mercredi 7 mai 2008

la question russe - note écrite le 4 novembre 1996

Mercredi 7 Mai 2008


Fonder la popularité de Poutine sur la hausse du niveau de vie par rapport à l’époque Eltsine voire Gorbatchev, est un contre-sens. Poutine est populaire parce qu’il correspond à l’image du pouvoir que se font les Russes depuis des siècles, et parce qu’il a largement enrayé le déclin international de Moscou. Le système a toujours fonctionné d’une manière autre que celle des organigrammes. Staline n’était que secrétaire général du Parti, sans aucune prérogative gouvernementale. Poutine a les services spéciaux et l’armée… et l’argent. Point décisif, il comprend parfaitement le rival-partenaire « occidental » : il aurait pu se maintenir, plébiscité par ses compatriotes, en révisant la Constitution pour se présenter une nouvelle fois, il a choisi le respect de la lettre de celle-ci. Manifestation d’intelligence et de force, le prochain mandat sera à nouveau le sien, s’il y avait la moindre difficulté avec Medvedev.
Voici, ce qu'à la suite de mon séjour de trente mois aux confins de l'ex-empire soviétique (le Kazakhstan où j'avais ouvert notre ambassade : Juin 1992.Février 1995), je proposais à la réflexion du Quai d'Orsay.

SUR LA QUESTION RUSSE









L'Occident, depuis des siècles, est responsable, bien plus que les pouvoirs régnant à Saint-Petersbourg puis à Moscou, de la manière dont se pose la question russe. Nous nous sommes généralement trompés sur la personne détenant réellement le pouvoir, sur l'assise durable ou non des détenteurs supposés du pouvoir, sur le degré d'emprise de la capitale sur les régions ; nous avons généralement adopté des attitudes à contre-temps, le cordon sanitaire et la quasi-belligérance quand il eût fallu reconnaître et négocier, l'ouverture sinon l'adoption et l'investissement quand il eût fallu rester circonspect. Nous persévérons depuis les changements nominaux de régime, nous parions régulièrement sur celui qui est en place et dont la visite fait valoir nos propres dirigeants : MM. GORBATCHEV puis ELTSINE. Nous nous définissons par rapport à une idée préconçue sur la Russie et son environnement, ou les vues qu'elle-même entretient sur son environnement.

Les résultats sont désastreux. Une puissance instable, donc dangereuse et imprévisible, a été susbtituée en grande partie par nous à une Union Soviétique dont les comportements internationaux étaient devenus prévisibles, qui était demanderesse d'insertion et de respectabilité, sinon de concours économique et financier.






La recherche de stabilité politique et économique s'inscrit dans un contexte d'instabilité psychologique et sociale
- une dépolititisation, une a-struturation sociale, un scepticisme des populations ex-soviétiques rendant incompréhensibles localement les principaux concepts occidentaux pourtant communément récités et encensés : démocratie, liberté, transparence ;
- un apauvrissement et une précarisation générale du fait du chômage, de l'inflation et de l'insignifiance du pouvoir d'achat des prestations versées, tous phénomènes proprement inouis après des décennies de stabilité nominale ; la première décennie BREJNEV passe pour un âge d'or ; l'après-guerre de la " grande guerre patriotique " victorieusement conclue au lancement du spoutnik a soudé une communauté inter-nationale, pluri-ethnique fière d'elle-même. Les ressortissants de l'ancien empire ne vivent cependant pas la même lecture d'une actualité désastreuse comme le firent les Allemands après 1945 : on est passé d'une apathie à une autre et l'obligation de vie collective n'a ici engendré que des individualismes et des mutismes forcenés ;
- le maintien des anciens préjugés à l'encontre des dirigeants locaux comme des "valeurs occidentales" ; le monde entier, proche ou lointain, est perçu comme totalement mensonger et "sans coeur" ;
- une relation ambigue avec l'argent et les signes extérieurs de richesse. Ne compte guère que l'immédiatement consommable. La société est trop précaire et l'environnement trop menaçant pour autoriser épargne, accumulation. L'ostentation est dans le vêtement ou l'alimentation ; tout le reste doit demeurer secret, dissimulé, bien gardé. La nomenklatura vivait derrière des murs et des barbelés, exactement comme les esclaves du goulag ;
- l'âme russe l'emporte sur la raison raisonnante. Les sentiments sont vêcus comme des faits, la parole est insuffisante pour exprimer un fait. On négocie et on s'accorde entre arrière-pensées qu'il faut avoir su deviner concordantes ou irréductibles chez le partenaire. Les échanges de discours sont un rite gastronomique, un jeu littéraire où l'on a plus de considération pour soi que pour l'autre mis au défi de dire mieux ou autrement. Les accords sont le signe qu'une rencontre, une négociation a eu lieu, ils ne scellent rien et n'engagent à rien. En quoi le monde soviétique et l'empire russe fonctionnent en endogamie pour tout ce qui est relationnel ; le politique peut s'en trouver résolu, mais la libéralisation de l'économie et le contact, la négociation avec l'extérieur en sont compliquées. Avec Moscou, il faut bien davantage que des interprêtes ou des linguistes. Les autres Républiques pratiquent un double langage en ce qu'elles ont été, pour la quasi-totalité de leurs dirigeants actuels, formées au moule mental russe, mais aussi en ce qu'elles ont pu reprendre conscience de leur atavisme natif, souvent écrasé et méprisé par le colonisateur russe.





