Election
présidentielle 2012
observations
& réflexions
XI
Comment je vois et ressens chacun des dix candidats
Cette revue est subjective, elle n’est pas
une étude biographique, au plus est-elle un effort d’empathie pour une
meilleure compréhension. C’est un état daté de ce que je vois et ressens de
chacun des candidats. Je pourrais en écrire beaucoup plus car chacun se reflète
dans ce qu’il cherche, et une candidature est toujours une offrande à l’autre,
même si certaines ont les apparences de l’égotisme.
Avec chacun de ces candidates et candidats,
je serais disposé à ytravailler pourvu que ce soit au plus proche, selon
l’organigramme et le degré de discrétion que souhaiterait l’impétrante,
l’impétrant. Je crois au dialogue et à la possibilité de toujours re-fonder une
opinion, puis le projet d’une décision si sont dépassés les apriori et les
dogmes. A deux, à plusieurs on pense certainement plus juste qu’en solitude si
ce sont les esprits et non les volontés de puissance qui se rencontrent. Le
travail ensemble bâtit toujours.
L’ordre de la présentation est alphabétique.
Nathalie Arthaud
Je ne la
connais que de nom. Arlette Laguillier, pour laquelle j’ai constamment voté
depuis qu’elle se présente, ressassait à l’écran, en réunion publique pas très
achalandée (je la rencontrai ainsi pour une première fois place de l’Etoile, à
Strasbourg) ou à la grande salle de la Mutualité, à Paris, en y ayant emmené ma chienne,
flot rouge au collier, mais d’année en année, de campagne en campagne, le ton
restait juste parce que précisément la situation ne changeait pas. Je retenais
deux choses : la continuité d’une analyse datant d’un siècle et à laquelle
il n’était pas renoncé, puisqu’elle continuait de répondre du présent, la
proposition-répétition-réclamation d’une législation permettant aux salariés
d’une entreprise, et notamment ceux des services comptables, de dénoncer les
recels et abus. Il est avéré que dans une entreprise, les salariés et le comité
sont au moins autant que les dirigeants au fait des difficultés, y compris
commerciales et financières. Le gisement de l’imagination et des alternatives
est là. La revendication d’autogestion ou de prise du pouvoir n’est pas ou
n’est plus une révolte sociale ou seulement une soif de justice, elle peut être
la solution quand périclitent, par abandon, par esprit de système, par cupidité
les dirigeants. Mieux vaudrait venir à un partage et à un débat entre tous qu’à
cette disparition du sens des responsabilités que la crise met en évidence chez
beaucoup de « décideurs ».
Nathalie
Arthaud m’est apparu davantage de conviction que de doctrine, de fidélité à
elle-même et à ses compagnes et compagnons que de doctrine. J’ai été étonné
qu’elle défende si banalement l’objectivité de son enseignement de l’économie à
je ne ais quel niveau, alors qu’on peut apprendre à réfléchir, et à raisonner
sur des données tout en indiquant son propre cheminement. Mais elle a su dire
que ses élèves et étudiants sont par eux-mêmes des onbservateurs et des
censeurs de la réalité. Elle incarne donc, comme Philippe Poutou, davantage un
service commandé, la propagation d’une parole, qu’un parcours personnel. En
cela, elle est respectable et m’a ému. Sa sincérité est, médiatiqement, bien
plus difficile à mettre en difficulté que le vernis et la récitation des
professionnels de la politique et des plateaux de télévision.
François Bayrou
Il m’est
d’abord apparu, sa campagne et ses affichages en 2002, comme un ambitieux
déplacé. J’avais pourtant noté une présence active et adéquate – tranchant avec
les autres comportements gouvernementaux – pendant la crise de
Novembre-Décembre 1995, surtout un discours improvisé dans une université à
Toulouse. Il est courageux. Je l’avais entendu tenir tête aux chiraquiens
s’imposant la fusion du R.P.R et de l’U.D.F après quarante ans de pluralisme
dans les majorités qui ne s’avouaient pas encore de droite.
J’ai eu depuis
deux expériences de lui, elles sont très positives.
La première
est qu’il répond – parfois en ligne – aux messages courriels que je lui
adresse, notamment sur des sujets immédiats, ainsi la nomination
scandaleusement illégale et immorale de François Pérol à la tête du groupe
bancaire que depuis dix ans il organisait dans des positions personnelles
régaliennes, ainsi l’entretien que je lui ménage, sans y participer, avec la
veuve du fondateur d’un des Etats-clés de notre ancienne Afrique d’expression
française. Il est soucieux de s’informer directement.
