jeudi 20 février 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 9 Février 2007




Election présidentielle 2007

observations & réflexions

VI




La France va mal, c'est-à-dire qu'elle n'est pas bien présentement et qu'elle n'avance pas dans la bonne direction. Ce n'est pas nouveau, mais les précédentes élections présidentielles, sauf celle de 1974, mettaient aux prises au moins un tenant du pouvoir avec des compétiteurs, donc faisaient discuter l'état des lieux – formule devenue courante, tant la politique s'est prêtée à la banalisation et à une considération par des comparaisons qui ne sont pas de son ordre : prestation, grand oral.... - selon un  bilan de ce qui avait été fait par le sortant. La présente campagne n'oppose que des compétiteurs, sauf surprise – qui maintenant serait totale : une nouvelle candidature du président sortant. Le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, n'assumant en rien l'exercice du pouvoir depuis 2002 alors qu'il a été ministre tout le second mandat de Jacques Chirac, sauf quelques mois. Ce qui est nouveau, c'est que les Français le savent, pas seulement en termes de mal-être ou de récriminations plus moins individuelles ou organisées, mais de science exacte : les chiffres de la dette, le déficit commercial particulièrement. Or, la campagne d'aucun candidat ne porte sur ces grandes questions qui font un diagnostic et qui marquent une impuissance. Pas de candidat qui ne soit révisionniste de nos institutions, des politiques mises en oeuvre, des manières d'être et de faire. La rupture prônée par tous n'est pas un programme et enlèverait plutôt des capacités qu'elle n'en donnerait. Rupture que présente Edouard Balladur, qui n'est pas partie au débat, comme une ouverture. Les mots à force de se chercher pour donner de l'impact à ce qui substantiellement n'en a pas, se retrouvent qui avaient été oubliés.


     Les mises en campagne

La posture personnelle de la candidate du parti socialiste – parfois jugée excessive – ne doit pas faire oublier d'une part l'exemplarité du débat de programme au sein de ce parti – en pratique démocratique et en qualité du contenu – ni d'autre part le score d'investiture par les militants. C'est ce score qui impose à Ségolène Royal de jouer à fond l'avantage qu'ont vu en elle ses camarades : une femme qui fera rupture parce qu'elle sera la première femme à présider la République française. Elle peut aussi provoquer une mûe du parti socialiste en France si elle gagne : un renouvellement du personnel gouvernemental, une nouvellevie à la base, c'est-à-dire dans les sections elles-mêmes maîtresses des investitures aux différentes élections.

Nicolas Sarkozy, candidat de l'U.M.P., est en continuité totale sinon en mimétisme du président sortant. C'est le culte du chef qu'a caractérisé son élection sans compétiteur et que son défi au fondateur du parti, sans qu'il y ait de ce dernier la moindre riposte alors que tous les moyens étaient et demeurent encore aux mains de Jacques Chirac, a posé comme homme de force.

Une des caractéristiques peu notées des campagnes présidentielles est qu'aucune n'a vu celle d'un président sortant militer pour un dauphin ou pour un héritier. De Gaulle félicita Georges Pompidou en 1969 mais se tint absent physiquement et moralement de toute la campagne. Georges Pompidou mort ne pouvait préférer Valéry Giscard d'Estaing à Jacques Chaban-Delmas mais avait favorisé le premier et désavantagé le second. Valéry Giscard d'Estaing voulait se faire réélire et n'ouvrait donc pas de succession. François Mitterrand ne chercha pas à choisir à l'automne de 1994, ne poussa pas Jacques Delors, n'intronisa pas Lionel Jospin, ne dit rien même qui eût été d'expérience pour départager les deux Premiers ministres qu'il avait dû choisir dans la droite parlementaire. Jacques Chirac a toléré tous les défis de Nicolas Sarkozy, ce qui le regarde, sauf l'actuel : l'utilisation de la panoplie du ministre de l'Intérieur par un candidat.