Des constantes sont apparues depuis 1992 qui rendent la re-construction de l'empire bien plus grosse de conséquences probablement dangereuses que n'en auraient recélées le maintien de l'Union Soviétique, ou de véritables indépendances des Républiques anciennement fédérées.
Ces constantes se ramènent à
- l'importance décisive d'une diaspora qui permet ou fonde l'ingérence de Moscou dans la vie politique intérieure des autres Républiques de l'ancienne Union, qui donne un moyen gratuit de chantage économique au départ des cadres et cerveaux et de chantage militaire au départ des gradés, qui vit en double appartenance mentale les indépendances des Etats où elle persiste à résider ; la religion orthodoxe a carrément conservé la centralisation moscovite que sa renaissance met au grand jour ;
- la priorité au redressement propre de la Russie-même au détriment de quelque solidarité que ce soit avec les autres Républiques de la C.E.I., ce qui a d'abord créé un vide, puis nourri une nostalgie et provoque maintenant un écart dans les capacités de redressement ;
- le refus d'une gestion démocratique ou fondée sur la mutualité des avantages et obligations pour ce qui devrait rester commun. Aucune des institutions communes de la C.E.I. n'a vraiment vu le jour ni fonctionné ;
- le maintien de relations économiques coloniales sans leur pendant en solidarité monétaire ou commerciale.
Chacune de ces constantes est belligène, parce qu'elle s'applique à des populations et à des sujets dont aucun n'est regardé ni géré selon nos manières occientales. Même si les conflits ne sont que juridiques, financiers ou monétaires d'apparence ou de dénouement et donc lisibles en termes qui nous sont habituels, l'enjeu sous-jacent est la survie d'identités nationales encore hésitantes dans leur expression et la projection de leur vocation internationle. Exception faite du mouvement des indépendances à l'automne de 1991, Moscou n'a plus subi aucune défaite à aucun propos dans ses relations avec les autres Républiques.




Nous n'avons pas réfléchi, et nous nous sommes encore moins concertés sur le point de savoir s'il était avantageux ou non que se reconstitue un empire sur les ruines de l'union Soviétique. Nous sommes restés au spectacle, faute de définition de nos propres intérêts et faute de considération que nous avions les moyens de les faire valoir et donc de favoriser, sinon d'imposer un certain cours à l'Histoire ; celle-ci ne laisse jamais longtemps une alternative ouverte.élc

Pour reconstituer l'empire, la Russie dispose d'atouts incontestés :
- l'analogie de mentalité et de comportement entre tous les dirigeants, toutes les institutions dans l'ensemble des Républiques ayant succédé à l'Union Soviétique ; en fait, une réelle communauté de "valeurs" et de craintes.
- le prestige de sa langue et de sa culture qui quelles qu'aient les persécutions ou les quasi-génocide des populations allogènes dans les années 1930 ou au temps des goulags des années 1950.1960, demeure tel que ce sont les journaux, les medias, les moeurs politiques et économiques de Moscou qui priment localement. Les institutions ne demeurent pas seulement dans la matrice des textes constitutionnels, administratifs et commerciaux de l'ancien temps, elles n'évoluent que sur le modèle de leur évolution à Moscou ; les coups de forces présidentiels contre les Parlements ont été concomitants, dès que le Président ELTSINE eût donné le ton en Septembre 1993, la violence des événements d'alors fut même un élément pour intimider ailleurs ceux qui auraient eu la velleité de contester la mise au pas (qui s'est faite partout avec un vocabulaire et des campagnes oratoires ou de presse, dignes du stalinisme). Moscou n'a pas passé durablement pour la métropole qui avait perdu la course à la modernité culturelle et au succès économique face à l'Occident, puisqu'il a été vite avéré que cet Occident eexporte drogue et chomage, bien plus que ses capitaux et la démocratie.
- la puissance relative de son économie et de son marché. Une complémentarité, mais à son avantage, de la plupart des chaines de production et des marchés en énergie, en haute technologie. L'Ukraine, la Biélorussie, le Kazakhstan ont sans doute des ressources minérales ou des sites stratégiques, parfois supérieurs ou décisifs, mais ils n'en ont qu'un segment de production ou d'exploitation, ils n'ont pas les débouchés, ils n'ont généralement pas de savoir-faire proprement national.
- son quasi-monopole de la force armée, des matériels sophistiqués, des cadres et des moyens de formation des cadres. Le maintien en structure unitaire et centralisée, ne jouant qu'en sa faveur, des principaux dispositifs de sécurité et de renseignements.
- l'absence d'alternative ouverte ailleurs, en faveur des nouvelles indépendances.

