Election
présidentielle 2007
observations
& réflexions
VI
La France va mal, c'est-à-dire
qu'elle n'est pas bien présentement et qu'elle n'avance pas dans la bonne
direction. Ce n'est pas nouveau, mais les précédentes élections
présidentielles, sauf celle de 1974, mettaient aux prises au moins un tenant du
pouvoir avec des compétiteurs, donc faisaient discuter l'état des lieux –
formule devenue courante, tant la politique s'est prêtée à la banalisation et à
une considération par des comparaisons qui ne sont pas de son ordre :
prestation, grand oral.... - selon un
bilan de ce qui avait été fait par le sortant. La présente campagne
n'oppose que des compétiteurs, sauf surprise – qui maintenant serait totale :
une nouvelle candidature du président sortant. Le ministre d'Etat, ministre de
l'Intérieur, n'assumant en rien l'exercice du pouvoir depuis 2002 alors qu'il a
été ministre tout le second mandat de Jacques Chirac, sauf quelques mois. Ce
qui est nouveau, c'est que les Français le savent, pas seulement en termes de
mal-être ou de récriminations plus moins individuelles ou organisées, mais de
science exacte : les chiffres de la dette, le déficit commercial
particulièrement. Or, la campagne d'aucun candidat ne porte sur ces grandes
questions qui font un diagnostic et qui marquent une impuissance. Pas de
candidat qui ne soit révisionniste de nos institutions, des politiques mises en
oeuvre, des manières d'être et de faire. La
rupture prônée par tous n'est pas un programme et enlèverait plutôt des
capacités qu'elle n'en donnerait. Rupture que présente Edouard Balladur,
qui n'est pas partie au débat, comme une ouverture. Les mots à force de se
chercher pour donner de l'impact à ce qui substantiellement n'en a pas, se
retrouvent qui avaient été oubliés.
1° Les mises en campagne
La posture
personnelle de la candidate du parti socialiste – parfois jugée excessive – ne
doit pas faire oublier d'une part l'exemplarité du débat de programme au sein
de ce parti – en pratique démocratique et en qualité du contenu – ni d'autre
part le score d'investiture par les militants. C'est ce score qui impose à
Ségolène Royal de jouer à fond l'avantage qu'ont vu en elle ses camarades : une
femme qui fera rupture parce qu'elle sera la première femme à présider la République française.
Elle peut aussi provoquer une mûe du parti socialiste en France si elle gagne :
un renouvellement du personnel gouvernemental, une nouvellevie à la base,
c'est-à-dire dans les sections elles-mêmes maîtresses des investitures aux
différentes élections.
Nicolas
Sarkozy, candidat de l'U.M.P., est en continuité totale sinon en mimétisme du
président sortant. C'est le culte du chef qu'a caractérisé son élection sans
compétiteur et que son défi au fondateur du parti, sans qu'il y ait de ce
dernier la moindre riposte alors que tous les moyens étaient et demeurent
encore aux mains de Jacques Chirac, a posé comme homme de force.
Une des
caractéristiques peu notées des campagnes présidentielles est qu'aucune n'a vu
celle d'un président sortant militer pour un dauphin ou pour un héritier. De
Gaulle félicita Georges Pompidou en 1969 mais se tint absent physiquement et
moralement de toute la campagne. Georges Pompidou mort ne pouvait préférer
Valéry Giscard d'Estaing à Jacques Chaban-Delmas mais avait favorisé le premier
et désavantagé le second. Valéry Giscard d'Estaing voulait se faire réélire et
n'ouvrait donc pas de succession. François Mitterrand ne chercha pas à choisir
à l'automne de 1994, ne poussa pas Jacques Delors, n'intronisa pas Lionel
Jospin, ne dit rien même qui eût été d'expérience pour départager les deux
Premiers ministres qu'il avait dû choisir dans la droite parlementaire. Jacques
Chirac a toléré tous les défis de Nicolas Sarkozy, ce qui le regarde, sauf
l'actuel : l'utilisation de la panoplie du ministre de l'Intérieur par un
candidat.
