Election
présidentielle 2007
observations
& réflexions
VIII
Je continue
d’écouter la radio, j’interroge syustématiquement ceux que je rencontre – dans
ma campagne bretonne – à la recherche de notre chien. Je lis peu les journaux,
je ne regarde pas la télévision faute de l’avoir où nous vivons mais un à Paris
quand j’y viens (chaque semaine). Depuis cet automne, des lectures, le tome III
des mémoires de Valéry Giscard d’Estaing, les deux livres sur le président
sortant commis par Franz-Olivier Giesbert et Pierre Péan, les mémoires d’Edith
Cresson, le recueil des notes d’entretien réunies aprs de Gaulle par Jean Mauriac
qui était accrédité auprès du Général tant pendant le RPF que jusqu’en 1969,
les mémoires de Jean Foyer et ceux de Marie-France Garaud. – Et maintenant, le
dialogue Abbé Pierre-Théodore Monod, les entretiens François
Mitterrand-Marguerite Duras de 1985, le premier tome de Roland Dumas sur notre
politique extérieure de 1981 à 1995…
Dans une note
séparée, j’écris deux aveux guidant mon observation politique depuis que j’ai
commencé de l’écrire, en coincidence avec ma préparation(-éclair) du concours
d’entrée à l’Ecole nationale d’administration : Août 1964.
Je dialogue avec
mes tout proches.
Cette semaine
- 19 au 25 février - , la campagne
électorale coincide avec la
France elle-même : pas de faits, mais le flou et des
traits de caractère plus négatifs que positifs tandis que la vie
continue : relations internationales et démantèlement de notre économie,
donc de notre société.
1° Des certitudes négatives
Les Français
ne sont pas déterminés, les sondages ne donnent aucune décision vraie, la
perplexité domine les esprits. Il y a d’un
côté tous ceux qu’occupent professionnellement ce qui est considéré comme le
moment le plus intense de la politique nationale : l’élection
présidentielle, journalistes, élus en mal de renouvellement, personnages
cherchant à accéder au pouvoir selon l’équipe qui gagnera, candidats et
entourages, soutiens financiers et idéologiques, et de l’autre les Français qui n’ont qu’eux-mêmes pour analyser.
La répétition
tous les cinq ans désormais de l’élection présidentielle, la coincidence voulue
du renouvellement de l’Assemblée nationale avec cette élection montrent et
montreront à chaque retour du processus combien ces « réformes » de
2000-2002 sont nuisibles. A l’action politique elle-même, au contrôle
démocratique. Répétition et coincidence font que les élus sont de moins en
moins libres vis-à-vis des candidatures présidentielles, celles-ci, par
construction, n’étant pas acquises d’avance, conduisent à des engagements
envers des personnes et non plus selon des idées. Et les personnes se
distinguent en fait par … le culot qui leur a permis de contrôler l’appareil
d’un parti. Quelle que soit l’opinion
que l’on a de Nicolas Sarkozy ou de Ségolène Royal, il s’est bien agi de
culot, auquel l’opinion a acquiescé. Dans un premier temps, et devant lequel la
« sagesse » des caciques dans leur parti respectif n’a rien pu.
Le vote
fondamental est critique de ce système, de cette évolution, du peu de fond des
candidats dits principaux, en tout cas de ce qu’en laissent paraître les
médias. Car la critique ne porte pas
tant sur les candidats-mêmes que sur l’ensemble du processus électoral. A
l’impopularité – qui se répète d’une République à l’autre – de ce qu’il est
malencontreusement convenu d’appeler la « classe politique » s’ajoute
maintenant celle du système de recrutement, et surtout les modalités des
campagnes. Les partis continuent d’être décisifs pour les investitures en vue
des élections parlementaires, ils sont subordonnées pour la campagne
présidentielle, et les modalités de celles-ci sont davantage qu’aux partis, à
la discrétion des médias. Le journalisme déjà en question du fait des
évolutions financières et techniques de la presse, tend à être confondu avec la
pratique de la politique. Les protestations sont donc plus sur la manière de
faire et d’être en politique, de concourir aux élections, que sur le fond des
gestions et des initiatives : celles-ci semblent de moins en moins
alternatives. L’alternance est un résultat de personnes, elle n’est pas un
choix alternatif de programme.
