A l'automne de 2006, l'intelligence économique est en réorganisation, tant à Bercy qu'auprès du Premier ministre (secrétariat général de la Défense nationale). Je rencontre au ministère de l'Economie et des Finances, le directeur général du Trésor et de la Politique économique. Il a besoin d'un "urgentiste", et prenant un exemple me dit n'avoir aucune connaissance assurée sur la Chine. Je réfléchis aussitôt là-dessus et le lui écris.
Simples réflexions sur la Chine et nous
… points de départ
Des observations et réflexions fondatrices sur l’Amérique (les Etats-Unis) depuis Tocqueville -, des regards et constructions multiples sur l’Allemagne depuis Staël, relayée par notre école juridique avant et après la Grande Guerre (Carré de Malberg, Capitant, Bonnard) puis par le trio exceptionnel de nos jours (Rovan, Grosser, Ménudier) -, l’Angleterre depuis Montesquieu jusqu’à Siegfried -, mais la Chine ? hors l’exergue de Napoléon et les essais d’Alain Peyrefitte. Sans doute, des publications mais aucune qui structure l’opinion et notre intelligence de gouvernement. Du moins à ma connaissance.
Nous ne savons pas si c’est la puissance hégémonique de demain, si elle est agressive et expansionniste ce qu’elle n’a jamais été dans le passé (Tibet excepté). Nous découvrons – trimestre par trimestre – un aspect nouveau d’une sensationnelle montée en scène internationale : le marché pétrolier désormais gouverné par une autre demande et d’autres intérêts que ceux des Etats-Unis, le financement de la dette américaine et donc la tenue du dollar et donc l’ensemble monétaire mondial, la pesée déterminante sur la question coréenne et donc sans doute sur la nomination du prochain secrétaire général des Nations unies, et maintenant le sommet sino-africain dont ni les Etats-Unis ni l’Union européenne n’ont su imaginer le précédent chez eux… ni semble-t-il le prévoir utilement ces semaines-ci. Pendant des décennies, la question de Chine était un problème japonais puis soviétique, il a été transféré aux Américains, pour combien de temps encore ? et ceux-ci seront-ils à l’échelle ?
Notre ignorance pose autant de questions préoccupantes que la puissance-même de ce pays.
Une diaspora qui ne se dénationalise pas – à l’instar en général des diasporas de pays en phase totalitaire, les appuis allemands outre-Atlantique au régime hitlérien : exception, la diaspora russe – une dialectique pas encore déchiffrée entre le capitalisme sauvage (pour les personnes, les environnements, les concurrents de pays tiers, ce dernier aspect commençant de s’illustrer en France par un récent « désinvestissement ») et la dictature politique intérieure (avec sa balance dont nous n’avons jamais rien compris quand il y avait une version soviétique, pourtant plus étudiable, entre la collégialité et l’autorité d’une personne unique).
Donc pas de clé d’intellgence.
Et aucune stratégie. Car l’actuelle est faite de non-dits. La relation est – pour le public – lénifiante : conquête des marchés, accord sur la pacification des relations internationales, oubli total de ce que les valeurs ne sont absolument pas les mêmes et, en l’espèce, il ne s’agit pas que des droits de l’homme. En fait, l’embarras partout parce que l’émergence d’une puissance mondiale dans l’histoire universelle a eu généralement pour origine des guerres, donc des dates et du manichéisme. Nous assistons (nous ne participons pas… c’est là notre problème) à une émergence d’apparence non belligène, et précisément à l’occasion de la paix ambiante, guerres d’Irak et drame israëlo-palestinien à part. Une émergence qui n’est donc que puissance, et non pas enchainements de stratégies ou de « coups » comme l’Allemagne ou l’Union soviétique ou le Japon nous l’avaient démontré. Une puissance dont nous ne savons pas si elle tient au seul nombre ? à une organisation nationale très difficilement pénétrable ? à des effets de réseaux ? à une accumulation de capital ? à l’arsenal militaire et nucléaire ? à autre chose encore telle qu’une alternative profonde que le Tiers-monde qui continue d’exister ne l’attend plus des « Occidentaux ». Une puissance qui peut dominer donc sans guerre, sans violation du droit, sans invasion au sens habituel et historique du mot, presque sans le vouloir ?
