Election présidentielle 2007
observations & réflexions
I
1° Le contexte
L’impuissance à plusieurs points de vue.
La révision
constitutionnelle de 2000 – adoptée avec 80% d’abstentions – a profondément
modifié l’esprit de nos institutions et la manière de gouverner. Il est entendu
qu’il vaut mieux faire l’économie de la dissolution et du referendum, alors que
la dissolution n’a été discutable qu’une fois sur cinq (la dernière quand le
président désavoué ne s’est pas retiré) et que le referendum est l’objet de
multiples propositions et retouches constitutionnelles pour en élargir le
champ, la pratique et l’initiative. Il est préféré de « revenir »
devant les électeurs plus souvent. Mais ce « plus souvent » accélère
le rythme des guerres de succession, surtout si disparaissent, comme il est
probable, des personnages de notre scène politique qui, quelques discutables
qu’ils soient, faisaient partie, par leur pérennité, du paysage et du
répertoire. Le prochain élu, s’il n’est pas le président sortant, n’aura
d’épaisseur que celle qu’il se donnera par son action et par l’exercice de ses
fonctions. Il n’en a aucune a priori, ce qui n’a pas de précédent. On ne peut
donc présumer sa future emprise, ni sa capacité à durer. L’actuel mandat n’a
pas eu cinq ans d’efficacité mais à peine trois – du double fait que le
résultat négatif du referendum n’a pas été exploité mais au contraire camouflé
(comme si la France
devait avoir honte…) et que la guerre de succession a commencé aussitôt,
aggravée par un accident de santé du président régnant. Comment et pourquoi Jacques
Chirac JC n’a pas empêché Nicolas Sarkozy dès sa première velléité d’envol, ait
toléré le défi de la prise de l’UMP, puis des brocards du début de cette année
et enfin un tel cumul de fonctions. Il en avait et en garde les moyens :
le confinement ruine les avenirs présidentiels, ce que montre a contrario la
conduite de Georges Pompidou pendant les onze mois où il ne fut plus au pouvoir.
Et la vie
gouvernementale au lieu de lois réfléchies et d’une méditation structurée,
collégiale sur les réorientations de fond à opérer pour nos politiques – dont
manifestement le pays, conscient des changements structurels qu’il doit gérer
et assumer, bien plus qu’à d’autres époques, a besoin – qu’a-t-elle été depuis
deux ans et demi (les régionales et les européennes) sinon la mise en cause de
l’autorité du Premier ministre quel qu’il soit et une brigue féroce depuis
dix-huit mois pour la succession, avcec « l’affaire Clearstream »
faisant comparaître les principaux ministres devant de petits juges, au mépris
de la séparation des pouvoirs et de la lettre de la Constitution :
Haute Cour (on dit maintenant Cour de justice de la République, il est des
appellations qu’il ne faut pas changer, même si la révision en ce domaine a
voulu distinguer le sort du président de la République de celui des
ministres) ou commissions parlementaires. Ce que personne ne semble vraiment
faire remarquer…
Politiquement,
les plaies s’enveniment donc et ne sont pas débridées.
Abordées par
les médias (la série comparatiste de France
Infos. mais ne portant que sur le social), non par les candidats
potentiels, les interrogations de fond, dont les Français sont parfaitement
conscients (d’où la tendance croissante à l’abstention) : quelle est
« la marge de manœuvre du pouvoir » ? aujourd’hui et chez
nous ? La question me parait devoir
être posée dans des termes aussi sérieux qu’on ne la posa sous Vichy. Le
gouvernement français est-il souverain ? ce qui n’est pas un but en soi,
mais ce qui doit s’apprécier au regard du bien commun à réaliser, à
sauvegarder. Il ne l’est plus pour deux raisons, une bonne, une mauvaise. La
bonne est la construction européenne, même s’il y a à beaucoup corriger dans
cette construction. La mauvaise est que nous ne pratiquons plus la démocratie
et celle-ci doit être cultivée selon ses fondements et son esprit juridiques,
mais aussi selon les possibilités de notre époque. Fidélité et inventivité vont
de pair. Les politiques ne le pratiquent pas. Ce vers quoi nous devons aller –
et donc ce sur quoi, en bonne partie, devraient porter les campagnes
présidentielles – c’est bien une réorientation de l’entreprise européenne telle
qu’elle aboutisse à une souveraineté partagée, donc à une augmentation de fait
des possibilités nationales par nos mises en commun, et pour l’exercice de
cette souveraineté partagée, aujourd’hui plus authentique et plus efficace – il
faut le souhaiter et il faut faire en sorte que cela soit – il faut la
démocratie la plus constante et la plus directe.
