dimanche 11 mai 2008

Inquiétude & Certitudes - jeudi 1er mai 2008

Jeudi de l’Ascension (1er Mai) 2008

Prier… [1] les disciples doutent encore, certains d’entre eux sans que l’évangéliste disent lesquels. Quand ils le virent, ils se proternèrent, mais certains eurent des doutes. Ils voient mais ils doutent, donc ils doutent. Notre vie intérieure arrangée avec elle-même, mais le fait de la présence de Dieu, quand il nous devient sensible – ce qui peut arriver, nous arriver – est déconcertant. Attendu, prié, espéré mais bouleversant. Jésus a donné un point de rencontre, y a-t-il un précédent, d’ordinaire c’est lui qui vient à ses disciples, ou bien ceux-ci le cherchent et le trouvent. Là, il y a un rendez-vous, on y va, on se déplace mais il n’y a pas spécialement à chercher. Jésus a choisi un lieu, d’ordinaire il choisit un moment. De lieu que ceux prescrits par les Ecritures : Bethléem ou le Temple, le Cénacle aussi a été choisi. Résumé d’un enseignement. Toute puissance de Celui qui envoie, De toutes nations faites des disciples… et comment et en quoi… et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Ce qui peut parler à nos sensibilités. C’est la force même, le pouvoir, la vigueur qu’il a mis en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts. Nature de la toute puissance du Christ, une puissance reçue : tout pouvoir m’a été donné, et destin-signification de l’Eglise, sens profond de l’évangélisation et de la mission des disciples : l’Eglise est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude. Un Christ qui reçoit, il obéit à Dieu son Père et se donne aux hommes. Il en reçoit même sa résurrection, et de la Vierge Marie, il reçoit sa chair.Voeu tranquille de l’apôtre, non pas que son enseignement, ses textes et prédications se propagent, mais qu’une rencontre personnelle se fasse : frères que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un. Esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment. Récit de la conclusion humaine de la vie du Christ : vous serez mes témoins jusqu’aux extrêmités de la terre… Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. Image qui se complète de la même iconographie que le tombeau vide : les anges donnant le sens de ce qui se voit et n’est pas compris. Les dernières instructions du Christ sont données dans l’Esprit saint. Cette fête de l’Ascension, austère, bonne pour les peintres, ne se prête qu’à notre agenouillement silencieux, et pourtant elle est une mise en mouvement total, nous en savons assez, nous avons à le dire à autrui. Ce qui aujourd’hui passe par l’exemplarité bien plus que par le texte. Le mien – adressé d’abord à moi-même – n’est que proposition de partage au passant ou à l’intime, également inconnus, selon notre commune condition humaine.

Le Canard enchaîné (daté du mercredi 30 Avril, n° 4566) donne deux scènes de la vie gouvernementale ahurrissantes : le dialogue Nicolas Sarkozy – Christian Estrosi devant une quinzaine de témoins à l’héliport de Monaco, et la première participation de Rachida Dati, cumularde exemplaire, au Conseil de Paris. La honte d’être représenté et gouverné par de tels gens, ne cherchant pas même à se masquer un peu par pudeur.

Tout autre… Pierre Bérégovoy, sa mémoire. Je commence de rédiger mon souvenir de lui (1983 à 1993). Quinze ans.

Le 1er Mai 1993, j’étais à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, en cure d’une éventration avec occlusions intestinales pour conclure : vie harrassante du premier ambassadeur de France au Kazakhstan, arpentant en voiture sa circonscription grande comme sept fois la France. Par la télévision, je suivis l’incohérence des nouvelles de la fin de l’après-midi, puis dans les jours qui suivirent, je vis la foule faisant queue du boulevard de Port-Royal jusqu’à la chapelle mortuaire : le troisième tour gagnant d’élections législatives aussi désastreuses que prévu depuis au moins deux ans, j’entendis enfin le commentaire haineux de Pierre Méhaignerie, à l’époque tout nouveau garde des Sceaux (quand on est un homme politique, on a ses nerfs) et le témoignage exceptionnellement vêcu et chaleureux de Raymond Barre (l’inévitable dépression quand on est dételé). Sur le moment, je ne rédigeais rien (je n’avais pas pris l’habitude que me firent prendre Maurice Couve de Murville et Michel jobert, d’écrire sur le coup mon dernier dialogue avec quelqu’un qui vient de partir et que j’ai connu, aimé, estimé). Je le fais ce soir – avant de relire un livre sur celui qui venait d’être Premier ministre, un mois à peine avant de mourir, de poursuivre un second, et d’entreprendre un troisième dont ma femme et moi connaissons l’auteur. Je pensais retrouver cependant des pensées et ma prière de l’époque dans le journal que je tiens depuis l’été de 1964, mais je tombe sur ces lignes : entre ces notes du petit matin du jeudi 29 Avril et celles de ce vendredi soir 7 Mai 1993, je n'ai pu en prndre sur ordinateur, tant j'étais fatigué, ou dans la simple nasse de la douleur. Peut-être y insérerai-je a posteriori la transcription ou un certain développement de ce que j'ai continué de griffonner sur mon carnet manuscrit - alors vert - mais ces griffons ont été surtout des indications d'horaires. On n'écrit pas l'expérience de la douleur physique, tant celle-ci nous unifie et nous dépossède au point de n'avoir plus d'autre pensée ou actvité possibles - pas seulement physiquement mais mentalement.