La seconde est
en colloque ou séminaire. Récemment et à propos de nos institutions. Si le
discours public est convenu, rigide, le renvoi dos à dos des camps dominants,
la présence discrète mais chaleureuse dans les sous-groupes de travail est très
adéquate, le dire est précis, respectueux. Je comprends qu’au moment de sa
soudaine montée dans les sondages en Février-Mars 2007 il ait vu venir vers lui
une élite de hauts fonctionnaires et de praticiens comme jamais les partis et
les candidats n’en avaient attiré depuis Mendès France, de Gaulle et
Chaban-Delmas.
Malheureusement,
son électorat, la participation aux exercices qu’il propose n’a pas son audace,
son charisme et ressemble à celui de l’U.M.P., ce n’est pas « le
métro » évoqué par Malraux pour qualifier celui du général de Gaulle. Le
parcours du candidat est donc différent de celui de ses soutiens statistiques.
L’entre-deux-tours de l’élection en cours est essentiellement fait de cette
distinction. Le projet de refaire le pluralisme dans la droite de gouvernement
et de parlement est à terme encore plus utile au bien commun que l’exercice du
pouvoir présenté comme suprême. François Bayrou a cet empire sur lui-même.
En 2007,
l’évidence était que l’électorat de Ségolène Royal pouvait voter pour lui au
second tour, mais pas la réciproque, ce qui se vérifia puisque la candidate de
la gauche fut défaite.
La campagne
qui sans doute s‘achève pour lui aurait dû rester fidèle aux deux pétitions
fortes qu’il porte : l’exigence de moralité publique et donc la
dénonciation précise des écarts et des mensonges du président sortant, la
démonstration que notre démocratie réclame la représentation proportionnelle et
le vote blanc tandis que nos institutions sont désormais assez fortes pour ne
pas retomber dans le régime d’indécision et d’assemblée d’autrefois, assimilié
à tort à ce mode de scrutin.
Jacques Cheminade
C’est un
camarade de promotion à l’E.N.A. et à la direction des relations économiques
extérieures du ministère des Finances – direction détruite en 2005-2006 au
profit de celle du Trésor, et dont le réseau à l’étranger qui faisait tant
envie au Quai d’Orsay a été réduité à un simple conseil en analyse (même erreur
que celle de la suppression du Commissariat au Plan au profit d’un Conseil
d’analyse économique à Matignon, décidé par Lionel Jospin). D’abord au travail
dans le bureau suivant les questions agricoles, particulièrement techniques et
névralgiques, il est affecté à notre représentation permanente à New-York
(Nations Unies) et « tombe dans l’underground ». Je le perds de vue.
Il est sympathique et franc.
On lui prête
par son mentor Larouche beaucoup de moyens financiers, lui permettant d’acheter
les parrainages, mais ses dettes envers l’Etat au titre de sa candidature de
1995 n’ont pas été réglées, c’est donc qu’il ne le pouvait pas.
Il s’insurge
contre le système financier, boursier et bancaire qui nous mène tous à la perte
de chacun de nos repères et à la destruction des Etats, seul recours face à une
exploitation bien plus justiciable des analyses marxistes, que celle d’antan.
Il n’a pas de doctrine mais une vue prospective très respectable et qui aurait
pu séduire bien davantage, si elle était mieux connue : les questions
planétaires ne sont pas d’abord des institutions et des normes mais de la
recherche et une réflexion aux dimensions du cosmos. Ce n’est pas plus utopique
que de bâtir l’alternative à un système financier et bancaire qui a échoué.
Nicolas Dupont-Aignan
Je lui ai
donné ma voix, par une lettre très motivée, dès l’automne de 2010, par
sympathie profonde avec le courage d’avoir fait sécession de l’U.M.P. et d’en
avoir dénoncé le totalitarisme. Je suis en désaccord total avec sa proposition
de quitter l’euro. et les institutions européennes, au motif que leur ensemble
– dont la
Grande-Bretagne a refusé l’imbrication et la solidarité –
fonctionne mal. C’est parce que l’intergouvernemental l’a emporté depuis
2005-2007 sur un exercice de démocratie directe à l’échelle européenne que
l’Europe est aujourd’hui détestée par les siens et méprisée par le reste du
monde et par la finance. Toutes les analyses de mon candidat sur les possibilités
d’une France libre sont transposables et ne sont efficaces qu’à l’échelle
européenne. N’importe, je tiendrai parole dans l’isoloir… Sympathie, couple
marié, pas de maîtresse connue, évocation du Général, fraicheur.
