jeudi 10 avril 2014

itinéraire de Valéry Giscard d'Estaing dans les six premiers mois de son élection présidentielle




François Hollande, élu président de la République juste deux mois auparavant, passe – le 5 Juillet – deux heures à bord du Terrible, l’un des éléments sous-marins les plus modernes de notre dissuasion nucléaire. Il y remarque que : « La dernière fois qu'un président de la République est venu en mer dans un sous-marin, c'était en 1974, le sous-marin s'appelait déjà LE TERRIBLE, mais ce n'était pas celui-là, et il s'agissait du président Valéry Giscard d'Estaing. Ensuite, il y a eu des visites régulières à quai de tous les chefs d'Etat. » mais n’évoque pas le général de Gaulle, sans lequel il n’y aurait jamais eu une « force de frappe » proprement française. « Je voulais venir voir le travail que vous effectuez au service de la dissuasion nucléaire. Par ma présence, comme chef des armées et au delà de vous, je confirme l'engagement qui est le nôtre pour préserver ce qui est un élément essentiel de notre sécurité, c'est à dire la dissuasion. Cette capacité, que nous devons avoir à tout moment, de pouvoir utiliser une menace pour garantir la paix. Ce que vous faites contribue à la préservation, et de notre statut de puissance dans le monde, et en même temps vous nous permettez, de garantir la paix et la sécurité des Français. (…) Et bien peu de nations peuvent disposer d'une dissuasion totalement autonome et indépendante comme la nôtre. »
L’élection de Valéry Giscard d’Estaing, le 19 Mai 1974 par 50,81% des suffrages exprimés face à François Mitterrand, avait fait penser à l’abandon de deux des legs du général de Gaulle : la dissuasion nucléaire, la non appartenance à l’organisation intégrée du traité de l’Atlantique nord. Dans les huit jours de sa prise de fonctions (le 27 Mai), il avait été testé par l’état-major faisant procéder à des essais à Muroroa sans l’aval de l’Elysée, ni a fortiori du conseil des ministres. Jean-Jacques Servan-Schreiber, directeur-fondateur de l’Express et refondateur du parti radical, avait démissionné du poste de ministre des Réformes qui lui avait été accordé dans le nouveau gouvernement.

Le 8 Novembre 1974, Valéry Giscard d’Estaing se rend à bord du Terrible – premier du nom – puis va se recueillir sur la tombe du Général à Colombey-les-Deux-Eglises.

Lundi 9 Juillet 2012

Du « Terrible » à Colombey,

l’itinéraire du Président


De Gaulle avait raison. Elu directement par le peuple, donc « par-dessus tous les fiefs, les claculs et les partis pris », chargé par lui d’être « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités » et d’assurer «  la continuité de l’Etat », le président de la République, quel que soit son parcours précédent, en vient toujours à trouver les réalités et à en répondre devant l’histoire.

Il a fallu près de cinq ans, les défis d’Henry Kissinger et les réactions nationales de Michel Jobert pour que Georges Pompidou revienne sur les engagements qu’il avait pris pendant sa campagne présidentielle de 1969 et sur les facilités qui avaient suivi. Il faut moins de six mois pour que Valéry Giscard d’Estaing parle soudain – à la coupée du Terrible – le langage de la France et le langage d’un président au-dessus des partis, et qu’en toute logique, il aille alors s’incliner devant une croix blanche, dans une obscure campagne, où l’attendait « un vieil homme recru d’épreuves mais jamais lassé de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance ».



Déjà la réunion de presse du 24 octobre avait tranché au fond sur bien des légèretés des cent premiers jours tant attendus dans les beaux quartiers dont le général Stehlin est député [1]. Lucide, la reconnaissance que le changement intervenant dans le monde depuis que souffle l’aspiration des spoliés, est durable. Lucide, la constatation que la théologie n’a jamais éclairci la question d’Europe. En continuité avec toute la politique extérieure de la V° République, le refus d’une confrontation entre consommateurs et producteurs de pétrole, le refus de rejoindre le groupe des Douze, la reconnaissance de l’autorité de Yasser Arafat, destinataire d’une des dernières lettres publiques du général de Gaulle.