C’est contre
ce blocage que les Français protestent, qu’au mieux ils s’interrogent. Or, le vote protestataire est interdit en France,
pour deux raisons structurant l’infidélité fondamentale des scrutins par
rapport à la réalité des esprits français. Première raison : le parti
qui exprime une condamnation globale de nos mœurs actuelles – les communistes
pendant une cinquantaine d’années, le Front national depuis vingt ans – est
excommunié et interdit d’alliance. Deuxième raison : le vote blanc n’a
toujours pas droit de cité. Et il n’aurait, s’il est reconnu, d’efficacité,
qu’à condition d’annuler tout scrutin qui ne recueille pas un minimum de
participation.
BFF
– 24.25 II 07
Après une
semaine terne – celle du 19 au 25 février – une semaine très nouvelle – celle
du 26 février au 4 mars : quelque chose prend alors forme. L’attention
nationale paraît se fixer – enfin – sur un problème de fond : un des
candidats est parvenu à l’exprimer.
Tel que je vis, je suis
à peu près coupé des principaux médias, mais à Paris, la rue, le métro, les
gares, ou chez moi en Bretagne méridionale à parcourir les bourgs et la
campagne pour retrouver notre chien, il y a l’air du temps qui est peu les
titres de journaux, pas beaucoup la télévision devant laquelle chacun, dans
la nuit rurale et le silence des
prairies et des bourgs-dortoirs, sont les adultes, beaucoup d’autos autour des
maisons, donc la radio. dont il est acquis qu’elle est considérée comme plus
fiable que la télévision, il y a surtout le temps du temps qui n’est pas un jeu
de rôle mais une véritable réfklexion. Il me semble que les Français réfléchissent
davantage et plus profondément que les acteurs : candidats,
personnages, commentateurs et journalistes. Eux vivent la campagne, sans en
avoir rien choisi, ce qui compte c’est l’après-élection, la campagne n’est pas
leur métier, alors qu’elle est une profession (gagner-pain acquis et ambition
assouvie) pour ceux qui tiennent et font la scène.
2° De rares certitudes
positives, mais qui sont sans doute la matrice d’un système nouveau
La réflexion
sur les modalités de la campagne et sur celles du scrutin n’est pas nouvelle
dans les pétitions qui en sortent, mais dans le fait – que je crois majeur,
irréversible comme au XIXème siècle vint la décision du suffrage universel.
Simplement :
1° l’égalité de présentation des candidats
n’est pas aqcuise, du fait du poids du secteur privé échappant pratiquement à
toute réglementation, et n’ayant de limite dans le favoritisme que la décence.
La presse du groupe Dassault ignore François Bayrou qui ne peut que
l’embarrasser, présente Nicolas Sarkozy en constante préface de son règne et en
possession d’état, fait larmoyer sur Ségolène Royal. Les émissions qui
retiennent, et encore… sont celles assurant cette égalité de traitement :
TF1 et la question posée par la centaine de participants.
2° les parrainages choquent. Ils semblent un
empêchement, leur publication une indiscrétion redoutable et anti-démocratique.
Ils sont le motif de pressions sur les rares élus qui demeurent, selon les
gens, proches des soucis quotidiens et dépendants des électeurs : les
maires des petites et moyennes communes. Elément aussi de liberté et
d’indépendance dans la politique française, puisque la plupart ne sont pas
« encartés » dans un parti à qui ils « doivent » leur
élection ; au contraire, ce sont souvent eux qui font, localement, les
inclinations et l’installation d’un parti.
3° la possibilité légale d’un vote blanc
constructif est réclamée.
Un candidat
qui prendrait l’engagement de répondre pour l’avenir à ces trois demandes, et
qui – dès cette campagne – défendrait, s’il est en bonne position, la possibilité
pour les autres d’être candidats ou de s’exprimer davantage, trancherait.
