vendredi 14 février 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate . 12-15 Novembre 2006



Election présidentielle 2007

observations & réflexions

I


     Le contexte

L’impuissance à plusieurs points de vue.

La révision constitutionnelle de 2000 – adoptée avec 80% d’abstentions – a profondément modifié l’esprit de nos institutions et la manière de gouverner. Il est entendu qu’il vaut mieux faire l’économie de la dissolution et du referendum, alors que la dissolution n’a été discutable qu’une fois sur cinq (la dernière quand le président désavoué ne s’est pas retiré) et que le referendum est l’objet de multiples propositions et retouches constitutionnelles pour en élargir le champ, la pratique et l’initiative. Il est préféré de « revenir » devant les électeurs plus souvent. Mais ce « plus souvent » accélère le rythme des guerres de succession, surtout si disparaissent, comme il est probable, des personnages de notre scène politique qui, quelques discutables qu’ils soient, faisaient partie, par leur pérennité, du paysage et du répertoire. Le prochain élu, s’il n’est pas le président sortant, n’aura d’épaisseur que celle qu’il se donnera par son action et par l’exercice de ses fonctions. Il n’en a aucune a priori, ce qui n’a pas de précédent. On ne peut donc présumer sa future emprise, ni sa capacité à durer. L’actuel mandat n’a pas eu cinq ans d’efficacité mais à peine trois – du double fait que le résultat négatif du referendum n’a pas été exploité mais au contraire camouflé (comme si la France devait avoir honte…) et que la guerre de succession a commencé aussitôt, aggravée par un accident de santé du président régnant. Comment et pourquoi Jacques Chirac JC n’a pas empêché Nicolas Sarkozy dès sa première velléité d’envol, ait toléré le défi de la prise de l’UMP, puis des brocards du début de cette année et enfin un tel cumul de fonctions. Il en avait et en garde les moyens : le confinement ruine les avenirs présidentiels, ce que montre a contrario la conduite de Georges Pompidou pendant les onze mois où il ne fut plus au pouvoir.

Et la vie gouvernementale au lieu de lois réfléchies et d’une méditation structurée, collégiale sur les réorientations de fond à opérer pour nos politiques – dont manifestement le pays, conscient des changements structurels qu’il doit gérer et assumer, bien plus qu’à d’autres époques, a besoin – qu’a-t-elle été depuis deux ans et demi (les régionales et les européennes) sinon la mise en cause de l’autorité du Premier ministre quel qu’il soit et une brigue féroce depuis dix-huit mois pour la succession, avcec « l’affaire Clearstream » faisant comparaître les principaux ministres devant de petits juges, au mépris de la séparation des pouvoirs et de la lettre de la Constitution : Haute Cour (on dit maintenant Cour de justice de la République, il est des appellations qu’il ne faut pas changer, même si la révision en ce domaine a voulu distinguer le sort du président de la République de celui des ministres) ou commissions parlementaires. Ce que personne ne semble vraiment faire remarquer…

Politiquement, les plaies s’enveniment donc et ne sont pas débridées.

Abordées par les médias (la série comparatiste de France Infos. mais ne portant que sur le social), non par les candidats potentiels, les interrogations de fond, dont les Français sont parfaitement conscients (d’où la tendance croissante à l’abstention) : quelle est « la marge de manœuvre du pouvoir » ? aujourd’hui et chez nous ?  La question me parait devoir être posée dans des termes aussi sérieux qu’on ne la posa sous Vichy. Le gouvernement français est-il souverain ? ce qui n’est pas un but en soi, mais ce qui doit s’apprécier au regard du bien commun à réaliser, à sauvegarder. Il ne l’est plus pour deux raisons, une bonne, une mauvaise. La bonne est la construction européenne, même s’il y a à beaucoup corriger dans cette construction. La mauvaise est que nous ne pratiquons plus la démocratie et celle-ci doit être cultivée selon ses fondements et son esprit juridiques, mais aussi selon les possibilités de notre époque. Fidélité et inventivité vont de pair. Les politiques ne le pratiquent pas. Ce vers quoi nous devons aller – et donc ce sur quoi, en bonne partie, devraient porter les campagnes présidentielles – c’est bien une réorientation de l’entreprise européenne telle qu’elle aboutisse à une souveraineté partagée, donc à une augmentation de fait des possibilités nationales par nos mises en commun, et pour l’exercice de cette souveraineté partagée, aujourd’hui plus authentique et plus efficace – il faut le souhaiter et il faut faire en sorte que cela soit – il faut la démocratie la plus constante et la plus directe.