2° Les paradoxes
La règle des
campagnes précédentes était de proposer et faire discuter les leçons du mandat
finissant. Elle n’est pas respectée, jusqu’à présent. Douze ans de présidence
hantés par la mise en examen possible, par les rebondissements d’affaires et
par la défausse sur des lampistes : cela avait commencé par les
appartements de complaisance, où cela finira-t-il ? Personne dans la
campagne électorale commencée ne revendique son héritage… mais personne non
plus ne fait une dénonciation en règle de l’immoralité de ces deux mandats, on
ne parle que d’avenir et d’idées, d’aucun fait passé même récent. Ce non-dit
est lourd. Peur, complicité ? et surtout où est la vérité ?
exagération, malveillance, rumeurs ou turpitude avérée ? Qu’il n’y ait pas
même le projet ou la tentative d’une explication d’ensemble par le président
sortant de ce qu’il a fait ou voulu faire en politique nationale et en regard
des aveux ou des mises en perspective de ce que la rumeur lui met à charge, et
pour quoi certains de ses collaborateurs ont dû déjà eux-mêmes payer, est
désastreux. Une lecture cohérente du passé immédiat n’est actuellement pas
possible. Cette interdiction de fait empêche, en partie, de réféchir à la
suite. Pas de bilan, pas de lecture, pas de leçon.
Ce qui n’est
bon ni pour les institutions, ni pour la démocratie – déjà toutes deux blessées
par la pratique présidentielle – irresponsable – de la dissolution et du
referendum.
L’économie
française est en crise grave puisque les actifs industriels passent sous contrôle
étranger pour être étranglés (Arcelor, Péchiney maintenant, Airbus demain
fusionnant avec Boeing alors qu’on pouvait croire il y a un an, la course
gagnée et la démonstration européenne faite et convaincante) et puisque les
grandes internationales françaises sont démantelées (Vivendi, Crédit Lyonnais,
Elf) sans substitutions quoi qu’on prétende. Elle est en crise psychologique
parce que les slogans camouflent leur contraire : modèle social français
mais plus de planification, plus de tripartisme, plus de solidarité par
répartition et inclination de toutes parts à l’individualisme des carrières et
de la prévoyance – patriotisme économique démenti par les consentements aux
pratiques de cession-fusion déjà relevées. Le résultat est un paradoxe statistique :
le chômage diminuerait par création d’emplois et pas seulement par la mécanique
de la démographie actuelle, mais il n’y a pas de croissance. Les prévisions
annuelles depuis plusieurs exercices sont erronnées d’un point et pour la
baisse. Les grandes novations démocratiques et technologiques des années 1960
se sont faites sur fond de croissance économique et démographiques. Le déclin
de l’économie et celui de la démographie n’empêchent-ils pas la créativité
démocratique et le retour à des performances nationales (ou européennes) ?
Tous les
candidats déclarés – sinon investis – proposent de sensibles révisions de la Constitution :
limitation du nombre des mandats, possibilité pour le président de la République d’exposer et
défendre ses options personnellement à la tribune du Parlement. Aucun ne prône
l’esprit et la pratique originels de la Cinquième République.
