Election
présidentielle 2012
observations
& réflexions
I
2 . 3 Octobre 2011
crise du dehors ou crise du dedans ? l’élection
sous-dimensionnée
La politique est
affaire de sentiment – Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères
1958-1968
Ces réflexions
commencent une série en vue de l’élection présidentielle prochaine, mais
s'inscrivent à la suite d’une précédente, rédigée de Novembre 2006 à Novembre
2007 avec leurs épilogues en 2008 et 2009. Même façon pour rédiger à main levée :
l’air du temps, les dires de concitoyens de rencontre, une méditation sur le
moment de la France
et en quoi le monde, l’Europe sont en attente mutuelle avec elle, mais aussi la
mémoire d’une observation de notre vie politique depuis mon adolescence – plus
de cinquante ans – marquée par Dien Bien Phu, Suez et le retour du général de
Gaulle au pouvoir, puis dans les années 70 et 80, par une collaboration
(pigiste « extérieur ») au journal Le Monde que j’ai commencé
d’archiver à mon entrée à Sciences-Po. : Septembre 1960.
Comme tout journal
personnel, ces notes sont subjectives. Elles ne bénéficieront – a priori – d’aucune
information particulière. Pas davantage qu’en 2006-2007 je ne suis encarté et
je ne participe à aucune équipe locale ou nationale. J’incline à désigner
Ségolène Royal en primaire socialiste, à donner ma voix au premier tour à
Nicolas Dupont-Aignan quoique je sois en opposition radicale avec lui,
notamment sur l’Europe que je souhaite désormais fédérale et gouvernée en
démocratie référendaire, alors qu’il milite pour un retour à la
« souveraineté » nationale, notamment en termes de monnaie : le
distinguant, je veux mettre en avant d’une part l’effort d’un gaulliste pour se
sortir de l’engrenage disciplinaire (un camarade de promotion à l’ENA,
député-maire de Saint-Malo se mettant au printemps dernier en congé de l’U.M.P.
évoquait même une prison idéologique dans cette droite sarkozienne : René
Couanau, imbattable chez lui), et d’autre part l’honnêteté personnelle autant
vis-à-vis de l’argent que d’un amour conjugal et d’une vie familiale. C’est
devenu rarissime aujourd’hui, plus encore en politique ou en nomenklatura
financière et économique, qu’en moyenne nationale. Une grande part de la
déliquescence française tient certainement au délitement des structures
conjugales et familiales : comment appeler la nouvelle génération, surtout
dans ce que l’on appelle « les quartiers » quand les nantis
recomposent familles et couple à satiété et se financent par détournement ou
accapparement… En ce sens, Christine Boutin ne me laisse pas indifférent. Tant
qu’une personnalité est au pouvoir, elle garde l’initiative. Nicolas Sarkozy
peut se convertir au bien commun, je le lui ai proposé dès le printemps et
viens de le lui récrire : anticiper l’élection présidentielle ce qui lui
fait perdre la possession d’état mais lui donne la crédibilité d’être à armes
égales avec ses compétiteurs : gage de démocratie, ou bien faire former
par les partis un gouvernement d’union nationale qui prendrait les mesures d’urgence,
lancerait l’appel à une intégration européenne, qualitiativement aussi
révolutionnaire que le fut la déclaration Schuman, l’élection de 2012 devenant
alors seconde et un simple processus de consensus. Ce serait cela la
rupture : l’urgence d’une perspective, dépassant tous les acteurs
politiques.
La prochaine
élection présidentielle est sans précédent parce que 1° le président sortant
est donné généralement pour battu et donc dubitatif sur sa propre
candidature ; 2° les interrogations
ne portent pas sur des alternatives de programme mais sur des interrogations de
fond sur le devenir national et le devenir européen, pas en termes
d’institutions ou de décisions demeurant de notre ressort, au contraire en
question de savoir si nous sommes encore maîtres de notre destin ; 3° les périls paraissent à court terme, y
compris en paix sociale mais les remèdes en œuvre et les engagements à
contracter entre Français et entre Européens embrassent une ou plusieurs
décennies.
La prochaine
élection coincide avec un débat qu’elle peut sanctionner, mais qu’elle n’a pas
provoquée. La mise en cause de Nicolas Sarkozy en exercice de la fonction
présidentielle et en décisions de puissance publique s’attachant à sa
psychologie propre, à son système de réseaux et de confusion des pouvoirs, aux
« affaires » de corruption ou d’intimidation le concernant
directement ou par ses proches, n’est pas nouvelle. Son impopularité date du
neuvième mois de son élection, elle pose l’énigme – également sans précédent
dans l’histoire de nos trois Républiques contemporaines – d’un gouvernement
imposant des réformes pour la plupart institutionnelle, repoussée par une grande
majorité des assujettis et contre lesquelles aucune manifestation n’a pu se
faire. Ce qui pose la question de la vérité démocratique de notre régime, tel
qu’il est devenu, tel que sa lettre constitutionnelle l’a permis.
D’ici le
printemps de 2012, la plupart des paramètres et des acteurs peuvent avoir
changé.
Aujourd’hui,
la candidature du président sortant n’est plus assurée, l’investiture
socialiste n’est pas accordée, le précédent favori a été spectaculairement
éliminé et l’un des partenaires de la majorité actuelle vient de se retirer de
la course (faire-valoir ou vrai concurrent ?).
Au Fonds
monétaire international, puisque Christine Lagarde peut passer devant la Cour de justice de la République française,
la succession à Dominique Strauss-Kahan n’est pas définitive. A la Banque centrale européenne,
Jean-Claude Trichet passe la main à un Italien sans doute d’exception, doublant
l’expérience d’un gouverneur de banque centrale avec celle de la banque Goldman
& Sachs, mais que sera-t-il ? tandis que le président du Conseil
européen, jusqu’ici effacé, et celui de la Commission européenne,
jusques-là secondaire dans la crise de l’euro. commencent d’exister. Aux
Etats-Unis et en Allemagne, le chef du gouvernement sera en campagne de
réélection, aussi difficile que celle du président sortant en France. Plus
aucune décision, sauf un scenario à la Johnson
, ne
pourra être prise chez les « Occidentaux » tandis que Wladimir
Poutine se réinstallera pour dix ans sans doute au Kremlin, sans opposition
légale.
Institutions,
procédures et même des évolutions, regardées comme décisives, sont également
volatiles. Malgré le Fonds d’intervention et de soutien dans la zone euro, la
monnaie unique risque de ne plus exister qu’en apparence. Or, elle est depuis
l’Acte unique européen, la seule avancée dans une construction européenne qui
n’a pas se doter d’un véritable gouvernement économique imposant aux
Etats-membres les disciplines pourtant contractées avec le « pacte de
stabilité ». La solvabilité des banques françaises et la notation la
meilleure dont le gouvernement français se targue de l’avoir maintenue sont en
question, la réponse n’attendra pas huit mois. Le « printemps arabe »
dont il fut un moment conjecturé qu’il mettrait également en cause ce qu’il y a
de formel, sinon de factice, dans les démocraties européennes, a remplacé les
dictatures par une généralisation de l’inconnu à la seule exception de
l’existence d’Israël, par la force et selon la dogmatique d’un processus de
paix qui n’a pas même engendré la reconnaissance d’un Etat palestinien depuis
vingt ans qu’il en est question. Les retraits programmés d’Afghanistan et
d’Irak, les formes d’engagement en Libye et peut-être en Syrie, maintiennent
les Etats européens hors du sujet principal – la substitution de la
« mondialisation » par un autre ordre économique et financier – et en
vassalité vis-à-vis des Etats-Unis alors que cette puissance jusques-là capable
de réguler le monde entier, est devenue vulnérable à proportion de l’énormité
de sa dette et de la faible dispersion de ses créanciers.