Le ton des
campagnes des principaux candidats est entendu comme passe-partout et recueil
de promesses dont il est certain qu’elles ne seront pas tenues. Elles se
ressemblent toutes, elles ne donnent ni le portrait d’un Président de la République, ni la mise
en place de sa fonction et de ses prérogatives, ni le crible des grandes
questions qu’il sera de la compétence de l’élu de résoudre. La campagne
semble analogue à n’importe quelle consultation locale. La pétition de
proximité est un genre pour les medias, elle ne trompe pas les électeurs
localement qui ne sentent nullement sur le même pied, ni compris, ni entendus.
Les Français connaissent leur situation et jugent selon celle-ci les
boniments : la méthode Coué, le « tous ensemble », le « rassemblement »
sont des répétitions trop anciennes maintenant. A ce titre, aucun des candidats
n’emporte la conviction qu’il est sincère, crédible. De quand datent ces pluies
de promesses et la déception qu’elles ne soient pas tenues ? La manière et
la personne de Jacques Chirac y sont pour beaucoup : 1988 et 1995. Mais la
gauche, en tant que telle, a manifestement déçu – elle aussi, auparavant et
depuis… – ses partisans et les ralliés, d’où le vote-sanction en 1986, en 1993
et – souvenir récent – en 2002. Les candidats, quel que soit leur parti, sont
sanctionnés pour la manière dont Jacques Chirac a mené ses campagnes
présidentielles, donc dévalué le niveau de cette consultation, mais ils le sont
également pour la manière dont la gauche a gouverné en faisant trop la part des
encadrements, surtout mentaux, inculqués par la droite. Celle-ci d’ailleurs est
taxée par une partie de ses électeurs de trop de complaisance envers les
« laxismes » de la gauche. Bateleur d’un côté, « traîtres »
de l’autre ?
L’ensemble et du mode de scrutin et de la
manière de faire campagne est décrédibilisé.
La manière des
campagnes menées de 1965 à 1988, est perdue de mémoire. Or, elle faisait la
qualité de notre principal moment démocratique et justifiait – en partie –
qu’il y ait si peu d’autres moments (le manichéisme pour le renouvellement de
l’Assemblée nationale, l’absence de contrôle parlementaire sur le gouvernement,
de possibilités constitutionnelles pour une mise en cause d’un président de la République insuffisant
ou sujet à caution). Elles ont eu pour traits principaux, tous absents dans la
présente compétition : le primat dans le dire de chacun des candidats
d’une conception de la politique et de notre pays, les promesses étaient celles
d’une novation de l’une et de l’autre, elles étaient peu ou pas ponctuelles. La
personnalité des candidats n’étaient pas évaluée selon leur vie privée du
moment, mais selon leur biographie, leur passé. Le bilan était décisif, la
crédibilité, non des promesses, mais de la capacité à gouverner, plus encore.
On comparaît beaucoup. La presse d’opinion existait encore : les
hebdomadaires principalement. Chacune des campagnes eut sa novation : en
1965, le fait même du nouveau mode de scrutin et donc d’une campagne où de
Gaulle n’était plus seul en vue et que celui-ci s’expose en dialogue
tête-à-tête improvisé ; en 1974, le débat entre candidats en direct, à
l’américaine, ce dont le « grand débat » Mendès France –Michel Debré
avait donné un avant-goût ; en 1988, la « lettre aux Français »
du président candidat à sa réélection. Quelle innovation aujourd’hui ?
3° Apathie ou désespérance des
électeurs ? ou médiocrité des acteurs ?