Il est paradoxal que ce que l’on appelle – sans jamais la définir – la communauté internationale, s’acharne à organiser le libre-échange :mondial (au détriment principal de l’Europe et du seul acquis de la construction européenne : le tarif extérieur commun) et à empêcher deux Etats, à tout prendre très secondaire et possible à réduire à la première velléité de réelle agression : l’Iran et la Corée du nord, d’accéder à l’arme nucléaire, et ai laissé grandir une telle inconnue qui dispose, et pas d’hier, de tous les attributs de la super-puissance, sans chercher à l’élucider (à temps). Paradoxal aussi qu’à la chute de l’Union soviétique, les différents « services » dans la plupart des pays se soient ingéniés à trouver le nouvel ennemi dans un Islam voisin de nous humainement, stratégiquement et culturellement, voire religieusement – quoiqu’on dise trop rapidement le contraire, et n’aient pas « vu » la Chine. Du moins à ma connaissance. Ou alors on choisit comme ennemi ce qui paraît réductible et l’on se garde de désigner ce qui est trop fort ?
Ainsi posée, la question de Chine appelle une observation et des analyses autrement élaborées que jusqu’à présent : une vue beaucoup plus globale d’évolutions qui peuvent toutes la regarder. Ainsi l’entrée de l’Inde dans le jeu des grandes entreprises mondiales, ainsi le changement de Premier ministre au Japon sans doute beaucoup plus nationaliste et passéiste que son prédécesseur, ainsi les prodromes d’une économie post-pétrolière, ainsi les changements climatiques et les grandes endémies pour rester dans l’actualité, etc… à mesure des temps actuels. Elle appelle surtout une stratégie de précaution telle qu’un changement des données actuelles soit produit. Car les cartes actuellement étalées, et il en vient continuellement de nouvelles, ne sont pas assez lisibles et n’inspirent pas un jeu gagnant.
L’observation et l’analyse sont probablement affaires bilatérales. La mise en commun devrait n’être qu’européenne, en y incluant le Vatican. La connaissance de ce monde dans les années 1900 à 1940 a été surtout religieuse et consulaire. Certaines diplomaties y ont ancré leurs représentants pendant des décennies, l’Allemagne. Les expatriés aujourd’hui tournent trop vite. Toutes les méthodes pour le « rapport d’étonnement » donné par tout voyageur, expert, habitué ou touriste, ou autre encore seront mobilisées. Lire et écouter aussi. Les supports classiques, la « toile ». Les stages étudiants, les travaux universitaires à favoriser. Les amitiés personnelles avec la mise en expression d’un bien commun, peut-être de valeurs analogues.
L’analyse aussi de l’ombre portée. La coopération chinoise en Afrique ne date pas de ces années-ci. J’ai été le témoin fortuit de son début – puis de son exemplarité – en Mauritanie à partir de 1965. A l’évidence des qualités d’efficacité et de désintéressement que les aides française, européenne, américaine n’avaient pas, l’Union soviétique absente par manque de compréhension de ce continent. Des qualités de fidélité personnelle et d’Etat à Etat. L’entrée de Pékin aux Nations unies s’est faite par cette méthode et selon ces patientes amitiés. Une réelle intelligence des manières et des besoins de l’Afrique, un respect vrai autant que j’ai pu le voir et l’entendre (l’exceptionnelle amitié dont m’a honoré le président Moktar Ould Daddah, au pouvoir de l’origine moderne de l’Etat mauritanien en 1957 à 1978).