La majorité
sortante a déjà expliqué – en 1997 – qu'en se maintenant à l'Elysée malgré le
désaveu d'une dissolution par les électeurs ne reconduisant pas cette majorité,
Jacques Chirac s'inscrivait dans les précédents créés par François Mitterrand :
c'est omettre, ce qui est décisif, que le Président d'alors ne se maintenait
pas après une dissolution manquée mais à la suite du renouvellement à la date
constitutionnelle de l'Assemblée nationale. Les soutiens de Nicolas Sarkozy
pour justifier son incrustation place Beauvau invoquent que Jacques Chirac,
Edouard Balladur ne quittèrent pas Matignon pour faire campagne, ni Valéry
Giscard d'Estaing la rue de Rivoli en 1974. Sans doute, mais aucun n'avait
directement à sa main les services de renseignement et de documentation. Les
précédents des Premiers ministres ne valent qu'en terme d'image à maintenir
intacte en évitant qu'un successeur de quelques semaines ne les éclipsent : le
subit engouement pour une candidature d'Alain Poher, président du Sénat,
président par intérim en 1969,
a montré qu'une telle apparition sur la scène peut
bouleverser les chances des candidatures davantage prévues.
L'étonnant de
la campagne actuelle est que se présentent finalement, en dehors des deux
champions – nouveaux – que se sont donnés les deux principaux partis, exactement les mêmes autres candidats qu'en
2002 : Jean-Marie Le Pen naturellement, mais aussi Arlette Laguiller,
Olivier Besancenot, Philippe de Villiers, François Bayrou, Dominique Voynet
réintégrant même son rôle de 1995, et si, en place de Robert Hue, il y a
Marie-George Buffet, la stratégie communiste est la même. La candidature de
José Bové consacre l'échec d'une constellation « altermondialiste et
anti-libérale » : une candidature unique sur ce thème manquera, elle seule
aurait pesé en thèmes et en voix.
La mise en
évidence du « troisième homme » - Jean-Pierre Chevènement en 2002,
François Bayrou à ce stade de la campagne – fait bon marché du comportement
habituel des Français : s'exprimer au premier tour, choisir en éliminant au
second tour. Le premier tour ne constitue pas l'opinion, il la reflète dans sa
diversité. Rétrospectivement, le premier tour de 2002 suprenait parce qu'il
était un désaveu du détenteur sortant du pouvoir : le Premier ministre, Lionel
Jospin, et les candidatures ne manquaient pas pour l'exprimer. François Bayrou
et Jean-Pierre Chevènement, seuls, cherchaient à exprimer une alternative :
additionnées leurs voix d'alors sont de même nombre que celles dont on crédite
aujourd'hui François Bayrou. Cette alternative consiste surtout à prôner un
appel à la participation de l'opposition au gouvernement que nommerait l'élu,
tant les problèmes supposent pour être traitées au fond, un consensus que plus
personne ne parvient à constituer : Raymond Barre y appelle, sans évoquer aucun
candidat pour autant ; il y avait sans doute poussé en 1988, ce que refusa la
droite généralement moins bonne perdante que la gauche. Il avait lui-même été
ce « troisième homme » qu'après lui sera Edouard Balladur et qu'avant
lui avait été Valéry Giscard d'Estaing, seul à avoir gagné contre deux
appareils dominant ce qui après de Gaulle devint le clivage droite/gauche.
L'enjeu du prochain scrutin pourrait être
la liberté. Que les pratiques policières du candidat-ministre de
l'Intérérieur soient plébiscitées et nous acceptons un Etat abusif et dur,
alors même que sa plate-forme est pour une libération de la société et de
l'économie. Que François Bayrou soit placé au deuxième tour et l'emporte, les
appareils dominants sont relativisés et la chance que n'avait pu exploiter
Valéry Giscard d'Estaing face à la reconstitution d'un parti dominant, hors de
son autorité, la majorité, sera sans doute plus aisée à saisir.