Le referendum
de Mai 2005 a
désavoué – bien plus qu’un projet de texte ou que le président de la République qui l’avait
soumis à ce scrutin – l’ensemble d’une « classe » politique ou
commentante incapable de faire ressentir par l’électorat l’enjeu européen,
l’ensemble plus encore d’une « classe » gouvernenante et technocrate
incapable d’une attitude à Bruxelles et dans le concert de nos partenaires de
l’Union européenne tenant vraiment compte des opinions et des désirs de ses
administrés-concitoyens. Cet événement immense, appelant une lecture rétrospective
de nos politiques européennes depuis vingt ans, a été aussitôt oublié par ceux
qui tenaient la scène et la tiennent encore le temps de la présente
compétition. Là était le sondage de
l’opinion. Il n’en a pas été tenu compte. La carte a continué d’être forcée
en politique sociale et économique intérieure. Puisque le président de la République ne
démissionnait pas en bon Européen qu’il eût alors paru pour l’immédiat et
surtout pour la postérité, la dialectique française était d’affirmer la
sentence et de la rendre contagieuse puis constructive. Il fallait porter à
Bruxelles la volonté révisionniste des Français, l’articuler en
contre-propositions et tenir désormais ces contre-propositions. Notre pays aurait
retrouvé – par cette exploitation paradoxale des résultats négatifs du
referendum –cette capacité d’inspiration de l’entreprise européenne qui fit
notre force de Robert Schuman à de Gaulle, et qui fonda quelque chose. Cette
« chose » était une ambition politique – par le truchement de
l’intégration économique – et elle a été oubliée par les acteurs, mais pas par
les électeurs. Les acteurs qui n’avaient pas su jouer convenablement la pièce,
leur rôle au printemps de 2005. Une pièce mal écrite depuis une vingtaine
d’années par manque d’imagination et aussi par distanciation croissante des
gouvernants vis-à-vis des gouvernés. Un enfermement mental dans les matrices
des années 1950, dans les débats des années 1960, un éloignement des endroits
de vie et de pratique de ce qui a découlé de l’intégration économique et
surtout du nouvel esprit libéral, véhiculé, imposé par cette intégration, alors
que les traités initiaux n’en faisaient nullement obligation.
La réalité –
une mise en cause globale de ce que la politique a aujourd’hui de
principal : l’entreprise européenne – la réalité non considérée, il fallut
donner l’illusion du mouvement, dans la vie politique française : on ne
trouva que des jeux de rôle. Pas de vrai contenu et avec très peu de texte,
puisque nous vivons la première génération sans talent oratoire, sans talent
d’écriture, sans même la moindre touche comique ou d’humour. Des Français qui
ne savent pas parler, pas écrire, pas faire rire, ce n’est plus une question de
régime politique, c’est un signe de grave maladie collective. Chacun récite,
personne ne surprend. Le narcissisme ne tient pas lieu d’inventivité. Jacques
Chirac conclut ses mandats et sa vie politique par des récits personnels au
style indirect, puisqu’il n’a écrit aucun de ses livres. On se soucie de sa
psychologie et de son avenir, pas de sa responsabilité ni de son bilan. Nicolas
Sarkozy et Ségolène Royal parlent à la première personne au lieu que les
questions traitées s’exposent, naturellement, à la troisième.
« Poisons
et délices du système », Jacques Fauvet caractérisait ainsi la vie
politique sous la
Quatrième République. Nous y sommes, s’il s’agit d’artifice.
Un premier acte a été le défi lancé par Nicolas Sarkozy à Jacques Chirac.
Celui-ci avait tous les moyens, avant comme après 2005 (le referendum négatif,
la révélation d’une santé ébranlée), de casser les reins du prétendant en lui
interdisant de fait la présidence du parti qu’il a fondé, en ne lui donnant
aucune place dans le gouvernement. Jacques Chirac a choisi le biais d’une
contre-candidature, celle de Dominique de Villepin. Une tolérance tactique est
devenue le consentement à son propre abaissement quand le nouveau Premier
ministre a échoué – pour des raisons qui sortent de la présente épure. Les
choses acquises à l’automne de 2006, le relais a été pris par Ségolène Royal,
la bataille au sein du Parti socialiste pour l’investiture a intéressé, elle a
été le seul moment, jusqu’à présent, d’un débat de fond en France sur les
alternatives à trancher pour retrouver un avenir national. Mais la qualité de
ce débat a été peu montrée par les commentateurs qui d’une certaine façon se
sont conduits comme les adversaires du Parti socialiste : on a insisté sur
un destin, sur la nouveauté qu’une femme ait des chances sérieuses d’entrer à
l’Elysée, on a fait du débat une question de personne. Dans les deux cas –
Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal – on a traité une prise de pouvoir, mais peu
les traits d’une personnalité et encore moins un programme. La capacité à
répondre du pays – qui est le fond de l’exercice des prérogatives présidentielles
– n’est pas le sujet présenté au choix des Français. Candidats et commentateurs
n’ont pas traité les électeurs en adultes. Des mineurs à appâter par des
grelots : les promesses. Leur montant autour de 30 ou 35 milliards deuros.
net est d’ailleurs identique à l’U.M.P. et au P.S. parce que les dossiers
venant de l’administration sont les mêmes et que rien n’a été repris au
fondement. La pose pour médias est analogue : être proche.