Tout est
belligène sauf la scène intérieure nationale qui ne connaît toujours pas les
émeutes à la britannique et les protestations à la grecque, à la portugaise, à
l’espagnole. La fragilité politique française semble ne tenir qu’à l’émergence,
à jets continus depuis dix-huit mois, d’ « affaires » mettant en
cause le président régnant et – précisément – les processus électoraux
précédents selon des financements illégaux. Comme ces scandales sont portés à
la connaissance de la justice et de l’opinion par des hasards en cascade
presque tous dûs à des conflits entre personnes : mère et fille Bettencourt…
époux Woerth, Gaubert, Hortefeux, et que les prête-noms et intermédiaires
prennent la parole pour accuser ou pour se défendre, l’ambiance importe plus
que les procédures, elles forment un tout alors que les emplois fictifs de la
ville de Paris ou les listes de Clearstream ne faisaient pas tache d’huile. En
1934, la réaction avait été populaire. Sera-t-elle seulement électorale,
c’est-à-dire grossira-t-elle le vote pour le Front national et la fille de son
père qui l’incarne ?
Le début de la
campagne présidentielle – ouverte en deux temps contrastés pour l’opposition de
gauche : arrestation de son champion présumé le 15 Mai, élection de son
candidat à la présidence du Sénat le 1er Octobre – est donc marqué
par trois inconnues. Et la crise qui en constitue l’ambiance et peut la
dramatiser, en modifier de semaine en semaine, le rythme et les thèmes, n’a pas
été analysée encore ni par le pouvoir en place, celui du président sortant,
Nicolas Sarkozy, ni par les opposants, ni par une quelconque autorité morale.
Est-elle une crise domestique comme dans les années 30 ou, du fait de la guerre
d’Algérie, à la fin de la Quatrième
République ? est-elle une crise mondiale absolvant et
désarmant les dirigeants nationaux, et minorant par conséquent l’élection à
venir ?
*
* *
I – Une élection à tant d’inconnues,
qu’elle n’a pas de précédent
1° – Quel débat ?
Depuis 1965 et
la candidature du général de Gaulle à l’inauguration d’un mode de scrutin qui
avait permis en peu d’années l’instauration plébiscitaire d’un régime
d’autorité : le Second Empire en prolongement de l’élection le 10 Décembre
1848 de Louis-Napoléon Bonaparte, les campagnes n’ont pas été à thèmes mais selon
la concurrence de candidats très marqués. Sans doute Georges Pompidou
incarne-t-il en 1969 la continuité d’une Cinquième République dont sont
adversaires des oppositions de droite autant que de gauche, et François
Mitterrand en 1974 et en 1981, plus encore, est-il le candidat du changement,
quoique les épigones du Général voient davantage leur défaite dans la victoire
de Valéry Giscard d’Estaing contestataire malgré son appartenance à la majorité
présidentielle – concept qui apparaît alors. Les élections de 1988, de 1995, de
2002 ont chacune été des rivalités – très fortes – entre personnes, elles ne
l’ont pas été entre programmes. Le second mandat que sollicite le vainqueur de
1981 dont le gouvernement a été défait en 1986 par une droite, jusques là
dirigiste et s’improvisant libérale et bientôt mondialiste, est une pétition –
très bien comprise et reçue – d’apaisement. La concurrence soudaine entre
Edouard Balladur jusques là mentor de Jacques Chirac, en commune référence à
Georges Pompidou, ne fait apparence de divergence thématique qu’en
formules : celle du vainqueur, réduire la fracture sociale, n’appelle pas
une gestion différente de celle du Premier ministre sortant, du moins pendant
la campagne, car c’est à la suite de cette élection que pour la première fois
depuis 1958, l’attention de l’opinion est appelée sur l’état calamiteux de nos comptes
publics. Le débat n’est donc pas entre opposition et majorité, mais à
l’intérieur de la majorité de droite, divisée à l’élection présidentielle de
1974 (Valéry Giscard d’Estaing contre Jacques Chaban-Delmas), de 1981 (Jacques
Chirac contre Valéry Giscard d’Estaing), de 1988 (Jacques Chirac et Raymon
Barre), de 1995 (Edouard Balladur et Jacques Chirac). Depuis 2002, il tend à
s’inscrire dans une nouvelle dialectique, l’ensemble des partis représentés au
Parlement contesté par un extrêmisme, jusqu’à présent pestiféré en tant que
formation politique, le Front national, à l’instar du Parti communiste jusqu’en
1936 puis de 1947 à 1965, mais pas en tant qu’expression d’un malaise ou d’un
simplisme répandus : c’est la novation du quinquennat de Nicolas Sarkozy
que d’avoir repris à son compte explicitement (notamment depuis le discours de
Grenoble du 30 Juillet 2010) cette expression et de mettre en avant à la
députation ou au gouvernement ceux qui relaient ce discours avec le plus
véhémence sinon de provocation.
Une première
ligne de débat peut donc consister dans la validation ou pas et de l’expression
de la France
actuelle par les thèses du Front national telles que le pouvoir en place les
saluent et les met en vigueur dans le droit positif et dans l’action répressive
de l’exécutif. Elle se trace malaisément pour l’opposition de gauche
puisqu’elle traduirait selon la droite le souci, légitime, de sécurité et
d’identité des Français.
La crise
économique – le désarmement du marché français, le déficit du commerce
extérieur faute de tissu industriel, la très faible croissance réelle
conduisant autant que le progrès technologique à diminuer l’emploi salarié – et
la crise financière – l’origine spéculative de la rentabilité de nos banques,
leur exposition à des risques qu’on estimait maîtrisé dans la zone euro –
imposent ensemble des remèdes. Le clivage n’est pas droite/gauche et entre le
président sortant et l’opposition socialiste, il traverse surtout la gauche.
Jusqu’en 2002, notamment en conclusion du quinquennat législatif de Lionel
Jospin, la timidité de la gauche face au libéralisme, au mondialisme et son
respect des normes existantes, étaient plus tactiques que doctrinaux :
conviction que l’élection présidentielle se gagnerait au centre et que la
crédibilité d’un futur président de la République réside dans son art de garder les
mains libres pour son gouvernement. Le débat économique et financier, absent de
la campagne pour 2007, devrait reprendre celui de 1988 et François Hollande,
s’il est le candidat du parti socialiste, défendra pour 2012 une ligne
pragmatique de simple amendement de l’existant. Une tactique d’accompagnement
ou une stratégie de changement ?
La
discussion est donc celle de la primaire socialiste, elle n’est pas celle du
programme commun de la gauche en 1972 puisqu’il n’existe plus, à côté du Parti
socialiste, de force équivalente ou presque avec laquelle il serait à celui-ci
de négocier comme François Mitterrand devait le vivre avec Georges Marchais. La
discussion sur l’autorisation administrative de licencier quand l’entreprise
est en riche posture boursière ou sur l’entrée d’office de l’Etat aux conseils
d’administration des grandes banques et des grandes entreprises n’est
qu’apparemment un retour aux querelles passées. La conjoncture a fait prendre
au Japon depuis près de vingt ans, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne
depuis 2008, en Allemagne dans certains domaines, des décisions du genre honni
par la droite française. Le paradoxe d’une médication imposée à la Grèce – les privatisations
pour rétablir la trésorerie publique – qui prive l’Etat national de tout levier
industriel et financier, n’est pas encore relevé.
