lundi 24 février 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 24.25 Février & 4 Mars 2007





Election présidentielle 2007

observations & réflexions

VIII




Je continue d’écouter la radio, j’interroge syustématiquement ceux que je rencontre – dans ma campagne bretonne – à la recherche de notre chien. Je lis peu les journaux, je ne regarde pas la télévision faute de l’avoir où nous vivons mais un à Paris quand j’y viens (chaque semaine). Depuis cet automne, des lectures, le tome III des mémoires de Valéry Giscard d’Estaing, les deux livres sur le président sortant commis par Franz-Olivier Giesbert et Pierre Péan, les mémoires d’Edith Cresson, le recueil des notes d’entretien réunies aprs de Gaulle par Jean Mauriac qui était accrédité auprès du Général tant pendant le RPF que jusqu’en 1969, les mémoires de Jean Foyer et ceux de Marie-France Garaud. – Et maintenant, le dialogue Abbé Pierre-Théodore Monod, les entretiens François Mitterrand-Marguerite Duras de 1985, le premier tome de Roland Dumas sur notre politique extérieure de 1981 à 1995…
Dans une note séparée, j’écris deux aveux guidant mon observation politique depuis que j’ai commencé de l’écrire, en coincidence avec ma préparation(-éclair) du concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration : Août 1964.
Je dialogue avec mes tout proches.

Cette semaine - 19 au 25 février - , la campagne électorale coincide avec la France elle-même : pas de faits, mais le flou et des traits de caractère plus négatifs que positifs tandis que la vie continue : relations internationales et démantèlement de notre économie, donc de notre société.
   
     Des certitudes négatives

Les Français ne sont pas déterminés, les sondages ne donnent aucune décision vraie, la perplexité domine les esprits. Il y a d’un côté tous ceux qu’occupent professionnellement ce qui est considéré comme le moment le plus intense de la politique nationale : l’élection présidentielle, journalistes, élus en mal de renouvellement, personnages cherchant à accéder au pouvoir selon l’équipe qui gagnera, candidats et entourages, soutiens financiers et idéologiques, et de l’autre les Français qui n’ont qu’eux-mêmes pour analyser.
La répétition tous les cinq ans désormais de l’élection présidentielle, la coincidence voulue du renouvellement de l’Assemblée nationale avec cette élection montrent et montreront à chaque retour du processus combien ces « réformes » de 2000-2002 sont nuisibles. A l’action politique elle-même, au contrôle démocratique. Répétition et coincidence font que les élus sont de moins en moins libres vis-à-vis des candidatures présidentielles, celles-ci, par construction, n’étant pas acquises d’avance, conduisent à des engagements envers des personnes et non plus selon des idées. Et les personnes se distinguent en fait par … le culot qui leur a permis de contrôler l’appareil d’un parti. Quelle que soit l’opinion  que l’on a de Nicolas Sarkozy ou de Ségolène Royal, il s’est bien agi de culot, auquel l’opinion a acquiescé. Dans un premier temps, et devant lequel la « sagesse » des caciques dans leur parti respectif n’a rien pu.

Le vote fondamental est critique de ce système, de cette évolution, du peu de fond des candidats dits principaux, en tout cas de ce qu’en laissent paraître les médias. Car la critique ne porte pas tant sur les candidats-mêmes que sur l’ensemble du processus électoral. A l’impopularité – qui se répète d’une République à l’autre – de ce qu’il est malencontreusement convenu d’appeler la « classe politique » s’ajoute maintenant celle du système de recrutement, et surtout les modalités des campagnes. Les partis continuent d’être décisifs pour les investitures en vue des élections parlementaires, ils sont subordonnées pour la campagne présidentielle, et les modalités de celles-ci sont davantage qu’aux partis, à la discrétion des médias. Le journalisme déjà en question du fait des évolutions financières et techniques de la presse, tend à être confondu avec la pratique de la politique. Les protestations sont donc plus sur la manière de faire et d’être en politique, de concourir aux élections, que sur le fond des gestions et des initiatives : celles-ci semblent de moins en moins alternatives. L’alternance est un résultat de personnes, elle n’est pas un choix alternatif de programme.