Les deux
« principaux » candidats se sont laissés enfermer dans ce jeu et ont
mené une campagne analogue, pointilliste, sans rien qui marque, laborieuse et
paraissant les ennuyer eux-mêmes. Mimétisme gris. D’où l’occupation des médias
par les sondages faute qu’il y ait à trouver pâture dans le texte-même ou le
comportement des candidats. La médiocrité des coureurs a fait se concentrer sur
les résultats de la course, seul suspense, puisqu’en cours de campagne rien
n’est surprenant de ce qui est entendu, le candidat de la majorité sortante
ayant depuis longtemps décoché ses flèches les plus vives et articulé ses
convictions et affirmations les plus discutables ne peut plus surprendre qu’en
paraissant revenir sur celles-ci, la candidate socialiste qui n’avait pas droit
à choquer ne surprendra plus maintenant qu’elle prend garde à tout. Les deux se
brident eux-mêmes. Fatigués manifestement.
L’électorat
n’est donc pas apathique : ce qu’il voit et entend ne le provoque pas, il
n’a pas d’appétit pour ce qui lui est présenté. La médiocrité des acteurs,
autant que de leur jeu (car le métier pourrait suppléer au talent) ajoute un
motif de désespérance à une ambiance déjà désabusée.
L’art du
général de Gaulle était de susciter l’opinion. Bien plus au cours de
l’action gouvernementale et pour soutenir celle-ci, que lors des élections. Qui
pour lui – tenant sa légitimité de bien autre chose que les urnes – étaient une
formalité indispensable mais pas fondatrice. Il n’était pas élu selon des
promesses, il exerçait le pouvoir à condition que les Français acceptent sa
politique, sinon il ne l’exerçait plus : 1946 et 1969, question posée à
chaque scrutin. Sa manière d’être paraissait tout, mais précisément c’était
cette manière qui faisait distinguer au pays les alternatives. Le charisme de
François Mitterrand était tout autre : il incarnait de l’espérance en
1974, en 1981 et en 1988, son art qui lui valut le pouvoir était de légitimer
cette espérance, souvent vêcue comme une revanche de plusieurs générations sur
la dominante du moment, en la faisant gagner des élections. De Gaulle et Mitterrand
avaient donc une philosophie haute du pouvoir, transcendant les questions de
gestion, portant la fonction présidentielle au niveau qu’elle doit avoir dans
un pays dont le tréfonds est à la fois contestaire et monarchisant, laïque et
avide d’une certaine sacralité. Valéry Giscard d’Estaing en appelait à
l’intelligence des électeurs. Aucun des trois n’était donc médiocre.
4° Quelque chose prendrait-il
forme ?
Selon le
résultat de l’élection en cours, et notamment du premier tour, il sera opérant d’analyser
la seule campagne qui – maintenant – tranche
sur les autres : celle de François Bayrou. L’étudier, pour quoi ?
pour discerner si François Bayrou avait, dès son premier positionnement de 2002
et les votes de son groupe parlementaire la dernière année de cette
législature, le discours qu’il affirme maintenant, et auquel il semble que
l’électorat attache de l’intérêt ou qu’il y prend goût. Ou si au contraire, le
candidat « centriste » a su discerner l’appel de l’opinion à une
relecture et à une sanction de toute l’histoire gouvernementale française
depuis vingt-cinq ans.
Etapes :
une entrée en scène différenciée du candidat de la majorité sortante, mais pas
immédiatement censée casser celle-ci. La pétition semble n’être que du premier
tour. Puis l’analyse – non dite – se fait qu’au deuxième tour, Ségolène Royal
n’aurait pas les voix de François Bayrou ce qui fait répéter à celle-ci que ce
dernier « finira » à droite (en réalité, ses électeurs en probable
majorité, mais pas lui, personnellement), mais qu’en revanche à choisir entre
Nicolas Sarkozy et François Bayrou, beaucoup de sympathisants de gauche
feraient passer avant tout leur désir de battre le candidat avoué de la droite.