Ceux ou celle-mêmes qui suggèrent des avancées sensibles en participation
démocratique, ne font pas la critique de la pratique du président sortant, qui
a instauré de fait la
Sixième République à laquelle il fait de nouveau tant
allusion. Comme cela s’était constaté en 1962 – sous de Gaulle et parce que la
guerre d’Algérie terminée, l’ancienne classe politique anticipait qu’elle
pourraut confisquer une nouvelle fois les institutions et le pouvoir
retrouverait son pouvoir d’antan – il y a consensus des professionnels de la
politique contre la
Constitution de 1958. Alors même que c’est celle-ci,
confirmée par la réforme de 1962, qui a établi le pouvoir brigué et le mode de
son accès.
3° Les processus de
candidatures et de programmes
L’accord est
général entre les candidats et probablement aussi entre eux et les Français sur
le point majeur : l’élection est personnelle, elle est une rencontre entre
le futur tenant du pouvoir et le peuple. La candidature – crédible – d’une
femme ne pose la question de la place de son conjoint ou de son compagnon dans
le fonctionnement à venir des institutions que parce que celui-ci est le chef
nominal d’un des principaux partis. Les épouses des présidents précédents ou
actuel avaient des convictions – affichées pour Danielle Mitterrand et
Bernadette Chirac, cette dernière étant même élue locale – mais ne dirigeaient
pas un mouvement politique.
Les élections
précédentes s’étaient toutes faites entre personnalités s’imposant à leur
mouvement d’origine d’autant plus nettement qu’ils en étaient les fondateurs ou
les organisateurs, à l’exception des candidatures de centre (Jean Lecanuet,
Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre et Edouard Balladur) fédérant en
réalité les opposants à la domination du parti originellement
« gaulliste ». Cette fois, à l’exception importante de François
Bayrou qu’on peut tenir pour un re-fondateur de l’UDF puisque celle-ci s’est émancipée
du jeu majoritaire, chaque candidat procèdera d’un parti qu’il n’a pas créé et
dont il n’est pas forcément le chef. En quoi, l’éventuelle candidature du
Premier ministre en place supposera une dialectique complexe de présentation en
dehors des partis. Elle ne pourrait se faire qu’en inscrivant son
exceptionnalité dans la nécessité qu’un candidat ou bien défende le bilan du
président sortant ou bien défende l’esprit des institutions oublié aussi bien
par celui-ci que par tous les autres candidats.
Chacun des
partis distingue l’adoption théorique du programme du choix de son candidat,
censé le décliner devant les électeurs. L’UMP n’y fait pas exception. C’est
nouveau : jusqu’en 2002 compris, la personne des principaux candidats
l’emportait totalement sur le programme du parti se reconnaissant en eux. Cette
formalité est un hommage nouveau aux militants et à la Constitution. Les
partis concourent à l’expression du suffrage. Mais le parti socialiste – et
dans une moindre mesure les Verts – se distingue par une procédure
d’investiture réellement démocratique. La majorité sortante crie à une
anticipation de la campagne. Le fait est que les questions de personne pèse
dans le débat socialiste mais qu’il est tout de même question de programmes, ce
qu’on entend nullement ailleurs et qu’à eux trois les candidats à l’investiture
couvrent à peu près tous les programmes possibles même s’ils devaient être
proposés par la majorité actuelle. Le parti socialiste avait déjà donné
l’exemple par le vote militant pour élire le chef du partri, l’UMP a dû suivre.
Le débat dans une réelle pluralité de candidatures va s’inscrire dans la norme
démocratique française, et si l’UMP ne s’y rallie pas elle accentuera le
mimétisme de la candidature de son président actuel avec le culte du chef et du
gagneur qui caractérisa le RPR de 1976 à 1997 (échec de la dissolution décidée
par Jacques Chirac, pourtant parvenu au faîte). Cumul des mandats et des
fonctions jusqu’à l’élection proprement dite, occupation exclusive de la scène
du parti, distanciation ostensible vis-à-vis du président régnant jusqu’à
l’outrance (Jacques Chirac vis-à-vis de Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas
Sarkozy vis-à-vis de Jacques Chirac), même prétention à une rupture (par
l’énergie) dans la manière de présider.
