jeudi 24 avril 2014

veiller sur notre patrimoine national - 1 - note adressée à Nicolas Sarkozy à son avènement, et redonnées à l'Elysée depuis 2012 et encore aujourd'hui au








Patrimoine & Influence

actifs et possibilités de la France actuelle




Note
à l’attention personnelle de Monsieur Nicolas Sarkozy,
Président de la République




Pour une plus claire définition – et qui soit surtout opérationnelle – de l’intelligence économique, il convient d’identifier la matière nationale (française, pour nous, et par extension dans beaucoup de cas : européenne) à défendre et à projeter.

On résoudra en bonne partie, aussi, le débat - latent entre une optique sécuritaire sinon même militaire, et une optique concurrentielle et donc commerciale, entre deux formations et en fait lusieurs « métiers » - depuis qu’il est convenu de pratiquer l’intelligence économique, au niveau national.

Un exercice préalable, et qui serait à maintenir à jour, consiste à dresser un inventaire de nos actifs chez nous et à l’étranger, et à dessiner la carte virtuelle (et confidentielle) de nos points ou de nos présences par personnes morales (entreprises, associations, organisations non gouvernementales, syndicats de salariés et patronaux, organismes consulaires, institutions publiques électives décentralisées, clergé, réseaux scientifiques, politiques, culturels, médiatiques) ou physiques (grands enseignants et universitaires, écrivains et éditeurs, membres dirigeants ou organisateurs d’institutiuons internationales, y compris sinon surtout celle de l’Union européenne, des Nations unies et de l’Organisation mondiale du commerce, etc…). Des stratégies de conquête, reconquête pour nous-mêmes, des possibilités aussi de mise en commun avec des tiers apparaîtront, ainsi.

Le concept d’actif est à préciser. Les principales administrations centrales de qui elles peuvent – légalement ou intellectuellement – relever en ont des définitions différentes, les entreprises, les personnes physiques et morales plus encore. Il n’y a pas lieu de s’arrêter à cet obstacle qui tient à des habitudes internes ou aux législations nationales ou étrangères à appliquer. Le point directeur est d’identifier ce qui est nous. Ce qui nous constitue, ce qui est notre invention ou notre travail ou notre épargne.

L’opinion publique y est sensible pour deux raisons très fortes. La première est vêcue aussi, mais seulement cas par cas, par les pouvoirs publics : le transfert d’actifs sous direction ou influence de l‘étranger, signifie immanquablement délocalisation ou démantèlement de ce qui est national (puisque le but des croissances externes est d’acheter un carnet de commandes, des réseaux de clients et de détruire l’appareil concurrent avec ceux qui le font agir, les salariés – on fait à tort passer pour économie d’échelle, ce qui est d’abord ambition d’un monopole donc derstruction de « ceux qui sont de trop », cf. Péchiney et Mittalsteel). C’est être complice de l’adversaire que de ressasser que ces fusions-acquisitions sont une chance pour notre technologie et notre emploi. Le sens commun sait que c’est le contraire. Le lien entre emploi et actif national est incrusté dans la mentalité populaire, dans notre origine paysanne à tous : le métayage est une dépendance, un sous-emploi menacé ; toute la doctrine de la souveraineté française, royale ou populaire, son esprit profond et atavique, se sont faits sur la possession concrète d’actifs et un accroissement patient, obstiné et très longtemps heureux de notre patrimoine. Justement, la seconde raison est que les entreprises françaises doivent presque toutes quand elles sont grandes, à l’inventivité et à l’épargne nationales. Céder du patrimoine industriel, technologique, du savoir-faire et des acquis de réseaux et de services semble une atteinte à la propriété collective, ou pour mieux écrire : à la propriété commune, un vértable héritage, le fruit d’une génération, la présente, les autres, celle de demain. Si le Français tient à la propriété individuelle, il est conscient de ce qui appartient à la pluralité des Français – car notre culture et même (sinon surtout) notre civisme se sont fondés sur des conquêtes, des renflouements, des arbitrages pour que s’édifie et perdure des forces nationales. Il y a donc scandale dans l’esprit commun de vendre ce qui appartient aux générations passées et souvent au contribuable encore en vie. Conscience de soi, instinct de propriété, emploi sont substantiellement concernés, et en permanence, par la conquête ou la création de notre patrimoine national, par sa conservation, par sa promotion.