Le président de l’U.D.F. avance alors qu’il prendrait un Premier ministre de
sensibilité à gauche. Le propos bien accueilli – tant par l’opinion que par les
commentateurs ayant enfin une nouveauté à examiner – engendre une présentation
globale, c’est la relecture de notre histoire : vingt-cinq ans d’alternance des personnes au pouvoir et au gouvernement
n’ont pas résolu nos principaux problèmes et n’ont exploré aucune alternative.
Il faut donc changer de méthode. La pétition n’est plus centriste :
« deux blocs = violence », comme Jacques Duhamel et Joseph Fontanet
l’affichaient en 1968, le M.R.P. en 1945-1946, elle est d’union nationale. Sans
le proclamer, sans peut-être en avoir déjà pleinement conscience, il s’agit de
revenir au gaullisme dans le parti tiré des institutions. Le moyen devient une
fin.
Un des outils
à mettre en œuvre pour l’avenir est le retour à la proportionnelle. Alors que
droite et gauche avaient cherché un remède dans le raccourcissement de la durée
du mandat présidentiel : remède qui a consacré l’irresponsabilité du
présdident devant le peuple (c’est la désastreuse jurisprudence de Jacques
Chirac en 1997 et en 2005) et qui amenuise encore davantage la fonction
parlementaire de délibération et de contrôle. Changer le mode de scrutin pour
l’Assemblée nationale est sans inconvénient pour la stabilité gouvernementale
(Michel Debré et à sa suite le général de Gaulle n’en faisaient pas du tout un
dogme), puisque les prérogatives présidentielles : referendum et
dissolution, sont de nature à faire réfléchir les parlementaires sur les
conséquences de leurs votes. C’est en revanche très avantageux pour une réelle
personnalisation du rôle national des élus et leur décision en conscience sur
des sujets qui sont de plus en plus de société et de moins en moins de gestion
idéologique. La vie parlementaire, et de réels apports aux délibérations et
initiatives gouvernementales, dépendent au fond d’une liberté de voter en
conscience. L’absentéisme tient à la discipline des partis. Le désintérêt
massif du pays pour la politique tient à ce que tout se fige dès l’élection passée.
Ni contrôle ni mouvement.
La réponse à
la prise de conscience des électeurs depuis quelques années que la France s’enfonce
désastreusement, est donc donnée : il faut une continuité et une force
très nouvelles, une quasi-unanimité nationale existe si on sait la chercher
puis la susciter. Le programme est donné. Il ne va pas être oublié. L’unité
nationale est un fait latent, c’est notre dernier moyen pour nous en sortir.
Nous ne l’avons plus essayé depuis de Gaulle.
Je suis frappé
de cette irruption. Est-ce la « montée dans les sondages » qui a
inspiré à François Bayrou son énoncé ? Est-ce au contraire la logique de
ses premiers propos qui, après quelques semaines de tâtonnements entre les deux
« principaux » candidats, a attiré l’opinion ? et de plus en
plus de paris d’avenir (et de carrière). Le retour – non dit, et qu’il n’est
pas nécessaire de dire – d’une conception gaullienne de la pratique
gouvernementale en France, je le souhaitais depuis des décennies. J’y crus
pendant la campagne de 1984 quand François Mitterrand comprit que le dénouement
de la question scolaire, prétexte de la mise en jeu complète des scrutins de
1981 ayant donné à la gauche le pouvoir qu’elle n’avait jamais auparavant en
France exercé plus de quelques mois, était référendaire. Mais le président se
lia les mains en tenant à rester fidèle à ses pétitions de 1960-1961 (Le
coup d’Etat permanent) et en ne recourant pas à l’article 11 de notre
Constitution, ce qui le mettait aux mains du Sénat, structurellement de droite.
Partie perdue et le renouvellement de l’Assemblée nationale consacra le fait.
