François Hollande,
élu président de la
République juste deux mois auparavant, passe – le 5 Juillet –
deux heures à bord du Terrible, l’un des éléments sous-marins les plus
modernes de notre dissuasion nucléaire. Il y remarque que : « La dernière fois
qu'un président de la
République est venu en mer dans un sous-marin, c'était en
1974, le sous-marin s'appelait déjà LE TERRIBLE, mais ce n'était pas celui-là,
et il s'agissait du président Valéry Giscard d'Estaing. Ensuite, il y a eu des
visites régulières à quai de tous les chefs d'Etat. » mais n’évoque pas le général de
Gaulle, sans lequel il n’y aurait jamais eu une « force de frappe »
proprement française. « Je voulais venir voir le travail que vous
effectuez au service de la dissuasion nucléaire.
Par ma présence, comme chef des armées et au delà de vous, je confirme
l'engagement qui est le nôtre pour préserver ce qui est un élément essentiel de
notre sécurité, c'est à dire la dissuasion. Cette capacité, que nous devons
avoir à tout moment, de pouvoir utiliser une menace pour garantir la paix. Ce
que vous faites contribue à la préservation, et de notre statut de puissance
dans le monde, et en même temps vous nous permettez, de garantir la paix et la sécurité
des Français. (…) Et bien peu de nations peuvent disposer d'une dissuasion
totalement autonome et indépendante comme la nôtre. »
L’élection
de Valéry Giscard d’Estaing, le 19 Mai 1974 par 50,81% des suffrages exprimés
face à François Mitterrand, avait fait penser à l’abandon de deux des legs du
général de Gaulle : la dissuasion nucléaire, la non appartenance à
l’organisation intégrée du traité de l’Atlantique nord. Dans les huit jours de
sa prise de fonctions (le 27 Mai), il avait été testé par l’état-major faisant
procéder à des essais à Muroroa sans l’aval de l’Elysée, ni a fortiori du
conseil des ministres. Jean-Jacques Servan-Schreiber, directeur-fondateur de l’Express et
refondateur du parti radical, avait démissionné du poste de ministre des Réformes
qui lui avait été accordé dans le nouveau gouvernement.
Le 8
Novembre 1974, Valéry Giscard d’Estaing se rend à bord du Terrible – premier du
nom – puis va se recueillir sur la tombe du Général à
Colombey-les-Deux-Eglises.
Lundi 9 Juillet
2012
Du « Terrible » à Colombey,
l’itinéraire du Président
De Gaulle avait raison. Elu directement par le peuple,
donc « par-dessus tous les fiefs, les claculs et les partis pris »,
chargé par lui d’être « le garant de l’indépendance nationale, de
l’intégrité du territoire, du respect des traités » et d’assurer «
la continuité de l’Etat », le président de la République, quel que
soit son parcours précédent, en vient toujours à trouver les réalités et à en
répondre devant l’histoire.
Il a fallu près de cinq ans, les défis d’Henry
Kissinger et les réactions nationales de Michel Jobert pour que Georges
Pompidou revienne sur les engagements qu’il avait pris pendant sa campagne
présidentielle de 1969 et sur les facilités qui avaient suivi. Il faut moins de
six mois pour que Valéry Giscard d’Estaing parle soudain – à la coupée du Terrible – le langage de la France et le langage d’un
président au-dessus des partis, et qu’en toute logique, il aille alors
s’incliner devant une croix blanche, dans une obscure campagne, où l’attendait
« un vieil homme recru d’épreuves mais jamais lassé de guetter dans
l’ombre la lueur de l’espérance ».
Déjà la réunion de presse du 24 octobre avait tranché
au fond sur bien des légèretés des cent premiers jours tant attendus dans les
beaux quartiers dont le général Stehlin est député [1].
Lucide, la reconnaissance que le changement intervenant dans le monde depuis
que souffle l’aspiration des spoliés, est durable. Lucide, la constatation que
la théologie n’a jamais éclairci la question d’Europe. En continuité avec toute
la politique extérieure de la V°
République, le refus d’une confrontation entre consommateurs et producteurs de
pétrole, le refus de rejoindre le groupe des Douze, la reconnaissance de
l’autorité de Yasser Arafat, destinataire d’une des dernières lettres publiques
du général de Gaulle.