2° Les modalités de la
campagne présidentielle restent à inventer pour l'avenir
Le souci de
symétrie entre les deux « principaux » candidats a fait long feu
parce que les démarches ne sont pas superposables, même si l'on a cherché la
similutude des investitures, l'analogie des discours inauguraux (le 14 janvier
et le 11 février...) et même la réédition d'une affaire de scooter volé, sans
insister trop sur le peu d'exemplarité des vies de couple respectives. Il a
fait croire à une impartialité. La réalité est d'une préférence pour
l'antagonisme droite/gauche des principaux médias, que pour la presse
quotidienne combattent seulement les journaux gratuits mais au lectorat de plus
en plus nombreux dans les grandes villes. L'apparition de ce genre de presse –
notamment 20 minutes et Métro plus que le nouveau France-Soir direct – modifiera-t-elle
les comportements électoraux ? Internet n'avait
pas révolutionné la campagne en 2002. Les « blogs » de ces années-ci,
les boîtes de dialogue et le recueil des « contributions »
n'aboutissent à aucun des deux résultats escomptés par ceux qui les mettent en
place. Une reprise médiatique les valorisant, une manière de donner à penser
aux électeurs qu'ils participent – sinon, dans l'avenir, aux décisions du
gouvernement que nommera l'élu(e) – du moins, à l'élaboration de sa
plate-forme.
Autrement dit,
les medias sont-ils un des moyens de la
démocratie contemporaine en ce qu'elles seraient ouvertes aux électeurs
plus encore qu'aux candidats, ou sont-ils le champ décisif de la joute entre
compétiteurs ?
Constat et non
pas question. La presse française – écrite et audio-visuelle – n'est plus
d'opinion au sens des deux derniers siècles. S'il existe encore un secteur
public audio-visuel, celui-ci n'est plus ni de nature ni de poids pour former
l'opinion. Les groupes de presse ont des propriétaires comme antan mais forment
des ensembles de plus en plus concentrés. Le rachat par le Crédit mutuel de
toute la presse régionale de la moitié orientale du pays vient certes d'être
enrayé par le Conseil d'Etat, mais il est symptomatique. La presse écrite ne
peut plus être financièrement indépendante dans sa forme actuelle, mais des
titres capitalistiques peuvent être de rédaction habile au point de retrouver
la capacité de suspense ou de titre qu'eut France
Soir dans ses grandes années 1950 et 1960. L'exception majeure
que constitue Le Canard enchaîné montre
que la critique circule encore le plus efficacement par les voies les plus
traditionnelles : la formule est centenaire. Mais les hebdomadaires ne sont
plus ces voix et n'ont plus – hors Le
Nouvel Observateur – ces plumes qui faisaient aux débuts de la Cinquième République
les appels à candidature. L'évolution française n'est pas dans les types de
candidature ni dans le genre des thèmes évoqués pour les campagnes
présidentielles ; elle réside, sous la permanence apparente des grands masques,
dans les changements et la concentration des contrôles capitalistiques et, plus
encore, dans la mûe des professionnels
de l'information. La déontologie a changé ; si les talents (sauf de
bateleur)n'existent pratiquement plus, ce n'est faute ni de circonstances
historiques, ni d'attente des Français ; la conception du métier, la place
de convictions, non pas parcellaires mais d'ensemble d'une vision de la société
et du monde, ont changé. L'investigation demeure, la synthèse et l'indépendance
ne sont plus les mêmes, la pensée n'est pas subordonnée, l'expression non plus
– pour leur généralité – mais elles sont uniformes parce que penser et élaborer
par soi-même est devenu rarissime. Le résultat est qu'il n'y a plus de
légitimité préexistant à une candidature – c'est même en 2007 – la donnée
principale : il n'y a plus que des champions ou de simples candidats, de même
qu'il n'y a plus d'autorité morale ni de référence intellectuelle. Par
conséquent, aucune explication globale des enjeux et aucune proposition
d'ensemble de ce qu'il y a lieu de faire n'ont par elles-mêmes de crédibilité :
il manque les deux supports possibles que seraient l'organe de presse
incontesté ou la personnalité dont le passé répond de tout le futur.
L'élection, en République, avait quelque chose de sacré : pas le dialogue avec
le peuple que vit explicitement et plus encore dans son inconscient un candidat
porté par un mouvement de l'opinion, mais la sensation d'incarner question et
solution en sorte que l'élection était consécration et adoubement pour une
grande action. Maintenant, elle n'est
qu'un mode d'accès au pouvoir et elle oppose les Français entre eux, au lieu de
faire aussi profond que possible leur consensus.
Le
conservatisme tient lieu de ce consensus dont plus personne – par la plume, le
commentaire ou par la candidature – ne cherche la responsabilité.