A la manière des Etats-Unis, de l’Union soviétique, il est probable que l’évolution de la Chine a son antidote interne. S’il doit y avoir une mûe pacifique, ce sera selon des facteurs endogènes. Alors que l’expérience européenne – les hégémonies française à la Révolution ou allemande de Bismarck à surtout Hitler – montre que les évolutions se font par rupture exogène, c’est-à-dire par écrasement militaire. Il faut donc favoriser cette antidote. Ce fut fait avec habileté pour l’Union soviétique : de Gaulle et Samuel Pisar, Willy Brandt aussi, les peuples satellisés surtout contribuèrent à ce qu’on ne laisse pas passer la perte de foi des dirigeants communistes dans leur propre système. Il est vital que cela se fasse pour les Etats-Unis en passe de devenir un Etat agressif, contredisant ses propres lois et valeurs, son héritage, et un régime fondamentaliste en sus de la tendance hégémoniste qui est la version contemporaine de l’isolationnisme. L’erreur serait de « supporter » la surpuissance américaine comme contrepoids éventuel à la Chine ; elle a déjà coûté tout son élan à l’entreprise européenne étranglée par le corset atlantique. Quelle est cette antidote ? Certainement, l’ouverture à d’autres valeurs accompagnant la pratique maintenant acquise du capitalisme. Le terrain d’essai est l’évolution russe : le contre-pouvoir qu’aurait pu être le capitalisme privé et individuel est réduit par l’actuel maître du Kremlin, les anciennes Républiques soviétiques fédérées sont regagnées petit à petit grâce à l’économie et aussi à la diaspora ; or, la Russie est demanderesse d’une relation intime avec l’Union européenne pour des raisons physiques et géographiques. Elle peut partager avec nous sa connaissance intime de cinquante ans du système politique et mental chinois. Mais si nous laissons se reconstituer une dictature à Moscou, nous ne parviendrons pas à donner aux Chinois la certitude que l’avenir est à la démocratie.
Le pendant de cette approche interne est d’avancer beaucoup plus vite vers l’organisation de la démocratie mondiale. L’ensemble du système des Nations unies n’est qu’un exécutif qui n’a de légitimité que les Etats. Les peuples et les questions d’intérêt évidemment commun : principalement la gestion et la protection prévisionnelles de la planète, ne sont pas dans le système actuel. La gouvernance mondiale est une relation entre des exécutifs s’étant approprié le pouvoir législatif universel et tâtonnant pour un pouvoir judiciaire international, jusqu’à présent doublement contestable (le refus américain de la Cour pénale internationale, le procès de l’ancien régime irakien : occasion de nouveaux martyres et d’un motif supplémentaire de haine envers les Etats-Unis). Or, le pullulement des organisations non gouvernementales, l’éveil manifeste d’une conscience mondiale de nos périls planétaires, les consensus apparus chez les peuples nonobstant le conformisme ou la timidité des gouvernements (affaires d’Irak, drame palestinien, acuité de la question des immigrations par exemple) rendent possible l’agencement juridique d’une expression d’un suffrage universel mondial. Une course de vitesse entre la domination de certaines puissances : Etats-Unis et Chine notamment, et la démocratisation des Nations unies, doit – impérativement – être gagnée par la conviction et la pratique démocratiques. Washington et Pékin ont en commun de ne pas s’attacher à une démocratie mondiale, les Etats-Unis parce que ce serait risquer leur hégémonie, la Chine parce qu’elle n’en est pas encore là et que le système en pratique, y compris la dominance américaine, lui convient parfaitement, à preuve sa montée accélérée en puissance.
Autant d’ailleurs exprimer ces interrogations, ces doutes et ces demandes de comprendre et d’évaluer… à l’objet-même de l’investigation. Il est probable que les Chinois n’en seront pas étonnés, et d’une certaine manière se prêteront à l’exercice. Si énormes soient leur pays et leur histoire, ils n’aiment pas être seuls. Plutôt qu’ils formulent par eux-mêmes – et peut-être pour eux-mêmes seulement – le modèle du monde qu’ils veulent, formuler le nôtre en le dialoguant avec eux pourrait produire la synthèse qu’il est salubre d’ambitionner. Il est probable qu’ainsi nous apprendrons beaucoup, non seulement sur la Chine, mais sur nous-mêmes, et que peut-être ce modèle pour être commun, sera plus riche que celui que nous peinons à exprimer et surtout à appliquer. Nous ne serons plus entre quelques-uns – comme si le monde était resté comme avant 1914 l’Europe et l’Amérique – mais deviendrons capable de changer oreille et regard sur le monde entier, l’actuel. Dépaysement et mûe de notre part pour arriver à ce que d’autres vivent leurs ambitions (et leurs charges…) en intelligence profonde avec nous./.