Quoiqu’a priori plus subtil, le concept d’influence est moins discuté. Il s’agit de peser sur les décisions qui nous affectent, nous et nos actifs. Quelle que soit la manière de faire. La certitude est que trois conditions doivent être remplies.
Etre présent d’une manière ou d’une autre mais le plus proche possible en temps et en lieu de la délibération et surtout de la décision conclusive, une présence qui soit la nôtre et non celle d’agents d’origine tierce et que nous aurions su intéresser : les entreprises (et les pouvoirs publics) corrompent et cherchent des appuis au cœur des stratégies concurrentes ou supposées hostiles. Chaque nationalité le fait, mais généralement  avec plus de succès que nous. Nous nous trompons de corruptibles et ceux-ci ne nous sont pas toujours fidèles. D’expérience des réseaux d’expansion économique à l’étranger, je le sais. Sans compter l’art national – de pratique publique récente mais éclatante – de ruiner nos réseaux et nos manières de faire par des procès en corruption mettant en cause nos nationaux faute d’atteindre ceux qu’ils avaient achetés ou nos adversaires : les procès Elf et les déconfitures de Vivendi ou du Crédit Lyonnais à l’étranger sont notre propre liquidation. Il faut choisir entre Machiavel ou l’angélisme, mais ne tenir qu’une ligne et de génération en génération ; les autres le font, le rapport Martre faisait remonter l’intelligence économique en Angleterre et en Allemagne à des traditions nationales, survivant à tous les régimes et gouvernements.

Etre crédible en volonté du moment, en stratégie à terme, en suivi cohérent entre intervenants nationaux et à tous les échelons de décision et d’évaluation.
Etre éveillé. C’était la formulation initiale de l’intelligence économique. La veille n’est pas seulement technologique, elle est psychologique, elle est stratégique, elle ne doit pas être pollué par nos propres certitudes ou nos propres grilles d’analyse a priori. L’occupation des intelligences par la redondance des médias, du commentaire et de la démagogie censés tous trois tenir en respect une opinion publique qu’on ne prévoit ni ne connaît plus parce qu’il n’y a plus d’action nationale qui la structure et qui lui donne des références, obscurcit constamment le ciel que nous scrutons ou produit des réverbérations parasites. Nous ne voyons pas ce qui apparaît, nous sommes obnubilés par ce qui paraît s’être consolidé. Nous sommes constamment en retard, presque toujours distraits, ailleurs. C’est manifeste en bourse.

Cette présence est forcément humaine, elle n’est pas automatique, elle ne tient pas aux organigrammes apparents, elle doit tout aux personnes. Si celles-ci n’ont pas le cœur national et se laissent contaminer par des cultures, en fait des stratégies étrangères sous couvert d’idéologie dominante, leur présence ne fait que renforcer l’adversaire et le cautionner. Il y a une évaluation des ambassadeurs, des conseillers commerciaux, des apporteurs d’affaire, des faiseurs de couloir. Y en a-t-il une pour ceux de nos nationaux (ou assimilés) qui sont en situation d’informer et surtout de peser ?


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Le recensement, la cartographie de nos actifs et de nos possibilités d’influence produiront un instrument de gouvernement et l’orientation de notre intelligence économique.
Ils commenceront certainement par un constat – qu’on peut penser désastreux, mais il doit y avoir quelques gisements sectoriels de bonne surprise. Quoi donc demeure à nous, en tout ou en majorité de gestion ? Quoi donc a été cédé à l’étranger ? depuis vingt ans. La sorte de mesure de rétorsion qu’ont constitué à partir de 1986 les privatisations en symétrie des nationalisations de 1982 (que le gouvernement de la gauche n’eut pas, si c’était vraiment la meilleure façon de tenir ses options pour l’élection présidentielle de 1981, l’inspiration de faire consacrer par referendum) est probablement la date de référence. Par la suite, sans distinction de programme ni d’étiquette, toutes les gestions gouvernementales ont poursuivi ou permis le mouvement des fusions et cessions. L’inventaire en chronologie, en transformation des raisons sociales (sans doute pour camoufler le réagencement du tissu national et son raccordement au tissu mondial) suppose une enquête auprès des bases de données administratives aux échelons centraux, et déconcentrés ; celle-ci permet d’interroger avec précision les réseaux du Quai d’Orsay et de la DGTPE à l’étranger pour ce qui est de nos acquisitions, mais aussi de ce qui se maintient dans le paraître et la réalité du pays pour l’extérieur (enquête orientée autant que d’écoute). Sans doute, une méthode est à convenir, mais plutôt que de viser d’abord une exhausivité, impossible à réaliser totalement et qui nécessiterait trop de temps pour qu’un premier « état des lieux » soit disponible avant les échéances électorales, et constitue donc une référence et un outil pour la suite, il faut s’en tenir aux grands pans de notre économie et aux principales raisons sociales.
La question de nos biens culturels et intellectuels, jusques dans la sauvegarde et la projection de la francophonie, est à modéliser. Les enquêtes fréquentes sur le sujet – davantage, paradoxalement, que dans le domaine strictement économique – n’ont pas depuis plusieurs décennies produit ni une connaissance ni une véritable stratégie.
Il devrait en sortir une nouvelle manière de gouverner, en sus des habituelles, évidentes et nécessaires gestions des problèmes pérennes de l’économie, de la société, de la culture françaises.