Endémique
depuis les émeutes de banlieues – principalement celles de Novembre 2005, qui
donnèrent lieu à un discours du président d’alors, Jacques Chirac, à la mesure
de l’évènement – le débat sur la cohésion sociale a été faussé par la ligne
électorale choisie pour 2007. Identité nationale et répression, donc culture
des apparences tandis que l’outil éducatif continuait de perdre ses moyens,
tiennent lieu actuellement d’une réflexion qu’un ministère de la Ville évanescent de Bernard
Tapie… à Fadela Amara, aurait pu conduire interdisciplinairement, de
l’urbanisme aux adaptations de toutes les administrations à vocation éducative,
culturelle et protectrice. Ce débat se fausse davantage encore quand il porte
principalement sur l’immigration sans prise de conscience de deux
contradictions contemporaines. La mondialisation porte sur les flux de
marchandises et de capitaux mais elle prohibe les mouvements de personnes qu’au
contraire l’époque coloniale ou chacun des après-guerre avaient favorisés. Les
relations nord-sud, les politiques de voisinage de l’Union européenne, les
ambitions méditerranéennes de la
France et la culture françafricaine postulent une confiance
mutuelle pas principalement au niveau des dirigeants – les « printemps
arabes » en ont montré la complaisance ou le péril, rétrospectivement –
mais dans la relation entre personnes. Contraste entre les entraides spontanées
(et efficaces) développées en France pour les « sans-papiers » à
proportion de leur mise au pilori ou de leur traque, et des politiques
inefficaces d’immigration choisie.
Une dernière
ligne de débat porterait sur les institutions considérées dans l’ensemble de
celles qui orientent les dépenses publiques et les vies quotidiennes. Ce qui
amène à considérer l’aménagement du territoire, totalement perdu de vue depuis
plusieurs décennies et à revoir sous cet angle aussi bien la réforme bâclée des
élections « territoriales » que la répartition des établissements
militaires, judiciaires, hospitaliers, scolaires. Ce qui ferait réfléchir sur
le fonctionnement de nos institutions nationales, sur une décentralisation qui
ne soit pas une défausse budgétaire de l’Etat, sur la relation démocratique des
citoyens européens avec le décisionnel et le délibératif bruxellois et, compte
tenu des éphémérides du quinquennat qui se termine…, de l’indépendance de la
justice
Présentées en
forme d’écoûte plus que de « propositions » ou de « pistes »
qui sont le vocabulaire de contrainte du pouvoir acuel, presque tous ces sujets
se prêtent à des consensus, dégageant les alternatives pour seulement des
points d’application précis. Paul Ricoeur que je visitais, plusieurs fois,
quelques mois puis semaines avant sa mort, me faisait remarquer que nous ne
savons pas – Français – débattre.
2° – Quel candidat ?
Depuis son
élection en Mai 2007, Nicolas Sarkozy a parlé publiquement et probablement dans
chacune des instances de son parti, en fait de sa machine, tenues à domicile –
l’Elysée – comme s’il était en campagne électorale permanente. Son parti a
pourtant perdu chacune des élections locales, ce qui a d’ailleurs produit
paradoxalement l’élément de langage pour l’élection sénatoriale ; pas une
défaite, puisqu’elle était mathématiquement induite par les précédentes de
moindre niveau … De Gaulle avait voulut l’élection au suffrage direct de ses
successeurs pour que ceux, par la participation de tous les Français au
scrutin, soient hors de pair, dans la vie nationale et les institutions
constitutionnelles comme lui-même l’était mais du fait de l’Histoire. Il vivait
chacun scrutins nationaux comme un referendum, un choix pour le maintien du
régime et pour la poursuite ou non de sa tâche. Or l’élection présidentielle,
telle qu’elle s’est déroulée depuis son second mandat jusqu’à celle de Nicolas
Sarkozy, a eu un effet différent. Elle n’a pas été vécue par l’élu comme une
obligation de pratiquer dans un certain sens les insitutions mais comme l’acquisition
d’une invulnérabilité, d’une inamovibilité. Exception ambiguë, Georges
Pompidou, recourant au referendum puis envisageant une anticipation de sa
réélection (la proposition de quinquennat en Octobre 1973), pour retrouver une
légitimité que lui contestait l’évidence des progrès et de l’unification des
oppositions de gauche. Valéry Giscard d’Estaing était prêt – son discours sur
le bon choix de 1978 – à ne pas résigner ses fonctions présidentielles si la
gauche l’avait emporté au renouvellement de l’Assemblée nationale, quitte à
n’influer en rien sur la politique de celle-ci. François Mitterrand et, plus
encore Jacques Chirac parce que ce renouvellement avait eu lieu sur
dissolution, sont restés à l’Elysée. Au contraire, Nicolas Sarkozy a eu de sa fonction
une conception plus proche de celle du général de Gaulle qu’aucun des
successeurs de celui-ci : une responsabilité vis-à-vis des Français
permanente et générale. Son erreur a été de confondre, sans hiérarchie, le
décisif avec le quotidien et la décision personnelle avec l’orientation par
concertation et délégation ministérielles, selon la Constitution.
Nicolas sarkozy se représentera pour exercer le pouvoir,
comme il l’a déjà exercé. Contrairement à de Gaulle, le consentement des
Français, à vérifier éventuellement, et le contenu de la politique menée grâce
à la prérogative présidentielle, sont pour lui accessoires. Il se représentera
non pas pour « défendre un bilan » ou continuer ce qui a été
entrepris ou décidé, mais pour rester président de la République tel qu’il l’aura
été pendant cinq ans. Avec la contradiction qui pose une énigme : pourquoi
avoir disposé en Juillet 2008 que « nul ne peut exercer plus de deux
mandats consécutifs » ? que fera l’impétrant, en 2017, encore jeune…
et qui présente un inconvénient dont l’évidence frappera dès le soir de la
réélection, s’il y a lieu : la brigue immédiate pour une succession
forcément ouverte. Un système à la
Poutine n’a certainement pas été envisagé.
A défaut du
président sortant, décidant de ne pas se représenter, ce qui ne sera énoncé
qu’au dernier moment, dans la conception qu’a Nicolas Sarkozy de l’exercice du
pouvoir, les candidats ne manquent pas. Ceux qui se sont déclarés dans la
majorité sortante ont jusqu’à présent semblé des réserves de voix pour Nicolas
Sarkozy au second tour. Jean-Louis Borloo pèserait-il davantage s’il y a
forfait ? Je ne le crois pas. Le maire de Valenciennes avait affiché sa
disponibilité envers Lionel Jospin peu avant le premier de 2002, il n’a été
ministre de l’Environnement que par double défaut, celui d’Alain Juppé battu à
la députation de 2007 et son propre échec en quelques semaines rue de Bercy.
Parmi les autres « centristes », Hervé Morin est trop neuf et
François Bayrou, dont il présida le groupe parlementaire jusqu’en 2007, ne
reconstituera pas ce qu’il y a cinq ans, les circonstances lui avaient permis
de réunir, circonstances et réunion qui n’ont pas été étudiées. Dominique de
Villepin, fondant un mouvement après avoir persisté dans son appartenance à
l’U.M.P., vient de le quitter pour afficher sa disponibilité envers l’U.M.P.
Sauf à devenir le candidat de la majorité sortante, il n’a pas de poids propre
et la télégénie qu’il se croit – mais que je trouve discutable, une voix
sacacadé, un visage compliqué, un ton et des mimiques véhéments – n’en tiendra
pas lieu. Il n’a pas su s’organiser, il n’a pas fidélisé ni attiré. Les deux
Premiers ministres de Jacques Chirac ont été chacun une erreur : pas de
cohésion gouvernementale, pas de successeur éventuel. Le principal de l’échec
présidentiel d’un acteur majeur de notre scène politique pendant si longtemps
n’aura pas été la « droitisation » du « gaullisme », mais
un manque de jugement sur les hommes et les femmes. Jacques Chirac – bête
électorale – n’a pas pu être un homme d’Etat par manque de structures
personnelles, le mettant constamment en demande de mentor, de conseiller
jusqu’au moment où, affaibli dès la deuxième année de son premier mandat, par
la rudesse d’Alain Juppé, puis dès la troisième année de son second mandat par
le manque d’autorité de Jean-Pierre Raffarin, il s’est trouvé un adversaire
dont il n’a pas su avoir raison, dès l’apparition de celui-ci.