BFF – 5.6 Novembre 2006
… points de départ
Des observations et réflexions fondatrices sur l’Amérique (les Etats-Unis) depuis Tocqueville -, des regards et constructions multiples sur l’Allemagne depuis Staël, relayée par notre école juridique avant et après la Grande Guerre (Carré de Malberg, Capitant, Bonnard) puis par le trio exceptionnel de nos jours (Rovan, Grosser, Ménudier) -, l’Angleterre depuis Montesquieu jusqu’à Siegfried -, mais la Chine ? hors l’exergue de Napoléon et les essais d’Alain Peyrefitte. Sans doute, des publications mais aucune qui structure l’opinion et notre intelligence de gouvernement. Du moins à ma connaissance.
Nous ne savons pas si c’est la puissance hégémonique de demain, si elle est agressive et expansionniste ce qu’elle n’a jamais été dans le passé (Tibet excepté). Nous découvrons – trimestre par trimestre – un aspect nouveau d’une sensationnelle montée en scène internationale : le marché pétrolier désormais gouverné par une autre demande et d’autres intérêts que ceux des Etats-Unis, le financement de la dette américaine et donc la tenue du dollar et donc l’ensemble monétaire mondial, la pesée déterminante sur la question coréenne et donc sans doute sur la nomination du prochain secrétaire général des Nations unies, et maintenant le sommet sino-africain dont ni les Etats-Unis ni l’Union européenne n’ont su imaginer le précédent chez eux… ni semble-t-il le prévoir utilement ces semaines-ci. Pendant des décennies, la question de Chine était un problème japonais puis soviétique, il a été transféré aux Américains, pour combien de temps encore ? et ceux-ci seront-ils à l’échelle ?
Notre ignorance pose autant de questions préoccupantes que la puissance-même de ce pays.
Une diaspora qui ne se dénationalise pas – à l’instar en général des diasporas de pays en phase totalitaire, les appuis allemands outre-Atlantique au régime hitlérien : exception, la diaspora russe – une dialectique pas encore déchiffrée entre le capitalisme sauvage (pour les personnes, les environnements, les concurrents de pays tiers, ce dernier aspect commençant de s’illustrer en France par un récent « désinvestissement ») et la dictature politique intérieure (avec sa balance dont nous n’avons jamais rien compris quand il y avait une version soviétique, pourtant plus étudiable, entre la collégialité et l’autorité d’une personne unique).
Donc pas de clé d’intellgence.
Et aucune stratégie. Car l’actuelle est faite de non-dits. La relation est – pour le public – lénifiante : conquête des marchés, accord sur la pacification des relations internationales, oubli total de ce que les valeurs ne sont absolument pas les mêmes et, en l’espèce, il ne s’agit pas que des droits de l’homme. En fait, l’embarras partout parce que l’émergence d’une puissance mondiale dans l’histoire universelle a eu généralement pour origine des guerres, donc des dates et du manichéisme. Nous assistons (nous ne participons pas… c’est là notre problème) à une émergence d’apparence non belligène, et précisément à l’occasion de la paix ambiante, guerres d’Irak et drame israëlo-palestinien à part. Une émergence qui n’est donc que puissance, et non pas enchainements de stratégies ou de « coups » comme l’Allemagne ou l’Union soviétique ou le Japon nous l’avaient démontré. Une puissance dont nous ne savons pas si elle tient au seul nombre ? à une organisation nationale très difficilement pénétrable ? à des effets de réseaux ? à une accumulation de capital ? à l’arsenal militaire et nucléaire ? à autre chose encore telle qu’une alternative profonde que le Tiers-monde qui continue d’exister ne l’attend plus des « Occidentaux ». Une puissance qui peut dominer donc sans guerre, sans violation du droit, sans invasion au sens habituel et historique du mot, presque sans le vouloir ?