     Les paradoxes

La règle des campagnes précédentes était de proposer et faire discuter les leçons du mandat finissant. Elle n’est pas respectée, jusqu’à présent. Douze ans de présidence hantés par la mise en examen possible, par les rebondissements d’affaires et par la défausse sur des lampistes : cela avait commencé par les appartements de complaisance, où cela finira-t-il ? Personne dans la campagne électorale commencée ne revendique son héritage… mais personne non plus ne fait une dénonciation en règle de l’immoralité de ces deux mandats, on ne parle que d’avenir et d’idées, d’aucun fait passé même récent. Ce non-dit est lourd. Peur, complicité ? et surtout où est la vérité ? exagération, malveillance, rumeurs ou turpitude avérée ? Qu’il n’y ait pas même le projet ou la tentative d’une explication d’ensemble par le président sortant de ce qu’il a fait ou voulu faire en politique nationale et en regard des aveux ou des mises en perspective de ce que la rumeur lui met à charge, et pour quoi certains de ses collaborateurs ont dû déjà eux-mêmes payer, est désastreux. Une lecture cohérente du passé immédiat n’est actuellement pas possible. Cette interdiction de fait empêche, en partie, de réféchir à la suite. Pas de bilan, pas de lecture, pas de leçon.

Ce qui n’est bon ni pour les institutions, ni pour la démocratie – déjà toutes deux blessées par la pratique présidentielle – irresponsable – de la dissolution et du referendum.

L’économie française est en crise grave puisque les actifs industriels passent sous contrôle étranger pour être étranglés (Arcelor, Péchiney maintenant, Airbus demain fusionnant avec Boeing alors qu’on pouvait croire il y a un an, la course gagnée et la démonstration européenne faite et convaincante) et puisque les grandes internationales françaises sont démantelées (Vivendi, Crédit Lyonnais, Elf) sans substitutions quoi qu’on prétende. Elle est en crise psychologique parce que les slogans camouflent leur contraire : modèle social français mais plus de planification, plus de tripartisme, plus de solidarité par répartition et inclination de toutes parts à l’individualisme des carrières et de la prévoyance – patriotisme économique démenti par les consentements aux pratiques de cession-fusion déjà relevées. Le résultat est un paradoxe statistique : le chômage diminuerait par création d’emplois et pas seulement par la mécanique de la démographie actuelle, mais il n’y a pas de croissance. Les prévisions annuelles depuis plusieurs exercices sont erronnées d’un point et pour la baisse. Les grandes novations démocratiques et technologiques des années 1960 se sont faites sur fond de croissance économique et démographiques. Le déclin de l’économie et celui de la démographie n’empêchent-ils pas la créativité démocratique et le retour à des performances nationales (ou européennes) ?

