qui est déterminant, c’est de faciliter des avancées dans la résolution de ce conflit ».

Sensations plus qu’informations. Bien évidemment, style et forme qui diffèrent et vont différer. Le calme et non la réactivité. Pas de réflexion originale, pas dessein propre ni pour le ministre, ni pour le pays. D’une certaine manière – ce n’est pas mauvais, pour un commencement – une posture d’accueil, une force personnelle et mentale. Une relation au temps plus vers le passé que vers l’avenir. Pas de conscience aigüe d’un monde belligène dont les acteurs changent de nature et dont les teneurs de cartes ne sont plus ceux d’une longue tradition venue de l’après-guerre. L’homme n’est pas manichéiste. – Lui et Hollande sont secrets. Je ne crois pas qu’ils aient à s’opposer dans le domaine confié à Laurent Fabius. L’ensemble va être solide, mais il ne sera pas imaginatif.

Dans ce texte, rien n’est ordonné autour de l’axe essentiel qu’est la crise de crédibilité de l’Union européenne, aucune allusion – sauf «  la nécessité d’une régulation internationale en matière économique, financière, d’environnement et de sécurité » –  sur une quelconque mûe des institutions européennes ou pour quelque avancée vers un réagencement de l’organisation de la planète, notamment en termes de transactions financières, de spéculations, d’exploitations des matières premières.

Au total, la poltiique étrangère française n’a pas été pensée, en profondeur et sans a priori dogmatique, depuis longtemps. On est dans le classique et, le cas échéant, dans le réactif. On est comme on est. Dans un monde qui bouge et qui frémit, ce n’est pas assez.

Cette analyse n’est qu’une note de lecture à mesure. Donc un outil personnel de travail, la considération du propos de poltiique extérieure du nouveau mandat, à son début. C’est la suite qui va être intéressante. En fait, la page est – ici – laissée blanche.

J’avais demandé au nouveau ministre que soit salué le dixième anniversaire de la disparition de Michel Jobert. L’évocation de ce très grand ministre qui, en quelques mois, fit renouer la France et le monde avec de Gaulle et sa liberté d’appréciation et d’action, aurait certainement marqué le présent propos d’un très fort cachet. Parlant. Se vouloir des précédents et des modèles peut grandir un homme d’Etat plus efficacement, dans l’opinion publique et dans la compréhension qu’ont de lui ses collaborateurs, que bien des propos qui ne sont que les siens. Une occasion a été manquée. En politique, l’analogue peut toujours se représenter. Je vais attendre. Donc.

Inquiétude & Certitudes - jeudi 31 mai 2012

mardi 29 mai 2012

François Hollande à France 2 - interrogé par David Pujadas

Mardi 29 Mai 2012


. . .  France 2 – 20 heures… le tremblement de terre en Italie… les entretiens à Matignon de première rencontre avec les syndicats de salariés et du patronat… annoncé en fin de matinée, un entretien avec François HOLANDE. Exercice que je crois inopportun[1], la vedette devait rester au Premier ministre. Le sujet politique c’est les législatives, une allocution solenelle en solitude à l’écran aurait été le mieux. Je resuggère, comme à NS il y a un an ou deux, un entretien entre le président de la République et le Premier ministre … repasse du film de la visite de HOLLANDE à Aulnay, rendez-vous après le 6 Mai, pas encore honoré… François FILLON énumère les signaux à contre-sens donné par le nouveau gouvernement à nos partenaires européens, ce qui va accroître les difficultés de la zone euro… séries de retard SNCF dûs à de nombreux suicides sur les voies… tribune de BHL dans plusieurs journaux européens : une solution sans les Nations Unies, intervenir pour empêcher les bombardiers et les chars de se mettre en peloton d’excéution. Pas mal, et il rajeunit… Michel GAUDIN, préfet de pplice limogé aujourd’hui, et en conseil des ministres demain : PESCHENARD et SQUARCINI.  Sondage : la gauche en tête 37 % + 8% pour le Front de gauche, mais pas de « déferlante ».  Le Modem 2% … le Front national à 15% . François BAYROU « qui rêvait d’être président de la République risque d’être battu chez lui » : l’UMP et le PS se maintiennent de toutes façons au second tour. Folie de NS de ne pas lui avoir laissé la mairie de Pau, folie du PS de ne pas contribuer à son élection. Je vais lui écrire mes encouragements, il est au plus creux mais il n’est pas encore vieux, et la succession de deux quinquennats également décevants peut produire un troisième : le sien.

20 heures 18, François HOLLANDE interrogé par PUJADAS.  Vous sentez-vous pleinement président. Pas eu le temps de me poser la question. Je m’étais préparé, j’ai pris tout de suite… énumération du calendrier depuis le 15 Mai, je n’ai pas tardé à prendre les décisions ni à prendre pleinement mes fonctions.  Vivez-vous les premiers moments du quinquennat comme du bonheur ou un stress. Du bonheur au moment de l’élection, mais les défis je les ai devant moi. Cela fait des mois que je m’étais présenté aux Français, j’étais préparé. Je ne suis pas un président en transition, je suis en pleine action. – Enumération des images. Vous ne connaissiez pas ces milieux et ces gens. Vous disiez que ces sommets étaient inutiles ?  Qu’en pensez-vous maintenant ? – Nous sommes un grand pays, respecté, pas d’intimidation pour un pays, pour celui qui représente un pays tel que le nôtre. Angela MERKEL a pris en compte le vote des Français. OBAMA, les Etats-Unis ont une grande responsabilité dans le monde à condition de les partager. Nous sommes liés : je l’ai fait comprendre au G 8 et au conseil européen informel. – Barack OBAMA a-t-il été convaincu par vos explications sur l’Afghanistan. – L’OTAN prépare le retrait. La décision française est respectée, elle est coordonnées, préparée. – Décision en trompe l’œil, des hommes restent en 2013 ? – Je  vais être précis deant les Français comme devant les hommes en Aghanistan. 2000 rentrent d’ici la fin de l’année, ceux qui restent le sont pour rapatrier le matériel, d’autres resteront : formation, hôpital, aéroport. Plus de troupes combattantes. – Vous décidez comme d’autres capitales de faire partir l’ambassadeur de Syrie. – Venue de POUTINE à Paris vendredi. Conseil de sécurité. A moi et à d’autres de trouver des arguments pour convaincre  la Russie et la Chine : conférence des amis de la Syrie, que l’opposition pas n’importe qui puisse prendre la place.
Images sur la rencontre avec MERKEL. Cessons-nous de nous fonder sur l’unique moteur franco-allemand ? Nécesité d’une amitié avec l’Allemagne qui puisse entrainer les autres. Je veux être respectueux des autres, de nos institutions européennes . Je ne veux pas que l’Europe soit regardée comme l’homme malade, c’est la première puissance économique du monde, elle a sa monnaie.  Les Grecs ont beaucoup donné dans cette dernière période.. Cà s’appelle le respect, je suis pour le respect. Attention à ce que vous décidez.
Le SMIC, la France peut-elle se permettre de donner un coup de pouce ? – Changement de forme, conférence de méthode en Juin, conférence sociale en Juillet que je présiderai. Ce n’est pas parce que j’ai été élu que les estimations économiques sont en baisse. Objectif que je veux réaliser en faisant en sorte que l’Europe soit différente. Je ne vais pas baisser les bras, il y aura un effort. Décisions en Juillet-Août. Respecter le budget. Retraites, l’injustice sera réparée.
La présidence normale. A Bruxelle en train. Rentré en voiture. Gadgets, de l’image ? Avant, deux avions pour aller à Bruxelles. Non pas des économies, faire simple. Je suis devant vous sur le plateau, comme je l’avais dit : je ne vous fais pas venir à l’Elysée. J’ai répondu à vos questions: faire simple, ce n’est pas être banal ou médiocre, mais aussi proche que possible. – Trois des plus hauts fonctionnaires de la police, ce qu’on a reproché à votre prédécesseur, une valse. – Je l’avais annoncé, trois hauts fonctionnaires, de qualité, autres responsabilités. Remplacé pas par des proches, mais par des fonctionnaires de grande qualité aussi. Pas la chasse. Reconnus pour leur qualité et non pour leur proximité avec le pouvoir.
M’impliquer dans la campagne ? non. Je ne suis pas le chef de la majorité, ‘cest le Premier minustre, du PS : c’est Martine AUBRY. Je ne peux tenir mes engagements : le redressement reproductif, l’éducation, la réforme des retraites, plus de démocratie, que si se forme une majorité large solide cohérente.            20 heures 38 + Demain, François FILLON