Il est paradoxal que ce que l’on appelle – sans jamais la définir – la communauté internationale, s’acharne à organiser le libre-échange :mondial (au détriment principal de l’Europe et du seul acquis de la construction européenne : le tarif extérieur commun) et à empêcher deux Etats, à tout prendre très secondaire et possible à réduire à la première velléité de réelle agression : l’Iran et la Corée du nord, d’accéder à l’arme nucléaire, et ai laissé grandir une telle inconnue qui dispose, et pas d’hier, de tous les attributs de la super-puissance, sans chercher à l’élucider (à temps). Paradoxal aussi qu’à la chute de l’Union soviétique, les différents « services » dans la plupart des pays se soient ingéniés à trouver le nouvel ennemi dans un Islam voisin de nous humainement, stratégiquement et culturellement, voire religieusement – quoiqu’on dise trop rapidement le contraire, et n’aient pas « vu » la Chine. Du moins à ma connaissance. Ou alors on choisit comme ennemi ce qui paraît réductible et l’on se garde de désigner ce qui est trop fort ?
Ainsi posée, la question de Chine appelle une observation et des analyses autrement élaborées que jusqu’à présent : une vue beaucoup plus globale d’évolutions qui peuvent toutes la regarder. Ainsi l’entrée de l’Inde dans le jeu des grandes entreprises mondiales, ainsi le changement de Premier ministre au Japon sans doute beaucoup plus nationaliste et passéiste que son prédécesseur, ainsi les prodromes d’une économie post-pétrolière, ainsi les changements climatiques et les grandes endémies pour rester dans l’actualité, etc… à mesure des temps actuels. Elle appelle surtout une stratégie de précaution telle qu’un changement des données actuelles soit produit. Car les cartes actuellement étalées, et il en vient continuellement de nouvelles, ne sont pas assez lisibles et n’inspirent pas un jeu gagnant.
L’observation et l’analyse sont probablement affaires bilatérales. La mise en commun devrait n’être qu’européenne, en y incluant le Vatican. La connaissance de ce monde dans les années 1900 à 1940 a été surtout religieuse et consulaire. Certaines diplomaties y ont ancré leurs représentants pendant des décennies, l’Allemagne. Les expatriés aujourd’hui tournent trop vite. Toutes les méthodes pour le « rapport d’étonnement » donné par tout voyageur, expert, habitué ou touriste, ou autre encore seront mobilisées. Lire et écouter aussi. Les supports classiques, la « toile ». Les stages étudiants, les travaux universitaires à favoriser. Les amitiés personnelles avec la mise en expression d’un bien commun, peut-être de valeurs analogues.
L’analyse aussi de l’ombre portée. La coopération chinoise en Afrique ne date pas de ces années-ci. J’ai été le témoin fortuit de son début – puis de son exemplarité – en Mauritanie à partir de 1965. A l’évidence des qualités d’efficacité et de désintéressement que les aides française, européenne, américaine n’avaient pas, l’Union soviétique absente par manque de compréhension de ce continent. Des qualités de fidélité personnelle et d’Etat à Etat. L’entrée de Pékin aux Nations unies s’est faite par cette méthode et selon ces patientes amitiés. Une réelle intelligence des manières et des besoins de l’Afrique, un respect vrai autant que j’ai pu le voir et l’entendre (l’exceptionnelle amitié dont m’a honoré le président Moktar Ould Daddah, au pouvoir de l’origine moderne de l’Etat mauritanien en 1957 à 1978).
