Note pour le Président – nature de la crise et remèdes
La France n’en
est pas à sa première crise économique et financière depuis les deux guerres
mondiales. Diagnostic et causes après 14-18 et en 1945 étaient aisés à
discerner. Destruction, reconstruction, malléabilité des clivages sociaux du
fait des combats et drames vécus ensemble. Les « trente glorieuses »
ainsi que la chute de l’Union soviétique ont fait douter de la lutte des
classes et ont convaincu une génération nouvelle n’ayant connu aucun conflit
militaire ni crise marquée de l’emploi, que les carrières peuvent se menet
individuellement et que la solidarité via les syndicats ou simplement dans
l’entreprise grande ou petite était de résultats moins probants et moins
rapides pour chacun.économique. Carrière et esprit-maison se sont opposés,
mobilité de l’emploi et désengagement des banques ont produit la rupture du
lien entre salariat et entreprise. Celle-ci devenue source de profit davantage
qu’unité de production, a d’autant plus privilégié les actionnaires que ceux-ci
– en bourse ou en dehors – sont devenus les principaux soutiens, pas seulement
de l’investissement, mais de la trésorerie. Une vue plus attentive ferait
reproduire en partie le diagnostic de 1919 et de 1945 : la
désindustralisation du pays depuis les privatisations et croissances seulement
externes en coincidence avec le passage de la droite dirigiste à la droite
libérale puis mondialiste, appelle une reconstruction. Celle-ci suppose de
réinscrire les banques dans leur vocation d’origine et le salariat au cœur de
la performance d’entreprise. Actuellement, l’ambiance est tout le
contraire : la destruction du patrimoine français, matériellement et aussi
en savoir-faire, continue.
La France n’en
est pas à sa première crise morale. On peut même lire son histoire depuis son
émergence plus que millénaire comme une succession de rebonds selon des
légitimités retrouvées ou reformulées. Pas toujours incarnées en un unique
personnage auquel les circonstances et l’attente générale confèrent un charisme
efficace, ces retrouvailles nationales avec la légitimité d’un mode de
gouvernement et de grandes ambitions collectives ont été le fait de réflexions
sur nous-mêmes, de reprises de nos manières de former nos élites à tous points
de vue, et le fait – tout autant – d’une confiance dans un désintéressement
mutuel : partis politiques, entreprises importantes quel que soit leur
statut, autorités morales en littérature, religion, etc… Echec du premier
après-guerre mais réussite du second et prolongation après les guerres
coloniales. La pratique institutionnelle de la Cinquème République
a même inventé deux évolutions possibles : la démocratie référendaire et
la cohabitation de partis opposés se donnant respectivement l’un ou l’autre des
deux pôles du pouvoir, le Parlement, la présidence. Aujourd’hui,
le mimétisme des partis et même d’une succession présidentielle à l’autre
réduit à une simple concurrence ce qui devrait être un consensus. Le doute est
général pas seulement sur les sujets à traiter, mais sur les hommes, les
institutions et le pays-même.
Le
rapprochement de ces deux énoncés de notre crise fait comprendre que les
solutions ne sont ni institutionnelles ni budgétaires ou financières.
Participant de celles-ci, l’entreprise européenne qui n’est jamais parvenue en
plus de soixante ans à devenir une émergence politique et une nouvelle
puissance militaire, ne peut par elle-même offrir une synthèse ni pour le
diagnostic, ni pour le remède.
En fait, notre
crise est mentale. Nous sommes revenus à des époques si elles existèrent aussi
complètement que celle dans laquelle nous nous trouvons, sans même en débattre
d’ailleurs… où la rumeur, la discussion du réel, la mémoire de ce que nous
sommes produisent non un ensemble, mais un vide. L’opinion sollicitée dans tous
les registres de la vente, de la communication, des soi-disant pédagogie devant
justifier des contraintes n’a ni discernement ni volonté propre puisqu’elle
n’est pas instituée et que le referendum d’initiative gouvernementale ou
d’initiative populaire ne sont plus envisagés et que leur éventuelle pratique,
si elle aboutissait à un vote négatif, n’aurait aucune influence sur les
milieux dirigeants élus ou cooptés. Les croyances anciennes et résurgentes dans
les complôts quand surprend un événement ou dans « la main invisible qui
dirige » ont fait place à un fatalisme dans lequel l’inéluctabilité des
circonstances et de leur enchainement est aussi fortement ressentie que les
corruptions des personnes, des procédures, des institutions.