Quel
avenir ? l’échec électoral est probable, l’endettement au titre d’une très
longue campagne puisque le mouvement qu’il a fondé Debout la
République a près de quatre ans, va être handicapant.
Deux écueils le guettent qui me feront lui retirer mon soutien mais non ma
sympathie personnelle. Une alliance avec le Front national – projet qui lui est
souvent prêté et dont je ne sais rien – pour les prochaines législatives. Un
soutien apporté à Nicolas Sarkozy pour le second tour.
Le chemin que
je voudrais lui voir parcourir serait de réclamer haut et fort publiquement,
mais surtout avec ce qu’il lui reste de relations à l’intérieur de l’U.M.P. des
assises du gaullisme à l’automne prochain, au lieu d’une nouvelle course au
contrôle du partu. C’est cette manière qu’avait choisi après sa défaite de 1974
François Mitterrand, elle lui permit de rallier le PSU et les chrétiens dits de
gauche : Daniel Mayer, Michel Rocard, Pierre Bérégovoy et Jacques Delors.
Afin que les relents de « gaullisme social » et les débuts d’une
culture démocratique dans un mouvement adonné au culte du chef depuis des
décennies soit enfin un outil de participation à la vie politique et un réel
conseil pour le pouvoir ou pour l’opposition.
François Hollande
Il est habile,
il a su traiter les questions difficiles de l’Europe, de la fiscalité, des
retraites en termes d’amodiations, d’ajouts, de correction de trajectoire. Ce
n’est ni l’idéologue ni le révolutionnaire dogmatique que souhaiteraient avoir
comme opposant la feuille officielle du président sortant et celui-ci : le
Figaro et Nicolas Sarkozy, n’espérant plus qu’un vote par défaut et sans
mémoire des cinq ans écoulés.
François
Hollande a su maintenir le Parti socialiste aussi bien dans le soutien, parfois
méritoire, à un certain immobilisme de Lionel Jospin pendant la troisième
législature de la gauche depuis 1958 : celle de 1997 à 2002. Il a su
maintenir le même parti dans les deux défaites de 2002 et de 2007. Le reproche
que je lui fais est sa séparation d’avec Ségolène Royal. Le couple au pouvoir
eût été parfait, l’élection d’une femme de gauche, de brio et de conviction,
d’élégance aussi eût parfaitement correspondu à l’image que le monde, à juste
titre, se fait de la France. Cette
rupture du couple qui avait fait ses classes dabs les mêmes écoles, de l’E.N.A.
à l’équipe de François Mitterrand à l’Elysée, a sans doute eu des raisons
intimes, mais une certaine jalousie de l’homme pour la femme qui le double a dû
malheureusement jouer. Il faut reconnaître que la femme est ces mois-ci très
bonne joueuse et soutient l’ex-compagnon autant que le candidat. Qu’elle y ait
intérêt c’est sûr, mais François Hollande y gagne. A mon sens, le pays aussi.
François
Hollande surprendra. Il n’est ni mou ni flou. Il est mitterrandien. Comme le
répétait Napoléon pendant les Cent-Jours : on verra après les batailles.
Sa faiblesse possible est celle des socialistes en général depuis Léon Blum
compris : ne pas s’appuyer carrément pour gagner et surtout pour
gouverner, sur le mouvement social, le susciter au besoin. S’il gagne, il aura
besoin du peuple pour s’imposer face à une opposition et à un perdant
particulièrement haineux, et face à une Europe dont la plupart des électorats
qui avaient viré à droite par xénophobie sont en train de se porter à gauche
(Pays-Bas, Tchéquie, Pologne et… nous) par révolte sociale.
Il est depuis
longtemps conscient de son possible destin, l’affirme sans doute trop, se
comporte aussi comme si… ce n’est pas son côté le plus attirant, mais c’est à
prendre ou à laisser, c’est peut-être aussi une manière de se structurer. J’ai
pu dès 1977 entretenir une relation tête-à-tête et une correspondance mutuelle
avec François Mitterrand jusqu’en 1994. Malgré mes demandes et quelques signes
les promettant, je n’ai pu l’obtenir de François Hollande. Naturellement, il
aura ma voix au second tour. Je ne l’aurais pas donnée à Dominique Strauss-Kahn
que je pressentais très vulnérable notamment vis-à-vis des Américains après
cinq ans passés parmi eux, mais j’avais été bien impressionné par un passage de
celui-ci en Avril 2011 sur une de nos chaînes publiques : ses analyses des
situations économiques et sociales de l’Europe étaient calmes, précises et de
bonnes dimensions. Je suis intervenu à l’Elysée et à l’ambassade américaine de
Paris pour que son sort soit plus respectueux de la dignité humaine. Mais il
s’avère certain que nous l’avons échappé belle grâce à l’incident du Sofitel.