Le jugement présidentiel sur l’ « affaire Stehlin » est de cette veine et l’authentifie. A propos des mêmes questions de défense, Jean-Jacques Servan-Schreiber avait été démissionné seulement pour des raisons de forme ; l’ancien chef d’état-major – lui – est condamné pour des motifs de fond et à cette occasion le mot-clé d’indépendance de notre force nucléaire est enfin prononcé, même s’il n’est pas encore assez répété et assez souligné.



Le 24 octobre, le président définissait l’arme atomique française « une force nucélaire stratégique visant la menace nucélaire ou la menace sur notre sol » – ce qui suppose, de fait, une utilisation libre de toute dépendance, mais il semblait, en même temps, en parlant souvent d’une augmentation de nos forces conventionnelles, aller au-devant du soihait constant depuis 1949 des autorités atlantiques, c’est-à-dire américaines, que se renforce le seul potentiel classique des Etats européens. Cette fois, le pas semble franchi : le président monte à bord d’un sous-marin nucléaire ; s’il continue de parler de « moyens autonomes de défense », il fait pour la première fois, et dans des circonstances symboliques, porter le débat sur « la défense nationale indépendante de la France » ; surtout le crédits nécessaires sont proposés au Parlement et la construction du sixième sous-marin de notre panoplie nucléaire est autorisée.



Depuis, tout se passe donc comme si, épris de cohérence formelle, sensible à la logique interne d’un raisonnement, Valéru Giscard d’Estaing découvrait et faisait à mesure découvrir qu’il n’y a pas pour la France une alternative entre deux politiques extérieures ou deux politiques de défense. L’alternative est d’avoir une politique ou de n’en avoir pas. Et cette polirique qui est celle de l’indépendance est celle – la seule possible – dont le général de Gaulle a redonné aux Français expérience et goût. Valéry Giscard d’Estaing, à la sortie du Terrible et devant la tombe de Colombey, se place et place les partis devant le défi de la logique :



– Les partis de gauche éveillent, certes, de nombreux échos parmi les gaullistes quand ils rendent hommage à la volonté d’indépendance du général. Mais ils ne feront oublier que c’est leur opposition systématiques entre 1958 et 1969 qui a progressivement affaibli l’élan gaulliste au profit de la masse conservatrice de droite, qu’en acceptant carrément les conséquences de leur tardif hommage : cet hommage est d’accepter sans plus barguigner les institutions et la force de dissuasion nucléaire. A défaut, il semblerait, à la longue, qu’il s’agisse pour la gauche davantage d’attirer des électeurs que de faire mieux que d’autres la politique de la France.



– Le président de la République est au seuil de son véritable itinéraire. Les tentatuves de révision constitutionnelle, les illusions européennes, l’attentisme économique et social, appartiennent au concurrent impatient des années 1966-1968 s’en prenant successivement à Georges Pompidou puis au général de Gaulle, appartiennent aussi à l’allié des années 1968-1974 hésitant, dans son destin mais non dans son ambition (c’est-à-dire rapetissant son propos et son image à cette aune.



Après avoir tant cherché à « dégaulliser » le peuple, voilà qu’imprévisiblement le pouvoir, de lui-même, face aux réalités, se « gaulliserait »… Nul doute qu’il lui faille du courage, surtout vis-à-vis de ses amis. Il est temps, tandis que, de jour en jour, s’aggrave la crise nationale et universelle.


Le Monde . 14 Novembre 1974



[1] - le général Stehlin, ancien chef d’état major de l’armée de l’air (après avoir été attaché militaire à Berlin avant 1940 puis interprété l’amiral Darlan sous Vichy) venait de recommander au président Giscard d’Estaing l’achat d’avions de combat américains en remplacement d’appareils français – je l’avais vivement relevé dans les mêmes colonnes du Monde daté du 9 Novembre ; peu après, il fut renversé par un autobus parisien et ne survécut pas   9 VII 12

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