Jusqu’à
présent, seul de Gaulle a pu peser sur sa succession, même s’il est probable
qu’à côté de Georges Pompidou, le Général souhaita que Maurice Couve de
Murville, son ultime Premier ministre, eût plus qu’une chance. Ni François
Mitterrand ni Jacques Chirac n’ont déterminé leur succession. Au contraire,
Nicolas Sarkozy est en mesure de départager – sauf organisation improbable
d’une primaire à l’U.M.P. – François Fillon et Alain Juppé. Le premier,
longtemps moins impopulaire que le Président et, jusqu’il y a peu, plus mesuré
que celui-ci et que les ministres en vue dans l’épousaille verbale avec le
Front national, peut se voir reprocher par l’opposition d’avoir, par fonction
de Premier ministre, signé ou contre-signé, exécuté en tous cas toutes les
décisions du président sortant, être donc son clône. Le second a été appelé au
gouvernement en 2007 comme en 2011 pour faire pièce au premier et surtout pour
n’être candidat éventuel qu’en cas de défaut présidentiel, alors que le maire
de Bordeaux aurait pu travailler directement le parti présidentiel. Deux
habiletés entourent donc le président sortant et ont plus intérêt à son
abdication qu’à sa défaite : 2017 est loin. Ils sont chacun préférés par
l’électorat U.M.P. au président sortant.
A gauche,
Jean-Luc Mélenchon n’aura pas la capacité d’amoindrir le candidat socialiste
qu’eurent Arlette Laguillier et Jean-Pierre Chevènement. Très probablement,
Daniel Cohen-Bendit aurait apporté aux écologistes, quelle que soit leur
étiquette, le maximum de voix par une équation personnelle pouvant – à mon sens
– doubler le vote potentiellement « vert » : l’insolent de Mai 1968 a fait la remarque,
jusqu’à présent la plus intelligente de la campagne pour 2012. Une candidature
écologique est-elle nécessaire ? sans doute plus, puisque ce corps de
pétitions, de propositions et de mises en demeure des autres candidats a
diffusé à travers tout l’échiquier politique. De même que les simplismes, les
racismes du Front national ont diffusé dans toute l’U.M.P. et même chez
certains socialistes : le défunt président de la région Languedoc le
démontrait sans fard. Les centristes, selon leurs têtes d’affiche actuelles, ne
sont pas assez crédibles pour faire identifier l’U.M.P. comme un décalque du
Front national, le populisme en moins, populisme et anti-parlementarisme qui
feront l’électorat résiduel de la famille Le Pen, bien plus que les thèses
nationalistes et racistes d’origine.
Ce sont les
Français eux-mêmes qui vont désigner le candidat socialiste et celui-ci – à
tort – se croira aussitôt en passe d’entrer à l’Elysée. Tout en observant
continuellement les ordres de classement pour le premier tour et en calculant
aussi, depuis l’élection sénatoriale, les probabilités ou pas d’un retrait de
Nicolas Sarkozy, François Hollande est pressé par les médias comme le fut
Dominique Strauss-Kahn avant cette fin de matinée d’un samedi au Sofitel de New-York.
Au point que l’on présente maintenant le président sortant comme son
« challenger » et non le contraire. François Mitterrand pour 1981 et
Martine Aubry pour 2012 prétendent incarner le programme d’un parti, mais il
manque à la seconde le charisme du premier qui fut tel que la personnalité
importait autant que le programme et qu’ainsi les deux versants d’une même
candidature convenaient aux uns et aux autres selon une analyse et un regard
dépendant de l’électeur et non de la présentation du candidat par lui-même.
Ségolène Royal, par la cohérence de son propos, incarne bien plus que ses deux
rivaux, dont elle n’atteint cependant pas et de loin les intentions de vote,
une rupture avec le cours actuel. Devant elle, les deux précédents Premiers
secrétaires du P.S. raisonnent en possession putative de l’Elysée ; elle
distingue au contraire la campagne qui est de souhait et de proposition, de
l’exercice des fonctions présidentielles qui ne sera pas un compromis avec une
réalité hostile et des adversaires acharnés, dans son parti et dans
l’opposition, mais un compromis entre le possible et le souhaitable. Les deux
autres ont placé le souhaitable sous la barre du possible, elle le place au
contraire au-dessus du possible. Elle m’est sympathique, sans compter deux
arguments pas accessoires. Elle incarnerait avec classe et élégance une France
réconciliée avec Marianne et faisant coincider pour la première fois l’effigie
nationale avec le portrait officiel du chef de l’Etat : rien que cette
image vaudra à l’étranger un avantage qu’a apporté Margaret Thatcher à la Grande-Bretagne
mais guère Angela Merkel à l’Allemagne. Minoritaire dans le Parti socialiste,
dont elle n’a pu prendre la tête en tant que Premier secrétaire, elle ne pourra
exercer le pouvoir qu’en équipe, collégialement, s’économisant sur certains
points seulement qu’elle a cultivés depuis 2006 avec originalité et
persévérance : la consultation référendaire, la démocratie sociale et
participative. Ce n’est pas un gage de politique économique ou financière, c’en
est un pour une mûe de la pratique institutionnelle. De même, son expérience et
son succès à la tête d’une région, seule de tous les candidats de gauche comme
de droite, lui donne une incomparable crédibilité pour que l’aménagement du
territoire, la décentralisation soient l’orientation décidant de beaucoup dans
le prochain quinquennat.
L’originalité
de la gauche vient de se marquer par les deux débats télévisés entre ses six
candidats à l’investiture. Le vote les 9 et 16 Octobre est une première. L’étape
médiatique a manifesté la possibilité d’une démocratie interne dans un parti et
la possibilité aussi d’un exercice semi-collégial du pouvoir, pas seulement
d’un dosage de portefeuilles et de compromis entre les personnages. L’étape
électorale est la première de la démocratie participative. Groupuscules,
candidatures ne pouvant pas même espérer les 5% de suffrages exprimés au
premier tour, président sortant et acteurs centristes, chacun a son champion
autoproclamé ; au contraire, le Parti socialiste, déjà premier à faire
élire son Premier secrétaire par l’ensemble des militants, il y a plus de
quinze ans, offre aujourd’hui bien au-delà de ses encartés, à tous les Français
qui le souhaitent – moyennant peu : un euro. pour les frais et une
adhésion à un rappel de valeurs partagées – de participation à la présentation
de son candidat..
Si 56%
seulement des Français souhaitent la victoire de la gauche – sondage de la
mi-Septembre – tandis que 61% des Français ne croient pas que Nicolas Sarkozy
puisse gagner
– sondage publié le 2
Octobre – l’espace paraît encore très libre, mais comment l’occuper ? Jean-Louis
Borloo décide de ne pas se présenter, François Bayrou y gagne-t-il ?
Première illustration des retournements et des ralliements : Stéphane
Richard, directeur du cabinet de Christine Lagarde rue de Bercy, décoré avec
ostentation à l’Elysée par Nicolas Sarkozy enviant publiquement sa jeunesse,
son argent, ses talents, propulsé à une succession politiquement périlleuse,
celle de
France-Télécom. et de ses
trente ou trente-cinq suicidés, se déclare aujourd’hui en faveur de François
Hollande.
Je me souviens
avoir rencontré Gaston Defferre, sous le porche du Palais-Bourbon, en
1974 : il était Premier ministre putatif et m’a assuré : tout cela,
ne sera qu’un reclassement. En 1981, presqu’au même endroit, doublant la statue
qui fait centre place du Palais-Bourbon, je croisais Pierre Mauroy, le
saluais : il resta silencieux. C’était le futur Premier ministre. Ce fut
chaque fois à la tombée du jour.
3° – Quelle enceinte et quelle scène : temps, lieux et partenaires ?
Depuis 2002,
la durée constitutionnelle du mandat présidentiel est la même que celle d’une
législature. Ce qui parut habile et logique, la proposition co-signée de
Raymond Barre et de Michel Rocard de faire coincider, au moins en 2002, les
législatives avec la présidentielle – ce fut présenté comme la nécessité que le
renouvellement de l’Assemblée nationale élu à la dissolution de 1997 suive
l’élection du président de la
République, au lieu d’être tenue selon la Constitution en Mars
donc en pleine campagne présidentielle – est sans doute la révision de fait la
plus importante de nos institutions depuis 1962, car elle donne un autre sens à
l’abrègement du mandat présidentiel. Sauf discordance, politiquement peu
probable, entre la majorité élisant le président de la République et celle,
élisant les députés, juste quelques semaines après, la France se trouve pour cinq
ans dans un agencement des pouvoirs publics homogène mais figé. Seule, une
dissolution en cours de mandat, redonnerait à nos institutions leur souplesse
d’antan c’est-à-dire la possibilité que soit mis en cause en cours de mandat le
gouvernement formé par le président de la République, et, selon la jurisprudence créée par
Nicolas Sarkozy d’une « hyper-présidence », le chef de l’Etat
lui-même.
Mais cette
rigidité présente un avantage qui n’est exploité par personne, alors qu’au
moins la gauche ou ce qu’il reste d’expérience des débuts de la Cinquième République,
devrait en faire un outil majeur, correspondant aussi à l’alternative
institutionnelle que présentait Pierre Mendès France face à la proposition
référendaire de l’élection directe du président de la République. Le
gouvernement de législature et la remise à l’œuvre d’une planification « à
la française ». Soit que le plan quadriennal soit débattu au Parlement et
dans le pays pendant la première année du mandat présidentiel, soit que
l’élection présidentielle porte sur un projet de plan précis et des
propositions de lois repoussées lors du mandat échu, l’ensemble donnant un
corps écrit prêt à être voté dès les premières semaines de la nouvelle
législature pour former un plan quinquennal, la France aurait un outil de
prévision et de cohérence débattu démocratiquement, quitte à ce que les catastrophes
– telles la crise actuelle, ou les « chocs pétroliers » - donnent
lieu à des ajustements. Au lieu d’engagements comme aujourd’hui, censément sur
cinq ou vingt ans, dont les signataires ne seront plus au pouvoir pour en
suivre ou pérenniser l’application, la gestion gouvernementale aurait un cadre
précis d’entrée de jeu.
Les débats
développés depuis l’automne de 2008 ont rappelé aux Français sinon à leurs
dirigeants les deux dimensions de toute politique nationale maintenant :
le moyen et long terme (l’écologie, la sûreté nucléaire mais aussi les
équilibres budgétaires et l’apurement des dettes, tout programme
d’infrastructures) d’une part, la concertation avec nos partenaires européens
(pas seulement l’Allemagne) et la complémentarité avec eux. Ce qui excède le
champ d’une campagne présidentielle en durées envisagées et en interlocuteurs
pour toutes décisions.
Comment le
concours des candidats et les alternatives de programme peuvent-ils contribuer
à mettre le pays au rythme beaucoup plus ample : les décennies à venir, et
dans un champ aux acteurs bien plus diversifiés que ceux de la classe politique
nationale : nos partrenaires européens avec chacun leur histoire, leur
configuration sociale, leur inconscient collectif, leurs références propres et
leurs hantises?
*
* *
II – Une crise dont les éphémérides
nationaux et internationaux sont difficiles à lier
1° - manque de dialectique : la crise, cause ou effet ?
Pour le
pouvoir à renouveler ou à démettre, la crise économique et financière n’est que
le fait de circonstances. Il est oiseux de les analyser, ce sont des
éphémérides, mais elle est dangereuse, il faut y répondre ou paraître y
répondre. Nicolas Sarkozy raisonne et s’exprime en termes de refondation ou de
novation, mais pas de susbtitution. S’adapter, adapter le système régnant,
corriger des abus qui sont affaire de personnes (la Société générale), mais
pas de doctrine ambiante. Avant que la crise ne fasse sentir, comme depuis le
début de cet été, qu’un effondrement du système bancaire, déjà envisageable à
l’automne de 2008, la dialectique était simple : les Français ne savaient
à quoi appliquer leur effort, si même ils étaient capables par eux-mêmes d’un
effort. Mais le discours était déjà celui de s’adapter à l’ambiance et non pas
de s’interroger sur les composantes de celle-ci, ni sur la modification des
paramètres. Paradoxe des volontarismes de la droite : celle de Jacques
Chirac, de Dominique de Villepin et de Nicolas Sarkozy. Ils n’aboutissent qu’à
faire pression sur les assujettis pour qu’ils consentent à ce qui les fait
souffrir ou à ce qui les empêche. Et c’est ce manque d’effort et d’adaptabilité
qui fait le retard français, voire la cécité nationale face à des nécessités et
à des recettes dogmatiques que d’autres pays saisissent mieux :
l’obsession américaine de Nicolas Sarkozy en début de son mandat, la
comparaison allemande le plus souvent mal informée (les retraites, les
composantes du commerce extérieur, la nature du consens social s’il y existe
encore). La crise, au fond, conséquence des Français inférieurs et jusqu’en
2007 mal gouvernés. Culpabilisation nationale commencée par Jacques Chirac en
lecture des responsabilités de la shoah, et ressassée comme cause principale de
la faiblesse de notre économie.
Pour d’autres
– dont je suis – la crise est la conséquence de deux évolutions déjà anciennes.
Un système fondé sur le profit et donc sur la recherche des moindres
coûts : en gros, l’innovation technique et la conquête des marchés sont
plus difficiles et onéreux, aléatoires surtout, que le
« dégraissage » et le transfert des charges sociales et de ‘lensemble
du salariat sur la collectivité dont l’Etat a la charge de lui faire pallier
l’apparente défaillance de l’économie spéculative. Défaillance au regard des
objectifs et des devoirs sociaux, qui demeurent inscrits – à juste titre – dans
la conscience du grand nombre, mais pas au regard de ce qu’un prix Nobel
d’économie (Stieglitz) et maintenant les « indignés » de Waall Street
soutenus par Georges Soros), a identifié comme la cupidité des dirigeants. La
pétition de libre-échange entre pays développés, inaugurée dès 1958 par les
Anglo-Saxons à la mise en œuvre du Marché commun des Six sur le continent
européen, a abouti à sa plus grande extension, la mondialisation, et à ses pleins
effets : la délocalisation et la financiarisation. Les banques elles-mêmes
ayant obéi à cette logique ont livré les entreprises, et maintenant les Etats,
à la seule spéculation, l’argent ayant poussé à l’individualisme et confirmé la
passivité d’un grand nombre perdant le sens des classes, des relations
d’exploitation, des réponses syndicales voire de révoltes jusqu’à obtention
d’une part de justice. Dans un régime où l’Etat existe et fortement, la
revendication sociale est satisfaite ou par la concertation – la planification
à la française de 1945 aux environs de 1980 – ou par la révolte, même si les
causes initiales ne sont pas forcément une exigence sociale et salariale :
les événements de Mai et les accords de Grenelle, qui ne mirent pas du tout l’économie
à bas, malhré deux mois de gtrèves ou de perturbations, la diminution du temps
de travail, la mensualisation et l’augmentation de 30% du salaire minimum.