La France a de telles
ressources dans le cœur et l’intelligence de la plupart de ceux qui, à
l’étranger, l’estiment que cette combinaison d’un candidat scandaleux et d’un
président psychopathe et pantomime ne nous a pas irréversiblement diminués. Ce
serait la confirmation par notre vote du second tour que nous avons à tout
prendre apprécié le premier quinquennat de Nicolas Sarkozy au point d’en
vouloir un second, qui serait désastreuse et signifierait que nous ne sommes
plus nous-mêmes, ou plutôt que nous sommes devenus autres.
Discutable sa
relation, d’un modèle trop courant dans la politique et le journalisme
d’aujourd’hui, avec celle dont j’espère qu’elle ne sera pas affublée de ce
titre hors Constitution et hors tradition : première dame.
Il a de la
volonté : un régime amaigrissant. Il peut tuer, mais se retient. Cela
s’est vu à l’automne dernier. Cameras habiles à filmer ceux qui regardent et
non plus celui, celle surtout qui parle : les primaires socialistes.
Eva Joly
Sa lettre à « chère
France », en clip de campagne, m’a ému. Elle a démontré, s’il en est
encore besoin, que les nouveaux venants au patriotisme et à l’appartenance, à
l’esprit français sont bien plus solide d’amour et d’intelligence que bien des
nantis parmi nous. La crânerie d’un port de lunettes ridicule au premier abord
m’ont chacune émue. L’écologie par extension d’une vue personnelle et
d’expérience de notre société, de ses cécités et des vices que nous tolérons.
Elle a eu le courage de ne pas jeter l’éponge malgré des sondages désastreux et
la critique de ses amis. Elle a su jeter au bon instant le relevé des graves
présomptions pesant sur l’honnêteté et la moralité, le civisme du président
sortant. Il est paradoxal que n’ait été traitée qu’en primaires socialistes
puis en caricatures la question de l’énergie nucléaire et de sa production, que
n’ait pas été abordé techniquement et financièrement celle de l’énergie
éolienne. Elle n’a malheureusement pas su camper l’autorité morale dont les
sujets écologiques, « environnementaux » – éminemment prospectifs
mais soumis plus que tous les autres, aux lois de l’urgence et à des choix
éthiques et sociaux – ont besoin. Depuis vingt ans se multiplient rencontres à
tous niveaux et de toutes sortes, traités, protocoles et propositions fiscales
sans que s’exprime une volonté générale et globalisante. La dimension cosmique,
moquée chez Jacques Cheminade, et la dimension de notre environnement, tour à
tour exploitée politiquement (le « Grenelle ») ou daubée, devraient
un programme commun à tous les partis. On en est loin.
Je souhaite
qu’Eva Joly soit notre prochaine garde des Sceaux, et que par elle les lois
pénales pensées et écrites par Robert Badinter puis Pierre Arpaillange aident à
inventorier et abroger l’empilement des textes répressifs depuis 2002 et
surtout depuis 2007, et que par elle aussi, soutenue par l’élu du 6 Mai
prochain, la justice aille au fond des affaires ayant vainement fait l’actualité
hebdomadaire du quinquennat qu’il y a lieu de juger, et de toutes celles qui en
politique depuis cinquante ans sont restées irrésolues, de la révision du
procès Pétain aux assassinats/suicides de Robert Boulin, de Pierre Bérégovoy et
d’autres. La raison d’Etat tue la démocratie.
Elle n’est pas
affectée, elle nous choisit, elle aime la France. Nous ne sommes pas son
tremplin, en campagne elle ne sait pas s’y prendre parce qu’elle ne s’y prend
absolument pas comme les autres.
Marine Le Pen
Le Front
national a eu deux chances. Celle des régionales de 1998 développées en
stratégie d’alliance avec le parti dominant la droite gouvernementale :
Bruno Mégret l’incarna. Celle d’une relève de génération, de présentation, de
moindre provocation médiatique : Marine Le Pen pouvait l’incarner. Elle le
promettait avec intelligence et force tandis que son père restait le candidat.