La majorité sortante a déjà expliqué – en 1997 – qu'en se maintenant à l'Elysée malgré le désaveu d'une dissolution par les électeurs ne reconduisant pas cette majorité, Jacques Chirac s'inscrivait dans les précédents créés par François Mitterrand : c'est omettre, ce qui est décisif, que le Président d'alors ne se maintenait pas après une dissolution manquée mais à la suite du renouvellement à la date constitutionnelle de l'Assemblée nationale. Les soutiens de Nicolas Sarkozy pour justifier son incrustation place Beauvau invoquent que Jacques Chirac, Edouard Balladur ne quittèrent pas Matignon pour faire campagne, ni Valéry Giscard d'Estaing la rue de Rivoli en 1974. Sans doute, mais aucun n'avait directement à sa main les services de renseignement et de documentation. Les précédents des Premiers ministres ne valent qu'en terme d'image à maintenir intacte en évitant qu'un successeur de quelques semaines ne les éclipsent : le subit engouement pour une candidature d'Alain Poher, président du Sénat, président par intérim en 1969, a montré qu'une telle apparition sur la scène peut bouleverser les chances des candidatures davantage prévues.

L'étonnant de la campagne actuelle est que se présentent finalement, en dehors des deux champions – nouveaux – que se sont donnés les deux principaux partis, exactement les mêmes autres candidats qu'en 2002 : Jean-Marie Le Pen naturellement, mais aussi Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Philippe de Villiers, François Bayrou, Dominique Voynet réintégrant même son rôle de 1995, et si, en place de Robert Hue, il y a Marie-George Buffet, la stratégie communiste est la même. La candidature de José Bové consacre l'échec d'une constellation « altermondialiste et anti-libérale » : une candidature unique sur ce thème manquera, elle seule aurait pesé en thèmes et en voix.

La mise en évidence du « troisième homme » - Jean-Pierre Chevènement en 2002, François Bayrou à ce stade de la campagne – fait bon marché du comportement habituel des Français : s'exprimer au premier tour, choisir en éliminant au second tour. Le premier tour ne constitue pas l'opinion, il la reflète dans sa diversité. Rétrospectivement, le premier tour de 2002 suprenait parce qu'il était un désaveu du détenteur sortant du pouvoir : le Premier ministre, Lionel Jospin, et les candidatures ne manquaient pas pour l'exprimer. François Bayrou et Jean-Pierre Chevènement, seuls, cherchaient à exprimer une alternative : additionnées leurs voix d'alors sont de même nombre que celles dont on crédite aujourd'hui François Bayrou. Cette alternative consiste surtout à prôner un appel à la participation de l'opposition au gouvernement que nommerait l'élu, tant les problèmes supposent pour être traitées au fond, un consensus que plus personne ne parvient à constituer : Raymond Barre y appelle, sans évoquer aucun candidat pour autant ; il y avait sans doute poussé en 1988, ce que refusa la droite généralement moins bonne perdante que la gauche. Il avait lui-même été ce « troisième homme » qu'après lui sera Edouard Balladur et qu'avant lui avait été Valéry Giscard d'Estaing, seul à avoir gagné contre deux appareils dominant ce qui après de Gaulle devint le clivage droite/gauche.

L'enjeu du prochain scrutin pourrait être la liberté. Que les pratiques policières du candidat-ministre de l'Intérérieur soient plébiscitées et nous acceptons un Etat abusif et dur, alors même que sa plate-forme est pour une libération de la société et de l'économie. Que François Bayrou soit placé au deuxième tour et l'emporte, les appareils dominants sont relativisés et la chance que n'avait pu exploiter Valéry Giscard d'Estaing face à la reconstitution d'un parti dominant, hors de son autorité, la majorité, sera sans doute plus aisée à saisir.


     Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour l'avenir

Le souci de symétrie entre les deux « principaux » candidats a fait long feu parce que les démarches ne sont pas superposables, même si l'on a cherché la similutude des investitures, l'analogie des discours inauguraux (le 14 janvier et le 11 février...) et même la réédition d'une affaire de scooter volé, sans insister trop sur le peu d'exemplarité des vies de couple respectives. Il a fait croire à une impartialité. La réalité est d'une préférence pour l'antagonisme droite/gauche des principaux médias, que pour la presse quotidienne combattent seulement les journaux gratuits mais au lectorat de plus en plus nombreux dans les grandes villes. L'apparition de ce genre de presse – notamment 20 minutes et Métro plus que le nouveau France-Soir direct – modifiera-t-elle les comportements électoraux ? Internet n'avait pas révolutionné la campagne en 2002. Les « blogs » de ces années-ci, les boîtes de dialogue et le recueil des « contributions » n'aboutissent à aucun des deux résultats escomptés par ceux qui les mettent en place. Une reprise médiatique les valorisant, une manière de donner à penser aux électeurs qu'ils participent – sinon, dans l'avenir, aux décisions du gouvernement que nommera l'élu(e) – du moins, à l'élaboration de sa plate-forme.

Autrement dit, les medias sont-ils un des moyens de la démocratie contemporaine en ce qu'elles seraient ouvertes aux électeurs plus encore qu'aux candidats, ou sont-ils le champ décisif de la joute entre compétiteurs ?

Constat et non pas question. La presse française – écrite et audio-visuelle – n'est plus d'opinion au sens des deux derniers siècles. S'il existe encore un secteur public audio-visuel, celui-ci n'est plus ni de nature ni de poids pour former l'opinion. Les groupes de presse ont des propriétaires comme antan mais forment des ensembles de plus en plus concentrés. Le rachat par le Crédit mutuel de toute la presse régionale de la moitié orientale du pays vient certes d'être enrayé par le Conseil d'Etat, mais il est symptomatique. La presse écrite ne peut plus être financièrement indépendante dans sa forme actuelle, mais des titres capitalistiques peuvent être de rédaction habile au point de retrouver la capacité de suspense ou de titre qu'eut France Soir dans ses grandes années 1950 et 1960. L'exception majeure que constitue Le Canard enchaîné montre que la critique circule encore le plus efficacement par les voies les plus traditionnelles : la formule est centenaire. Mais les hebdomadaires ne sont plus ces voix et n'ont plus – hors Le Nouvel Observateur – ces plumes qui faisaient aux débuts de la Cinquième République les appels à candidature. L'évolution française n'est pas dans les types de candidature ni dans le genre des thèmes évoqués pour les campagnes présidentielles ; elle réside, sous la permanence apparente des grands masques, dans les changements et la concentration des contrôles capitalistiques et, plus encore, dans la mûe des professionnels de l'information. La déontologie a changé ; si les talents (sauf de bateleur)n'existent pratiquement plus, ce n'est faute ni de circonstances historiques, ni d'attente des Français ; la conception du métier, la place de convictions, non pas parcellaires mais d'ensemble d'une vision de la société et du monde, ont changé. L'investigation demeure, la synthèse et l'indépendance ne sont plus les mêmes, la pensée n'est pas subordonnée, l'expression non plus – pour leur généralité – mais elles sont uniformes parce que penser et élaborer par soi-même est devenu rarissime. Le résultat est qu'il n'y a plus de légitimité préexistant à une candidature – c'est même en 2007 – la donnée principale : il n'y a plus que des champions ou de simples candidats, de même qu'il n'y a plus d'autorité morale ni de référence intellectuelle. Par conséquent, aucune explication globale des enjeux et aucune proposition d'ensemble de ce qu'il y a lieu de faire n'ont par elles-mêmes de crédibilité : il manque les deux supports possibles que seraient l'organe de presse incontesté ou la personnalité dont le passé répond de tout le futur. L'élection, en République, avait quelque chose de sacré : pas le dialogue avec le peuple que vit explicitement et plus encore dans son inconscient un candidat porté par un mouvement de l'opinion, mais la sensation d'incarner question et solution en sorte que l'élection était consécration et adoubement pour une grande action. Maintenant, elle n'est qu'un mode d'accès au pouvoir et elle oppose les Français entre eux, au lieu de faire aussi profond que possible leur consensus.

Le conservatisme tient lieu de ce consensus dont plus personne – par la plume, le commentaire ou par la candidature – ne cherche la responsabilité.