Tous les candidats déclarés – sinon investis – proposent de sensibles révisions de la Constitution : limitation du nombre des mandats, possibilité pour le président de la République d’exposer et défendre ses options personnellement à la tribune du Parlement. Aucun ne prône l’esprit et la pratique originels de la Cinquième République. Ceux ou celle-mêmes qui suggèrent des avancées sensibles en participation démocratique, ne font pas la critique de la pratique du président sortant, qui a instauré de fait la Sixième République à laquelle il fait de nouveau tant allusion. Comme cela s’était constaté en 1962 – sous de Gaulle et parce que la guerre d’Algérie terminée, l’ancienne classe politique anticipait qu’elle pourraut confisquer une nouvelle fois les institutions et le pouvoir retrouverait son pouvoir d’antan – il y a consensus des professionnels de la politique contre la Constitution de 1958. Alors même que c’est celle-ci, confirmée par la réforme de 1962, qui a établi le pouvoir brigué et le mode de son accès.



     Les processus de candidatures et de programmes

L’accord est général entre les candidats et probablement aussi entre eux et les Français sur le point majeur : l’élection est personnelle, elle est une rencontre entre le futur tenant du pouvoir et le peuple. La candidature – crédible – d’une femme ne pose la question de la place de son conjoint ou de son compagnon dans le fonctionnement à venir des institutions que parce que celui-ci est le chef nominal d’un des principaux partis. Les épouses des présidents précédents ou actuel avaient des convictions – affichées pour Danielle Mitterrand et Bernadette Chirac, cette dernière étant même élue locale – mais ne dirigeaient pas un mouvement politique.

Les élections précédentes s’étaient toutes faites entre personnalités s’imposant à leur mouvement d’origine d’autant plus nettement qu’ils en étaient les fondateurs ou les organisateurs, à l’exception des candidatures de centre (Jean Lecanuet, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre et Edouard Balladur) fédérant en réalité les opposants à la domination du parti originellement « gaulliste ». Cette fois, à l’exception importante de François Bayrou qu’on peut tenir pour un re-fondateur de l’UDF puisque celle-ci s’est émancipée du jeu majoritaire, chaque candidat procèdera d’un parti qu’il n’a pas créé et dont il n’est pas forcément le chef. En quoi, l’éventuelle candidature du Premier ministre en place supposera une dialectique complexe de présentation en dehors des partis. Elle ne pourrait se faire qu’en inscrivant son exceptionnalité dans la nécessité qu’un candidat ou bien défende le bilan du président sortant ou bien défende l’esprit des institutions oublié aussi bien par celui-ci que par tous les autres candidats.

Chacun des partis distingue l’adoption théorique du programme du choix de son candidat, censé le décliner devant les électeurs. L’UMP n’y fait pas exception. C’est nouveau : jusqu’en 2002 compris, la personne des principaux candidats l’emportait totalement sur le programme du parti se reconnaissant en eux. Cette formalité est un hommage nouveau aux militants et à la Constitution. Les partis concourent à l’expression du suffrage. Mais le parti socialiste – et dans une moindre mesure les Verts – se distingue par une procédure d’investiture réellement démocratique. La majorité sortante crie à une anticipation de la campagne. Le fait est que les questions de personne pèse dans le débat socialiste mais qu’il est tout de même question de programmes, ce qu’on entend nullement ailleurs et qu’à eux trois les candidats à l’investiture couvrent à peu près tous les programmes possibles même s’ils devaient être proposés par la majorité actuelle. Le parti socialiste avait déjà donné l’exemple par le vote militant pour élire le chef du partri, l’UMP a dû suivre. Le débat dans une réelle pluralité de candidatures va s’inscrire dans la norme démocratique française, et si l’UMP ne s’y rallie pas elle accentuera le mimétisme de la candidature de son président actuel avec le culte du chef et du gagneur qui caractérisa le RPR de 1976 à 1997 (échec de la dissolution décidée par Jacques Chirac, pourtant parvenu au faîte). Cumul des mandats et des fonctions jusqu’à l’élection proprement dite, occupation exclusive de la scène du parti, distanciation ostensible vis-à-vis du président régnant jusqu’à l’outrance (Jacques Chirac vis-à-vis de Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy vis-à-vis de Jacques Chirac), même prétention à une rupture (par l’énergie) dans la manière de présider.