Ce que j’en pense

23 heures 50 + Toujours aussi mal habillé, engoncé dans un costume noir trop étroit, la cravate trop serrée, la chemise trop dominante et blanche. L’homme est banal physiquement, sans charisme sauf enthousiasme qui vient à sa rencontre : la mécanique de la communion, mais pas le déclenchement. C’est un homme, cf. la Bastille, cf. l’hôpital Percy qui hèle, qui a un regard pour ceux qui sont là même de loin. – Texte, il est bon. L’élocution est nette, elle n’est ni phrasée, ni trop longue, elle est précise. Contenu, un des leit-motive (plaisant) depuis l’élection du dimanche 6, c’est : la France est un grand pays, un pays respecté. Il y ajoute l’Europe. C’est excellent et décisif. Nous ne sommes à la traîne que si nous y consentons. Aucune pique envers personne : partenaires, personnalités. Aucun développement qui engage ou restreigne sa liberté. Reste que le propos n’est pas de combat, qu’il ne peut vraiment correspondre au commun des mortels, aux gens qui attendent – pas seulement un changement d’ambiance générale : on y est depuis le 6 Mai, c’est évident – mais un changement pour eux. Les tests vont être certainement ces 45 ou 48 plans de licenciements sociaux dont THIBAULT avec habileté et très utilement a donné la liste à AYRAULT. Chaque fermeture d’usine – pour le peu qu’il nous en reste – à laquelle le gouvernement n’aura rien pu, tout simplement parce qu’il ne se sera pas donné les outils (nationalisation des banques, protectionnisme européen, emprunt citoyen), sera autant de points de popularité perdue et sans doute irréversiblement. Le gouvernement doit être révolutionnaire, c’est-à-dire ne pas jouer selon les règles de ces vingt ans : ce n’est pas question de forme (le dialogue, NS y a prétendu en recevant à tour de bras) ni même d’écoute, c’est vraiment un jeu tout autre, avec des outils nouveaux. Le dialogue ARTHUIS-SAPIN [2] montre que même si l’Etat n’avait pas abandonné les outils qu’il avait encore il y a vingt ou trente ans, il n’aurait pu pallier les méfaits d’une mondialisation qu’on a voulu presqu’unanimement sans l’identifier et encore moins sans en prévoir les conséquences. C’est vraiment « alien » en économie et en société. La France, par tradition et par l’élection du 6 Mai, est en position de donner le signal de la novation. Le seul signe que nous en prenions la posture est cette remarque fréquente de FH, mais seulement allusive : une autre orientation de l’Europe.


[1] -  ----- Original Message -----
Sent: Tuesday, May 29, 2012 4:10 PM
Subject: pour le communiquer au président de la République, s'il vous plaît
Cher Secrétaire général,
le Président "sur" France 2 ce soir. J'eusse préféré une autre communication que ces dialogues avec journalistes qui furent la trouvaille du général de Gaulle, mais sont devenus si banaux. L'essentiel étant les législatives, un appel au peuple, le Président seul à l'écran à l'issue de la campagne officielle, aurait été le mieux. On a vu le Président beaucoup en campagne et à son inauguration, n'allons pas trop vite à la satiété.
Laisser au Premier ministre la vedette de cette journée eût été également mieux.
Rattrapage possible et novation totale. Sans précédent. Un dialogue ce soir mais entre le Président et le Premier ministre. Ce dernier rendant compte au chef de l'Etat des entretiens sociaux. Le Président évoquant éventuellement l'Afghanistan et confirmant au chef de la majorité qu'est le Premier ministre la nécessité d'une majorité parlementaire.
Sentiments très attentifs et confiants.

[2] - La France peut s’en sortir (L’Archipel . Avril 2012 . 200 pages)