C’est contre ce blocage que les Français protestent, qu’au mieux ils s’interrogent. Or, le vote protestataire est interdit en France, pour deux raisons structurant l’infidélité fondamentale des scrutins par rapport à la réalité des esprits français. Première raison : le parti qui exprime une condamnation globale de nos mœurs actuelles – les communistes pendant une cinquantaine d’années, le Front national depuis vingt ans – est excommunié et interdit d’alliance. Deuxième raison : le vote blanc n’a toujours pas droit de cité. Et il n’aurait, s’il est reconnu, d’efficacité, qu’à condition d’annuler tout scrutin qui ne recueille pas un minimum de participation. 

                                                                BFF – 24.25 II 07


Après une semaine terne – celle du 19 au 25 février – une semaine très nouvelle – celle du 26 février au 4 mars : quelque chose prend alors forme. L’attention nationale paraît se fixer – enfin – sur un problème de fond : un des candidats est parvenu à l’exprimer.

Tel que je vis, je suis à peu près coupé des principaux médias, mais à Paris, la rue, le métro, les gares, ou chez moi en Bretagne méridionale à parcourir les bourgs et la campagne pour retrouver notre chien, il y a l’air du temps qui est peu les titres de journaux, pas beaucoup la télévision devant laquelle chacun, dans la  nuit rurale et le silence des prairies et des bourgs-dortoirs, sont les adultes, beaucoup d’autos autour des maisons, donc la radio. dont il est acquis qu’elle est considérée comme plus fiable que la télévision, il y a surtout le temps du temps qui n’est pas un jeu de rôle mais une véritable réfklexion.  Il me semble que les Français réfléchissent davantage et plus profondément que les acteurs : candidats, personnages, commentateurs et journalistes. Eux vivent la campagne, sans en avoir rien choisi, ce qui compte c’est l’après-élection, la campagne n’est pas leur métier, alors qu’elle est une profession (gagner-pain acquis et ambition assouvie) pour ceux qui tiennent et font la scène.


     De rares certitudes positives, mais qui sont sans doute la matrice d’un système nouveau

La réflexion sur les modalités de la campagne et sur celles du scrutin n’est pas nouvelle dans les pétitions qui en sortent, mais dans le fait – que je crois majeur, irréversible comme au XIXème siècle vint la décision du suffrage universel.

Simplement :
   l’égalité de présentation des candidats n’est pas aqcuise, du fait du poids du secteur privé échappant pratiquement à toute réglementation, et n’ayant de limite dans le favoritisme que la décence. La presse du groupe Dassault ignore François Bayrou qui ne peut que l’embarrasser, présente Nicolas Sarkozy en constante préface de son règne et en possession d’état, fait larmoyer sur Ségolène Royal. Les émissions qui retiennent, et encore… sont celles assurant cette égalité de traitement : TF1 et la question posée par la centaine de participants.
  les parrainages choquent. Ils semblent un empêchement, leur publication une indiscrétion redoutable et anti-démocratique. Ils sont le motif de pressions sur les rares élus qui demeurent, selon les gens, proches des soucis quotidiens et dépendants des électeurs : les maires des petites et moyennes communes. Elément aussi de liberté et d’indépendance dans la politique française, puisque la plupart ne sont pas « encartés » dans un parti à qui ils « doivent » leur élection ; au contraire, ce sont souvent eux qui font, localement, les inclinations et l’installation d’un parti.
  la possibilité légale d’un vote blanc constructif est réclamée.

Un candidat qui prendrait l’engagement de répondre pour l’avenir à ces trois demandes, et qui – dès cette campagne – défendrait, s’il est en bonne position, la possibilité pour les autres d’être candidats ou de s’exprimer davantage, trancherait.