L’autre jurisprudence qui est en train de se faire, porte sur l’expression des parrainages prévus par la Constitution.  La réforme conduite par Valéry Giscard d’Estaing en début de son mandat n’a pas seulement multiplié par cinq le nombre des signatures, elle a surtout disposé leur publicité, intégrale jusqu’à cinq cent, par tirage au sort au-delà de cinq cent En sorte que les parrains se savent exposés à des représailles non seulement de leurs électeurs, mais des pouvoirs publics si leur candidat ne l’emporte pas. Qu’une dictature soit en train de s’installer sous couvert d’une élection présidentielle dans un climat d’intimidation générale, cette publicité serait pour elle une arme de plus. Elle a pu jouer contre une candidature monarchiste, elle est menaçante pour les parrains de Jean-Marie Le Pen. Il est inquiétant que la rumeur ait pu prêter au ministre de l’Intérieur, par ailleurs candidat à l’élection et chef du parti majoritaire, la supputation de ce qui lui serait le plus avantageux : empêcher Le Pen ou permettre Le Pen. C’est mépriser le collège habilité aux parrainages mais c’est rencontre le parti socialiste dans l’appel à la discipline, non seulement de vote des élus, mais de parrainage par les élus du parti. Si, comme il paraît, la liberté de conscience et de signature des parrains est reconnue, ce ne sera que normal. Il est dommage que ce soit Marine Le Pen qui ait, seule, porté ce jugement.

Le débat reste ouvert entre deux manières de faire un programme, il est lié à la conception-même de l’élection. A gauche, pour simplifier, les engagements ne sont pas selon la crédibilité d’une personnalité, ce qui peut être perçu de sa cohérence et de sa manière d’être et de faire prévisible – manière de la droite, pour simplifier aussi – ils sont décidés collectivement. Sans doute, la campagne pour l’investiture du parti socialiste a fait s’exprimer trois programmes dont le tronc commun n’est que peu celui adopté préalablement par le parti. Mais l’ensemble du processus doctrinal est dominé par la crédibilité, dans l’esprit des électeurs, de ce qui leur sera proposé. Deux jugements s’affrontent, celui des militants constatable par des scrutins, celui des électeurs qui sera la sanction de la campagne. A gauche, la théorie et la prétention sont que le programme fait le candidat, à droite, c’est l’inverse, le candidat impose son programme. A gauche, des démonstrations, à droite, des points forts. Une volonté de cohérence d’un côté, et de l’autre la mise en évidence de quelques éléments dont tout peut découler. Ces différences ne sont pas nouvelles, elles remontent à 1974 du fait du programme commun adopté en 1972 par les partis de gauche et du fait aussi de la candidature unitaire de François Mitterrand, bien plus liée qu’en 1965. Mais la question nouvelle est de savoir et pratiquer comment propager, faire discuter et enrichir un programme, quand plus personne ne propose la poursuite de l’existant, que la surenchère ridiculise la politique-même. Le moyen terme qui était de faire accepter une méthode (Pierre Mendès France) ce que pratiquaient Valéry Giscard d’Estaing, explicitement, et Lionel Jospin en le niant, n’est plus recevable aujourd’hui. La fréquente remarque anglo-saxonne : il fait bien le boulot (soldats d’occupation en Irak, président en exercice…, voire tête couronnée).

Ambiguité de l’exercice. Les Français ont besoin, en profondeur, de la protection que constitue le sacré à la tête du pays, mais le mode d’accès au pouvoir – s’il est pratiqué en style de pugilat – déprécie les personnes autant que l’exercice. La prévisibilité de la campagne dont une première étape s’achève avec la désignation du candidat socialiste, est malheureusement d’une joute personnelle sans merci, donc d’un dialogue entre candidats plaçant les citoyens en spectateurs, au mieux en jurés, et non en collaborateurs du pouvoir politique à réinstituer.





BFF – 12.15 XI 06

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