Inquiétude & Certitudes - mardi 29 mai 2012

Mardi 29 Mai 2012 

07 heures 10 + Levé depuis une heure et demi de temps, rêvé d’un dialogue dans des couloirs assez lumieux du jour par des salles adjacetes, de Jean-Pierre Chevènement, peu ressemblant et jeune. Dialogue amical. L’idée me vient de lui proposer un livre-magnétophone-dialogue. Grande carrière, la sienne, et la mienne jamais autre qu’en projet. Résultat pour chacun ? et pour le pays ? Lecture ensemble de l’histoire contemporaine du pays, du nôtre. Son expérience des machines politiques, ma propre expérience : quelle est celle-ci ? – Hier, arrivée de notre ami Michel E. du Liban, la rumeur de la Syrie, diagtnostic simple, les « Occidentaux » renversent peut-être des dictateurs mais pour faire pplace à ce qui à ses yeux est pire, les barbus, c’est moi qui prolonge, car il ne les nomme pas. Tout est religieux ? A Tripoli (du Liban), on se bat entre alaouites et chiites. Mais des parents de sa belle-famille vont et viennent de part et d’autre de la frontière avec la Syrie. En revanche, impossible de passer vers le sud pour le pélerinage aux Lieux-Saint que nous ferions en trinité, si nous venions le voir : le Hezbollah, la FINUL, les troupes israëliennes font la frontière méridionale totalement bouclée, et même en passant par la Jordanie, ce serait impossible ou presque, mais l’a-t-il tenté lui-même ? Les images de Syrie sont celles que nous recevons en France. Puis, en fin d’après-midi, retour de Marguerite, raccompagnée par son amie, ainsi que la mère et le petit frère de celle-ci. Les drames me restent présents de cette famille « recomposée ». Sandrine orpheline à quatorze ans d’une mère dont elle était déjà séparée (traversée piétonne de la voie rapide le long de Vannes), élevée par ses grands-parents, veuve à vingt-deux ou vingt-trois ans, le jeune mari se tue en moto, Sarah orpheline de père à trois-quatre ans, et le second compagnon ou mari ne vivant pas avec les siens, se meurt non loin de leucémie. Location d’un logement aux trois quarts financée par les régimes sociaux, vie de plein air et à la ferme, mais le fermier encore jeune et plaquée par sa femme lassée du racisme de notre village anti-immigration, l’a plaqué et il est pressant avec notre amie. Souffre-t-elle ? le visage à la LA TOUR ne l’exprime pas, elle est heureuse que dans mon regard elle lise une beauté certaine et une estime pour son courage, tandis que sa fille de dix ans me dit, tout à trac mais en a parte qu’elle me trouve beau. Je ne suis qu’en bleu ciel et harrassé de rangements de meubles chez nous après l’aménagement de notre cuisine. Sandrine lit-elle et quoi ? au hasard en bibliothèque municipale. Marc LEVY-même lui a échappé, les Harry POTTER pas mal mais au cinéma, les Delly et Arlequin que je croyais universels n’ont été que d‘une génération, pas la sienne. Je lui prête DRIEU LA ROCHELLE : Une femme à sa fenêtre évoquant la transposition au cinéma avec Romy SCHNEIDER. Je suis curieux de ses notes de lecture … orales. Evoqué le journal intime d’AMIEL, l’assurant qu’elle devrait tenir le sien. Mais je n’ai rien à dire. Justement !
Prier… le cœur rempli de ces rencontres, des haines dont nous sommes victimes, l’œil mort et gonflé de notre chienne qu’il a mieux valu que ni ma chère femme ni notre fille ne le voit… angélique chienne. Pierre, l’apôtre, nous suggère le privilège dont nous bénéficions [1] : les prophètes ont réfléchi et médité sur le salut, et ils ont annoncé la grâce que vous deviez recevoir. … à l’image du Dieu saint qui vous a appelés, soyez saints, vous aussi, dans toute votre conduite, puisque l’Ecriture dit : soyez saints, car moi, je suis saint. L’enseignement d’une conduite dans la vie n’est pas d’expérience humaine : écrasante responsabilité de l’Abbé recevant la profession solennelle de son moine ou du père que je suis transmettant, comme il peut, sa foi et quelques pratiques de récitation de textes ou de vie litirgique à une petite fille espérant paradis et retrouvailles d’une chienne aimée, maintenant disparue totalement, si ce n’était Dieu qui précisément conduira, gardera, enseignera comme ils sont eux-mêmes gardés et conduits. Perssonne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Evangile, une maison des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive en ce temps déjà le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres ; avec des persécutions, et, dans le monde, à venir, la vie éternelle. Biens et attaches, lieux de vie sur le même plan ? Mais nous ne quittons rien, sommes au contraire quittés, et ce que nous vivons, subissons, souffrons ou voulons, est-ce en fonction de Dieu ? Evidemment non. Il s’est rappelé sa fidélité, son amour [2].  Prier…


matin

Notre ami arrivé du Liban… n’a pu s’inscrire sur les listes électorales du consulat à Beyrouth. Pas le bon service, pas ouvert, pas l’heure, etc… Quatre appels par téléphone, puis il s’est laassé malgré les avis sur France 5 disant la simplicité des choses. Comme il est en France, il pourrait voter là où il est encore inscrit, ou donner procuration. Son analyse est sombre mais juste, la gauche échouera parce qu’elle ne distinguera pas de la gestion de la droite, sauf la disparition de Sarkozy agaçant au possible en présence médiatique et en diction. Donc, le lit de Marine Le Pen…

En politique, quand on fait une faute, il y en a plusieurs par conséquence ou en contenu de poupées russes. Tandis que le nouveau Premier ministre reçoit tour à tour les syndicats, François Hollande va se faire interroger ce soir sur France 2. Il fallait laisser la vedette à Jean-Marc Ayrault aujourd’hui. Les dialogues avec des journalistes sont sur-usés depuis que de Gaulle en eut la trouvaille. Enfin, l’essentiel est de lancer un appel pour les législatives, solennellement et seul à l’écran, là encore à la de Gaulle. Pas davantage de présence médiatique, c’est ce qui a perdu Sarkozy, et de Hollande nous avons eu à satiété : la campagne, puis les inaugurations. Seule innovation : le faire dialoguer avec le Premier ministre.

----- Original Message -----
Sent: Tuesday, May 29, 2012 4:10 PM
Subject: pour le communiquer au président de la République, s'il vous plaît

Cher Secrétaire général,

le Président "sur" France 2 ce soir. J'eusse préféré une autre communication que ces dialogues avec journalistes qui furent la trouvaille du général de Gaulle, mais sont devenus si banaux. L'essentiel étant les législatives, un appel au peuple, le Président seul à l'écran à l'issue de la campagne officielle, aurait été le mieux. On a vu le Président beaucoup en campagne et à son inauguration, n'allons pas trop vite à la satiété.

Laisser au Premier ministre la vedette de cette journée eût été également mieux.

Rattrapage possible et novation totale. Sans précédent. Un dialogue ce soir mais entre le Président et le Premier ministre. Ce dernier rendant compte au chef de l'Etat des entretiens sociaux. Le Président évoquant éventuellement l'Afghanistan et confirmant au chef de la majorité qu'est le Premier ministre la nécessité d'une majorité parlementaire.

Sentiments très attentifs et confiants.


[1] - 1ère lettre de Pierre I 10 à 16 ; psaume XCVIII ; évangile selon saint Marc X 28 à 31

[2] - Avec ce psaume, on comprend que le salut d’Israël n’est pas un simple événement national, mais le prélude à la rédemption cosmique, englobant l’univers entier. La manifestation de cette providence provoque les « applaudissements des fleuves », le « rugissement de la mer » et le « chant des montagnes ». Là aussi le roi Dieu est acclamé aux sons du chofar et des trompettes. Rabbin  Claude BRAHAMI, op. cit. Chaque fois qu’Israël s’interprète et reçoit son legs en termes d’universalité et de précession de l’ensemble d’une humanité appelée à Dieu, il est non seulement admissisble, mais admirabale et salutaire. Chaque fois au contraire qu’il s’interprète pour lui seul et qu’il accapare ce dont il a été insignement favorisé, il est en danger sans pour autant que se voile une révélation passée, alors, à d’autres pour un accomplissement total. C’est en se trompant sur soi-même qu’on échoue et se rapetisse. L’Etat d’Israël, autant que le judaïsme dont je le crois séoparable, garde toutes ses chances s’il est vécu en profondeur spirituelle et non en nationalisme. Ces commentaires, dont je suis si reconnaissant de les avoir reçus, vont et viennent dans cette alternative.
déjà médité le samedi 5 Mai 2012

lundi 28 mai 2012

élections législatives - sur la pluralité de candidatures socialistes pour le siège de Vannes

La France aujourd'hui, hier et demain - 1


Il me suggère, je lui ai demandé quoi écrire, il me lit et me connaît depuis bientôt six ans. Avec vous, on ne choisit pas un sujet. C’est votre plume qui vous dira où elle veut aller. Mais je verrai plutôt un pamphlet, « La France aujourd’hui, hier et demain ».