Le remède principal
est de retouver des repères, constitués par des ambitions collectives et ce
n’est possible que si de fortes initiatives contraignent au débat et au choix
l’ensemble des Français. Certains groupes – extrêmistes – le tentent sans que
leur succès, hors la mobilisation de rue, soit déjà acquis. Le gouvernement
actuel, après avoir polarisé à ses dépens des choix de réformes dans le droit
des personnes et peut-être aussi dans celui des fortunes, a reculé, ne validant
pas des projets par la cohérence de ceux qui devraient résulter des premiers
acquis, et le peu de repères qui auraient pu être posés – en éthique sociale,
volitive, compassionnelle et non pas naturelle, donc exclusive et violente en
beaucoup d’espèces – a donc disparu, à peine aperçu.
Une initiative
nouvelle dans quelque registre que ce soit ramènerait l’opinion vers l’esprit
public, vers une maturité nationale concrètement éprouvée par la possibilité
offerte à chacun de travailler pour tous et avec tous. Une analyse précise des
mensonges véhculés par trop de conventions et de langue de bois qui ont
perverti la pratique des institutions – politiques, économiques, financières –
serait un début efficace. Une écoute synthétique du savoir et du vouloir des
Français pourrait faire de la loi l’expression de la volonté nationale. Le
désarroi de l’opinion publique tient d’abord à ce qu’elle n’est plus mobilisée
par rien ni personne. Et plus encore à ce qu’elle est manipulée au lieu d’être
appelée à se manifster en
tant que telle. Elle est donc infantilisée, en apparence. Car les Français ne
sont pas prêts à n’importe quoi et il en faut peu pour qu’ils retrouvent leur
tréfonds. Tandis que les gouvernants, les entreprises n’auront pas une
connaissance exacte et un respect pour les acquis nationaux, ils ne pourront
rejoindre les Français là où gît ce qui leur est cher et commun.
Au lieu de
ressaisir mentalement le pays, l’exhortation augmente doute et passivité. Elle
est redondante et usuelle : nous vaincrons parce que nous sommes les plus
forts… nous sommes un grand pays… La divination d’un peuple pour ce que sont
ses dirigeants est plus active que la nature d’un régime. La nature de la Cinquième République
n’a été que très peu compris (René Capitant, fils spirituel de Carré de
Malberg), même Michel Debré croyait bien davantage à son ressort parlementaire,
oubliant qu la France est un pays qui n’avance et demeure uni et cohérent que
par des crises. Tous les successeurs du général de Gaulle l’ont crue malléable,
de bonne foir et l’erreur populaire a été de croire que le système ne valait
que par les dirigeants et que la novation de notre République avait été d’en
changer le mode de désignation et d’en faire une élection, censément directe.
Dans la pratique, l’élection n’est pas directe et le referendum a été, chaque
décennie davantage ou banalisé ou refusé dans ses résultats ou dans son
urgence. Le referendum est de sanction inopérante pour la génération qui y est
conviée, mais il st mortel pour l’sprit public quand il n’est pas
compris : nous y sommes. Le peuple n’a plus de rôle dans notre République,
alors que pour l’homme du 18-Juin qui entra dans l’Histoire (et dans l’âme
nationale) parce qu’il lui répondait, le peuple est l’acteir principal comme il
est le moyen quotidien de gouverner. La direction du pays exige de servir la
volonté nationale, ce qui suppose le discernement de celle-ci et la
compréhension qu’une seule génération ne représente pas toutes les générations,
que l’histoire, la géographie, nos institutions et même nos manières de vivre
sont autant d’éléments constitutifs d’une identité aujourd’hui contestée par
des évolutions subies. Ces évolutions peuvent s’approprier, se conduire, se
corriger suivant notre génie propre
Evidence, les
vœux et certitudes pèsent moins que l’instinct quand celui-ci est nié, bafoué,
trahi : l’instinct de sincérité, l’instinct de bon sens, l’instinct de
fierté, celui enfin de dignité. Un régime qui se parjure et se contredit, qui
manifestement a pour conduite ce que n’importe qui n’aurait pas pour lui-même
et les siens, n’inspire pas confiance. Un régime qui plaide et ne commande pas,
apparemment, mais qui de fait impose l’humiliation d’une adaptation et d’une
modernité qu’il ne comprend pas lui-même et annonne donc… qui prend à revers,
peureusement un peuple, qui prend des élites au mot rapetissant des carrières,
qui prend en doute et dédain l’honnêteté foncière des Français quand les
circonstances mettent ceux-ci une ou
deux fois par siècle face à ce qui a été fait d’eux-mêmes et en leur nom, un
tel régime est étranger à tous ceux dont il est censé répondre au matériel et
selon l’honneur.
Il y a de
l’instinct dans l’esprit public et c’est l’instinct qui lie un peuple à ses
dirigeants et donc à lui-même. Mépris et désertion d’aujourd’hui, mépris pour
les dirigeants, désertion d’une ou plusieurs des générations qui arrivent n’ont
pas d’autre ressort./.
B.F.F. – jeudi 20 . vendredi 21 Février 2014
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