A la manière des Etats-Unis, de l’Union soviétique, il est probable que l’évolution de la Chine a son antidote interne. S’il doit y avoir une mûe pacifique, ce sera selon des facteurs endogènes. Alors que l’expérience européenne – les hégémonies française à la Révolution ou allemande de Bismarck à surtout Hitler – montre que les évolutions se font par rupture exogène, c’est-à-dire par écrasement militaire. Il faut donc favoriser cette antidote. Ce fut fait avec habileté pour l’Union soviétique : de Gaulle et Samuel Pisar, Willy Brandt aussi, les peuples satellisés surtout contribuèrent à ce qu’on ne laisse pas passer la perte de foi des dirigeants communistes dans leur propre système. Il est vital que cela se fasse pour les Etats-Unis en passe de devenir un Etat agressif, contredisant ses propres lois et valeurs, son héritage, et un régime fondamentaliste en sus de la tendance hégémoniste qui est la version contemporaine de l’isolationnisme. L’erreur serait de « supporter » la surpuissance américaine comme contrepoids éventuel à la Chine ; elle a déjà coûté tout son élan à l’entreprise européenne étranglée par le corset atlantique. Quelle est cette antidote ? Certainement, l’ouverture à d’autres valeurs accompagnant la pratique maintenant acquise du capitalisme. Le terrain d’essai est l’évolution russe : le contre-pouvoir qu’aurait pu être le capitalisme privé et individuel est réduit par l’actuel maître du Kremlin, les anciennes Républiques soviétiques fédérées sont regagnées petit à petit grâce à l’économie et aussi à la diaspora ; or, la Russie est demanderesse d’une relation intime avec l’Union européenne pour des raisons physiques et géographiques. Elle peut partager avec nous sa connaissance intime de cinquante ans du système politique et mental chinois. Mais si nous laissons se reconstituer une dictature à Moscou, nous ne parviendrons pas à donner aux Chinois la certitude que l’avenir est à la démocratie.
Le pendant de cette approche interne est d’avancer beaucoup plus vite vers l’organisation de la démocratie mondiale. L’ensemble du système des Nations unies n’est qu’un exécutif qui n’a de légitimité que les Etats. Les peuples et les questions d’intérêt évidemment commun : principalement la gestion et la protection prévisionnelles de la planète, ne sont pas dans le système actuel. La gouvernance mondiale est une relation entre des exécutifs s’étant approprié le pouvoir législatif universel et tâtonnant pour un pouvoir judiciaire international, jusqu’à présent doublement contestable (le refus américain de la Cour pénale internationale, le procès de l’ancien régime irakien : occasion de nouveaux martyres et d’un motif supplémentaire de haine envers les Etats-Unis). Or, le pullulement des organisations non gouvernementales, l’éveil manifeste d’une conscience mondiale de nos périls planétaires, les consensus apparus chez les peuples nonobstant le conformisme ou la timidité des gouvernements (affaires d’Irak, drame palestinien, acuité de la question des immigrations par exemple) rendent possible l’agencement juridique d’une expression d’un suffrage universel mondial. Une course de vitesse entre la domination de certaines puissances : Etats-Unis et Chine notamment, et la démocratisation des Nations unies, doit – impérativement – être gagnée par la conviction et la pratique démocratiques. Washington et Pékin ont en commun de ne pas s’attacher à une démocratie mondiale, les Etats-Unis parce que ce serait risquer leur hégémonie, la Chine parce qu’elle n’en est pas encore là et que le système en pratique, y compris la dominance américaine, lui convient parfaitement, à preuve sa montée accélérée en puissance.
Autant d’ailleurs exprimer ces interrogations, ces doutes et ces demandes de comprendre et d’évaluer… à l’objet-même de l’investigation. Il est probable que les Chinois n’en seront pas étonnés, et d’une certaine manière se prêteront à l’exercice. Si énormes soient leur pays et leur histoire, ils n’aiment pas être seuls. Plutôt qu’ils formulent par eux-mêmes – et peut-être pour eux-mêmes seulement – le modèle du monde qu’ils veulent, formuler le nôtre en le dialoguant avec eux pourrait produire la synthèse qu’il est salubre d’ambitionner. Il est probable qu’ainsi nous apprendrons beaucoup, non seulement sur la Chine, mais sur nous-mêmes, et que peut-être ce modèle pour être commun, sera plus riche que celui que nous peinons à exprimer et surtout à appliquer. Nous ne serons plus entre quelques-uns – comme si le monde était resté comme avant 1914 l’Europe et l’Amérique – mais deviendrons capable de changer oreille et regard sur le monde entier, l’actuel. Dépaysement et mûe de notre part pour arriver à ce que d’autres vivent leurs ambitions (et leurs charges…) en intelligence profonde avec nous./.
BFF – 5.6 Novembre 2006
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