La politique extérieure en est un exemple actuel. Toute percée d'expression ou de thème qui serait détonnante et pourrait faire « bouger les lignes » n'est pas même traitée en iconoclaste, elle est jugée nulle pour incompétence de celui – celle, jusqu'à présent – qui la tente. Comme les relations extérieures de la France semblent de peu d'influence sur la vie quotidienne des Français, elles sont préférées pour ce genre de dénonciation aux thèmes intérieurs qui – tous sans exception – sont matière à applaudissements d'au moins une partie de l'électorat ; ils seraient dangereux de critiquer trop vite. Il serait donc intelligent d'être gros et simpliste sur les sujets d'économie ou de société, mais il importerait d'être subtil, c'est-à-dire banal en politique étrangère. Ainsi est supposée une adhésion du grand nombre à une norme qu'on tente d'approcher en la faisant passer pour du bon sens. Une telle méthodologie empêche d'analyser l'état d'esprit général : il est supposé, les campagnes de tous tentent de s'y conformer ou se développent en référence. Tout le processus risque d'être à côté. L'exercice du pouvoir l'a été sous Jacques Chirac, la campagne électorale le serait aussi, le risque est que l'élection elle-même ne soit pas vraie. Légale, mais légitime ? Source de légitimité ?



     La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que tel par personne

Les « gaffes » de la candidate socialiste ont été daubées, et dans une moindre mesure celle du Président de la République à propos de l'Iran – manière des médias ? Ou supposition d'une opinion publique réputée contraire et donc d'avance favorables aux critiques. L'erreur du Président de la République n'a pas été de dire l'exacte vérité, à savoir que si un Etat détenteur de l'arme nucléaire – qui ne fait plus peur du tout, au regard des psychoses du terrorisme – en faisait usage sans être la Chine ou la Russie, il serait aussitôt et sans aucun « équilibre de la terreur » détruit par les Etats-Unis. Cela vaut pour l'Iran et pour la Corée du nord ; dans le cas de l'Iran, la dissuasion s'adresse à Israël, voire à des satellites de l'Amérique au Moyen-Orient mais évidemment pas à Washington. L'erreur du Président de la République a été de plaider aussitôt coupable. Abaissement inutile d'autant que la crédibilité d'un président sortant qui ne se représente pas est faible. Déjà le discours de doctrine nucléaire de Janvier 2006 avait paru excéder le mandat de l'orateur, d'autant qu'un infléchissement pour opposer une dissuasion aux Etats même non nucléaires mais soi-disant terroristes paraissait déjà de complaisance. Au total, le propos n'avait pas marqué. Testamentant sur le nucléaire iranien, le Président de la République en revanche aurait été écouté, en tout cas des Français qui mettent son attitude à propos de l'agression américaine en Irak parmi les rares points indiscutables de son exetrcice du pouvoir, le suivront pour que la France s'oppose à une agression globale ou partielle contre Téhéran.

Pour qui a approuvé d'enthousiasme le général de Gaulle, les propos de Ségolène Royal tenu au chef du Parti nquébécois et réitérés publiquement sont excellents. Ils renouent avec un legs précieux et avec un intérêt évident de la France. La présentation de la thèse gaullienne en forme renouvelée : les valeurs communes, qui sont etc... (la souveraineté, l'indépendance), a été excellente. Chaque fois que ce ne sont pas eux qui disent les choses, ceux qui sont censés hériter – lointainement – du gaullisme, s'y opposent. Scenario de l'été et de l'automne de 1984, quand François Mitterrand, pourfendeur jusques là de la pratique référendaire s'y était rallié pour que soit tranché le débat sur l'enseignement : la majorité sénatoriale conduite par le Rassemblement pour la République de Jacques Chirac, fit capoter la chose. La révision de 1995 n'a été que d'apparence, le referendum est de pratique plus restreinte que jamais et il est maintenant de jurisprudence qu'il n'engage pas la responsabilité présidentielle. On ne peut être plus éloigné de la lecture et de la pratique originelles de la Constitution : celle du général de Gaulle. Au reste, le débat dans la majorité sortante sur la question de savoir qui hérite du gaullisme a tourné court, ce qui n'empêche pas pour l'avenir le Premier ministre sortant d'être le moins mal doté en la matière s'il la creuse vraiment : il aura cinq ans pour s'y illustrer. Ségolène Royal remet donc à l'ordre du jour un véritable enjeu français : l'avenir indépendant du Québec, que les Français avaient perdu de vue et d'ouïe depuis quarante ans.