Un pamphlet pour un tel sujet. Est-ce le genre ? Quant aux essais, il remplirait une bibliothèque. La part des étrangers dans cette bibliothèque serait plus intéressante. Un livre entier est moins improvisé qu’un discours à quelques jours d’un scrutin décidant de la poursuite d’une carrière ou la ruinant par constat. Beaucoup ont donc écrit sans nécessité professionnelle sur la France, et toujours c’est celle d’aujourd’hui, d’hier et de demain. Le contemporain, rarement satisfaisant, un ou des fondements sur le passé et des espérances ou des tristesses assez floues. Sujet sérieux et pas gai, alors qu’à l’oral d’une estrade ou en commentaire de défilés, hommes et drapeaux, femmes hélant les retours du soldat, imagination qui maintenant est dépassée par les liesses de fin de matches, notamment de foot-ball, tout est puissant, détonnant, collectif. Florilège de souvenirs ou de moments que je n’ai pas vécus, sauf l’acte devenir à une manifestation prévue pour quatorzr heures, place de la Concorde, un jeudi 30 mai. J’y vins en chandail, convaincu qu’on ne serait pas vingt-mille et que les communistes – le camp dogmatiquement adverse – viendrait nous casser la figure. J’écoutais sur image fixe de l’Elysée le discours inattendu dans le fait et dans le contenu du général de Gaulle, puis partis donc en retard, mais j’avais décidé dès le matin ou la veille d’y aller. Forêt de drapeaux et de portraits qui balançait sur ciel bleu entre les monuments gris clairs. Remontée durant plusieurs heures vers l’Arc-de-Triomphe. C’était plus un homme que le pays, que la France, mais cet homme me semblait la France, il faallait le sauver pour qu’elle reste et continue de devenir elle-même. Nous fûmes cet après-midi là des millions à le vouloir, le penser et en vivre, un million sur la chaussée encore pavée, et bien davantage à regarder un peu partout en France et dans le monde.

Affaire de lien entre soi et la France. Ce qui faisait de Gaulle si proche des Français en âme et en intelligence, les plus simples, les plus dépouillées des apprêts de la raison, des habitudes ou de considérations très diverses, c’était l’évidence de ce lien entre lui et la France, ce qui ne voulait rien dire d’automatique dans les votes, mais faisait entendre, croire. Si, quand il parlait, il n’était pas entendu, quelque chose de grave se passait aussitôt avec des conséquences pratiques, politiques, immédiates. Les Français se reconnaissaient ou détestaient un repère. Un de leurs semblables, extraordinairement semblable. « Etes-vous plus Français que lui ? » Vichy légenda ainsi, à l’affiche, un excellent portrait du maréchal Pétain, image prise improviste quand les journalistes furent mis à la porte d’un conseil des ministres, toujours restreint puisque les chambres et salles de l’hôtel du Parc l’imposait autant que l’oreille devenue faible du vainqueur de Verdun et de l’interlocuteur d’Hitler à Montoire. Le fait est qu’il y eût comparaison pendant de longs mois. La France avait deux incarnations, l’Histoire décida moins que des âmes françaises, celles qui avaient voulu l’appel du 18 Juin, l’avaient suscité. Le maréchal et le général étaient des réponses. Les candidats à nos élections présidentielles sont des demandeurs d’emploi – sans doute l’emploi suprême conférant une sorte de sacerdoce pour que le sacré ait son toucher et ses sons pendant un temps assez court, et selon les textes, révocable. Sans doute, les circonstances font saillir des programmes, des personnalités qui départagent. L’union et l’applaudissement sont autant fabriqués que le personnage tricolore. Il n’y a plus d’assimilation et l’image, l’idée de la France éclairent ailleurs et se vivent sans la politique.

Entre Chartres et Rennes, tandis que la Beauce et les sylvestres de la Sarthe, le bocage du Perche défilaient aux fenêtres, que les contrôleurs du T.G.V. dansaient dans le couloir tant le rail depuis Paris est usé, non remplacé, ravaudé, j’écoutais un groupe de jeunes plus exogènes par leur parler que par le port à l’envers des casquettes et l’épaisseur de la semelle de leurs baskets. C’était une langue magnifique et étrange, la plupart des mots appelaient la transposition, sinon la traduction, l’accent surtout était étonnant de cohérence, de sincérité, d’aisance, il n’était pas celui du français convenu de mon enfance, de ma carrière et même de mon village d’adoption en Bretagne. Je reconnaissais des beurs et des enfants d’immigrés venus d’encore au plus sud que de l’autre rive de la Méditerranée. J’écoutais jusqu’à ce que celui qui semblait leur chef vienne s’asseoir à côté de moi comme s’il était fatigué de ce bruit de paroles et d’interjections. A ce que j’avais compris, des impressions s’échangaient, des souvenirs plus tôt, sur le baccalauréat. Ils semblaient tous l’avoir passé et obtenu, je n’ai pas gardé la mémoire de ces souvenirs et impressions mais ce n’étaient ni l’évocation de rencontres féminines, ni l’évaluation des examinateurs, ni même l’anxiété d’une échéance, ce n’était qu’un moment qui leur avait été commun mais qu’ils n’avaient sans doute pas vécu en groupe.

A côté de moi, physique fréquent au Sénégal où j’ai moi-même passé un diplôme d’études supérieures de droit public, logeant successivement chez les Dominicains, sur la corniche avant Fann, puis les Bénédictins de Keur Moussa, avec des allées et venues en s’en fout la mort, des milles kilogs Renault, plus que surchargés de passagers en majorité debout, accrochés et rieurs à la moindre aspétité de la carrosserie bringueballante, peinte de ce que l’on n’appelait pas encore des tags aux murs les plus inatteignables de nos grandes villes. Je lui dis mon admiration, un français sans doiute mais si neuf, si varié, si inventif en vocabulaire, avec un acent, une musique surplombant chacun de ceux qui viennent de province ou qui s’élaboraient à Paris. Le creuset de la langue est à lui, à ses compagnons, et – critère du français – la grammaire est intacte, nos plus grands auteurs, et pas seulement les champions du parler comme Louis Ferdinand Céline et Marguerite Duras, s’y reconnaîtraient. L’esprit est intact, il a été respectueusement accueilli, assimilé. La véhémence s’entend sérieusement, le péremptoire n’est que proposition, les sujets en sont pas minces puisque ce sont les souvenirs d’il y a peu qui introduisent au moment présent et font l’homogénéité du groupe. Je dis tout cela bien plus brièvement que le temps de l’écrire à présent. A ma stupéfaction, mon voisin, nous sommes d’abord dans le sens opposé à la marche du train, mais il se lève pour me faire face et se met en tenue de conversation. Il parle exactement mon français, du moins celui des quartiers policés de Paris ou des étudiants aisés et protégés. Bilinguisme. Les deux français – peut-être celui de demain qui me plaît mais que je ne saurais jamais parler, qui raconte des histoires et dit des émotions fondamentales parce qu’elles sont quotidiennes, pas du tout élucubrées, et celui de mon époque, de mon âge, de ma culture – et nous correspondons sans traduction ni trichement. Aucune approximation. Le français a bien deux versions, également métropolitaines, actuelles.