Mais Moscou avait des handicaps :
- les querelles de clan rendant sa direction politique suprême très incertaine, quoique pour des raisons et dans des circonstances successives depuis Décembre 1991,
- le souvenir des relations de force et de subordination,
- le défaut de cohésion territoriale dans la Fédération résiduelle,
- la crise budgétaire et financière périmant les principales industries privées d'investissement depuis 1988 ou 1989 et réduisant l'outil militaire,
- la logique même de ses milieux d'affaires préférant un repli, par opposition à celle des militaires conservant, plus ou moins ouvertement, leurs points d'appui en extra-territorialité pratique dans les autres Républiques,
- la vulnérabilité face à la Chine.




L'Occident dans son ensemble n'a pas su saisir l'opportunité de désarmer réellement l'empire russe, en contribuant à une indépendance réelle de ses composantes périphériques. Nous n'avons pas offert d'alternative, nous n'avons pas constitué une ouverture concrète et pratique aux autres Républiques : immédiatement en matière de sécurité et de commerce, à moyen terme pour la remise en marche et la revalorisation des outils industriels hérités de l'ancien système.
Les Républiques, d'abord poussées par Moscou, à leur émancipation qui soulageait l'ancienne métropole, en sont vite venues à désirer le retour à des liens avec celle-ci.

Une courte période - sans doute de 1992 à la fin de 1994 - a été gaspillée, qui offrait sur presque tous les plans des possibilités de décentraliser réellement l'ancien empire. L'affaire tchétchène a marqué la fin de cette période, en ce qu'elle a manifesté le retour de la confiance en soi à Moscou et donc le mépris de l'opinion des vassaux et de l'opinion internationale. Il aurait fallu et nous n'avons pas voulu :
- considérer pour elles-mêmes les signatures des principales Républiques autres que Moscou (les négociations sur la dette soviétique, sur le désarmement et la non-prolifération nucléaires),
- ouvrir nos marchés même à des prix nous paraissant de "dumping" (cas de l'aluminium et du manganèse, le blé),
- nouer des coopérations qui, sans exclure Moscou, auraient été pour le moins tripartites (l'espace, le nucléaire), auraient permis d'attendre avant de poser un diagnostic définitif et de choisir en connaissance de cause le partenaire à venir,
- garantir les frontières et les indépendances (ce fut demandé par l'Ukraine et le Kazakhstan) en susbtitut de la Russie, quelque temps face à la Chine (pour le Kazakhstan), concuremment avec la Russie à partir de l'automne de 1993 quand Moscou réaffirma ces garanties. Dans deux conflits, stratégiquement décisifs, l'Ukraine et le Kazakhstan ont été laissés seuls face à Moscou : la propriété de la flotte en Mer Noire, le statut de la Mer Caspienne et donc la propriété du pétrole,
- désenclaver au physique et au mental des Etats n'ayant pas de communication directe avec l'Occident (ce que tenta seule l'Organisation de Coopération Economique étendue à l'Asie centrale, mais sans moyens ni parrains) : question des oléoducs et gazoducs notamment depuis la Caspienne,
- favoriser ouvertement l'état de droit dans les Républiques (alors que les régimes en place sont de matrice communiste sans les correctifs de la collégialité qui était la norme ancienne. Les prérogatives pratiques du Parti unique sont devenues celles d'une unique personnalité : le Président de la République locale, qui par atavisme privilégie sa relation personnelle avec Moscou).
- investir réellement, et créer sur place au lieu de conseiller (sans risque ni implication) la privatisation d'outils périmés ou sans marchés.