Quant à ses dires à un fantaisiste sur la Corse, ils ont été tenus avant elle et très directement par Raymond Barre qui ne passe pas pour manquer de sérieux : ils sont certainement approuvés par une majorité de Français qui ne peuvent supporter cette prime financière au terrorisme puisqu'il est notoire que l'Ile de Beauté bénéficie de beaucoup plus de soutien que les autres départements, y compris ceux d'outre-mer autrement nécessiteux.

Ce sont les propos les plus voyants. Les deux questions décisives que sont la reprise de la construction européenne – confondue depuis le départ du général de Gaulle avec l'élargissement des Communautés et de l'Union, sans qu'au rôle du Parlement près, rien n'ait changé dans le mode de décision – et l'identité européenne face aux Etats-Unis, à leurs intérêts, à leurs straégies, à leurs idéologies économiques et politiques, ne sont pas traitées carrément. On ne changera pas, sauf catastrophe à ne pas souhaiter, la mondialisation au sens d'une multiplicité des communications et des échanges, mais on doit changer ce qui se véhicule et qui pour le moment est hégémonique à tous les égards, et d'abord intellectuellement. L'Europe des années 1950 était imaginée, certes en termes de réconciliation franco-allemande ce qui était central et qui fut moteur pendant une vingtaine d'années, mais surtout comme une troisième voie entre deux géants et aussi entre leurs modèles socio-économiques respectifs. Aujourd'hui, l'alignement européen est si complet – du moins celui des gouvernants – que les Etats-Unis n'ont plus de considération que pour la Chine et la Russie. Il est vrai qu'un ensemble du poids économique et démographique de l'Europe qui continue d'avoir autant de têtes et de détours institutionnels pour exprimer les positions les plus banales (et peureuses) ne peut être pris que pour animal à tondre. L'Europe est un ensemble de consommateurs, à part l'Allemagne on n'y produit plus. Comment changer la tendance – voies et moyens – divise les candidats. La plupart traitent la chose à l'envers en ne considérant que les effets de l'alignement, soit le libéralisme économique européen, véhiculé, mis en directives par Bruxelles. Les souverainistes traitent des effets mais pas de la cause. Le candidat de l'U.M.P. est atlantique, sans nuance. Les socialistes, même avec François Mitterrand, ne tranchent pas. Jacques Chirac n'a pas su mettre en stratégie contagieuse pour l'ensemble des Européens, des vues et des analyses qui auraient pu être gaulliennes, si elles avaient été constantes et suivies, servies surtout par la conscience que la voie française ne passe plus que par le ralliement des Européens : voie d'habileté, mais certainement pas de déclamation, encore moins de propos spontanés.

Or, pour la première fois aussi nettement, la politique extérieure commande l'économie et l'évolution sociale. Les grandes étapes de la désindustrialisation française illustrent le manque de constructivité de l'entreprise européenne, la dénationalisation des dirigeants en bonne partie parce qu'ils ne pratiquent plus de métier que celui de diriger nominalement n'importe quel groupe d'activités pourvu d'être à sa tête. L'identité nationale et européenne fait défaut, les budgets qui font l'avenir – la recherche, essentiellement – ne sont plus attractifs, la jeune génération quand elle se croit d'élite émigre physiquement ou au moins mentalement. La cause générale est que notre pays, et l'environnement européen dont il s'était voulu longtemps responsable par privilège historique et géographique, ne sont plus gouvernés, mais soumis. Nous vivons des applications criantes mais que ne traitent pas les candidats : la déconfiture d'Airbus, le rachat du meilleur de la sidérurgie européenne par des intérêts extérieurs à l'Union européenne, les fusions-acquisitions ne se font pas entre Européens mais avec les Américains (Etats-Unis et Canada, ainsi Alcatel et Péchiney) ce qui vaut chaque fois délocalisation du centre de décision et expulsion des cadres originels : français dans ces deux dernières espèces. Or, les débats sont thématiques et non d'espèces. Que le Parlement s'en saisisse ou que les manoeuvres sur le capital ne se fassent qu'entre entrepreneurs, les décisions ont été toujours forcées et quand elles étaient assorties d'engagements, toujours trompeuses. La politique n'est pas discours mais décision. Encore faut-il se donner les moyens d'être décideur. Les Français sentent que le pouvoir d'Etat est en question, et donc le motif même de l'élection présidentielle.