Inquiétude & Certitudes - lundi 28 mai 2012

samedi 26 mai 2012

Inquiétude & Certitudes - samedi 26 mai 2012

Michel Jobert - dixième anniversaire +

Samedi 26  Mai 2012

Dix ans « après »

De lui, on ne voyait pas la petite taille que ce soit dans les médias ou en tête-à-tête, quoiqu’elle fît partie de sa légende. Comme d’autres et au contraire d’autres encore, il savait utiliser ce qu’il était à tous égards. Coléreux, injuste, difficile à vivre, il se contrôlait cependant au physique et au mental car son rapport à autrui était le même que celui de son intimité à lui-même : exigeant. Le visage si attentif, séduisait, retenait au possible.

En attendant de bâtir – à pas beaucoup – davantage pour la mémoire de quelqu’un qui fut universel pendant quelques mois et qui laisse une œuvre de réflexion politique par l’expérience et par les personnages, et une autobiographie en plusieurs essais de mémoires et d’anticipations (œuvre telle [1] et plume telle que je commençai peu avant sa mort de faire campagne pour son élection à l’Académie française, sans lui en avoir d’abord parlésa permi, je veux ce matin, paisiblement, l’invoquer comme un exemple décisif mais actuellement perdu.

La carrière est simple : le Maroc de naissance, Paris pour les études et l’Ecole nationale d’administration, Dakar et Gaston Cusin comme première grande affectation (c’est de la Loi-cadre et du mouvement d’émancipation africain qu’il s’agit), du cabinet ministériel avec Robert Lecourt (le Sahara), puis le grand moment avec Georges Pompidou à tous les grades du cabinet à la direction de ce cabinet, le secrétariat général à l’Elysée, le Quai d’Orsay… de là, un magistère d’influence, une voix recherchée plus par les journalistes du fond que par l’audiovisuel mais telles que François Mitterrand le veut en premier visiteur à la suite de son élection présidentielle. Entretemps, le Mouvement des démocrates dont la propriété intellectuelle faillit lui être volée par un François Bayrou, certainement respectueux s’il avait connu « le ministre » et qui organisa autrement son appellation à l’inspiration d’origine peu différente de celle de 1974. Projection en fait de toujours la même certitude quelles que soient les circonstances et les applications : être conséquent, ne pas parler la langue de bois, ne pas s’illusionner. Ce qui quotidiennement donnait certes de l’humeur, parfois de l’humour, mais toujours une démarche exceptionnelle, parlante. Des mots non apprêtés firent l’histoire si celle-ci s’arrête encore sur image… « Est-ce une agression que de vouloir rentrer chez soi ? » donna la position de la France, selon le vœu exprès de Georges Pompidou regrettant la spontanéité du Premier ministre alors Pierre Messmer qui avait admiré, en militaire, le redressement de justesse des Israëliens dans la guerre du Kippour (Octobre 1973 – avec le soutien décisif mais déguisé de l’aéronavale américaine en Méditerranée). … « Je leur dirai : bonjour les traîtres », quand Michel Jobert rapporta en commission sénatoriale des Affaires étrangères le lâchage de nos partenaires de la Communauté européenne devant la volonté de Kissinger de les solidariser avec la politique énergétique américaine face aux Arabes : l’agence internationale de l’énergie face au « premier choc pétrolier »…

A Matignon, c’était l’homme du contact avec l’extérieur car il écoutait et pouvait tout entendre et recevoir. Surtout rapporter sans précaution à l’interlocuteur que fut, pour lui, Georges Pompidou pendant onze ans. L’intrépide face au classique. Il me dédicaça parfois : au poète. Lui qui prêchait la lucidité a certainement pratiqué, comme aucun dans la politique française contemporaine, la volonté, la recherche, le discernement de l’idéal. Il ne l’attendait pas des hommes, surtout des dirigeants – qui n’étaient en somme que des obstacles pour les peuples – mais de ceux-ci, bien moins précaires, bien moins changeants, et aux intérêts légitimes, dépersonnalisés.

Au gouvernement de François Mitterrand, il ne fit rien – me sembla-t-il – que d‘observer. Le président de la République ne sut pas s’en servir et l’affecter comme l’avait su Georges Pompidou : voix de la conscience, de la traduction du temps et de l’esprit des gens. Le pouvoir politique en France est rarement informé. Il le fut en Mai 1968, grâce à Michel Jobert, un inconnu du public et de la presse d’alors. Georges Boris et lui avaient été familiers : ils s’étaient rencontrés au cabinet de Pierre Mendès France. Davantage par son engagement dans les forces de la France combattante et par une attitude de toute la vie, jusques dans ses dernières années où il fut vers les mondes méditerranéen et arabe la voix de la France, que par une carrière directement attachée à l’homme du 18-Juin, Michel Jobert est – de fait – l’une des étoiles les plus vives de la constellation de Gaulle.

Que sema-t-il par le Mouvement des démocrates ? cela ne se traduisit par aucun élu à l’époque mais bien des adhésions morales et des fidélités que je constate encore aujourd’hui : celles du tout venant, plus quelques partenaires du beau temps, en secret relatif. La perte du « parti gaulliste » se consomma en 1974 quand manifestement il ne put même y chercher sa place. La machine contre la vie.



[1] -
Mémoires d’avenir 1974
Les idées simples de la vie 1975
L’autre regard 1976
Lettre ouverte aux femmes politiques 1976
La vie d’Hella Schuster roman 1977
Parler aux Français 1977
Maroc, extrême Maghreb du soleil couchant 1978
La rivière aux grenades roman 1982
Chroniques du Midi libre 1982
Vive l’Europe libre ! en coll. 1983
Par trente-six chemins 1984
Maghreb, à l’ombre de ses mains 1985
Les Américains 1987
Journal immédiat… et pour une petite éternité 1987
Vandales ! 1990
Journal du Golfe, août 1990-août 1991 1991
Ni Dieu ni diable 1993
Chroniques de l‘espérance 1988-1992
Horizons méditerranéens 1993
L’aveuglement du monde occidental,
Chroniques de politique internationale 1993-1996 1997
Les illusions immobiles chroniques 1999

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Mardi 28 Mai 2002

pour la mémoire de Michel Jobert
11 Septembre 1921 + 25 Mai 2002

Une énergie française


. . . et la lassitude, vous savez ce que c’est ?


L’énergie-même, Henry Kissinger avait  en ouverture de ses mémoires rapporté le mot du Général de Gaulle à Richard Nixon venu à Paris en Février 1969 : que d’énergie dans ce petit corps. Proche d’être défait de la confiance des Français au referendum d’Avril, de Gaulle sut-il que Michel Jobert serait, quelques mois durant, le seul politique, après lui, à renouer avec ce culot, qui est français au possible ? En quoi, l’enfant de Meknès et de Volubilis incarnait d’intelligence et de propos incompris par l’ « occidental » moyen, tout ce que la nation arabe cherche à faire ressentir aux Européens. Il avait eu – ce qui sauva tout et remit la France dans la ligne gaullienne de 1967, et même plus chaleureusement encore – le mot indiscutable : est-ce commettre une agression que de vouloir rentrer chez soi. Ce que dit en Octobre 1973 le ministre français des Affaires Etrangères, refusant ensuite que les Européens, et à leur défaut, nous seuls, avalisent la stratégie américaine dans la nouvelle donne pétrolière, vaut plus encore aujourd’hui.