La politique
extérieure en est un exemple actuel. Toute percée d'expression ou de thème qui
serait détonnante et pourrait faire « bouger les lignes » n'est pas
même traitée en iconoclaste, elle est jugée nulle pour incompétence de celui –
celle, jusqu'à présent – qui la tente. Comme les relations extérieures de la France semblent de peu
d'influence sur la vie quotidienne des Français, elles sont préférées pour ce
genre de dénonciation aux thèmes intérieurs qui – tous sans exception – sont
matière à applaudissements d'au moins une partie de l'électorat ; ils seraient
dangereux de critiquer trop vite. Il serait donc intelligent d'être gros et
simpliste sur les sujets d'économie ou de société, mais il importerait d'être
subtil, c'est-à-dire banal en politique étrangère. Ainsi est supposée une
adhésion du grand nombre à une norme qu'on tente d'approcher en la faisant
passer pour du bon sens. Une telle méthodologie empêche d'analyser l'état d'esprit général : il est supposé,
les campagnes de tous tentent de s'y conformer ou se développent en référence.
Tout le processus risque d'être à côté. L'exercice du pouvoir l'a été sous
Jacques Chirac, la campagne électorale le serait aussi, le risque est que
l'élection elle-même ne soit pas vraie. Légale, mais légitime ? Source de
légitimité ?
3° La politique extérieure
est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que tel par personne
Les
« gaffes » de la candidate socialiste ont été daubées, et dans une
moindre mesure celle du Président de la République à propos de l'Iran – manière des
médias ? Ou supposition d'une opinion publique réputée contraire et donc d'avance
favorables aux critiques. L'erreur du Président de la République n'a pas été
de dire l'exacte vérité, à savoir que si un Etat détenteur de l'arme nucléaire
– qui ne fait plus peur du tout, au regard des psychoses du terrorisme – en
faisait usage sans être la Chine
ou la Russie,
il serait aussitôt et sans aucun « équilibre de la terreur » détruit
par les Etats-Unis. Cela vaut pour l'Iran et pour la Corée du nord ; dans le cas
de l'Iran, la dissuasion s'adresse à Israël, voire à des satellites de l'Amérique
au Moyen-Orient mais évidemment pas à Washington. L'erreur du Président de la République a été de
plaider aussitôt coupable. Abaissement inutile d'autant que la crédibilité d'un
président sortant qui ne se représente pas est faible. Déjà le discours de
doctrine nucléaire de Janvier 2006 avait paru excéder le mandat de l'orateur,
d'autant qu'un infléchissement pour opposer une dissuasion aux Etats même non
nucléaires mais soi-disant terroristes paraissait déjà de complaisance. Au
total, le propos n'avait pas marqué. Testamentant sur le nucléaire iranien, le
Président de la République
en revanche aurait été écouté, en tout cas des Français qui mettent son
attitude à propos de l'agression américaine en Irak parmi les rares points
indiscutables de son exetrcice du pouvoir, le suivront pour que la France s'oppose à une
agression globale ou partielle contre Téhéran.
Pour qui a
approuvé d'enthousiasme le général de Gaulle, les propos de Ségolène Royal tenu
au chef du Parti nquébécois et réitérés publiquement sont excellents. Ils
renouent avec un legs précieux et avec un intérêt évident de la France. La présentation
de la thèse gaullienne en forme renouvelée : les valeurs communes, qui sont
etc... (la souveraineté, l'indépendance), a été excellente. Chaque fois que ce ne sont pas eux qui
disent les choses, ceux qui sont censés hériter – lointainement – du gaullisme,
s'y opposent. Scenario de l'été et de l'automne de 1984, quand François
Mitterrand, pourfendeur jusques là de la pratique référendaire s'y était rallié
pour que soit tranché le débat sur l'enseignement : la majorité sénatoriale
conduite par le Rassemblement pour la République de Jacques Chirac, fit capoter la
chose. La révision de 1995 n'a été que d'apparence, le referendum est de
pratique plus restreinte que jamais et il est maintenant de jurisprudence qu'il
n'engage pas la responsabilité présidentielle. On ne peut être plus éloigné de
la lecture et de la pratique originelles de la Constitution : celle
du général de Gaulle. Au reste, le débat dans la majorité sortante sur la
question de savoir qui hérite du gaullisme a tourné court, ce qui n'empêche pas
pour l'avenir le Premier ministre sortant d'être le moins mal doté en la
matière s'il la creuse vraiment : il aura cinq ans pour s'y illustrer. Ségolène
Royal remet donc à l'ordre du jour un véritable enjeu français : l'avenir
indépendant du Québec, que les Français avaient perdu de vue et d'ouïe depuis
quarante ans.