Le jugement présidentiel sur l’ « affaire
Stehlin » est de cette veine et l’authentifie. A propos des mêmes
questions de défense, Jean-Jacques Servan-Schreiber avait été démissionné
seulement pour des raisons de forme ; l’ancien chef d’état-major – lui –
est condamné pour des motifs de fond et à cette occasion le mot-clé
d’indépendance de notre force nucléaire est enfin prononcé, même s’il n’est pas
encore assez répété et assez souligné.
Le 24 octobre, le président définissait l’arme
atomique française « une force nucélaire stratégique visant la menace
nucélaire ou la menace sur notre sol » – ce qui suppose, de fait, une
utilisation libre de toute dépendance, mais il semblait, en même temps, en parlant
souvent d’une augmentation de nos forces conventionnelles, aller au-devant du
soihait constant depuis 1949 des autorités atlantiques, c’est-à-dire
américaines, que se renforce le seul potentiel classique des Etats européens.
Cette fois, le pas semble franchi : le président monte à bord d’un
sous-marin nucléaire ; s’il continue de parler de « moyens autonomes
de défense », il fait pour la première fois, et dans des circonstances
symboliques, porter le débat sur « la défense nationale indépendante de la France » ; surtout le
crédits nécessaires sont proposés au Parlement et la construction du sixième
sous-marin de notre panoplie nucléaire est autorisée.
Depuis, tout se passe donc comme si, épris de
cohérence formelle, sensible à la logique interne d’un raisonnement, Valéru
Giscard d’Estaing découvrait et faisait à mesure découvrir qu’il n’y a pas pour
la France une
alternative entre deux politiques extérieures ou deux politiques de défense.
L’alternative est d’avoir une politique ou de n’en avoir pas. Et cette
polirique qui est celle de l’indépendance est celle – la seule possible – dont
le général de Gaulle a redonné aux Français expérience et goût. Valéry Giscard
d’Estaing, à la sortie du Terrible et devant la tombe de Colombey, se place et
place les partis devant le défi de la logique :
– Les partis de gauche éveillent, certes, de nombreux
échos parmi les gaullistes quand ils rendent hommage à la volonté
d’indépendance du général. Mais ils ne feront oublier que c’est leur opposition
systématiques entre 1958 et 1969 qui a progressivement affaibli l’élan
gaulliste au profit de la masse conservatrice de droite, qu’en acceptant
carrément les conséquences de leur tardif hommage : cet hommage est
d’accepter sans plus barguigner les institutions et la force de dissuasion
nucléaire. A défaut, il semblerait, à la longue, qu’il s’agisse pour la gauche
davantage d’attirer des électeurs que de faire mieux que d’autres la politique
de la France.
– Le président de la République est au seuil
de son véritable itinéraire. Les tentatuves de révision constitutionnelle, les
illusions européennes, l’attentisme économique et social, appartiennent au
concurrent impatient des années 1966-1968 s’en prenant successivement à Georges
Pompidou puis au général de Gaulle, appartiennent aussi à l’allié des années
1968-1974 hésitant, dans son destin mais non dans son ambition (c’est-à-dire
rapetissant son propos et son image à cette aune.
Après avoir tant cherché à « dégaulliser »
le peuple, voilà qu’imprévisiblement le pouvoir, de lui-même, face aux
réalités, se « gaulliserait »… Nul doute qu’il lui faille du courage,
surtout vis-à-vis de ses amis. Il est temps, tandis que, de jour en jour,
s’aggrave la crise nationale et universelle.
Le Monde . 14 Novembre 1974
[1] - le
général Stehlin, ancien chef d’état major de l’armée de l’air (après avoir été
attaché militaire à Berlin avant 1940 puis interprété l’amiral Darlan sous
Vichy) venait de recommander au président Giscard d’Estaing l’achat d’avions de
combat américains en remplacement d’appareils français – je l’avais vivement
relevé dans les mêmes colonnes du Monde daté du 9 Novembre ; peu après, il
fut renversé par un autobus parisien et ne survécut pas 9 VII 12
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