Le ton des campagnes des principaux candidats est entendu comme passe-partout et recueil de promesses dont il est certain qu’elles ne seront pas tenues. Elles se ressemblent toutes, elles ne donnent ni le portrait d’un Président de la République, ni la mise en place de sa fonction et de ses prérogatives, ni le crible des grandes questions qu’il sera de la compétence de l’élu de résoudre. La campagne semble analogue à n’importe quelle consultation locale. La pétition de proximité est un genre pour les medias, elle ne trompe pas les électeurs localement qui ne sentent nullement sur le même pied, ni compris, ni entendus. Les Français connaissent leur situation et jugent selon celle-ci les boniments : la méthode Coué, le « tous ensemble », le « rassemblement » sont des répétitions trop anciennes maintenant. A ce titre, aucun des candidats n’emporte la conviction qu’il est sincère, crédible. De quand datent ces pluies de promesses et la déception qu’elles ne soient pas tenues ? La manière et la personne de Jacques Chirac y sont pour beaucoup : 1988 et 1995. Mais la gauche, en tant que telle, a manifestement déçu – elle aussi, auparavant et depuis… – ses partisans et les ralliés, d’où le vote-sanction en 1986, en 1993 et – souvenir récent – en 2002. Les candidats, quel que soit leur parti, sont sanctionnés pour la manière dont Jacques Chirac a mené ses campagnes présidentielles, donc dévalué le niveau de cette consultation, mais ils le sont également pour la manière dont la gauche a gouverné en faisant trop la part des encadrements, surtout mentaux, inculqués par la droite. Celle-ci d’ailleurs est taxée par une partie de ses électeurs de trop de complaisance envers les « laxismes » de la gauche. Bateleur d’un côté, « traîtres » de l’autre ?  
L’ensemble et du mode de scrutin et de la manière de faire campagne est décrédibilisé.
La manière des campagnes menées de 1965 à 1988, est perdue de mémoire. Or, elle faisait la qualité de notre principal moment démocratique et justifiait – en partie – qu’il y ait si peu d’autres moments (le manichéisme pour le renouvellement de l’Assemblée nationale, l’absence de contrôle parlementaire sur le gouvernement, de possibilités constitutionnelles pour une mise en cause d’un président de la République insuffisant ou sujet à caution). Elles ont eu pour traits principaux, tous absents dans la présente compétition : le primat dans le dire de chacun des candidats d’une conception de la politique et de notre pays, les promesses étaient celles d’une novation de l’une et de l’autre, elles étaient peu ou pas ponctuelles. La personnalité des candidats n’étaient pas évaluée selon leur vie privée du moment, mais selon leur biographie, leur passé. Le bilan était décisif, la crédibilité, non des promesses, mais de la capacité à gouverner, plus encore. On comparaît beaucoup. La presse d’opinion existait encore : les hebdomadaires principalement. Chacune des campagnes eut sa novation : en 1965, le fait même du nouveau mode de scrutin et donc d’une campagne où de Gaulle n’était plus seul en vue et que celui-ci s’expose en dialogue tête-à-tête improvisé ; en 1974, le débat entre candidats en direct, à l’américaine, ce dont le « grand débat » Mendès France –Michel Debré avait donné un avant-goût  ; en 1988, la « lettre aux Français » du président candidat à sa réélection. Quelle innovation aujourd’hui ?
  

   Apathie ou désespérance des électeurs ? ou médiocrité des acteurs ?