Quant à ses
dires à un fantaisiste sur la
Corse, ils ont été tenus avant elle et très directement par
Raymond Barre qui ne passe pas pour manquer de sérieux : ils sont certainement
approuvés par une majorité de Français qui ne peuvent supporter cette prime
financière au terrorisme puisqu'il est notoire que l'Ile de Beauté bénéficie de
beaucoup plus de soutien que les autres départements, y compris ceux
d'outre-mer autrement nécessiteux.
Ce sont les
propos les plus voyants. Les deux questions décisives que sont la reprise de la
construction européenne – confondue depuis le départ du général de Gaulle avec
l'élargissement des Communautés et de l'Union, sans qu'au rôle du Parlement
près, rien n'ait changé dans le mode de décision – et l'identité européenne
face aux Etats-Unis, à leurs intérêts, à leurs straégies, à leurs idéologies
économiques et politiques, ne sont pas traitées carrément. On ne changera pas,
sauf catastrophe à ne pas souhaiter, la mondialisation au sens d'une
multiplicité des communications et des échanges, mais on doit changer ce qui se
véhicule et qui pour le moment est hégémonique à tous les égards, et d'abord
intellectuellement. L'Europe des années 1950 était imaginée, certes en termes
de réconciliation franco-allemande ce qui était central et qui fut moteur
pendant une vingtaine d'années, mais surtout comme une troisième voie entre
deux géants et aussi entre leurs modèles socio-économiques respectifs.
Aujourd'hui, l'alignement européen est si complet – du moins celui des
gouvernants – que les Etats-Unis n'ont plus de considération que pour la Chine et la Russie. Il est vrai qu'un
ensemble du poids économique et démographique de l'Europe qui continue d'avoir autant de têtes et de détours
institutionnels pour exprimer les positions les plus banales (et peureuses)
ne peut être pris que pour animal à tondre. L'Europe est un ensemble de
consommateurs, à part l'Allemagne on n'y produit plus. Comment changer la
tendance – voies et moyens – divise les candidats. La plupart traitent la chose
à l'envers en ne considérant que les effets de l'alignement, soit le
libéralisme économique européen, véhiculé, mis en directives par Bruxelles. Les
souverainistes traitent des effets mais pas de la cause. Le candidat de
l'U.M.P. est atlantique, sans nuance. Les socialistes, même avec François
Mitterrand, ne tranchent pas. Jacques Chirac n'a pas su mettre en stratégie
contagieuse pour l'ensemble des Européens, des vues et des analyses qui
auraient pu être gaulliennes, si elles avaient été constantes et suivies,
servies surtout par la conscience que la voie française ne passe plus que par
le ralliement des Européens : voie d'habileté, mais certainement pas de
déclamation, encore moins de propos spontanés.
Or, pour la
première fois aussi nettement, la politique extérieure commande l'économie et
l'évolution sociale. Les grandes étapes
de la désindustrialisation française illustrent le manque de constructivité de
l'entreprise européenne, la dénationalisation des dirigeants en bonne
partie parce qu'ils ne pratiquent plus de métier que celui de diriger
nominalement n'importe quel groupe d'activités pourvu d'être à sa tête.
L'identité nationale et européenne fait défaut, les budgets qui font l'avenir –
la recherche, essentiellement – ne sont plus attractifs, la jeune génération
quand elle se croit d'élite émigre physiquement ou au moins mentalement. La
cause générale est que notre pays, et l'environnement européen dont il s'était
voulu longtemps responsable par privilège historique et géographique, ne sont
plus gouvernés, mais soumis. Nous vivons des applications criantes mais que ne
traitent pas les candidats : la déconfiture d'Airbus, le rachat du meilleur de
la sidérurgie européenne par des intérêts extérieurs à l'Union européenne, les
fusions-acquisitions ne se font pas entre Européens mais avec les Américains
(Etats-Unis et Canada, ainsi Alcatel et Péchiney) ce qui vaut chaque fois
délocalisation du centre de décision et expulsion des cadres originels :
français dans ces deux dernières espèces. Or, les débats sont thématiques et
non d'espèces. Que le Parlement s'en saisisse ou que les manoeuvres sur le capital
ne se fassent qu'entre entrepreneurs, les décisions ont été toujours forcées et
quand elles étaient assorties d'engagements, toujours trompeuses. La politique
n'est pas discours mais décision. Encore faut-il se donner les moyens d'être
décideur. Les Français sentent que le pouvoir d'Etat est en question, et donc
le motif même de l'élection présidentielle.