Une fois mort, tout le monde en est d’accord chez les « spécialistes », mais surtout chez les gens… et il y a tous nos compatriotes ou cohabitants d’outre-Méditerranée ; la France perd un de ses géants. Mais en quoi Michel Jobert était-il remarquable ? Pas vraiment diplomate au sens reçu du terme, quoiqu’il ait marqué notoirement la considération qu’il avait pour nos Ambassadeurs en en recevant, tête-à-tête, le plus grand nombre pendant les treize mois de sa « gouvernance » au Quai d’Orsay. Ce qui ne se fait évidemment plus, puisque les carrières ne se font qu’aux ordres et que la précarité règne. Justement, Michel Jobert professait que l’Etat n’a pas de solidité par lui-même mais selon le comportement de ceux qui l’animent, l’incarnent. Si, en Mai 1968, Matignon et partant l’Etat, furent maintenus, alors que le Général était débordé, que Georges Pompidou, à la merci d’une censure sans Président de la République pour dissoudre, s’organisait pour la succession, ce fut grâce au directeur du cabinet du Premier Ministre. Comme à Fort-Alamo, il resta, de sang-froid, capable de maintenir l’illusion que tous les créneaux étaient garnis. Ce fut une grandeur dont il avait déjà fait la démonstration à Dakar quand disparaissaient tous les repères de la colonisation et que n’apparaissait pas encore l’auto-détermination de 1958-1962.

Michel Jobert avait la pudeur des solitaires, la puissance des lucides et exigeant intensément de lui-même, il fascinait parce qu’il mettait son visiteur, son interlocuteur, le journaliste, l’ami, tout le monde d’un instant à l’autre ou à longueur de vie et d’attente, de plain-pied. Il faisait entrer son vis-à-vis dans la vérité de l’existence humaine : n’être ni pusillanime, ni racorni, ni naïf ni cynique. Il imposait d’être cohérent et efficace, il exigeait qu’on soit responsable de ce qu’on était censé être, de ce que l’on avait promis, de ce que l’on ambitionnait. En tête-à-tête, il sut le faire comprendre à Georges Pompidou, notamment dans la courte traversée du désert que dut vivre, sans certitude alors, l’ancien Premier Ministre, attaqué sous prétexte de l’assassinat de Markovitch.

Le Mouvement des Démocrates ne cherchait pas le succès électoral en soi. Pas davantage intéressée ni personnelle, la candidature présidentielle que le ministre des Affaires Etrangères au faîte des sondages au printemps de 1974 médita dès lors, quitte à refuser – précisément pour l’intégrité du parcours à venir – la présidence du « parti gaulliste », moribond puisque le pouvoir lui avait échappé, d’ici à ce que Jacques Chirac lui promette de le récupérer. Mouvement et candidature putative prétendaient seulement que les Français, en eux-mêmes et d’eux-mêmes, se réapprennent. 

Qu’est-ce qui faisait à Michel Jobert parcourir la France et dédicacer les Mémoires d’avenir ? puis L’autre regard, sinon, très précisément, une exigence intime, acharnée, pleine d’humour car l’être humain est toujours loin de ce qu’il devrait être, et cette exigence était qu’on soit grand – tous grands – par soi-même, par hauteur morale, par indépendance d’esprit, par vivacité de comportement.

Quoique sans illusion, le plus structuré des hommes, le plus convaincu, même si apparemment la foi ne lui était pas religieuse, peut-être parce que les clergés l’agaçaient, le plus averti des lenteurs du temps et des méfiances françaises gouvernant toutes nos politiques, Michel Jobert s’étonnait pourtant que ce soit, continûment, la médiocrité qui gagne. Alors, parfois, alors ces semaines-ci, oui… la lassitude.


Une énergie française

Paris, mercredi 29 Mai 2002    – extrait de journal intime


. . . hôpital européen Georges Pompidou, chambre mortuaire, midi presque. + J’écris paisisblement en présence de celui qui m’a honoré pendant vingt-neuf ans de sa confiance, de son amitié et de son estime. Mon ami est là, lui et moi nous sommes en présence de Dieu et en attente de la réunion et de l’union de tous, qui est déjà effective, assurée mais que nous ne savons pas encore vivre ni ressentir, ni même pressentir. Joie et tristesse de notre finitude, communion de tous dans la finitude humaine, contagion possible de l’espérance.- Lundi matin, le drap ras de cou, l’œil, l’arcade sourcillère tuméfiée, écarlate ; je l’ai photographié de portrait seulement du profil droit. Aujourd’hui, le buste est dégagé, sa petite veste noire sans doute de laine, sa cravate épaisse de tricot noir. Il est malheureusement mal peigné, ce qui n’était pas son habitude. Je suis tranquille avec lui, seul ; il m’aurait certainement laissé, lui dans ses instances, à cet écritoire pour que j’expédie quelque chose dont nous aurions convenu. Il sut et accepta chacune de mes attitudes ou chacun de mes conseils. C’était un des hommes – rarissimes – avec lesquels le silence ne pesait car il continuait et chargeait le dialogue. Seule exception, notre dernière fois, en Décembre où près d’une heure je fis les questions et les réponses jusqu’à ce qu’à l’évocation de Georges BORIS, il s’anima et s’engagea. Il n’interrompait pas, il écoûtait, il avait une voix chaude, ne montant presque jamais à l’aigu même quand il y avait réponse à l’emporte-pièce, observation acérée, morigénation d’un vis-à-vis, d’une collaboratrice. Chacun – autour de lui - était bénévole, déférent, plus que respectueux et admiratif, qu’il soit au pouvoir – ce fut toujours bref, précaire, attristé mais ingénieux et en pleine conscience d’une responsabilité à exercer vraiment – ou qu’il n’y soit plus, ce qui dura longtemps, très longtemps sans que sa curiosité pour les hommes, et les femmes, pour les anecdotes ou propos qui les peignent, diminue jamais. Il était vif et sec avec la plupart sinon tous, mais jamais avec mépris, commisération ; d’une certaine manière, il jugeait à quel point l’on pouvait s’être laissé aller aux mauvaises ou paresseuses pentes de la nature humaine, ou au contraire comment avec ténacité, intelligence, lucidité sur soi et le monde, on y avait résisté. Je ne pourrais dire qu’il ait eu un thème ou un mot à la bouche, ressassé et pouvant servir d’épitaphe. S’il doit y en avoir une, et ce sera le titre du livre que j’ai envie et amour d’écrire en sa compagnie mentale, et sous son inspiration spirituelle – en tenant également compte de ses conseils répétés, permanents d’avoir à écrire simple, à corriger, raturer, sujet-verbe-complément – je dirai : l’énergie. C’est pourquoi la mort lui va si mal, et en même temps est tellement acceptable à son propos et pour lui. Il dépassait la nature humaine, la vainquait sans être dupe de sa force et de sa résistance en nous, il la vainquait pas du tout par une volonté de vivre, de se surpasser, de dominer qui ou quoi que ce soit, mais par devoir d’homme. Il n’avait pas la foi habituelle à ceux qui pratiquent une religion, il n’était pas non plus inquiet des fins dernières ou d’un sens que seuls une pratique religieuse, une relation à Dieu, un principe métaphysique apporteraient ; il prenait beaucoup, sinon tout, comme la réalité avec laquelle il faut faire, sans rien abdiquer, mais le premier pas dans le mérite que nous devons acquérir à nos propres yeux plus encore qu’aux yeux d’autrui, et a fortiori de la renommée, était sans doute d’être digne, droit, pas dupe, pas cynqiue, jamais blasé mais toujours averti. L’expérience le confirmait mais ne l’attristait pas. L’humour habillait son visage à partir des lèvres et du menton, la lumière entourait la bouche, arrondissait des commissaires faisant cercles concentriques comme sur un miroir d’eau. Il avait aimé les Eaux et Forêts, dont l’Office est généralement le complément d’émoluments pour le secrétaire général de l’Elysée. Il avait parfois une silhouette française, sans âge, marquée d’aucune génération, quand il se trouvait debout à converser avec beaucoup, une silhouette d’homme de sympathie et d’attention. Dans le tête-à-tête auquel il se prêtait, il avait la phrase parfois acérée. Il me vient de rapporter son mode de jugement sur les gens, et surtout les personnalités, à ce mot caractéristique de saint Benoît et d’une vie en société : hoc sit quod dicitur ! qu’il soit qui il dit être, ce qu’il dit être. Je l’ai souvent dit et écrit, il renvoyait à nous-smêms, il nous adjurait d’être digne de nous et d’être homme, femme, debout, vivant.