De même que celui-ci ne sut pas progresser d’une voix entre les deux tours de
2002, de même elle n’a pas su, dans cette campagne, devenir décisive au
contraire de quelques sondages qui la faisait, avant l’été dernier, éliminer du
second tour le président sortant. Ses efforts pour banaliser sa candidature,
sinon son mouvement – elle envisage maintenant d’en changer le nom selon le succès
ou pas d’alliances avec les « souverainistes » aux prochaines
législatives – ont échoué. Les partis extrêmes en France depuis un siècle ont
toujours su s’attirer le concours ou la caution d’écrivains notoires et d’élus
si solidement ancrés localement qu’ils peuvent refuser les investitures. La
droite « fasciste » des années 1930, le Parti communiste à toutes ses
époques et encnore aujourd’hui ont eu ces alliés ou ces sympathisants. Pas le
Front national. Le programme économique n’est pas superficiel.
Alors que
l’écologie devrait être la conviction et le souci de tout mouvement politique,
sans qu’il y ait à en étiqueter aucun en exclusivité, mais n’y parvient pas,
l’idéologie du bouc émissaire a au contraire réussi à pénétrer puis à
structurer le parti dominant à droite – par le principal de ses élus, le
président de la République. Le
Front national rend au président sortant le grand service d’exister et donc de
lui permettre de faire croire qu’il n’est pas lui-même de cette famille.
Je n’ai jamais
rencontré personnellement ni le père ni la fille. Je ne sais s’il est possible
d’échanger avec eux. Il est possible qu’une élection nominale à des
responsabilités exécutives ferait sortir de son cercle hérité l’actuelle
candidate des simplismes et des frustrations. Il ne dépend pas d’elle que la
sagesse nationale permette la représentation proportionnelle et que la logique
de l’U.M.P. si renégate – dans son discours actuel – du legs gaullien lui offre
de fusionner, puisque l’idéologie est la même et que le mandat à juger met en
œuvre depuis cinq ans, et surtout le discours de Grenoble, la plupart des
pétitions du Front national.
Je l’aurais
crue bien meilleure en campagne. Son score ne dépend que des électeurs. Ceux-ci
ne la déterminent pourtant pas. Les plus simples sont mystérieux, les bavards
ne disent rien. Elle participe de ces deux stypes de comportement public.
Jean-Luc Mélenchon
En séminaire
pour les jeunesses socialistes, réunies à Niort l’été de 1997, et auquel
j’assistais, il est passionnant, éblouissant de verve, de logique. Je l’ai
alors rencontré et pratiqué : en tête-à-tête il est précis et moins
égotiste. Il a la culture d’un élu local et la dialectique de l’extrême-gauche.
Voici que paradoxalement, c’est un socialiste qui va re-fonder le Parti communiste.
Arnaud Montebourg, plus restreint de registre, n’a pas osé aller sur cette
voie. Son score aux primaires lui permet tous les parcours si François Hollande
ne l’emporte pas cette fois-ci. Un Parti socialiste, réorienté à gauche, un
Parti communiste à nouveau charismatique face à une droite qui serait l’argent
et se déguiserait de moins en moins efficacement en porteuse de valeurs,
donneraient ensemble une bataille encore sans précédent en France : un
changement d’idéologie dominante par la voie électorale et parlementaire.
Jean-Luc Mélenchon est en effet le seul à proposer comme mode de retour à la
démocratie, non pas une présidence de la République s’en tenant aux textes et à la
pratique du général de Gaulle, mais l’élection d’une assemblée constituante.
Le candidat du
Front de gauche – en plus – a de l’humour et il a bien choisi son prédécesseur
pour les tréteaux : Georges Marchais, ce dernier avait de beaux yeux, se
prêtait à la caricature. Lui, ne vieillit pas mal et pourra même devenir
bonasse. Populiste, dialecticien, il va peser sur la vie politique française
tant que Dieu lui prêtera vie. Les votes en tout cas ne vont pas lui manquer.
Seul au pouvoir, il serait dangereux de comportement mais pas d’idées. En
collégialité et en débats sur l’exercice du pouvoir, ce qui devrait être le cas
à partir du 6 Mai prochain, il sera au meilleur de son utilité.