Le changer –
ou l'exercer – postule une vision d'ensemble, donc des structures mentales
fortes, une cohérence intime. L'appétit – l'ambition du pouvoir, ne suffisent
pas à les donner. L'habillage par propagande ou par artifice n'est pas
crédible. Je suis depuis longtemps frappé par des expressions telles
qu' « afficher sa sérénité ». On est d'âme tranquille, on ne
peut faire semblant. Les maquillages ne tiennent pas. Le commentaire peut
distraire quand il présente la psychologie des candidats et leur biographie ;
il est inutile tant qu'il ne traite pas de ce qui constitue l'équilibre mental
des candidats à l'exercice du pouvoir. De leur santé aussi. Raymond Tournoux et
Franz-Olivier Giesbert ont – à quarante ans d'intervalle – dit la tragédie du pouvoir comme si devait
d'abord importer le destin d'une personne quand il s'agit de la vie d'un
peuple, de l'avenir d'un pays, de la sauvegarde d'un patrimoine, de la
constitution d'une nouvelle identité forcément consensuelle.L'essentiel n'est
pas l'impact sur une psychologie personnelle de l'exercice des prérogatives
présidentielles – Valéry Giscard d'Estaing menait en direct cette évaluation -,
elle est à l'inverse de réfléchir sur l'impact qu'aura une personnalité sur cet
exercice. Le charisme est déjà beaucoup, surtout s'il est appliqué à des causes
fortes et s'il permet de susciter l'opinion, le don de souveraineté est plus rare, il donne à une nation le recul et
la conscience de soi qui lui sont nécessaires à certains moments de son
histoire ; ainsi, maintenant, la
France en a besoin. En quoi, la campagne électorale n'est
manifestement pas au niveau. Une campagne ne fait pas seulement l'élection,
elle peut abaisser ou constituer une personnalité.
*
* *
Les audaces de
langage d'une candidate – mais aussi sa prudence (à propos du nucléaire
iranien) – ont le mérite de faire s'interroger sur ce que la France est devenue face au
monde. La tentative centriste n'est pas nouvelle, mais son processus pour la
première fois est le fait d'un homme qui ne doit sa notoriété qu'à cette
tentative. Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur, par leur
candidature, prêtaient aux centristes, dont les appareils étaient dispersés
avant eux, un parcours qui ne leur devait pas. François Bayrou, au contraire,
s'appuie certes sur un appareil – gage des parrainages, à la manière dont la
candidature communiste, quoique marginale depuis vingt ans, dispose elle aussi
de ces parrainages du fait d'un appareil bien plus important que l'électorat
résiduel – mais il est porté par une dynamique, apparue à la suite des événements de Mai récusant le
manichéisme. Valéry Giscard d'Estaing ne fut pas durablement vainqueur à ce
titre et selon cette demarche, il n'a pas, en cela, reçu de successeur. Les
deux paris se rejoignent : les Français ne sentent-ils pas, avec contradiction,
que les problèmes à résoudre supposent un consensus et non une majorité, mais
en même temps que les solutions ne sont actuellement entrevues nulle part. Ségolène Royal et François Bayrou sont les
deux versions d'une foi supposée chez les électeurs, qu'une combinaison et une
manière nouvelles engendreront mécaniquement des réflexions neuves, même si la
campagne ne les explicite pas. Au contraire, toutes les autres candidatures
sont des propositions de programme, des engagements de faire explicites. La
manière des deux premiers excuse, par système, les lacunes ; la façon de tous
les autres ne recèle aucun inattendu. Si la campagne se focalise sur
l'inattendu pour le condamner, elle augmentera encore l'imprévisibilité du
résultat, car les Français sont certainement lassés de ce qu'ils savent déjà.
BFF
– 9 II 07
disponibles sur
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12 Novembre 2006
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Les paradoxes
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20 Novembre 2006
Le choix et la
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Interrogations en
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2 Décembre 2006
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2 Janvier 2007
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