Le referendum de Mai 2005 a désavoué – bien plus qu’un projet de texte ou que le président de la République qui l’avait soumis à ce scrutin – l’ensemble d’une « classe » politique ou commentante incapable de faire ressentir par l’électorat l’enjeu européen, l’ensemble plus encore d’une « classe » gouvernenante et technocrate incapable d’une attitude à Bruxelles et dans le concert de nos partenaires de l’Union européenne tenant vraiment compte des opinions et des désirs de ses administrés-concitoyens. Cet événement immense, appelant une lecture rétrospective de nos politiques européennes depuis vingt ans, a été aussitôt oublié par ceux qui tenaient la scène et la tiennent encore le temps de la présente compétition. Là était le sondage de l’opinion. Il n’en a pas été tenu compte. La carte a continué d’être forcée en politique sociale et économique intérieure. Puisque le président de la République ne démissionnait pas en bon Européen qu’il eût alors paru pour l’immédiat et surtout pour la postérité, la dialectique française était d’affirmer la sentence et de la rendre contagieuse puis constructive. Il fallait porter à Bruxelles la volonté révisionniste des Français, l’articuler en contre-propositions et tenir désormais ces contre-propositions. Notre pays aurait retrouvé – par cette exploitation paradoxale des résultats négatifs du referendum –cette capacité d’inspiration de l’entreprise européenne qui fit notre force de Robert Schuman à de Gaulle, et qui fonda quelque chose. Cette « chose » était une ambition politique – par le truchement de l’intégration économique – et elle a été oubliée par les acteurs, mais pas par les électeurs. Les acteurs qui n’avaient pas su jouer convenablement la pièce, leur rôle au printemps de 2005. Une pièce mal écrite depuis une vingtaine d’années par manque d’imagination et aussi par distanciation croissante des gouvernants vis-à-vis des gouvernés. Un enfermement mental dans les matrices des années 1950, dans les débats des années 1960, un éloignement des endroits de vie et de pratique de ce qui a découlé de l’intégration économique et surtout du nouvel esprit libéral, véhiculé, imposé par cette intégration, alors que les traités initiaux n’en faisaient nullement obligation.

La réalité – une mise en cause globale de ce que la politique a aujourd’hui de principal : l’entreprise européenne – la réalité non considérée, il fallut donner l’illusion du mouvement, dans la vie politique française : on ne trouva que des jeux de rôle. Pas de vrai contenu et avec très peu de texte, puisque nous vivons la première génération sans talent oratoire, sans talent d’écriture, sans même la moindre touche comique ou d’humour. Des Français qui ne savent pas parler, pas écrire, pas faire rire, ce n’est plus une question de régime politique, c’est un signe de grave maladie collective. Chacun récite, personne ne surprend. Le narcissisme ne tient pas lieu d’inventivité. Jacques Chirac conclut ses mandats et sa vie politique par des récits personnels au style indirect, puisqu’il n’a écrit aucun de ses livres. On se soucie de sa psychologie et de son avenir, pas de sa responsabilité ni de son bilan. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal parlent à la première personne au lieu que les questions traitées s’exposent, naturellement, à la troisième.

« Poisons et délices du système », Jacques Fauvet caractérisait ainsi la vie politique sous la Quatrième République. Nous y sommes, s’il s’agit d’artifice. Un premier acte a été le défi lancé par Nicolas Sarkozy à Jacques Chirac. Celui-ci avait tous les moyens, avant comme après 2005 (le referendum négatif, la révélation d’une santé ébranlée), de casser les reins du prétendant en lui interdisant de fait la présidence du parti qu’il a fondé, en ne lui donnant aucune place dans le gouvernement. Jacques Chirac a choisi le biais d’une contre-candidature, celle de Dominique de Villepin. Une tolérance tactique est devenue le consentement à son propre abaissement quand le nouveau Premier ministre a échoué – pour des raisons qui sortent de la présente épure. Les choses acquises à l’automne de 2006, le relais a été pris par Ségolène Royal, la bataille au sein du Parti socialiste pour l’investiture a intéressé, elle a été le seul moment, jusqu’à présent, d’un débat de fond en France sur les alternatives à trancher pour retrouver un avenir national. Mais la qualité de ce débat a été peu montrée par les commentateurs qui d’une certaine façon se sont conduits comme les adversaires du Parti socialiste : on a insisté sur un destin, sur la nouveauté qu’une femme ait des chances sérieuses d’entrer à l’Elysée, on a fait du débat une question de personne. Dans les deux cas – Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal – on a traité une prise de pouvoir, mais peu les traits d’une personnalité et encore moins un programme. La capacité à répondre du pays – qui est le fond de l’exercice des prérogatives présidentielles – n’est pas le sujet présenté au choix des Français. Candidats et commentateurs n’ont pas traité les électeurs en adultes. Des mineurs à appâter par des grelots : les promesses. Leur montant autour de 30 ou 35 milliards deuros. net est d’ailleurs identique à l’U.M.P. et au P.S. parce que les dossiers venant de l’administration sont les mêmes et que rien n’a été repris au fondement. La pose pour médias est analogue : être proche.