Philippe Poutou
Rien qu’un
moment, sur France 2, en émission
électorale, le même quart d’heure que les autres, mais le sourire, la
décontraction, l’évocation si vécue des copains, des discussions, des débats
qu’il me semble que chacun pourrait avoir du bonheur à trinquer ou à regarder
avec lui quelque sujet que ce soit, quelque spectacle ou à faire le point de
toute lutte. Votez comme vous combattez. Ce n’est pas de la conviction, ce
n’est pas une cause, c’est la vie à défendre ensemble, la vie pas au sens de la
bio-éthique manœuvrée par des intégraux (ce n’est pas péjoratif au contraire
d’intégristes) mais la vie au sens de la société hors de laquelle personne ne
survit.
Ouvrier
candidat, et il l’est vraiment : tel Albert (prénom ou nom seulement, on
ne saura jamais et qui a cherché à le savoir ?), dernier de la liste du
gouvernement provisoire publiée à l’Hôtel-de-Ville de Paris en Février 1848, Lamartine
en portant le drapeau.
Avantage pour
n’importe quel autre candidat, y compris Nathalie Artaud : en l’écoutant,
au physique de Jean Yanne et à l’authenticité de tout Français aux mémoires
ataviques du travail, de la grève, du syndicat, des rapports de force dans une
entreprise quand celle-ci va ou trop mal ou trop bien, on entend le résultat de
toutes nos démolitions de ces vingt ou trente dernières années, telles que nous
les avons laissé faire, à compter de la première cohabitation, quand au programme
de ce qui se revendiquerait désormais comme la droite, inscrivait la
privatisation de la poste et des chemins de fer (excessif à l’époque, surtout
pour les signataires, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac et en passe
d’etre réalisée aujourd’hui). Mais c’est dit avec le sourire parce qu’il reste
la chaleur humaine, partout sauf dans nos prisons surpeuplées (les
peines-plancher).
Qu’il ne pèse
rien, qu’il soit à peine l’homme-sandwich pas prétentieux, pas même un
porte-parole, c’est secondaire. Le prix de sympathie va à lui. L’élection est
un choix d’amour même s’il semble déplacé de l’écrire. N’est-ce pas
l’acceptation pour cinq ans d’une ambiance, d’une présence médiatique, d’un
système d’existence ? même si le
prochain président parvient à nous faire revenir sur les habitudes et
tolérances de ces cinq années-ci.
Son sourire,
en conclusion, comparé à celui du président sortant, le Président sortant de la
salle de ce spectacle en dix sketches, avant lui. Le sien lui ouvrait le visage
et venait des yeux, rieurs et complices, offerts. Celui de Nicolas Sarkzoy
était un jeu de lèvres découvrant la mâchoire serrée. Le premier remerciait et
disait une égalité foncière avec tous ceux du plateau et de la salle :
démocratie. Le chef de l’Etat, puisqu’une candidature à la réélection n’ouvre
pas d’office l’intérim de la fonction afin que tous soient à égalité, qu’un
bilan puisse se faire et qu’aucun abus de posssession d’état ne soit passible.
Le tricolore réservé à l’Etat et interdit à quelque candidat que ce soit. De
Gaulle en ballotage… le chef de l’Etat au contraire jouait les excuses,
l’humilité de l’élève devant un jury. Je crois Nicolas Sarkozy parfois penaud,
un Philippe Poutou comme il y en a encore beaucoup : jamais.
Nicolas Sarkozy
Donc : lui.
Habileté certaine, avoir défait des Pasqua et des Chirac, avoir deviné la
vénalité psychologique d’Edouard Balladur, et discernant que l’extrême rassuera
las modérés, s’être fait élire un peu là-dessus et se faire réélire
complètement là-dessus. Habileté : avoir établi dans l’esprit collectif
français, une amnésie quasi-générale pour tout bilan, pour toute alternative
dont pourtant le passé nous a donné l’expérienceséie
Je n’avais
aucun a priori contre lui en 2000-2002. Comme depuis le départ du général de
Gaulle en 1969, je cherchais quelqu’un de conviction et de mérite qui puisse
reprendre le legs de celui-ci. Cela me passa dès 1974 quand il apparut qu’aucun
des épigones du gaullisme ne produirait un nouveau personnage, pas forcément
hors du commun, mais d’audace intellectuelle et de pratique référendaire et
participative (c’est au centre, François Bayrou, ou à gauche, Ségolène Royal,
que ces thèmes ont retrouvé une expression). Je cherchai dès lors qui, ayant de
fortes chances d’arriver au pouvoir, aurait assez de liberté une fois parvenu
pour revenir au bon sens gaullien. Le député-maire de Neuilly, possible Premier
ministre, pouvait être de cette sorte. La correspondance fut passe-partout.