Les raisons de cette attitude - que l'Histoire jugera très vite et sévèrement - sont simples :
- les dirigeants politiques occidentaux, chacun accaparés par des échéances domestiques, électorales ou sociales, n'ont pas fait d'analyse ni personnelle ni concertée avec leurs pairs,
- deux groupes de pression, au moins en France, ont joué un rôle décisif pour maintenir Moscou comme passage obligé de toute relation avec les autres Républiques : les russophones (souvent de naissance ou par mariage) plus pan-russes que les Russes eux-même en Russie ; les entreprises, publiques pour la plupart, qui avaient l'habitude humaine et intellectuelle de coopérations soviétiques ont tenu mordicus à maintenir Moscou comme unique interlocuteur, à dédaigner totalement les compétences territoriales s'exerçant sur les sites essentiels (Baïkonour et Semipalatinsk), craignant (à tort) qu'une autre attitude leur fasse "tout" perdre,
- des politiques nationales de certains de nos partenaires (et concurrents sur le théâtre post-soviétique) ont pu tenir lieu de politique occidentale. Les Allemands ont eu à gérer leur diaspora d'il y a deux siècles et demi, en accueillir une part, en fixer une autre part à coup d'aides et de subventions soit directement affectées aux populations germanophones notamment dans le nord du Kazakhstan, soit destinées à bien disposer les gouvernements locaux. Les Américains ont eu la hantise de la prolifération nucléaire (dont ils n'ont pas su analyser les possibles origines occidentales : allemandes notamment) et en finançant les démantèlements dans les trois Républiques dites nucléaires autres que la Russie, ont en fait acquis un quasi-monopole mondial de matière fissile. Les Turcs ont cru revenu le rêve, n'en ont pas eu les moyens financiers et sont apparus (fâcheuse coincidence pour eux, à quelques années près) comme des propagateurs possibles de l'intégrisme musulman, sans présenter pour autant les ouvertures stratégiques propres à l'Iran,
- des dispositifs multi-nationaux à peine cosmétiques. Retard de maturité pour le fonctionnement de la B.E.R.D et flou dans les doctrines d'octroi de ses crédits. Absence de contenu des "partenariats" atlantiques.

Une question de portée mondiale a été gérée par la juxtaposition de politiques nationales, pour la plupart menées sur le banal modèle des relations bilatérales existant avec les Etats d'autres parties du monde.

Le cas exemplaire aura été la relation France-Kazakhstan. Les ouvertures les plus précises d'une coopération privilégiée furent faites par le Président NAZARBAEV au premier Ambassadeur que nous lui dépêchâmes ; elles portaient en Août 1992 sur le nucléaire et le spatial. Nous fûmes doublés avant même d'avoir entendu, sur le nucléaire, dès Novembre 1992 par la formule américaine de subvention au démantèlement, laquelle laissait cependant de l'espace pour des coopérations sur le site de Semipalatinsk. Nous refusâmes carrément quoique tacitement pour le spatial, aucun des accompagnements politiques de nos participations aux équipages lancés depuis Baïkonour ne fit l'étape d'Almaty à l'aller ou au retour. La balle revint une fois encore en Février 1994 ; il ne s'agissait plus du monopole russe mais du monopole américain en métaux rares, un déjeuner à l'Elysée fut organisé au retour du Président NAZARBAEV de Washington, ce qui bloqua là-bas la négociation ; nous la laissâmes rebondir, distraitement. Nos intérêts pétroliers étaient dépendants d'une liberté d'évacuation des produits kazakhs ; nous ne sommes pas intervenus à propos du statut de la Caspienne ou dans les financements complexes (et moyen-orientaux) des oléoducs reliant celle-ci à la Mer Noire.


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La vacance du pouvoir et l'éventualité d'une succession à Moscou présentent une dernière opportunité.