Les deux « principaux » candidats se sont laissés enfermer dans ce jeu et ont mené une campagne analogue, pointilliste, sans rien qui marque, laborieuse et paraissant les ennuyer eux-mêmes. Mimétisme gris. D’où l’occupation des médias par les sondages faute qu’il y ait à trouver pâture dans le texte-même ou le comportement des candidats. La médiocrité des coureurs a fait se concentrer sur les résultats de la course, seul suspense, puisqu’en cours de campagne rien n’est surprenant de ce qui est entendu, le candidat de la majorité sortante ayant depuis longtemps décoché ses flèches les plus vives et articulé ses convictions et affirmations les plus discutables ne peut plus surprendre qu’en paraissant revenir sur celles-ci, la candidate socialiste qui n’avait pas droit à choquer ne surprendra plus maintenant qu’elle prend garde à tout. Les deux se brident eux-mêmes. Fatigués manifestement.

L’électorat n’est donc pas apathique : ce qu’il voit et entend ne le provoque pas, il n’a pas d’appétit pour ce qui lui est présenté. La médiocrité des acteurs, autant que de leur jeu (car le métier pourrait suppléer au talent) ajoute un motif de désespérance à une ambiance déjà désabusée.

L’art du général de Gaulle était de susciter l’opinion. Bien plus au cours de l’action gouvernementale et pour soutenir celle-ci, que lors des élections. Qui pour lui – tenant sa légitimité de bien autre chose que les urnes – étaient une formalité indispensable mais pas fondatrice. Il n’était pas élu selon des promesses, il exerçait le pouvoir à condition que les Français acceptent sa politique, sinon il ne l’exerçait plus : 1946 et 1969, question posée à chaque scrutin. Sa manière d’être paraissait tout, mais précisément c’était cette manière qui faisait distinguer au pays les alternatives. Le charisme de François Mitterrand était tout autre : il incarnait de l’espérance en 1974, en 1981 et en 1988, son art qui lui valut le pouvoir était de légitimer cette espérance, souvent vêcue comme une revanche de plusieurs générations sur la dominante du moment, en la faisant gagner des élections. De Gaulle et Mitterrand avaient donc une philosophie haute du pouvoir, transcendant les questions de gestion, portant la fonction présidentielle au niveau qu’elle doit avoir dans un pays dont le tréfonds est à la fois contestaire et monarchisant, laïque et avide d’une certaine sacralité. Valéry Giscard d’Estaing en appelait à l’intelligence des électeurs. Aucun des trois n’était donc médiocre.


    Quelque chose prendrait-il forme ?

Selon le résultat de l’élection en cours, et notamment du premier tour, il sera opérant d’analyser la seule campagne qui – maintenant – tranche sur les autres : celle de François Bayrou. L’étudier, pour quoi ? pour discerner si François Bayrou avait, dès son premier positionnement de 2002 et les votes de son groupe parlementaire la dernière année de cette législature, le discours qu’il affirme maintenant, et auquel il semble que l’électorat attache de l’intérêt ou qu’il y prend goût. Ou si au contraire, le candidat « centriste » a su discerner l’appel de l’opinion à une relecture et à une sanction de toute l’histoire gouvernementale française depuis vingt-cinq ans.