Ainsi ai-je accompagné l’homme dont je veux témoigner maintenant – quinze ans après… Par téléphone, de mon lit, je demandai à mon attaché militaire, à l’époque colonel Guy Bouchaud, de faire mettre pour la semaine le drapeau de la chancellerie en berne, d’ouvrir un registre de condoléances devant l’une des deux photographies – dédicacées par mon éminent ami – et que j’avais sur mon bureau d’ambassadeur, jouxtant le portrait de ma mère. Notre ambassade au Kazakhstan fut la seule à porter ainsi le deuil et à le faire partager localement. Un de mes collègues – en Estonie – demanda des instructions : il fut le seul et ne reçut pas de réponse. Je voulus, à mon rappel en France, porter le registre à Madame Bérégovoy, mais mes papiers de travail, dont le cahier avait fait partie, me furent entretemps confisqués. J’en obtins le tri et finalement l’hommage d’une ambassade et des autorités, du peuple auprès desquels elle avait été accréditée parvint à la destinataire par pli d’un protocole anonyme, plus de trois ans après les faits.

Pour commencer de l’évoquer, je n’hésite pas : l’honnêteté… à la fois parce que cela respire de lui au mental et au pratique, et parce que cela lui fut contesté à une époque de sa vie que personne, et pas lui, ne savait être déjà la fin de sa vie. Et… la proximité, puisque je l’ai éprouvé de lui, attentif, délicat, permanent, pérenne, et qu’il m’est apparu dès sa mort qu’il en avait le don. La proximité, secret et moyen de son honnêteté dans un milieu où l’occasion fait précisément le larron. Larron, qu’il ne fut jamais en parole ou en acte. Je commence ainsi puisqu’il fut véhiculé dès le soir de sa mort, qu’il avait « mis fin à ses jours » parce que cette honnêteté avait été mise en doute, en campagne de presse et en commentaires.

Tout est précis, définitivement, dans ma mémoire de Pierre Bérégovoy, sauf ce qui me fit lui écrire une première fois et dans quelles circonstances ; je pensais que ce fut dès son entrée au gouvernement en 1983, à la suite d’élections municipales, marquant un net revers de la majorité qu’avait obtenu la gauche en 1981. François Mitterrand avait commencé de me recevoir en tête-à-tête, place du palais-Bourbon, puis rue de Bièvre, enfin rue de Solférino depuis six ans et après dix-huit mois où le fil s’était rompu, où André Rousselet me gratifiait de lettres manifestement circulaires pour me remercier de courriers qui en fait se perdaient, le président de la République m’invitait à parler avec lui à plusieurs reprises, répondant même entre les deux tours des municipales, du jour au lendemain, à ma demande de voir : je venais avec mes co-listiers à Pontarlier en huitième position, d’être étrillé et nos adversaires, principalement d’étiquette R.P.R. m’avaient appris, sur ce fameux terrain dont s’énorgueillissent les professionnels de la politique, que le « gaullisme » pouvait tourner au « fascisme », pots de peinture sur les voitures « ennemies », affiches naturellement lacérées, prise de parole empêchées par les quolibets et les moqueries. Premier secrétaire général d’un pouvoir de gauche, Pierre Bérégovoy avait déjà quitté l’Elysée. Vérification faite, il est ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale dès le 29 Juin 1982, quand Nicole Questiaux réintègre le Conseil d’Etat (elle avait fait partie du jury du concours d’agrégation de droit public, présidé par Roland Drago, auquel je m’étais présenté en 1974).

Dès l’instant de sa mort
[2], je pensai que j’aurais dû chercher à le revoir : je le pouvais puisque j’arrivais en France au moment où il quittait Matignon. L’évidence – sur le moment – est que, le pouvoir l’ayant quitté, personne de son entourage proche, de son cabinet, n’a su assez l’entourer, le soutenir, l’accueillir. Je crois, encore aujourd’hui, que j’en eusse été capable, surtout parce que notre revoir, inopiné un an après notre dernier tête-à-tête, n’eût plus été que d’homme à homme. Avec un recul de quinze ans, j’admets que certains aient pu être présents, mais ils ne furent pas efficients, et ceux d’entre eux que j’ai connus – de son entourage – ne m’ont pas paru avoir la fibre de cet accompagnement. Ce ne sont que des suppositions, nos dialogues m’avaient assuré d’une facilité totale d’expression entre nous : était-ce habituel ? certes, ses petits mots manuscrits étaient fréquents, nombreux et ont contribué, post mortem et très positivement, à donner de lui une image aussi humaine et rare.

[1] - commencement Actes des Apôtres I 1 à 11; psaume XLVII ; Paul aux Ephésiens I 17 à 23 ; évangile selon saint Matthieu XXVIII 16 à 20

[2] - je retrouve mon « carnet de terrain » - en fait de lit – de l’époque

Aucun commentaire: