Journal personnel de Mai 68 : matrice progressive d'aujourd'hui
Les oiseaux, aussi familiers que nos chiens. Un rouge-gorge pour son bain à heure fixe, une paire de moineaux entrant et allant aux gamelles des chiens et ressortant tranquillement. – Prier….le Sacré-Cœur de Jésus, la pluie des dévotions les plus spéciales… ou la prière de l’Eglise selon ses générations, découvrant et honorant des aspects, chaque fois nouveaux pour elle, mais immanents de toujours, dans le mystère de l’identité de Dieu ? peu importe les appellations ou, ce qui peut paraître auxtiers, des amulettes, il y a le face à face. Le cœur à cœur, précisément [1]. La comparaison affectionnée par l’Ancien Testament : le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. Comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint. Héritage reçu et très répandu par le Coran. Jean catégorique : Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour. Ce n‘est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils… Dieu, maître d’amour. La mutuelle demeurance de l’homme en Dieu, l’amour, la foi au Fils, le Christ. L’attestation qui depuis longtemps m’a mis au paradoxe de la connaissance de Dieu par le chrétien. Jean qui a vêcu et pénétré autant qu’il était possible, du vivant terrestre du Christ, le mystère, la nature et la sensibilité de Celui-ci, écrit aussi bien : nous qui avons vu que Dieu personne ne l’a jamais vu. Echo de la réponse de Jésus à Philippe : et tu ne m’as jamais vu ? Paradoxe que nous vivons communément de cette vue-connaissance de l’autre, à la fois totale par instants (hors le temps et la chair, quoique dans la chair et dans le moment) et indicible, vue-connaissance qui est aussi l’amour de l’autre, le don à lui, la communion. Parfois avec des inconnus. Don divin que celui-là. Matthieu reproduit un autre de ces syllogismes, propres aux évangiles : nous ne connaissons chacune des personnes de la Trinité que par les deux autres, le Fils que par le Père, le Père que par le Fils, et cette conaissance n’est pas particulière, elle est un partage qui nous est offert de la mutuelle connaissance (d’amour) des personnes divines. Voilà le Sacré-Cœur, c’est-à-dre l’effet et la cause, l’état absolu et créateur de l’amour-Dieu, force et nature. Mais Jésus sait aussi se remettre à notre portée. Prenez sur vous mon joug, car je suis doux et humble de cœur, devenez mes disciples. Fardeau supplémentaire ? non, poids d’amour qui nous allège et délivre. C’est par amour pour vous, et par fidélité au serment fait à vos pères, que le Seigneur vous a fait sortir par la force de sa main. Notre acquiescement est notre consentement à la fidélité. Demain, ce jeune moine dont j’avais entendu la première profession : Suscipe, est ordonné prêtre. Chemin et état. – L’heure ponctuellement respectée, du coucou. Pauvreté et vulnérabilité d’un oiseau à terre : ce goëland égaré ou blessé l’an dernier, que nous avons enterré en cachette de notre fille, à côté de deux chiennes recueillies successivement plus tôt. Et liberté qui est la leur, symbole de tout, dans les airs. Avant-hier soir, les hirondelles au ras du sable jusqu’à l’ourlet fait et défait de la mer à marée encore très basse, mais un couple de mouettes, ajoutant deux traits blancs comme les nuages légers mais volumineux dont le ciel s’était défait vers l’horizon et une île très basse. Une journée finissait, aujourd’hui commence. Giono : l’âme de l’univers était comme un rayon de soleil dans l’eau.
Nicolas Sarkozy, après la débandade et le désordre de ces dix jours de constitutionnalisme à l’Aqssemblée nationale, a tenté hier de reprendre la main avec le groupe au Sénat. Sans doute, des consignes ont été données d’éviter d’alimenter la page 2 du Canard, et trois fidèles ont été chargés d’entretenir la presse à la sortie : un président qui a des idées et celles-ci viennent de la réflexion. Le rêve… en fait, la renonciation par l’Elysée et le governement actuel à toute retouche du mode de scrutin de la Haute Assemblée et de ses compétences. Grandeur d’un pouvoir fort et ayant une emprise intellectuelle sur ses partisans.
Un des motifs des manifestations prévues pour les mardi 10 et 17 Juin est le dédain du gouvernement pour les précédentes, quel qu’en ait été le thème. La SNCF s’y met aussi, tout en veillant à ne pas perturber les épreuves du bac. ni pour les élèves ni pour les familles. – François Chérèque dont l’accord avec Bernard Thibault a été très médiatisé, analyse avec finesse la question des 35 heures, ou plutôt du soudain assaut qui est donné à la durée du temps de travail, alors que depuis quinze jours, le président de la République, le ministre du Travail et le « patron » nominal de l’U.M.P. se rectifiaient sans cesse : les acquis sociaux mis dans la balance pour régler une querelle ou un désamour entre le pouvoir et sa majorité... Le thème – chiraquien, ce fut l’occasion d’une première opposition marquée par le président d’alors au Premier ministre d’alors – plaît à la base des élus de l’U.M.P. La majorité, très ébranlée par le débat constitutionnel – alors que la « dérive » atlantiste ne l’a pas fait broncher – peut être ressoudée par l’abolition de fait des 35 heures. Qui passera vite pour le grand œuvre du quinquennat. Mais qui peut aussi devenir le boute-feu au régime dès cette fin de printemps.
Les socialistes ont tort d’avoir ouvert la succession de François Hollande, il parle et écrit clair (Le Monde daté d’aujourd’hui), il est médian par rapport à toutes les ambitions, les générations et les courants d’idées au P.S. Son maintien aurait pour avantage aussi de geler la question du candidat pour 2012, ou de poser celle-ci en des termes très consensuels. Car je tiens que pour l’emporter, il faut qu’il y ait constamment un « challenger » de Nicolas Sarkzoy, si ce n’est le candidat encore à désigner, ce peut être le Premier secrétaire. La probabilité est que le prochain congrès ne parviendra pas à désigner un nouveau qui soit réellement plébiscité. D’ailleurs, en principe, ce sont les militants qui doivent le-la désigner.
Deuxième « bavure » très sérieuse – mais combien y en a-t-il qui ne sont pas publiées ? – des policiers, en dehors des heures de service et en état d’ébriété, portant cependant leur arme de serv ice sur eux, en civil tirent sur des jeunes. Je voudrais savoir l’âge et le degré de formation de ces fonctionnaires de sécurité.
Les biens nationaux. Auparavant du clergé ou des émigrés, ils furent confisqués et devaient sevir à gager la monnaie-papier, les assignats. L’acception s’est perdue, elle était calamiteuse. Aujourd’hui, les biens nationaux pourraient être l’appellation de tout ce qui s’est fait e France par l’impôt et la subvention : voies de communication, transports ferroviaires, structures hospitalières, sidérurgie renflouée mais non nationalisée en 1966, et évidemment la construction aéronautique pour l’essentiel que fut Concorde et qu’est Airbus (nous avions pu convaincre Anglais puis Allemands du financement public de ces projets respectifs). La braderie qui continue : Gaz de France à Gérard Mestrallet, Areva et le nucléaire à Bouygues junior sont, pour cause d’intérêt privé et maintenant d’amitié présidentielle, deux expropriations de tous ceux qui en France payent l’impôt. C’est philosophiquement et juridiquement insupportable. En morale, ce l’est aussi puisque la privatisation n’est pas la reprise de l’investissement ou la baisse des prix. Dans ce contexte, l’inculpation de Noël Forgeard est saluée par les salariés d’EADS avec satisfaction. Si les faits sont avérés et si la justice applique le droit, l’ancien responsable à enrichissement sans cause que sa prévision documentée de la chute du titre dont il avait la responsabilité, devra dix fois ce qu’il a empoché. Mais pour moi, l’essentiel n’est pas là : que l’on puisse s’enrichir alors qu’on a coulé l’affaire, par incompétence. S’il y aujourd’hui crise de l’aéronautique européenne – la seule industrie multinationale du Vieux Monde qui vendait et était en passe de dépasser le concurrent américain – c’est parce qu’il n’y a pas eu la liaison d’évidence au sein de l’entreprise entre les commerciaux, avançant sans cesse mais sans munitions, et les techniciens ne faisant pas part à temps des doutes et des changements de paramètres. Erreur d’organisation, puis de stratégie qui coûte des milliers d’emploi, qui donne probbalement un avenir manichéen : le renflouement par le contribuable ou une entente-fusion avec le concurrent américain. Jacques Chirac imposant Noël Forgeard a eu la main heureuse. Reste que le secteur public ou semi-public, quand il demeure – La Poste ou la SNCF – est géré aujourd’hui, tellement selon les dogmes du secteur privé concurrentiel, qu’il n’est plus le service de tout connu autrefois. Nos voies ferrées ne sont plus entretenues, la dessere rurale est inexistante, le courrier va moins vite et arrive moins fréquemment qu’il y a cinquante ans. Où est passé ce qui nous a endettés ?
Un autre jour, je donnerai quelques pages du testament de Louis XIV sur la manière – royale – de s’entourer de conseils et de ne décider qu’en complètes information et maturité. Naturellement, à ces époques et dans ce système, la démagogie ne se concevait même pas. L’élection n’exclut pas l’habileté, on le vit constamment avec de Gaulle, on l’a vêcu il y a juste vingt ans avec la réélection de François Mitterrand contre la haine, la calomnie et la proposition du « jack-pot ». ce n’est pas les systèmes et les régimes qui dévcient les hommes, mais les hommes qui défont les meilleures traditions puis les meilleures Constitutions.
Je continue de donner mon journal d’il y a quarante ans. Je ne le retouche pas, c’est la première fois que je le lis, après l’avoir écrit. De ce que je consigne comme jugements et convictions du moment, sont sorties mes convictions et certitudes de toute la suite de ma vie ; le grand passage a été pour moi de Mai 1968 à Mai 1969. Depuis lors, j’ai estimé que les « gaullistes » trahissaient de Gaulle en s’incrustant au pouvoir, puis trahissaient les intérêts de la France et les vœux profonds des Français, comme ce me parut avéré à partir de 1986 (la première braderie fut celle de l’imagerie médicale de Thomson au bénéfice des Etats-Unis qui n’avaient pas alors notre avance).
Mais sur bien des points de prophétie ou de fait, je me trompais alors. Comme François Mauriac dans son scenario – huit mois avant Mai 68 – d’un éventuel échec du général de Gaulle.
Si l’ « après de Gaulle » devait devenir l’espace de quelques mois ou de quelques semaines, un « pendant Mitterrand », quel bain de jouvence pour le gaullisme ! Un long usage du pouvoir y a suscité des divisions et des oppositions, et peut-être dans le pays une vague lassitude. Il est vrai… Mais François Mitterrand a eu tout le temps de se faire une certaine idée de cette espèce combattante dont les chefs de file s’appellent Malraux, Pompidou, Debré, Fouchet, Frey, sans compter plusieurs autres gallards qui ont fait leurs preuves. Je le lui prédis : à peine la Fédération de la gauche sera-t-elle entrée en scène avec ses communistes, ses socialistes de diverses paroisses, ses radicaux de gauche et de droite, qui auront déjà commencé à se mordre dans la coulisse, sinon à jouer du poison et du poignard, qu’un immense rassemblement se formera contre eux, d’un seu coup, moins peut-être autour des épigones de de Gaulle qu’autour de la Constitution de 1958 que le premier soin de Mitterrand aura été de châtrer.
Bloc-Notes du 19 Septembre 1967.
François Mitterrand, au contraire, appliqua la Constitution, la question de cohabitation étant à la lettre possible, même si de Gaulle perdant la majorité parlementaire se serait retiré et ne pouvait concevoir que le gouvernement ne fût pas le sien. Quant aux Français, aujourd’hui, qui d’entre eux – sauf expertise au mieux blasée – comprend la dérive de nos institutions depuis qu’a été voté le quinquennat par une majorité d’abstentionnistes au referendum de 2000 ? et que, sans une protestation de qui que ce soit ayant une certaine notorité, le président désavoué après la dissolution de l’Assembéle nationale, puis par referendum, se maintint à l’Elysée ? Ce n’est pas la gauche, telle qu’elle est maintenant, si différente de celle des années 1970, qui aura raison des abus d’une droite sans référence qu’un modèle bien plus figé que les axes marxistes. C’est bien la majorité actuelle lassée des contradictions et de l’imprévisibilité de son élu de l’an dernier.
[1] - Deutéronome VII 6 à 11 ; psaume CIII ; 1ère lettre de Jean IV 7 à 16 ; évangile selon saint Matthieu XI 25 à 30
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