Etapes : une entrée en scène différenciée du candidat de la majorité sortante, mais pas immédiatement censée casser celle-ci. La pétition semble n’être que du premier tour. Puis l’analyse – non dite – se fait qu’au deuxième tour, Ségolène Royal n’aurait pas les voix de François Bayrou ce qui fait répéter à celle-ci que ce dernier « finira » à droite (en réalité, ses électeurs en probable majorité, mais pas lui, personnellement), mais qu’en revanche à choisir entre Nicolas Sarkozy et François Bayrou, beaucoup de sympathisants de gauche feraient passer avant tout leur désir de battre le candidat avoué de la droite. Le président de l’U.D.F. avance alors qu’il prendrait un Premier ministre de sensibilité à gauche. Le propos bien accueilli – tant par l’opinion que par les commentateurs ayant enfin une nouveauté à examiner – engendre une présentation globale, c’est la relecture de notre histoire : vingt-cinq ans d’alternance des personnes au pouvoir et au gouvernement n’ont pas résolu nos principaux problèmes et n’ont exploré aucune alternative. Il faut donc changer de méthode. La pétition n’est plus centriste : « deux blocs = violence », comme Jacques Duhamel et Joseph Fontanet l’affichaient en 1968, le M.R.P. en 1945-1946, elle est d’union nationale. Sans le proclamer, sans peut-être en avoir déjà pleinement conscience, il s’agit de revenir au gaullisme dans le parti tiré des institutions. Le moyen devient une fin.

Un des outils à mettre en œuvre pour l’avenir est le retour à la proportionnelle. Alors que droite et gauche avaient cherché un remède dans le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel : remède qui a consacré l’irresponsabilité du présdident devant le peuple (c’est la désastreuse jurisprudence de Jacques Chirac en 1997 et en 2005) et qui amenuise encore davantage la fonction parlementaire de délibération et de contrôle. Changer le mode de scrutin pour l’Assemblée nationale est sans inconvénient pour la stabilité gouvernementale (Michel Debré et à sa suite le général de Gaulle n’en faisaient pas du tout un dogme), puisque les prérogatives présidentielles : referendum et dissolution, sont de nature à faire réfléchir les parlementaires sur les conséquences de leurs votes. C’est en revanche très avantageux pour une réelle personnalisation du rôle national des élus et leur décision en conscience sur des sujets qui sont de plus en plus de société et de moins en moins de gestion idéologique. La vie parlementaire, et de réels apports aux délibérations et initiatives gouvernementales, dépendent au fond d’une liberté de voter en conscience. L’absentéisme tient à la discipline des partis. Le désintérêt massif du pays pour la politique tient à ce que tout se fige dès l’élection passée. Ni contrôle ni mouvement.

La réponse à la prise de conscience des électeurs depuis quelques années que la France s’enfonce désastreusement, est donc donnée : il faut une continuité et une force très nouvelles, une quasi-unanimité nationale existe si on sait la chercher puis la susciter. Le programme est donné. Il ne va pas être oublié. L’unité nationale est un fait latent, c’est notre dernier moyen pour nous en sortir. Nous ne l’avons plus essayé depuis de Gaulle.

Je suis frappé de cette irruption. Est-ce la « montée dans les sondages » qui a inspiré à François Bayrou son énoncé ? Est-ce au contraire la logique de ses premiers propos qui, après quelques semaines de tâtonnements entre les deux « principaux » candidats, a attiré l’opinion ? et de plus en plus de paris d’avenir (et de carrière). Le retour – non dit, et qu’il n’est pas nécessaire de dire – d’une conception gaullienne de la pratique gouvernementale en France, je le souhaitais depuis des décennies. J’y crus pendant la campagne de 1984 quand François Mitterrand comprit que le dénouement de la question scolaire, prétexte de la mise en jeu complète des scrutins de 1981 ayant donné à la gauche le pouvoir qu’elle n’avait jamais auparavant en France exercé plus de quelques mois, était référendaire. Mais le président se lia les mains en tenant à rester fidèle à ses pétitions de 1960-1961 (Le coup d’Etat permanent) et en ne recourant pas à l’article 11 de notre Constitution, ce qui le mettait aux mains du Sénat, structurellement de droite. Partie perdue et le renouvellement de l’Assemblée nationale consacra le fait. Si François Bayrou est élu, il le sera explicitement par une volonté nationale – même de majorité étroite – que désormais le pays soit gouverné par consensus, c’est-à-dire en tenant compte d’abord de lui.


