Patrimoine
& Influence
actifs et
possibilités de la France
actuelle
Note
à
l’attention personnelle de Monsieur Nicolas Sarkozy,
Président de
la République
Pour une plus claire définition – et qui soit surtout opérationnelle –
de l’intelligence économique, il convient d’identifier la matière nationale
(française, pour nous, et par extension dans beaucoup de cas : européenne)
à défendre et à projeter.
On résoudra en bonne partie, aussi, le débat - latent entre une optique
sécuritaire sinon même militaire, et une optique concurrentielle et donc
commerciale, entre deux formations et en fait lusieurs « métiers » - depuis
qu’il est convenu de pratiquer l’intelligence économique, au niveau national.
Un exercice préalable, et qui serait à maintenir à jour, consiste à
dresser un inventaire de nos actifs
chez nous et à l’étranger, et à dessiner la carte virtuelle (et confidentielle)
de nos points ou de nos présences par personnes morales (entreprises,
associations, organisations non gouvernementales, syndicats de salariés et
patronaux, organismes consulaires, institutions publiques électives
décentralisées, clergé, réseaux scientifiques, politiques, culturels,
médiatiques) ou physiques (grands enseignants et universitaires, écrivains et
éditeurs, membres dirigeants ou organisateurs d’institutiuons internationales,
y compris sinon surtout celle de l’Union européenne, des Nations unies et de
l’Organisation mondiale du commerce, etc…). Des stratégies de conquête,
reconquête pour nous-mêmes, des possibilités aussi de mise en commun avec des
tiers apparaîtront, ainsi.
Le concept d’actif est à
préciser. Les principales administrations centrales de qui elles peuvent –
légalement ou intellectuellement – relever en ont des définitions différentes,
les entreprises, les personnes physiques et morales plus encore. Il n’y a pas
lieu de s’arrêter à cet obstacle qui tient à des habitudes internes ou aux
législations nationales ou étrangères à appliquer. Le point directeur est
d’identifier ce qui est nous. Ce qui nous constitue, ce qui est notre invention
ou notre travail ou notre épargne.
L’opinion publique y est sensible pour deux raisons très fortes. La
première est vêcue aussi, mais seulement cas par cas, par les pouvoirs
publics : le transfert d’actifs
sous direction ou influence de l‘étranger, signifie immanquablement
délocalisation ou démantèlement de ce qui est national (puisque le but des
croissances externes est d’acheter un carnet de commandes, des réseaux de
clients et de détruire l’appareil concurrent avec ceux qui le font agir, les
salariés – on fait à tort passer pour économie d’échelle, ce qui est d’abord
ambition d’un monopole donc derstruction de « ceux qui sont de trop »,
cf. Péchiney et Mittalsteel). C’est être complice de l’adversaire que de
ressasser que ces fusions-acquisitions sont une chance pour notre technologie
et notre emploi. Le sens commun sait que c’est le contraire. Le lien entre
emploi et actif national est incrusté dans la mentalité populaire, dans notre
origine paysanne à tous : le métayage est une dépendance, un sous-emploi
menacé ; toute la doctrine de la souveraineté française, royale ou
populaire, son esprit profond et atavique, se sont faits sur la possession
concrète d’actifs et un accroissement patient, obstiné et très longtemps heureux
de notre patrimoine. Justement, la seconde raison est que les entreprises
françaises doivent presque toutes quand elles sont grandes, à l’inventivité et
à l’épargne nationales. Céder du patrimoine industriel, technologique, du
savoir-faire et des acquis de réseaux et de services semble une atteinte à la
propriété collective, ou pour mieux écrire : à la propriété commune, un vértable héritage, le fruit d’une
génération, la présente, les autres, celle de demain. Si le Français tient à la
propriété individuelle, il est conscient de ce qui appartient à la pluralité
des Français – car notre culture et même (sinon surtout) notre civisme se sont
fondés sur des conquêtes, des renflouements, des arbitrages pour que s’édifie
et perdure des forces nationales. Il y a donc scandale dans l’esprit commun de
vendre ce qui appartient aux générations passées et souvent au contribuable
encore en vie. Conscience de soi, instinct de propriété, emploi sont
substantiellement concernés, et en permanence, par la conquête ou la création
de notre patrimoine national, par sa conservation, par sa promotion.
Quoiqu’a priori plus subtil, le concept d’influence est moins discuté. Il s’agit de peser sur les décisions
qui nous affectent, nous et nos actifs. Quelle que soit la manière de faire. La
certitude est que trois conditions doivent être remplies.
Etre présent d’une manière
ou d’une autre mais le plus proche possible en temps et en lieu de la
délibération et surtout de la décision conclusive, une présence qui soit la
nôtre et non celle d’agents d’origine tierce et que nous aurions su
intéresser : les entreprises (et les pouvoirs publics) corrompent et
cherchent des appuis au cœur des stratégies concurrentes ou supposées hostiles.
Chaque nationalité le fait, mais généralement
avec plus de succès que nous. Nous nous trompons de corruptibles et
ceux-ci ne nous sont pas toujours fidèles. D’expérience des réseaux d’expansion
économique à l’étranger, je le sais. Sans compter l’art national – de pratique
publique récente mais éclatante – de ruiner nos réseaux et nos manières de
faire par des procès en corruption mettant en cause nos nationaux faute
d’atteindre ceux qu’ils avaient achetés ou nos adversaires : les procès
Elf et les déconfitures de Vivendi ou du Crédit Lyonnais à l’étranger sont
notre propre liquidation. Il faut choisir entre Machiavel ou l’angélisme, mais
ne tenir qu’une ligne et de génération en génération ; les autres le font,
le rapport Martre faisait remonter l’intelligence économique en Angleterre et
en Allemagne à des traditions nationales, survivant à tous les régimes et
gouvernements.
Etre crédible en volonté du
moment, en stratégie à terme, en suivi cohérent entre intervenants nationaux et
à tous les échelons de décision et d’évaluation.
Etre éveillé. C’était la formulation
initiale de l’intelligence économique. La veille n’est pas seulement
technologique, elle est psychologique, elle est stratégique, elle ne doit pas
être pollué par nos propres certitudes ou nos propres grilles d’analyse a
priori. L’occupation des intelligences par la redondance des médias, du
commentaire et de la démagogie censés tous trois tenir en respect une opinion
publique qu’on ne prévoit ni ne connaît plus parce qu’il n’y a plus d’action
nationale qui la structure et qui lui donne des références, obscurcit
constamment le ciel que nous scrutons ou produit des réverbérations parasites.
Nous ne voyons pas ce qui apparaît, nous sommes obnubilés par ce qui paraît
s’être consolidé. Nous sommes constamment en retard, presque toujours
distraits, ailleurs. C’est manifeste en bourse.
Cette présence est forcément
humaine, elle n’est pas automatique, elle ne tient pas aux organigrammes
apparents, elle doit tout aux personnes. Si celles-ci n’ont pas le cœur
national et se laissent contaminer par des cultures, en fait des stratégies
étrangères sous couvert d’idéologie dominante, leur présence ne fait que
renforcer l’adversaire et le cautionner. Il y a une évaluation des
ambassadeurs, des conseillers commerciaux, des apporteurs d’affaire, des
faiseurs de couloir. Y en a-t-il une pour ceux de nos nationaux (ou assimilés)
qui sont en situation d’informer et surtout de peser ?
*
* *
Le recensement, la cartographie de nos actifs et de nos possibilités
d’influence produiront un instrument de gouvernement et l’orientation de notre
intelligence économique.
Ils commenceront certainement par un constat – qu’on peut penser
désastreux, mais il doit y avoir quelques gisements sectoriels de bonne
surprise. Quoi donc demeure à nous, en tout ou en majorité de gestion ? Quoi
donc a été cédé à l’étranger ? depuis vingt ans. La sorte de mesure de rétorsion
qu’ont constitué à partir de 1986 les privatisations en symétrie des
nationalisations de 1982 (que le gouvernement de la gauche n’eut pas, si
c’était vraiment la meilleure façon de tenir ses options pour l’élection
présidentielle de 1981, l’inspiration de faire consacrer par referendum) est
probablement la date de référence. Par la suite, sans distinction de programme
ni d’étiquette, toutes les gestions gouvernementales ont poursuivi ou permis le
mouvement des fusions et cessions. L’inventaire en chronologie, en transformation
des raisons sociales (sans doute pour camoufler le réagencement du tissu
national et son raccordement au tissu mondial) suppose une enquête auprès des
bases de données administratives aux échelons centraux, et déconcentrés ; celle-ci
permet d’interroger avec précision les réseaux du Quai d’Orsay et de la DGTPE à l’étranger pour ce
qui est de nos acquisitions, mais aussi de ce qui se maintient dans le paraître
et la réalité du pays pour l’extérieur (enquête
orientée autant que d’écoute). Sans doute, une méthode est à convenir, mais
plutôt que de viser d’abord une exhausivité, impossible à réaliser totalement
et qui nécessiterait trop de temps pour
qu’un premier « état des lieux » soit disponible avant les échéances
électorales, et constitue donc une référence et un outil pour la suite, il
faut s’en tenir aux grands pans de notre économie et aux principales raisons
sociales.
La question de nos biens culturels et intellectuels, jusques dans la
sauvegarde et la projection de la francophonie, est à modéliser. Les enquêtes
fréquentes sur le sujet – davantage, paradoxalement, que dans le domaine
strictement économique – n’ont pas depuis plusieurs décennies produit ni une
connaissance ni une véritable stratégie.
Il devrait en sortir une nouvelle manière de gouverner, en sus des
habituelles, évidentes et nécessaires gestions des problèmes pérennes de
l’économie, de la société, de la culture françaises.
Le précédent existe chez nous,
qu’ « en catastrophe », on a évoqué à la suite du referendum
négatif de 2005 : le modèle social français assorti d’une attitude
« positive », le patriotisme économique.