La crise est
la conséquence d’une évolution commencée il y a quarante ans et à laquelle l’Union
européenne a décisivement cédé (offerte et plus seulement ouverte – expression
de Laurent Fabius) et d’une perversion des élites, surtout du système de leur
recrutement et de leur formation. Le gouffre est moins entre riches et pauvres
en France, qu’entre deux jeunesses, celle qui s’expatrie pour ses études et qui
n’a plus de lecture dialectique de la société et de l’histoire, et celle qui,
banlieues, immigration ou plus généralement désespoir de vivre par manque
d’issue et d’accueil, n’est pas prise en charge ni par l’Etat ni par des
mouvements sociaux capables d’imposer le changement.
D’un côté, une
invite insidieuse ou impérative à la confiance dans les systèmes et les
dirigeants du moment : la passivité du grand nombre, une absorption à
l’infini des sacrifices et diminutions, chacune encadrées par des législations
répressives, les co,ncessions ne sont qu’en parole et l’avenir qu’en promesses
octroyées. De l’autre, l’amorce pas encore assumée politiquement d’une
réflexion globale sur les causes de l’actualité, et, par déduction de ces
causes, sur les assises d’une économie et donc d’une société plus fiables et
sereines. Tout mouvement social est une démonstration que le remède universel
est la démocratie, non que celle-ci soit omnisciente mais parce qu’elle seule
peut faire consensus.
2° - rôles erronés : la crise d’un gouvernement ou celle de la
démocratie ?
Le système
pratiqué par Nicolas Sarkozy dès son avènement s’est marqué par deux confusions
qui n’étaient pas irrépressibles. Une conduite directe et personnelle des élus
parlementaires, de leurs travaux comme de leur expression publique. Une
minoration publique, à défaut d’une extinction constitutionnellement impossible
sans révision ex)licite, des fonctions du Premier ministre. Il n’a pas immédiatement
choqué parce qu’il faisait suite d’une part à plusieurs périodes de
cohabitation droite-gauche ou gauche-droite et d’autre part à un exrecice
incertain du pouvoir soit par le prédécesseur de Nicolas Sarkozy qui fut plutôt
son anti-modèle : Jacques Chirac, soit par le dernier des Premiers
ministres de celui-ci, Dominique de Villepin, n’ayant pas davantage que
Jean-Pierre Raffarin, mais pour desraisons différentes, d’autorité sur les
ministres.
La confusion
des pouvoirs et l’interventionnisme dans tous les domaines de la vie nationale
ont été facilités par la propension des médias à distinguer de moins en moins
la décision de son souhait, l’événement du discours, et à maintenir l’apparence
d’un dialogue entre le président et l’opinion sous forme unilatérale d’une
supposée expression de celle-ci par celui-là. Nicolas Sarkozy a pu prétendre
pendant la première moitié de son mandat exprimer le vœu de ses concitoyens
face à des administrations, à des circonstances, à des dérives procédurales, et
faire ainsi le socle populiste de réformes – concourant accessoirement à des
économies budgétaires – démantelant l’outil étatique, pour ensuite consacrer
toutes les apparences à sa réponse aux éphémérides successifs de crises
internationales coincidant opportunément avec sa présidence annuelle ou
semestrielle de l’Union européenne, des G 8 et G 20.
La réalité a
été une correspondance qu’il était tentant d’exploiter entre la nouvelle
manière de croître des grands groupes économiques français, la façon de les
diriger selon des critères très éloignés de l’objet social ou des circonstances
fondatrices, et une modernisation du pouvoir puisque « les hommes ont la
démangeaison d’entendre des nouveaités ». La croissance externe et
l’extension indéfinie des domaines d’activités générant des « centres de profit »
à partir d’un métier ou d’un actif initial donnant assez de ressources pour
qu’ils déployent à des dirigeants, ont permis une pratique solitaire du pouvoir
pourvu que l’actionnariat en soit gratifié. Le cotoiement d’un parvenu en
politique avec des parvenus ou des héritiers en finances et en économie, a
produit ce qu’un patronat familial et une culture du service public n’avaient
pas secrété aux pires moments de dévoiement du pouvoir politique sous les
Républiques précédentes : la connivence n’avait jamais excédé que les
moments précis des élections ou l’ocroi de certains marchés publics, elle
n’était que corruption mais pas une alliance permanente. Non seulement la
séparation des pouvoirs publics constitutionnels resta impossible en temps de
paix et se maintint même pendant la Grande
Guerre, mais la distinction entre le domaine industriel et
financier d’une part, et celui de la gestion politique et sociale d’autre part
restait atavique parce qu’elle permettait la paix intérieure et fit faire au
pays d’importantes mises à jour, sociales de la fin des années 1920 à 1940,
industrielles et technologiques des années 1950 au début des années 1980. La
réplique d’une droite en mal de programme propre aux nationalisations opérées
par la gauche en 1982 a
inauguré le jeu des nominations dans les groupes privatisés et créé l’ambiance
dans laquelle s’est édifié une génération et une thématique toute nouvelle de
grandes fortunes françaises, au moment où celles qui pendant cent cinquante ans
avaient créé puis développé l’industrie nationale déclinaient faute d’alliances
et de stratégies. Tandis que Péchiney et Thomson mouraient, que le textile, la
chimie, la sidérurgie et le charbon fermaient, les groupes à multiples
vocations et peu distrubuteurs d’emploi apparaissaient. L’alliance des nouveaux
venus à la nororiété et au pouvoir, la finance n’ayant guère qu’une quinzaine
d’années d’avance sur le cadet d’un immigrant, était tentante, Balzac et Zola y
auraient retrouvé leur matière mais n’avaient pas osé aller jusqu’à la tête de
l’Etat, il est vrai héréditaire au temps du premier et peu attrayante pour le
second, pourfendeur de la
Républiquequi condamnait Dreyfus.
3° - discernement sans objet : la crise de la volonté nationale ou
la crise des consciences
Discerner la
nature de la crise, les moyens d’y remédier me paraît second par rapport à la
prise de conscience non pas d’une situation matérielle, descriptible
statistiquement : natalité, budget, patrimoine, taux des diverses
évolutions, inventaires divers, mais de ce que nous sommes. Les Français sont
les premiers remèdes à la crise française, et notre pays est l’un des
composants importants pour mettre en œuvre des innovations ou des réancrages,
au moins en Europe – par tradition et objectivement puisqu’il est en situation
moyenne à beaucoup d’égards et qu’il est devenu très ductile du fait de
l’immigration plus allogène qu’auparavant et aussi de sa désindustrialisation.
Nous vivons
manifestement une rupture avec nos antécédents politiques, même récents – les
éléments fondateurs et consensuels de la Cinquième République,
très fille de la Quatrième
pour ses options sociales (planification, cogestion paritaire), nucléaires,
africaines, européennes – et avec nos équilibres longtemps maintenus entre
ruralité et urbanisation, fonction publique et professions libérales. Autant
que notre territoire métropolitain, notre société était diverse, propre à la
solidarité et à la tolérance pourvu que l’Etat – généralement consenti comme
une chose n’appartenant à aucun parti ou clan ou tribu – le codifie et
répartisse la plus-value de l’économie nationale avec volonté. Nous ne sommes
plus à cette époque.
Le flou de nos
racines, le doute sur nos outils coincident avec une profonde hésitation sur
l’identification de ce que nous devenons. La France a changé et la France change.