Le changer – ou l'exercer – postule une vision d'ensemble, donc des structures mentales fortes, une cohérence intime. L'appétit – l'ambition du pouvoir, ne suffisent pas à les donner. L'habillage par propagande ou par artifice n'est pas crédible. Je suis depuis longtemps frappé par des expressions telles qu' « afficher sa sérénité ». On est d'âme tranquille, on ne peut faire semblant. Les maquillages ne tiennent pas. Le commentaire peut distraire quand il présente la psychologie des candidats et leur biographie ; il est inutile tant qu'il ne traite pas de ce qui constitue l'équilibre mental des candidats à l'exercice du pouvoir. De leur santé aussi. Raymond Tournoux et Franz-Olivier Giesbert ont – à quarante ans d'intervalle – dit la tragédie du pouvoir comme si devait d'abord importer le destin d'une personne quand il s'agit de la vie d'un peuple, de l'avenir d'un pays, de la sauvegarde d'un patrimoine, de la constitution d'une nouvelle identité forcément consensuelle.L'essentiel n'est pas l'impact sur une psychologie personnelle de l'exercice des prérogatives présidentielles – Valéry Giscard d'Estaing menait en direct cette évaluation -, elle est à l'inverse de réfléchir sur l'impact qu'aura une personnalité sur cet exercice. Le charisme est déjà beaucoup, surtout s'il est appliqué à des causes fortes et s'il permet de susciter l'opinion, le don de souveraineté est plus rare, il donne à une nation le recul et la conscience de soi qui lui sont nécessaires à certains moments de son histoire ; ainsi, maintenant, la France en a besoin. En quoi, la campagne électorale n'est manifestement pas au niveau. Une campagne ne fait pas seulement l'élection, elle peut abaisser ou constituer une personnalité.




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Les audaces de langage d'une candidate – mais aussi sa prudence (à propos du nucléaire iranien) – ont le mérite de faire s'interroger sur ce que la France est devenue face au monde. La tentative centriste n'est pas nouvelle, mais son processus pour la première fois est le fait d'un homme qui ne doit sa notoriété qu'à cette tentative. Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur, par leur candidature, prêtaient aux centristes, dont les appareils étaient dispersés avant eux, un parcours qui ne leur devait pas. François Bayrou, au contraire, s'appuie certes sur un appareil – gage des parrainages, à la manière dont la candidature communiste, quoique marginale depuis vingt ans, dispose elle aussi de ces parrainages du fait d'un appareil bien plus important que l'électorat résiduel – mais il est porté par une dynamique, apparue à la suite des événements de Mai récusant le manichéisme. Valéry Giscard d'Estaing ne fut pas durablement vainqueur à ce titre et selon cette demarche, il n'a pas, en cela, reçu de successeur. Les deux paris se rejoignent : les Français ne sentent-ils pas, avec contradiction, que les problèmes à résoudre supposent un consensus et non une majorité, mais en même temps que les solutions ne sont actuellement entrevues nulle part. Ségolène Royal et François Bayrou sont les deux versions d'une foi supposée chez les électeurs, qu'une combinaison et une manière nouvelles engendreront mécaniquement des réflexions neuves, même si la campagne ne les explicite pas. Au contraire, toutes les autres candidatures sont des propositions de programme, des engagements de faire explicites. La manière des deux premiers excuse, par système, les lacunes ; la façon de tous les autres ne recèle aucun inattendu. Si la campagne se focalise sur l'inattendu pour le condamner, elle augmentera encore l'imprévisibilité du résultat, car les Français sont certainement lassés de ce qu'ils savent déjà.

                                                                                                   BFF – 9 II 07




disponibles sur demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007

12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des Français en forme de questions
Quel contexte ?
2 Janvier 2007
Le naturel  des partis
Les clivages ne correspondent plus aux partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour

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