     Le monde, pendant ce temps-là…

La France peu présente, l’Union européenne aussi, sur les grands sujets : le contenu des négociations commerciales, le financement des endettements nationaux, le sort des armes de destruction massive, ne leur apporte rien par le dire de ses candidats à l’Elysée.

Aucune proposition – de grand écho – ni sur les institutions européennes, ni sur l’indépendance de l’Union vis-à-vis des Etats-Unis : les deux préalables à toute politique extérieure nationale et européenne. Pourquoi ? parce que les candidats n’ont aucune expérience personnelle des relations internationales, ce qui nest sans précédent dans une élection présidentielle chez nous, et parce que notre diplomatie, faute que nous ayons continué la trajectoire de notre contestation en Conseil de sécurité des intentions américaines à propos de l’Irak, s’est ralliée à l’esprit dominant les relations internationales depuis 2001. Le terrorisme explique à peu près tous les alignements.

Les grandes questions écologiques et humanitaires ne sont pas non plus traitées. Toute la question du chiffrage du programme de la candidate socialiste a tenu dans la réponse de Ségolène Royal aux questionnaires et aux propositions d’engagement de Nicolas Hulot.
Il n’est pas observé que les Etats-Unis sont à eux-mêmes leur propre antidote dans leur nuisance aux relations internationales et dans leur empêchement qu’une gestion démocratique et avisée de la planète soit enfin organisée et conduite. Les guerres extérieures : Vietnam et Irak, sont sanctionnées par l’opinion intérieure américaine. Les avancées techniques les plus efficaces  et rentables pour économiser et moins polluer sont également américaines. La complicité – servile parfois – des dirigeants européens vis-à-vis des gouvernements américains masquent cette réalité. L’intelligentsia américaine a attendu une contribution européenne à sa propre pression. En vain. De Gaulle fut admiré d’elle. Le système éducatif français a éradiqué la conscience de classes et donc la motivation des luttes dès l’enseignement du bas âge, depuis une vingtaine d’années ; l’enseignement supérieur et la culture des entrepreneurs aujourd’hui sexagénaires ont encouragé la dénationalisation et l’absence de conscience résolument européennes des jeunes élites. Alors que l’Amérique  récuse en profondeur la responsabilité financière et morale d’une hégémonie, l‘Europe parce qu’elle consent à sa colonisation mentale et financière, par habitude d’un protectorat sécuritaire, conforte les systèmes internationaux qu’elle critique et qu’elle était, en naissant et en grandissant, censée périmer.

Aucun candidat ne propose une analyse globale du monde contemporain et des relations inter-étatiques. L’étranger ne s’y trompe pas qui ne voit pas d’enjeu à la prochaine élection présidentielle. L’électeur non plus. Il m’est arrivé d’entendre en fin fond de campagne le mot : rang… pour notre pays. Vieilles fermes en pierre grise de taille, les animaux pâturant non loin, la pluie tombait, celle des années-ci, le soleil avait été et n’était plus.


     Les résultats du capitalisme tel qu’il se pratique en français

Depuis une quinzaine d’années, depuis que la logique dogmatique des privatisations – on en est maintenant à celle des aéroport de province qui soumis à la loi de rentabilité ne subsisteront pas plus longtemps que les bureaux de poste à la campagne – a fait passer la satisfaction des besoins humains après la rémunération des actionnaires, les principales entreprises ont changé de nom et également de métier. Plus personne n’affiche ses origines ni ses ancêtres, au rebours d’une passion récente des Français pour la généalogie. Mais des personnes physiques (avec une ambition d’installation héréditaire) et leur fortune récente sont apparues. Or celles-ci ne jouent ni le jeu national ni le jeu européen, quoique nos politiques, nos gouvernants et les candidats les courtisent.