Elle a changé
parce que l’immigration de ces trente dernières années, voulue au début
semble-t-il par manque de main d’œuvre au moment de notre mûe industrielle,
pose question à tous en termes d’identité ce qui n’avait jamais été le cas des
précédentes vagues soit que celles-ci aient été moins nombreuses encore
qu’appréciables après la Grande Guerre,
soit qu’elles aient été principalement européennes. Elles étaient de
motivation : fuir un pays avec lequel l’arrivant n’était plus d’accord
politiquement, alors qu’aujourd’hui l’analyse politique est plus floue, il
s’agit d’ambiance et de travail que n’offre pas le pays d’origine. Pourtant
cette immigration enrichit notre pays démographiquement et elle cultive pour
l’essentiel ce qui a toujours fait l’identité de notre pays vis-à-vis de
nous-même et l’image de la
France dans le monde. Mais ce n’est plus « notre vieux
pays » qu’invoque Dominique de Villepin, plagiant de Gaulle. Elément fondamental
– et fondateur du nouveau cours, dont beaucoup pourra se déduire, et sans doute
consensuellement si c’est mené et exprimé, voulu avec intelligence.
La France est nouvelle parce
qu’elle s’est ethniquement métisssée autant que la Gaule s’est romanisée, et
que ses structures mentales se sont enrichies, non plus d’une sorte
d’acquiescement universel à la philosophie des lumières, à la révolution
française et au droit des gens (1789 à 1919) mais de l’adhésion des immigrants,
pour la plupart ses anciens sujets coloniaux. Ce que nous avons perdu en
souveraineté territoriale, nous fait prendre conscience de la vérité, plus
grande que jamais, de l’affirmation de Renan : la langue (c’est-à-dire
l’esprit et la structure mentale) et le projet d’avenir commun.
La France est donc plus
française que jamais en tant que système de vie collective, la crise la
réveille et la ramène aux grands choix de la Libération, eux-mêmes
fruits d’une singulière maturation du Front populaire et des aspects sociaux de
Vichy : le sens de l’Etat, la participation, la planification, le service
public, l’aménagement du territoire.
Notre pays est
neuf, les ingrédients ont changé mais pas le moule. Le moule, ce sont notre
géographie et notre histoire productrice d’un esprit qui reste fécond et
attrayant. L’éducation civique, ce n’est pas l’explication des institutions ou
l’exhortation au savoir-vivre ou à la tolérance des différences, ce sont
l’histoire et la géographie françaises données de façon neuve et totale,
c’est-à-dire en y intégrant cette « plus grande France », sans sens
territorial et tout en acception spirituelle. Ce fait est décisif pour toute
manière et pour tout projet d’administration des Français et d’appel à l’âme
nationale. Cette immigration d’ailleurs n’a pas pris l’initiative du
communautarisme, au contraire celui-ci vient de Français d’ascendance
millénaire dont certains se sont découvert depuis l’exploitation thématique de
la shoah puis d’excessives sollictations électorales, voire de réseaux, une
sorte de seconde nationalité, notamment en faveur de l’Etat d’Israël. Il faut
cependant reconnaître que ce communautarisme-là n’en agresse pas d’autres quand
il s’en forme, mais il impose de plus en plus un regard forcé sur notre
histoire contemporaine (le discours de Jacques Chirac sur les responsabilités
françaises pour la shoah) au détriment d’autres investigations et mises en
valeur : il n’est pas unificateur et toute mémoire culpabilisante n’est
pas dynamique pour notre avenir, d’autant que d’autres Français ne peuvent en
rien s’y reconnaître. Les manipulations depuis quinze ans de notre Code de la
nationalité, les débats inopinés sur une appréciation rétrospective de la
colonisation sont à contresens d’une intégration spirituelle – méritoire de la
part des nouveaux arrivants plus encore que de la nôtre. Toute distinction
religieuse ou ethnique complique d’ailleurs la base légale et le contexte
psychologique d’une administration des gens. En ce sens, le pouvoir en place
depuis 2007 n’est pas constructif, surtout il ne sait pas discerner un élan qui
nous sécurise à terme bien plus que des mesures de sauvegarde ponctuelles.
La France change maintenant
parce que – je crois, pour la première fois dans notre histoire – nous avons
pris conscience du décalage entre notre image et la satisfaction que depuis
deux siècles elle nous procure, sans forcément avoir toujours l’aval de
l’étranger, d’une part et des politiques répressives menées depuis quelques
années. Décalage aussi avec ce qui se révèle de mœurs financiers de la classe
politique. Les libertés publiques et la morale publique, l’honnêteté et le
souci de légalité n’étaient pas une demande de l’opinion publique, longtemps
demeurée dans la simple caricature de l’anti-parlementarisme classique. La
cassette Méry, la question des souss-marins de Karachi, l’Angolagate, les
frégates de Taïwan, l’affaire Bettencourt, les propos de Robert Bourgi donnent
une force tout autre que celle des scandales passés, notamment dans les années
1930 ou de temps à autre sous la Cinquième République
(la Garantie
Foncière, l’affaire Aranda, celle du Carrefour du
développement) à la réprobation des camps de rétention, des expulsions de
Roms : déjà les « charters » d’Edith Cresson avaient enclanché
sa décote parmi ses amis notamment. Un même pouvoir serait corrompu et
attentatoire aux droits de l’homme. Je n’apprécie ici ni le discours de
Grenoble ni la circulaire ad hoc qui le suivit, ni l’implication ou pas de ceux
(le Président compris) dont le nom est évoqué dans ces « affaires ».
J’y reviens plus loin mais d’un autre point de vue. Je remarque ici la prise de
conscience par l’opinion – choquée – de ce que nous coincidons plus avec notre
idéal et ce que nous cherchons à faire valoir dans le monde. Notre intervention
en Libye ou notre mise en demeure des Nations Unies à propos de la Syrie, paraissent et de peu
de cohérence avec notre diplomatie bilatérale antérieure. L’attitude du
Président vis-à-vis du Dalaï Lama et ses égards pour la Chine parait pire
qu’incohérente : pas courageuse.
La France a changé de
composition mais pas de nature. La
France change parce qu’une partie de ses citoyens a souci de
notre qualité nationale, face à ce que le pouvoir croit la crainte de
beaucoup : la dissolution de notre identité. Deux analyses de l’esprit
public et deux conceptions de gouvernement (court terme/long terme) s’opposent
et les gouvernants depuis 2007 semblent avoir choisi le camp de la peur, celui
des petits blancs » que fait apparaître toute action discriminant selon la
race ou l’origine. Alors que la maturité de l’esprit public doit être
confortée, notamment si – dans un registre différent – l’identité et la
pérennité françaises doivent contribuer décisivement au patriotisme européen et
à des institutions et des fonctionnements faisant de l’Union européenne une
fédération fortement unitaire.
*
* *
Les conclusions s’imposent d’elles-mêmes si l’on regarde la
consultation selon l’habitude acquise en organisation, en scenario, en
pluralité telle qu’elle s’est imposée dès sa première fois, malgré la participation
du général de Gaulle ou à cause de celle-ci. Mais elles se dérobent s’il s’agit
de mesurer la capacité du pays à se décider.