Dès son
élection présidentielle, quoique j’avais milité pour Ségolène Royal, répondant
parfois et personnellement à mes suggestions ou impressions de programme et de
campagne, je proposai à Nicolas Sarkozy des propos brefs et gouvernementaux. Je
le tentai à propos de l’Europe, de la démocratie, puis sollicitai de participer
en avant ou en arrière de la main aux travaux constitutionnels que je jugeais
cependant inopportun dans leur principe. Le retour à la responsabilité
présidentielle sanctionnée par la démission de celui qui revendique la
confiance populaire et ne l’obtient me paraît depuis 1969 la seule révision
efficace de nos manières de vivre les institutions de la Cinquième République.
L’Afghanistan,
le retour dans l’OTAN, cette révision constitutionnelle étaient autant de
motifs d’opposition. J’ai continué de courieller ou d’écrire à Nicolas Sarkozy
jusqu’à l’automne de 2011, lui suggérant à plusieurs reprises la manière de
reprendre la main pour lui et de faire gagner du temps et de la substance au
pays : anticiper l’élection présidentielle dès lors que la crise
« mondiale » appelait une relance européenne sans précédent et le
recours à des nationalisations et à des emprunts directs citoyens. Ou bien
former un gouvernement d’union nationale en référence aux nécessités et non à
la suite de son mandat.
J’ai donc
traité le président sortant comme notre premier magistrat dont la fonction doit
être respectée et susciter jusqu’au bout l’espérance. Dès 2005, j’avais été
choqué par l’insolence de Nicolas Sarkzoy envers Jacques Chirac présenté comme
un roi fainéant. J’ai deux reproches contre Jacques Chirac : avoir démoli
nos institutions par le quinquennat et son incrustation à l’Elysée malgré ses
défaites personnelles en 1997 et en 2005, avoir permis Nicolas Sarkozy à qui il
pouvait ou casser les reins en lui interdisant le gouvernement et le parti ou
dévoiler la véritable personnalité en lui confiant Matignon. Reproches non
exclusifs de ceux plus personnels : avoir laissé Robert Galley et Alain
Juppé payer à sa place, avoir inauguré une immunité viagère de droit et plus encore
de fait pour tout élu à la présidence de la République.
En Mars 2009,
j’ai surpris – par un éminent ami mauritanien, président démocratiquement élu
de son pays puis renversé par quelques colonels – Nicolas Sarkozy en mensonge
flagrant : il affirmait avoir téléphoné à l’infortuné au moment de sa
chute et n’avoir en revanche remarqué aucun mouvement qui ait soutenu sa
légitimité. Faute que mon ami s’abaisse à démentir, je m’en chargeai par tous
moyens, ma messagerie et celle de ma femme furent aussitôt ravagés et notre
téléphone longtemps placé sur écoûte.
Mes missives,
notes et courriels vont avoir leur éditeur. Les citoyens dirigés par un
autiste. Toute collectivité peut avoir ce caractère débilitant pour qui appelle
à l’intelligence ou au secours, mais précisément la politique, les
institutions, l’Etat secrètent le roi sous le chêne de Vincennes, le recours,
l’arbitre, le monérateur, le justicier, en fin de compte le bienfateur, car si
le pouvoir était continuellement bienfaisant, il faudrait préférer son autocratie
à la démocratie. Nicolas Sarkozy inspire cette réplique dans L’espoir :
je ne veux pas qu’on me dédaigne. Je crois qu’il l’inspire à presque tous les
Français, qu’il le sait puisqu’il a le regard si triste. L’omnipotence est une
compensation.
Puis, il y a
la grimace. Assistant, quai Conti, au cinquantenaire de notre Constitution, je
contemplait le spectacle en partie double des courtisans en habit vert de tous
les instituts et du chef de notre Etat mime sidérant de Louis de Funès, ne
contrôlant aucun de ses gestes et abaissant le discours censément le plus
solennel aux contre-vérités et à un ton, un vocabulaire, un dire lamentables.
La chasse aux Roms, incompréhensiblement pardonnée par Vivane Reding et Benoît
XVI achevèrent de me convaincre que la France n’a plus de représentant à sa tête depuis
bientôt cinq ans.