La planification à la française
a été longtemps la concertation et la mise en commun de tous les savoirs et de
tous les efforts ; elle imposait la participation de l’opinion publique
autant que celle de tous les « acteurs » économiques et
sociaux ; elle intégrait la vie sociale, le mouvement syndical dans la
projection d’une croissance dont les leviers étaient identifiés, donc
mobilisables. Elle a été un succès, un exemple, une pépinière. Tout le
contraire de cette concertation générale semble la pratique qui débute de
conseils d’analyse (analyse économique ayant supplanté en 1997 la première
organisation de l’intelligence économique, et qui semble demeurer découplée de
celle-ci aujourd’hui – analyse stratégique concluant à partir de 2003 et sans
prise de conscience publique ni même de débat parlementaire informé, sauf au
Sénat, la dégénérescence du Plan depuis le septennat de Valéry Giscard
d’Estaing, faute d’adaptation et d’imagination, et malgré un sursaut aux débuts
du premier de François Mitterrand). Cette planification avait une légitimité
historique, la prise de conscience des années 1930, les vœux de la Résistance. Les
faits la montrèrent opérante et les étapes de mise en œuvre du Marché commun y
encouragèrent même.
Notre influence pratique et
spirituelle a été décisive pendant les vingt premières années de la construction
européenne, et particulièrement les dix ans de première mise en œuvre, sous
le général de Gaulle, du traité de Rome. Nous y avons évidemment gagné en
substance. Sans doute la réussite de notre restauration économique, et le
prestige – à proportion-même des critiques et controverses – de la
« diplomatie gaulliste » (Le
Monde n’analysait alors que sous ce vocable notre politique extérieure) y
étaient pour beaucoup. Mais il y avait la qualité extrême des ministres et
représentants permanents en charge de la négociation constitutive du Marché
commun : Maurice Couve de Murville, Edgard Pisani, Jean-Marc Boegner, et
des membres français de la
Commission : évidemment Raymond Barre et Jean-François
Deniau. Depuis, et surtout ces dernières années… La carte de notre influence
aux Nations Unies et à Bruxelles est atterrante parce que nous ne remplissons
plus les trois conditions qualitatives ci-dessus énumérées. Elle est à préciser :
ce qui peut instruire une véritable politique des ressources humaines – là, comme
dans d’autres enceintes, le syndicalisme international où nous étions pionniers
jusques dans les années 1950, l’Eglise catholique où nous avons triomphé au
Concile puis pendant tout le règne de Paul VI, les institutions financières internationales
(Fonds monétaire, Banque mondiale, Banque européenne pour la reconstruction et
le développement où nous avions plus que nos apparences jusques dans les années
1990 et où il ne nous reste plus guère que la présidence de la Banque centrale
européenne).
*
* *
Si nous mettons au point en même temps une première enquête et une
première cartographie sommaires, et la méthologie pour sa mise à jour et une
ambition de quasi-exhaustivité, nous sommes armés pour provoquer une double contagion : la concertation et
les mises en commun européennes dans les mêmes termes de patrimoine et
d’influence, la proposition de notre manière et de nos objectifs de
constitution d’outils à ceux des gouvernements étrangers que nous apprécions
comme partenaires de longue route ensemble.
Bien entendu, de même que le concept d’intelligence économique a été
une formulation venue de l’expérience des entreprises, celui de cette mise en
évidence de ce qu’il y a à défendre,
projeter et des moyens dont nous disposons en réseau ou en mental, serait
à retourner vers les entreprises, et à
affiner avec elles.
L’enjeu est notre identité.
Celle-ci ne tiendra que si, comme par notre passé immémorial, nous sommes
malgré notre diminution quantitative et pondéreuse évidente un des facteurs, un
des « faiseurs » et inspirateur de la conscience universelle, donc
des idéologies et des concepts dominants. Nous
ne sommes manifestement plus un de ces créateurs de l’esprit du temps, presque
sous un aucun rapport : de la mode à la littérature, de la science juridique
aux techniques de pointe. Les secteurs qui demeurent encore globalement et
durablement d’influence universelle, sont les rares où public et privé sont
restés intimement imbriqués : la défense et la santé, là où l’Etat et le
financement par tous restent la référence. Alors, la mondialisation tournera
tout autrement. Les gouvenements sont résignés à une adaptation perdante, mais
ils ne peuvent, sans dérègler la démocratie, l’imposer à des opinions qui
partout la refusent, faute qu’elle se présente de manière positive et tienne
ses promesses.
L’exercice que je suggère est directement contributif à l’exercice de
l’intelligence économique ; il peut aider les gouvernants. Connu
rétrospectivement dans sa méthode et son résultat, il sera soutenu par presque tous
les dirigeants et institutions de l’économie, de la culture et de la société.
Les réfractaires a priori s’y rallieront parce que si indépendants de l’Etat
français, qu’ils puissent se croire, ils verront un avantage à ce que celui-ci
donne à nouveau de repères./.
BFF – 29 XI & 1er XII
06 – 11 V 07
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