En somme, c’était une personne bien avant d’être un personnage quoique physiquement, intellectuellement, moralement, politiquement il prêta tout à un portrait et à des récits hors normes. Un homme d’esprit, un homme d’humanité, un homme par lui-même imposant le respect comme base de la relation mutuelle, mettant les choses à leur place vraie, le raapport de soi avec soi et le rapport de soi avec la réalité, tout le reste devait s’en déduire. Il n’était donc étonné de rien, ni des événements, ni des trahisons, ni des dévouements, il n’en oubliat cependant aucun, manifestait très peu ou pas du tout, faisait tout ressentir, parlait et s’exprimait autant par son silence que par son dire. On parlait – je parlais avec lui, sans introduction ni conclusion, le matériel, la finance étaient de l’ordre du pratique qu’il fallait assurer avec soin, toute délégation imposait suivi, contrôle, une responsabiloté donné ou acceptée devait être assumée, et surtout devait donner lieu à des soins et à un comportement dans tout le champ, dans l’exhaustivité du champ qu’elle embrassait, et même dans ce qui en dérivait ou la caractérisait.

Il est – gisant ici – peu ressemblant. D’abord parce que jamais je ne l’ai vu paupières fermées, parce que toujours il y avait son regard. Il était regard bien plus que dire. C’était un regard chaleureux, velouté, attentif, apte à se poser sans peser ; un regard qui ne gênait pas, qui ne fixait pas, qui ne fuyait pas, qui n’allait pas au-delà du moment ou de l’interlocuteur, pas non plus à s’arrêter à d’autres objets que celui du moment. Ce regard était brun exactement du ton de ses cheveux, mais bienplus doux. Dans la vie, il avait une chevelure sobre, peignée en sorte de couvrir le dénuement du front et du haut du crâne, mais ce n’était pas camouflage. Tel qu’il était, il était bien ; il avait un physique qui lui allait bien et qui signifiait, fortement et évidemment, on existe, on vit, on avance avec ce que l’on est, tel que l’on est, voilà, me voici, vous voilà. Venez disait-il pendant le temps – presque jusqu’à ces années-ci – où il avait la disposition entière de ses bureaux. On arrivait aussitôt de plain pied dans la salle ouvrant entière sur la Seine et son « front », trois tables étaient parallèles aux baies et au balcon, il était généralement à l’une d’elles, à considérer le courrier plus qu’à l’étudier, les livres et dossiers faisaient parfois piles nombreuses, sinon désordre. Il était assis comme ceux de l’équipe qui étaient là, Denise le plus souvent et en quasi-permanence, Marthe M. aux débuts et parfois ensuite que j’ai vue blanchir de chevelure totalement, bonne et au regard amusé et tendre. Denise était et était voulue très professionnelle, dans ce rôle qui l’encastrait, l’épuisait, elle ne perdait jamais une patience que son bénévolat, à sa retraite et que l’alacrité du ministre, puis de l’ancien ministre ont rendu de tous temps très méritoire. J’aimais ces deux présences, mais ne pouvais ni vraiment les saluer ni m’attarder auprès d’elles, d’un bref et calme : venez ! il nous entrainait dans sa petite pièce qu’un couloir arrivait en parallèle au mouvement de la salle à l’entrée, desservait depuis le dos de Denise, on passait cependant directement aussi, on s’asseyait vis-à-vis, on racontait soi pour commencer et le vif du sujet était le présent, sans projets et avec peu de mémoire. Mais le moment présent appelait tout et était riche davantage d’évocation  ou de convocation de personnes vivantes ou mortes, que d’anecdote ou de considérations. Il était le contraire d’un abstrait, mais ce n’était pas non plus un entomologue, ni un dessinateur ; il disait ce dont il était sûr, même quand cela pouvait paraître à qui l’écoûtait ou lui parlait, injuste ou peu fondée.

Ce qui fut toujours juste chez lui en paroles autant qu’en actes, c’était la réaction. Pour spontanée qu’elle fut, sa réaction venait des entrailles et du cœur et cela formait une immédiate réponse, une totale réponse à une situation, à un fait. Cette réaction était donné d’un geste, d’une phrase, avec – donc – une complète parcimonie de moyens. Sans du tout cultiver l’attitude, le théâtre ou la manie des œuvres complètes ou du mot qui sera retenu par quelque grand nombre, il était alors d’une telle cohérence, d’un tel bon sens, d’une telle simplicité, que cette authenticité-là gravait tout. Elle fit merveille quand il eût la charge des Affaires Etrangères, du moins cela se voyait-il, et curieusement cela s’était pressenti. Je ne fus sans doute ni le tout premier ni le seul à comprendre qu’en quelques jours une personnalité décisive émergeait, était portée par une nomination importante mais pas exceptionnelle en politique, et allait illustrer d’une manière aussi surprenante qu’exacte et adéquate tout ce qu’il fallait que nous fussions à l’époque et dans les circonstances qui apparemment nous dominaient. J’écris : nous, parce que comme nous, il considérait la France comme un bien propre et proche, ne valant que par ce que nous vaudrions, saurions valoir et lui apporterions. Nous, les Français, ses contemporains, nous, ceux qui l’admirions et le suivions, le soutenions sous des formes et selon des rôles et des étiquettes divers, mais avions en commun la France et lui, et c’était fort libre d’adhésion, de convictions plus analogues que communes. Il commença de nous plaire parce qu’imprévisiblement c’était lui, ce fut lui qui réincarna la France et une grande politique, donc une politique étrangère, à un moment où déjà – seulement quatre ans après le départ du Général – on pouvait désespérer, nous désespérions qu’il se trouva plus jamais quelqu’un qui assuma, comprit ce rôle et le redonne, le fasse vivre sans annoncer que ce serait ceci ou cela, pour qu’on le sut à l’avance. Il ne se para d’aucun habit, ne donna aucune référence et fut d’un coup manifeste ; on reconnut ce qu’il faisait et il en devint en quelques semaines grand, décisif, et d’une certaine manière définitif. Encore aujourd’hui sur son lit d’emprunt, plus un brancart qu’autre chose. Pourquoi ? parce qu’il démontra qu’exister n’est pas affaire de moyen, pas non plus d’affichage d’une prétention ou d’une volonté, mais consiste entièrement à ne se laisser ni dédaigner, ni contourner, ni exclure, ni manœuvrer, quitte à être un temps isolé. Parce qu’il disait ainsi que n’importe qui d’un peu conséquent et réfléchi ferait aussi bien sinon mieux que le Général en son temps, pourvu que ce fut sans aucune arrière-pensée et uniquement en proférant des vérités, la vérité. Cela suppose du coup d’œil et de la patte, mais la portance autant du peuple, puis des peuples que des événements presque toujours vite dociles à l’appel de qui a su les analyser et les enfourcher, au lieu de s’en laisser abandonner, est telle qu’énergie, imagination arrivent vite, et submergent ce qui au début était encore un peu flou, imparfait et méritait quelques redites ou retouches. La leçon qui fut historique, il continua ensuite de la donner en particulier à ceux qui lui demandaient un conseil qu’il refusait, pour en retour leur administrer que tout est possible pourvu qu’on y fasse attention, vraiment, sincèrement, pratiquement.