Le précédent existe chez nous, qu’ « en catastrophe », on a évoqué à la suite du referendum négatif de 2005 : le modèle social français assorti d’une attitude « positive », le patriotisme économique.

La planification à la française a été longtemps la concertation et la mise en commun de tous les savoirs et de tous les efforts ; elle imposait la participation de l’opinion publique autant que celle de tous les « acteurs » économiques et sociaux ; elle intégrait la vie sociale, le mouvement syndical dans la projection d’une croissance dont les leviers étaient identifiés, donc mobilisables. Elle a été un succès, un exemple, une pépinière. Tout le contraire de cette concertation générale semble la pratique qui débute de conseils d’analyse (analyse économique ayant supplanté en 1997 la première organisation de l’intelligence économique, et qui semble demeurer découplée de celle-ci aujourd’hui – analyse stratégique concluant à partir de 2003 et sans prise de conscience publique ni même de débat parlementaire informé, sauf au Sénat, la dégénérescence du Plan depuis le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, faute d’adaptation et d’imagination, et malgré un sursaut aux débuts du premier de François Mitterrand). Cette planification avait une légitimité historique, la prise de conscience des années 1930, les vœux de la Résistance. Les faits la montrèrent opérante et les étapes de mise en œuvre du Marché commun y encouragèrent même.
Notre influence pratique et spirituelle a été décisive pendant les vingt premières années de la construction européenne, et particulièrement les dix ans de première mise en œuvre, sous le général de Gaulle, du traité de Rome. Nous y avons évidemment gagné en substance. Sans doute la réussite de notre restauration économique, et le prestige – à proportion-même des critiques et controverses – de la « diplomatie gaulliste » (Le Monde n’analysait alors que sous ce vocable notre politique extérieure) y étaient pour beaucoup. Mais il y avait la qualité extrême des ministres et représentants permanents en charge de la négociation constitutive du Marché commun : Maurice Couve de Murville, Edgard Pisani, Jean-Marc Boegner, et des membres français de la Commission : évidemment Raymond Barre et Jean-François Deniau. Depuis, et surtout ces dernières années… La carte de notre influence aux Nations Unies et à Bruxelles est atterrante parce que nous ne remplissons plus les trois conditions qualitatives ci-dessus énumérées. Elle est à préciser : ce qui peut instruire une véritable politique des ressources humaines – là, comme dans d’autres enceintes, le syndicalisme international où nous étions pionniers jusques dans les années 1950, l’Eglise catholique où nous avons triomphé au Concile puis pendant tout le règne de Paul VI, les institutions financières internationales (Fonds monétaire, Banque mondiale, Banque européenne pour la reconstruction et le développement où nous avions plus que nos apparences jusques dans les années 1990 et où il ne nous reste plus guère que la présidence de la Banque centrale européenne).


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Si nous mettons au point en même temps une première enquête et une première cartographie sommaires, et la méthologie pour sa mise à jour et une ambition de quasi-exhaustivité, nous sommes armés pour provoquer une double contagion : la concertation et les mises en commun européennes dans les mêmes termes de patrimoine et d’influence, la proposition de notre manière et de nos objectifs de constitution d’outils à ceux des gouvernements étrangers que nous apprécions comme partenaires de longue route ensemble.

Bien entendu, de même que le concept d’intelligence économique a été une formulation venue de l’expérience des entreprises, celui de cette mise en évidence de ce qu’il y a à défendre,  projeter et des moyens dont nous disposons en réseau ou en mental, serait à retourner vers les entreprises, et à affiner avec elles.

L’enjeu est notre identité. Celle-ci ne tiendra que si, comme par notre passé immémorial, nous sommes malgré notre diminution quantitative et pondéreuse évidente un des facteurs, un des « faiseurs » et inspirateur de la conscience universelle, donc des idéologies et des concepts dominants. Nous ne sommes manifestement plus un de ces créateurs de l’esprit du temps, presque sous un aucun rapport : de la mode à la littérature, de la science juridique aux techniques de pointe. Les secteurs qui demeurent encore globalement et durablement d’influence universelle, sont les rares où public et privé sont restés intimement imbriqués : la défense et la santé, là où l’Etat et le financement par tous restent la référence. Alors, la mondialisation tournera tout autrement. Les gouvenements sont résignés à une adaptation perdante, mais ils ne peuvent, sans dérègler la démocratie, l’imposer à des opinions qui partout la refusent, faute qu’elle se présente de manière positive et tienne ses promesses. 

L’exercice que je suggère est directement contributif à l’exercice de l’intelligence économique ; il peut aider les gouvernants. Connu rétrospectivement dans sa méthode et son résultat, il sera soutenu par presque tous les dirigeants et institutions de l’économie, de la culture et de la société. Les réfractaires a priori s’y rallieront parce que si indépendants de l’Etat français, qu’ils puissent se croire, ils verront un avantage à ce que celui-ci donne à nouveau de repères./.                                                          BFF – 29 XI & 1er XII 06 – 11 V 07

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