Si François Bayrou est élu, il le sera explicitement par une volonté nationale
– même de majorité étroite – que désormais le pays soit gouverné par consensus,
c’est-à-dire en tenant compte d’abord de lui.
5° Le monde, pendant ce
temps-là…
La France peu présente,
l’Union européenne aussi, sur les grands sujets : le contenu des
négociations commerciales, le financement des endettements nationaux, le sort
des armes de destruction massive, ne leur apporte rien par le dire de ses
candidats à l’Elysée.
Aucune
proposition – de grand écho – ni sur les institutions européennes, ni sur
l’indépendance de l’Union vis-à-vis des Etats-Unis : les deux préalables à
toute politique extérieure nationale et européenne. Pourquoi ? parce que
les candidats n’ont aucune expérience personnelle des relations
internationales, ce qui nest sans précédent dans une élection présidentielle
chez nous, et parce que notre diplomatie, faute que nous ayons continué la
trajectoire de notre contestation en Conseil de sécurité des intentions
américaines à propos de l’Irak, s’est ralliée à l’esprit dominant les relations
internationales depuis 2001. Le terrorisme explique à peu près tous les
alignements.
Les grandes
questions écologiques et humanitaires ne sont pas non plus traitées. Toute la
question du chiffrage du programme de la candidate socialiste a tenu dans la
réponse de Ségolène Royal aux questionnaires et aux propositions d’engagement
de Nicolas Hulot.
Il n’est pas
observé que les Etats-Unis sont à eux-mêmes leur propre antidote dans leur
nuisance aux relations internationales et dans leur empêchement qu’une gestion
démocratique et avisée de la planète soit enfin organisée et conduite. Les
guerres extérieures : Vietnam et Irak, sont sanctionnées par l’opinion
intérieure américaine. Les avancées techniques les plus efficaces et rentables pour économiser et moins polluer
sont également américaines. La complicité – servile parfois – des dirigeants
européens vis-à-vis des gouvernements américains masquent cette réalité. L’intelligentsia
américaine a attendu une contribution européenne à sa propre pression. En
vain. De Gaulle fut admiré d’elle. Le système éducatif français a éradiqué la
conscience de classes et donc la motivation des luttes dès l’enseignement du
bas âge, depuis une vingtaine d’années ; l’enseignement supérieur et la
culture des entrepreneurs aujourd’hui sexagénaires ont encouragé la
dénationalisation et l’absence de conscience résolument européennes des jeunes
élites. Alors que l’Amérique récuse en
profondeur la responsabilité financière et morale d’une hégémonie, l‘Europe
parce qu’elle consent à sa colonisation mentale et financière, par habitude
d’un protectorat sécuritaire, conforte les systèmes internationaux qu’elle
critique et qu’elle était, en naissant et en grandissant, censée périmer.
Aucun candidat
ne propose une analyse globale du monde contemporain et des relations
inter-étatiques. L’étranger ne s’y trompe pas qui ne voit pas d’enjeu à la prochaine
élection présidentielle. L’électeur non plus. Il m’est arrivé d’entendre en fin
fond de campagne le mot : rang… pour notre pays. Vieilles fermes en pierre
grise de taille, les animaux pâturant non loin, la pluie tombait, celle des
années-ci, le soleil avait été et n’était plus.
6° Les résultats du
capitalisme tel qu’il se pratique en français
Depuis une
quinzaine d’années, depuis que la logique dogmatique des privatisations – on en
est maintenant à celle des aéroport de province qui soumis à la loi de
rentabilité ne subsisteront pas plus longtemps que les bureaux de poste à la
campagne – a fait passer la satisfaction des besoins humains après la
rémunération des actionnaires, les principales entreprises ont changé de nom et
également de métier. Plus personne n’affiche ses origines ni ses ancêtres, au
rebours d’une passion récente des Français pour la généalogie. Mais des
personnes physiques (avec une ambition d’installation héréditaire) et leur
fortune récente sont apparues. Or celles-ci ne jouent ni le jeu national ni le
jeu européen, quoique nos politiques, nos gouvernants et les candidats les
courtisent.