Rencontrerai-je
le personnage que je serai intimidé ? sans doute alors que je ne le fus
par aucun chef d’Etat étranger, par aucun ministre du général de Gaulle ou qui
que ce soit en exercice et pas par François Mitterrand, direct et proche s’il
en est à condition que ce soit en tête-à-tête. Le personnage déséquilibré et
sans structure ni culture, faute de père en affection et réelle acsendance, et
de mentor en politique faute que Jacques Chirac en ait eu l’exemplarité et
Edouard Balladur l’honnêteté intellectuelle et morale, est inexpugnable par
mépris de l’autre, obséquiosité devant ceux qu’il envie (les gens d’argent),
qu’il craint (un instant, Ségolène Royal dans le débat de l’avant-deuxième tour
de 2007 ou son homplogue chinois), qui le fuient (Cécilia…), la vie qu’il a
choisi de vivre par le forceps, le culot depuis ses dix-huit ans ou vingt ans
l’a rendu méchant. Comme tout autodidacte, il est totalitaire, impossible à
raisonner à moins de prendre ses propres défauts d’intolérance.
J’attends avec
intérêt les mémoires et les témoignages de Claude Guéant, de Christian Frémont,
de Xavier Musca, ses collaborateurs : en donneront-ils ? Témoignage
sur sa façon de travailler. Ce que chaque semaine, la presse, et notamment le
Canard enchaîné, confirme est le mépris avec lequel il traité ses plus proches
comme ses ennemis politiques, voire la plupart de ses homologues étrangers.
Dans d’autres époques, il eût été dictateur absolument : rien que la manière
dont pendant cinq ans, il s’est substitué aux ministres et d’abord au Premier,
au législateur à qui il dictait en dialogue télévisé avec des journalistes les
dispositifs à écrire et à voter, et surtout la revendication de bâtir sans
précédent sur table rase, tout en servant, comme par hasard, toujours les mêmes
intérêts et les mêmes positions sociales. Pis, à la tête d’une très grande
puissance il eût déclenché une guerre mondiale. Quant aux camps de rétention, à
la prison arbitraire, à l’espionnage, ils existent chez nous. Quant à la
réplique mensongère quand la question est frontale, elle est d’un homme qui a
évalué qu’aucun de ses contemporains n’a son culot.
Je renonce
volontiers à tout ce que je viens d’écrire en regardant mentalement le président
sortant, en considérant simplement que tous les six mois, et en couverture de
Match dernièrement, Nicolas Sarkozy a assuré qu’il changeait et – maintenant –
que réélu il serait « un président différent ». Donc inconnu, vierge
premier commencement.
J’ajoute
cependant qu’effectivement personne ne le connaître d’amitié, d’affection. Il
n’est pratiqué semble-t-il par son entourage, qu’exactement comme par tous les
Français : subi. Pourquoi ? question qui nous renvoit à nous-mêmes.
Je sais en quoi il a nui à la
France, mais ceux qui le soutiennent savent-ils pourquoi ils
le soutiennent ? par hostilité à qui ? à l’un ou l’autre de ses
compétiteurs dont aucun n’a exercé le pouvoir ?
Il nous a
appris à tolérer abus, immoralité, mensonge. A sa décharge, il est le résultat
de beaucoup de nos évolutions psychologiques récentes, elles-mêmes produites
par un tempérament national particulièrement vulnérable dès que se dissolvent
l’Etat et la nation, que l’outil de la démocratie et du service public est
diminué, moqué, mésestimé, que la comparaison ou le modèle étrangers l’emporte
sur la considération de nos expérience et de notre nature.
Bien mieux que
moi, ici, les anonymes collectifs du Figaro
et du Monde – Surcouf pour les
armées, Marly pour les diplomates, Calvignac pour le corps préfectoral – et
Jean-Noël Jeanneney, à la troisième génération de patriciens de la République (l’Etat
blessé) ont jugé l’œuvre, donc dit l’homme.
Alors,
« le bon choix », « les valeurs françaises », la reprise de
François Mitterrand : la lettre à tous les Français devenue lettre
au peuple français, mais introuvable quoique j’en ai fait la demande à
Jean-François Copé (la messagerie-contact direct pendant la campagne de 2007 ne
fonctionnait pas…), et le portrait de profil mais regard vers la droite, pour la France unie
regardée en 1988 depuis la gauche.
Bertrand Fessard de Foucault
dimanche 22 Avril 2012
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