Malgré les apparences, la campagne présidentielle n’a pas
commencé puisque ni les principaux candidats ni les thèmes à débattre ne sont
connus. L’investiture socialiste restera d’expression déséquilibrée tant que ne
seront pas acquis le retrait de la course ou la candidature du président
sortant : Février, précise la rumeur. Les thèmes ont été successivement
les réformes, la rigueur budgétaire, la sécurité, ils sont devenus la relation
de l’Etat avec les banques, un supplément fédéraliste au fonctionnement
européen, ils peuvent au printemps prochain être la gestion d’une zone mark ou
le maintien de l’ordre ou la mise en accusation d’un président convaincu
personnellement de mensonge et de corruption. Ce peut être un changement de
Constitution pour que les contrôles empêchent le bon plaisir et les effets de
réseaux, un essai de représentation propotionnelle à l’Assemblée nationale. Ce
peut devenir un débat uniquement écologique fait des interrogations nucléaires,
d’une réindustrialisation de la
France par la production nationale de biens et services
totalement innovants ou encore d’une ambition de rééquiper tout notre territoire,
de refaire nos villes selon des modèles nouveaux : réflexion introduisant
le planétaire, le très long terme et l’éthique sociale dans le plus concret des
investissements publics et des incitations fiscales à organiser, bâtir,
remplacer. Créativité, diversité et mutualisation des cultures pourraient s’en
déduire. La somme des débats et alternatives sectoriels ne fera cependant pas
un débat national, encore moins un élan, cela produira au mieux des priorités
et quelques échéances.
L’élection présidentielle – selon qu’elle élimine ou
restaure Nicolas Sarkozy – devrait décider de l’exceptionnalité sans suite ou
de la fondation jurisprudentielle d’une nouvelle forme non écrite de nos
institutions jusques là constitutionnelles : forme constituée par la pratique
du mandat reçu en 2007. Un mode de gouvernement par lequel une seule personne
subjuguant toutes les autorités et subordonnant tous les rôles, absorbe toutes
les compétences étatiques ou au contraire l’appel à un système collégial. En
dehors de toute considération de légalité, l’évidence est qu’aujourd’hui le
despotisme ne peut s’éclaircir par le seul recrutement de quelques conseillers
et qu’une action publique ne se réduit pas à la rencontre de quelques
homologues étrangers ou à quelques déplacements escortés en province. Mais le
gouvernement à plusieurs dans le respect mutuel des compétences et des
individualités ne va pas de soi : la mise sincère au débat parlementaire
ou référendaire, le pluralisme favorisé des partis au pouvoir et dans l’opposition,
l’amenuisement voulu des conflits dogmatiques et l’abandon de toute prétention
au monopole du savoir et du bien commun sont à inventer, comme si la
restauration de l’Etat en 1958, les émancipations de la France vis-à-vis de ses
entraves atlantiques ou coloniales, les intuitions participatives jusqu’en 1969
n’avaient été que préludes oubliés par une lutte droite/gauche accaparant
l’attention des médias, appelant les paris de carrière mais lassant l’attention
civique et laissant le champ libre à une économie qui n’est plus d’entreprises
mais de groupes au personnel dirigeant davantage à apte à gagner de l’argent
qu’à voir les stratégies gagnantes pour une activité nationale en France et
dans le monde. Cette invention sera difficile car elle doit être multigénérationnelle,
pluridisciplinaire et nourrie – non de comparaisons avec l’étranger, boîte à
idées et gisement de « bonnes pratiques – mais de solidarité avec nos
frères eurropéens. Manifestement, ce n’est pas le tour d’esprit de nos
politiques en campagne, et nous n’avons plus le grand patronat, sans doute à la
recherche de vassaux dans les gestions publiques, mais qui était resté national
sans que cela empêche un goût pour l’unification européenne.
Pourtant, l’élection prochaine revêt un sens différent des
précédentes, car elle porte davantage sur la capacité du pays à se vouloir que
sur le choix d’un candidat ou la reconduction du président sortant. Si l’on
considère cette élection comme étant de même nature que les précédentes :
une dévolution du pouvoir à la française pour la neuvièle fois, elle est banale
même si la crise européenne, la crise financière internationale, la
déliquescence du pays la rendent importante. Jamais, l’élection ne s’est
déroulée en un tel temps de crise : celle envisagée par François
Mitterrand en Mai 1968 n’eut pas lieu et l’élection de celui-ci provoqua une
crise, mais n’en était pas la conséquence.
Je considère autrement cette élection. Le système
capitaliste tel qu’il a évolué et s’est durci depuis vingt ans parce qu’il a su
changer d’adversaire : non plus telle ou telle classe puisque la
conscience de classe a disparu et que le secteur secondaire en France pèse bien
moins que celui des services ou que la ruralité, mais bien l’Etat en tant que
tel. Ce que la lutte des classes pendant un siècle pouvait enlever au
capitalisme ou empêcher qu’il l’obtienne, l’Etat est encore en puissance de
tenir un rôle limitant d’effet analogue. Les électeurs auront-ils le choix,
c’est-à-dire y aura-t-il un candidat non de rupture dans la manière de
gouverner – ce que fut Nicolas Sarkozy en 2007 – mais de rupture
idéologique ?
Les ruptures peuvent
s’affirmer quand s’éprouve le point sensible de l’adversaire : le
dalaï-lama est le seul champion que redoute Pékin pour que l’Afrique du sud lui
refuse de célébrer avec Desmond Tutu bien plus qu’un anniversaire personnel. La
minorité au Congrès américain qui entreprend de limiter les importations de
Chine a compris que la créance chinoise n’en est pas une stratégiquement
puisque les placements aux Etats-Unis n’ont plus de rechange en Europe, donc
nulle part. La politique étrangère, l’histoire des muttes coloniales offrent
des exemples certains : évaluer l’adversaire, le prendre à son propre
système pour ensuite ne compromettre qu’en fin du processus d’émancipation,
mais jamais à son début. Ni en 1981 ni en 2005 – alors qu’elle manifestait un
choix fort et sincère, que les autres peuples européens pouvait faire leur
malgré leurs dirigeants, en sorte de changer tous d’idéologie et de procédures
déjà dominantes – la France
n’a su exprimer l’équation simple du changement : de décision nationale
sans doute, il ne peut s’accomplir qu’en nombre, elel a été isolée, puis
« ramenée à la raison »…
2012 ne laissera pas la France
à mi-chemin de ce que décideront les électeurs.
Suivant qu’elle montrera ou pas l’exemple de la rupture – en économie et
en finances, bien au-delà donc du débat sur la démocratie formelle et son
dévoiement par l’élu de 2007 – elle sera cette fois mécaniquement soutenue par
la défaillance-même du système que nous aurons rejetée, ou broyée par ce
qu’elle n’aura pas su refuser. Qui, au vrai, dirigeants ou victimes,
« indignés » ou repus, ne cherchent l’alternative au présent
cours ? Mais qui, parmi les dirigeants de la chose publique ou des initiatives
privées, sait aujourd’hui imaginer ? Une élection présidentielle peut-elle
contribuer à une mûe économique et à une stabilisation sociale que tout appelle
chez nous et autour de nous ? De Gaulle et Mitterrand, chacun, y ont cru.
Imagination et consentement sont affaires collectives.
Trouver et appliquer des remèdes dans le pays, les concerter avec partenaires
de l’Union européenne sont affaires d’équipe. Pour moi, le meilleur candidat
sera celui qui – au long de cette campagne pour l’élection présidentielle – me
paraîtra, plus intuitivement qu’en discours, apte à travailler et à faire
travailler en équipe, à plusieurs, dans l’écoûte mutuelle. Apte ou obligé à
nous présider ainsi, à nous représenter ainsi. Les infaillibilités, les
supériorités ne sont plus efficaces et l’enjeu est si décisif : tout se
passe ces années-ci, ces mois-ci comme si l’Europe et, nous-mêmes par rapport
aux possibilités que nous n’exerçons plus et dont bientôt nous ne disposerons
plus du tout, étaient les véritables perdants dans un monde qui était promis à
nos valeurs et à notre organisation, il y a une ou deux décennies.
Changement de manière pour que d’une dogmatique qui a
échoué, sorte une souplesse respectueuse des hommes et pas trop en
contradiction avec nos rêves./.