Je ne commente
pas : Pinault joue Mittal Steel contre Arcelor avant l’été, Lagardère
entend sortir du capital d’EADS et donc d’Airbus quand la crise s’installe.
Bébéar a tué Messier qui s’en est personnellement remis, mais Vivendi et un
immense réseau sont perdus. Comme les procédures contre Elf et Lefloch-Prigent
ont détruit un empire français dont Total ne tiendra pas lieu, d’autant que la
culture nationale, voire du service public n’est pas celle de ce groupe. Dans
toutes ces aventures, les questions de personne ont été décisives, comme dans
une pièce de théâtre, les haines et les jalousies. Le capitalisme tel qu’il est
ainsi vêcu est aléatoire, les actifs (et l’épargne et les impôts) de plusieurs
générations françaises ont été bradés en pas deux décennies. On réagissait il y
a douze ans à la mésestime de Thomson, on ne met pas en cause ce qui me paraît
plus qu’une coincidence dans la vie d’Airbus, sa privatisation. Pendant
trente-cinq ans, l’entreprise franco-allemande marchait, les Etats
capitalisait, Boeing était égalé, allait être définitivement supplanté. On
privatise : pourquoi ? et les erreurs commencent. La prochaine se
prépare : introduire du capital non-européen. Et l’ultime résultat, je
l’appréhende depuis dix-huit mois avec tristesse, c’est le rachat par Boeing.
Pour d’autres raisons que Concorde, ce sera la même asphyxie puis la mort.
Précédent de vingt ans : l’imagerie médicale et l’application pratique de
notre excellence médicale (en bonne partie du fait de notre système de sécurité
sociale) ont été cédés l’été de 1987 aux Etats-Unis contre l’illusion des
dirigerants de Thomson alors d’y gagner le marché grand public de la télévision.
On voit bien aujourd’hui qu’il n’y a plus de fabricant français de télévision.
Jacques Chirac était Premier ministre à l’époque, et c’est lui qui fit nommer
Noël Forgeard à la direction en binôme
d’EADS-Airbus. Lequel put soutenir en commission parkementaire d’enquête sa
propre excellence en même temps que son ignorance des retards pris. Les
indemnités de dédit, conséquence de l’incompétence des dirigeants, financent
les commandes de nos clients à Boeing et sont payés par la fermeture de sites industriels,
donc par l’amenuisement de l’outil, spirale déflationniste. La France paraît – pour
l’intervenant étranger - corruptible et ses élites peu nationales, en
contradiction totale avec nos discours cocardiers.
Aucun candidat
ne traite encore ces exemples. Concrets, immédiats. Illustrant aussi bien la
conception qu’ont les dirigeants français actuels de leur métier de dirigeant,
que l’idéologie privatiste dominante.
La campagne
électorale ne pose, jusqu’à présent, aucune question – ni de bilan, au président
sortant et à la majorité qu’il avait entrepris de fonder il y a trente ans, ni au
candidat de cette majorité sur son action au ministère de l’Intérieur, ni de
fait aux grands entrepreneurs. Elle ne gêne que les électeurs qui sentent que
presque tout est « à côté ». Qu’en somme rien n’est encore commencé.
Au point où
j’en suis de mes enquêtes de terrain, je ne suis pas encore certain, que le
dialogue soit noué avec François Bayrou, mais je suis sûr que les votes pour
les deux « principaux » candidats ne sont pas acquis ; ils sont
au mieux une tradition en famille d’esprit. Or, celles-ci ne correspondent plus
ni aux interrogations posées par les situations individuelles et notre
situation nationale, ni au désintérêt de la jeune génération. Ce désintérêt est
probablement ce qui interpelle le plus les générations plus anciennes.
BFF
– 4 III 07
disponibles sur
demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007
12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de
candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la
manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en
conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des
Français en forme de questions
Quel contexte ?
2 Janvier 2007
Le naturel des partis
Les clivages ne correspondent plus aux
partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour
9
Février 2007
Les mises en campagne
Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour
l'avenir
La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que
tel par personne
18
Février 2007
L'opinion et les candidats
Les candidats et l'opinion
L'absence de choix en matière institutionnelle
Le mauvais énoncé de la question européenne
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