Celle-ci se présente d'une manière particulière pour la France :
- la plupart des Occidentaux ont une influence propre et un intérêt à Moscou pour des raisons très concrètes : le Japon à propos des îles d'Extrême-Orient et d'un éventuel chemin de fer transchinois, les Etats-Unis pour la sécurité nucléaire, l'Allemagne pour sa diaspora et l'ancienne Prusse Orientale sinon l'ensemble des Etats baltes. La France en est dépourvue sauf à propos du pétrole, ce qui ne la distingue pas,
- l'Union Européenne n'est pas perçue pour ce qu'elle est. Son élargissement à d'anciens satellites soviétiques est peçu comme une menace d'encerclement ou d'exclusion atlantiques. La communauté de vues avec la France se fonderait sur des a-priori la minorant : pays implicitement réservé à l'égard de l'entreprise européenne ; pays craignant l'avenir économique et l'Allemagne politique ; pays dont la mise à jour est aussi difficile et incertaine que celle de la Russie. Nos coopérations bilatérales ne sont plus des exceptions et ne déterminent plus une intimité exclusive ; la plupart de nos concurrents occidentaux ont les mêmes à leur actif, et en inventent d'autres. Nous ne sommes plus au temps du Général de GAULLE et de la percée technique et commerciale que nous valut une dialectique innovante.

Définir une politique française et contribuer à la définition d'un minimum d'analogie de comportement avec nos partenaires, notamment atlantiques, suppose d'identifier :
- les zones à risque (Caucase, Caspienne, Kaliningrad, Sakhaline, frontière Kazakhstan-Chine, capillarité afghane par le Tadjikistan),
- nos intérêts propres (pétrole, métaux rares et non-ferreux, francité de la langue étrangère et du nouveau système juridique, agro-alimentaire, aéronautique),
- nos interlocuteurs (dans l'environnement géographique : l'Iran, la Turquie, le Japon, la Chine, et à l'intérieur des Républiques : les medias indépendants, les entités autonomes, collectivités locales ou combinats, de préférence aux "nomenklaturistes" ou aux "mafieux"),
ce qui nous montre déjà une difficile conciliation avec l'ensemble des nos partenaires européens ou atlantiques, si nous privilégions, en même temps qu'eux la relation avec Moscou. Au contraire, si le choix est fait de donner autant de prix à nos autres relations déconcentrées et indépendantes de celles existant avec Moscou, la concertation est possible et fructueuse avec nos partenaires : un partage des tâches, une répartition des investissements humains ou économiques.

Nous ne devons pas privilégier la Russie, cela pour des raisons simples,
- absence d'intérêts concrets et permanents avec elle, contrairement à d'autres de nos partenaires (Allemagne, Etats-Unis, Japon),
- pas vraiment la masse critique permettant des dialogues égalitaires, alors que nous avons cette équivalence de poids, ou même une supériorité de poids avec les plus importantes des autres Républiques (Ukraine, Kazakhstan, Asie centrale),
- le contre-poids à l'Allemagne est à chercher dans la construction européenne et non plus dans un allié de revers qui, en ce siècle, a montré qu'il avait davantage partie liée avec les Germains qu'avec les Gaulois.

Au contraire, en jouant et en favorisant la pluralité dans l'ancien ensemble soviétique,
- nous exonérons les Etats d'Europe centrale de l'Est d'une trop forte pression russe (Roumanie, Pologne, Etats baltes),
- nous contribuons aux droits de l'homme dans chacune des Républiques et pesons pour une démocratisation des coopérations résiduelles dans l'ensemble post-soviétique (dont nous réduisons le nombre et l'intensité),
- nous mettons l'Union Européenne en meilleure posture pour choisir ceux en faveur de qui elle s'élargit,
- nous retrouvons une certaine attraction vis-à-vis de Moscou par la possession de quelques clés, précisément dans les directions où se reconstituerait l'empire.
Car considérer les autres Républiques n'est pas dédaigner Moscou ni la Russie, mais au contraire aider celle-ci à réagencer son propre environnement d'une manière moins coûteuse économiquement et moralement qu'actuellement ou dans l'ancien système. La Russie est en mal de conception de son propre avenir. Nous l'aidons avec une amitié bien comprise en lui évitant le retour au passé. Et nous correspondons certainement à l'opinion la plus avancée et dynamique des citoyens post-soviétiques.

Comme presque partout ailleurs dans le monde, c'est en se faisant valoir politiquement que la France peut être de nouveau considérée pour elle-même et frayer ainsi un certain chemin pour ses intérêts économiques. Le premier des Etats occidentaux qui aura su définir et pratiquer une attitude face à la succession soviétique aura - dans la perplexité ambiante - une grande puissance d'entraînement. Le démantèlement de l'empire oriental et la démocratisation des relations entre Moscou et ses colonies directes sont nécessaires : ils commandent en effet la sécurité de l'Europe centrale et occidentale, donc notre indépendance, puisque c'est cette sécurité-là qui peut seule diminuer notre tropisme persistant pour la garantie, sinon le protectorat des Etats-Unis./.


(BFF - 4.XI.96)

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