Je ne commente pas : Pinault joue Mittal Steel contre Arcelor avant l’été, Lagardère entend sortir du capital d’EADS et donc d’Airbus quand la crise s’installe. Bébéar a tué Messier qui s’en est personnellement remis, mais Vivendi et un immense réseau sont perdus. Comme les procédures contre Elf et Lefloch-Prigent ont détruit un empire français dont Total ne tiendra pas lieu, d’autant que la culture nationale, voire du service public n’est pas celle de ce groupe. Dans toutes ces aventures, les questions de personne ont été décisives, comme dans une pièce de théâtre, les haines et les jalousies. Le capitalisme tel qu’il est ainsi vêcu est aléatoire, les actifs (et l’épargne et les impôts) de plusieurs générations françaises ont été bradés en pas deux décennies. On réagissait il y a douze ans à la mésestime de Thomson, on ne met pas en cause ce qui me paraît plus qu’une coincidence dans la vie d’Airbus, sa privatisation. Pendant trente-cinq ans, l’entreprise franco-allemande marchait, les Etats capitalisait, Boeing était égalé, allait être définitivement supplanté. On privatise : pourquoi ? et les erreurs commencent. La prochaine se prépare : introduire du capital non-européen. Et l’ultime résultat, je l’appréhende depuis dix-huit mois avec tristesse, c’est le rachat par Boeing. Pour d’autres raisons que Concorde, ce sera la même asphyxie puis la mort. Précédent de vingt ans : l’imagerie médicale et l’application pratique de notre excellence médicale (en bonne partie du fait de notre système de sécurité sociale) ont été cédés l’été de 1987 aux Etats-Unis contre l’illusion des dirigerants de Thomson alors d’y gagner le marché grand public de la télévision. On voit bien aujourd’hui qu’il n’y a plus de fabricant français de télévision. Jacques Chirac était Premier ministre à l’époque, et c’est lui qui fit nommer Noël Forgeard  à la direction en binôme d’EADS-Airbus. Lequel put soutenir en commission parkementaire d’enquête sa propre excellence en même temps que son ignorance des retards pris. Les indemnités de dédit, conséquence de l’incompétence des dirigeants, financent les commandes de nos clients à Boeing et sont payés par la fermeture de sites industriels, donc par l’amenuisement de l’outil, spirale déflationniste. La France paraît – pour l’intervenant étranger - corruptible et ses élites peu nationales, en contradiction totale avec nos discours cocardiers.

Aucun candidat ne traite encore ces exemples. Concrets, immédiats. Illustrant aussi bien la conception qu’ont les dirigeants français actuels de leur métier de dirigeant, que l’idéologie privatiste dominante.

La campagne électorale ne pose, jusqu’à présent, aucune question – ni de bilan, au président sortant et à la majorité qu’il avait entrepris de fonder il y a trente ans, ni au candidat de cette majorité sur son action au ministère de l’Intérieur, ni de fait aux grands entrepreneurs. Elle ne gêne que les électeurs qui sentent que presque tout est «  à côté ». Qu’en somme rien n’est encore commencé.

Au point où j’en suis de mes enquêtes de terrain, je ne suis pas encore certain, que le dialogue soit noué avec François Bayrou, mais je suis sûr que les votes pour les deux « principaux » candidats ne sont pas acquis ; ils sont au mieux une tradition en famille d’esprit. Or, celles-ci ne correspondent plus ni aux interrogations posées par les situations individuelles et notre situation nationale, ni au désintérêt de la jeune génération. Ce désintérêt est probablement ce qui interpelle le plus les générations plus anciennes.

                                                                                                       BFF – 4 III 07


disponibles sur demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007

12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des Français en forme de questions
Quel contexte ?
2 Janvier 2007
Le naturel  des partis
Les clivages ne correspondent plus aux partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour
9 Février 2007
Les mises en campagne
Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour l'avenir
La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que tel par personne
18 Février 2007
L'opinion et les candidats
Les candidats et l'opinion
L'absence de choix en matière institutionnelle
Le mauvais énoncé de la question européenne

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