Ecrivant ainsi, je n’écris pas ici, je vis nos dialogues qui se répétèrent d’Avril 1974 à Décembre 2001.Mais nous sommes – maintenant – ici. J’ai souvent pensé qu’une biographie de lui serait impossible à rédiger, en tout cas qu’elle serait superfétatoire, tant il a lui-même écrit son interprétation des événements parmi lesquels il vécut ou qu’il avait marqués. Il ne disait jamais ni son rôle ni ce qu’il avait voulu que fût ce rôle ni, non plus ce qu’il s’était passé. Il ne faisait pas preuve ni d’auto-biographe ni d’historien, il ne prétendait pas non plus écrire une œuvrer. Fut-il le premier surpris ? du succès considérable de son premier livre ? Mémoires d’avenir, surpris de savoir aussi bien composer et écrire, et que ce fût si immédiatement salué par les lecteurs, par l’opinion, par la critique. Cela surprit qu’il sût… aussi écrire et publier. Je m’en réjouis aussitôt et dès le second ouvrage, je sus que j’allais avoir une forme de compagnonnage de plus avec cet homme que je considérai désormais comme une vraie chance pour mon pays et dans ma vie. Qu’il entendît s’engager en politique, y faire recette, tout l’y avait poussé dès que les premières semaines au Quai le montrèrent hors du commun, passionnant et pas seulement insolite, prévisible pour l’extraordinaire qu’était ce retour à des sources et à une pratique abandonnées depuis un temps qui alors paraissait très long. Surtout qu’il le faisait tellement à sa manière et qu’il était donc inimitable.Donc, il ferait de la politique, ou pluôt il existerait politiquement et dans un but précis, maintenir, continuer, entreprendre, durer, être contagieux. Par quels moyens ? Je lui proposais et délibérai avec lui plus des thèmes qu’une tactique, une stratégie, des alliances ; je pensais et, maintenant que je suis peu éloigné des années où un homme peut se souvenir mais plus tellement se remuer et remuer, je continue de openser que les thèmes apportent les opportunités et appellent les moyens, et bien plus : les concours. Se tromper sur les moyens et les voies, personne et pas l’Histoire n’en tiennent rigueur – d’ailleurs, là-dessus aussi, il se trompa peu – mais c’est sur les thèmes, c’est-à-dire sur le fond, qu’il ne faut pas broncher ni se montrer défaillant. Sa cause était bonne, excellente, urgente et manquait de champion, tant les politiques de l’époque étaient précautionneux et les clivages droite-gauche revenus défendaient d’imaginer. Il y a deux formes de routine, celle par facilité, celle par volonté. Aucune des deux n’est féconde, elles animent la vie d’un peuple par distraction et laissent toute la suite aux surprises, ainsi celle du 21 Avril dernier, quand la vérité, sortant soudain toute nue du puits où on l’avait jetée depuis si longtemps et sur laquelle on rajoutait encore tous les déblais du rappel assidu et net des circonstances recommandant, précisément, la vérité. Très différemment du Général et de son grand ministre, et d’abord parce qu’il était seul et que son chef était mourant et que ce chef, d’ailleurs, il en connaissait autant les petitesses que des grandeurs alors censément vertus de courage et de prudence, Michel JOBERT sut tout dire et tout être, de la cause de notre indépendance à celle de l’Europe pour faire retour chez nous et en nous, et appeler, donc, à la démocratie, celle du ras des paquerettes, bien avant presque tous.

De quoi mourait-il ces derniers temps ? de lassitude, a-t-il répondu à Pierre PLANCHER. La lassitude, vous savez ce que c’est ? Elle est, je crois, un mélange de satisfaction de la tâche accomplie, de conscience de ne pouvoir faire ni être davantage, et d’une intense fatigue de rencontrer alors le vide. Je ne crois pas du tout qu’il mourait de frustration, de déception et d’une carrière qui n’avait été que fugitive, s’était éloignée de lui ; il n’eût pas voulu la refaire, encore moins autrement, pour un empire. Si je me suis reconnu en lui, c’est bien parce qu’il ne réfléchissait et ne se comportait jamais en homme qui veut obtenir quelque chose, mais toujours en homme qui voudrait que ce soit beau, grand, digne, pas imbécile, pas insuffisant. Qu’était ce « ce » sinon tout : les relations humaines, la vie de notre pays, l’organisation du monde, la littérature, autrui, les autres, soi. Sa lassitude était en fait une forme de bonheur d’avoir à rendre les armes, à accrocher les gants au vestiaire, sa lasssitude d’avoir avec une telle continuité, une telle cohérence, une telle persévérance vécu constamment la même chose, sous le même drapeau, dans un même univers, celui de la France et du monde contemporains, celui de Paris dont l’Afrique et le Maghreb jamais n’étaient loin. Lassitude de ne pouvoir tout dire et d’avoir tout dit, tout dit et écrit de ce qui peut s’écrire dans l’impossibilité et l’indignité de se plaindre, de se dire soi-même. Farouchement indépendant, conscient de soi au-delà de tout orgueil, de toute vanité, très au-dessus de tout sentiment d’estime ou de mésestime de soi, naturel et simple, se proclamant simple, non complexe, pas du tout tortueux et étant en effet l’accessibilité-même à qui s’en donnait un tant soit peu la peine, Michel JOBERT n’avait ni référence, ni modèle. Il avait des amis, il n’imitait personne, il ne faisait pas de disciple, il exigeait qu’on soit limpide, précis, net, pas pesant, pas dépendant, pas triste pour ce qui ne vaut ni larme ni réflexion. Il ne se plaignait pas, sinon de n’être obéi, servi dans les choses minuscules de la bureautique, aussitôt qu’il en avait la nécessité ; il souhaitait qu’en retour on ne se plaignît pas non plus. L’exaltation était son contraire, sa joie, ses joies, la venue du succès, je n’en fus pas le témoin. Je suppose qu’il restait d’apparence sceptique et amère, parce qu’il savait, vivait et enseignait la précarité de presque tout, sauf de la valeur d’un acte humain. 13 heures 40 +