L’autre jurisprudence
qui est en train de se faire, porte sur l’expression des parrainages prévus par
la Constitution. La réforme conduite par
Valéry Giscard d’Estaing en début de son mandat n’a pas seulement multiplié par
cinq le nombre des signatures, elle a surtout disposé leur publicité, intégrale
jusqu’à cinq cent, par tirage au sort au-delà de cinq cent En sorte que les
parrains se savent exposés à des représailles non seulement de leurs électeurs,
mais des pouvoirs publics si leur candidat ne l’emporte pas. Qu’une dictature
soit en train de s’installer sous couvert d’une élection présidentielle dans un
climat d’intimidation générale, cette publicité serait pour elle une arme de
plus. Elle a pu jouer contre une candidature monarchiste, elle est menaçante
pour les parrains de Jean-Marie Le Pen. Il est inquiétant que la rumeur ait pu
prêter au ministre de l’Intérieur, par ailleurs candidat à l’élection et chef
du parti majoritaire, la supputation de ce qui lui serait le plus
avantageux : empêcher Le Pen ou permettre Le Pen. C’est mépriser le
collège habilité aux parrainages mais c’est rencontre le parti socialiste dans
l’appel à la discipline, non seulement de vote des élus, mais de parrainage par
les élus du parti. Si, comme il paraît, la liberté de conscience et de
signature des parrains est reconnue, ce ne sera que normal. Il est dommage que
ce soit Marine Le Pen qui ait, seule, porté ce jugement.
Le débat reste
ouvert entre deux manières de faire un programme, il est lié à la
conception-même de l’élection. A gauche, pour simplifier, les engagements ne
sont pas selon la crédibilité d’une personnalité, ce qui peut être perçu de sa
cohérence et de sa manière d’être et de faire prévisible – manière de la
droite, pour simplifier aussi – ils sont décidés collectivement. Sans doute, la
campagne pour l’investiture du parti socialiste a fait s’exprimer trois
programmes dont le tronc commun n’est que peu celui adopté préalablement par le
parti. Mais l’ensemble du processus doctrinal est dominé par la crédibilité,
dans l’esprit des électeurs, de ce qui leur sera proposé. Deux jugements
s’affrontent, celui des militants constatable par des scrutins, celui des
électeurs qui sera la sanction de la campagne. A gauche, la théorie et la
prétention sont que le programme fait le candidat, à droite, c’est l’inverse,
le candidat impose son programme. A gauche, des démonstrations, à droite, des
points forts. Une volonté de cohérence d’un côté, et de l’autre la mise en
évidence de quelques éléments dont tout peut découler. Ces différences ne sont
pas nouvelles, elles remontent à 1974 du fait du programme commun adopté en
1972 par les partis de gauche et du fait aussi de la candidature unitaire de
François Mitterrand, bien plus liée qu’en 1965. Mais la question nouvelle est
de savoir et pratiquer comment propager, faire discuter et enrichir un
programme, quand plus personne ne propose la poursuite de l’existant, que la
surenchère ridiculise la politique-même. Le moyen terme qui était de faire
accepter une méthode (Pierre Mendès France) ce que pratiquaient Valéry Giscard
d’Estaing, explicitement, et Lionel Jospin en le niant, n’est plus recevable
aujourd’hui. La fréquente remarque anglo-saxonne : il fait bien le boulot
(soldats d’occupation en Irak, président en exercice…, voire tête couronnée).
Ambiguité de
l’exercice. Les Français ont besoin, en profondeur, de la protection que
constitue le sacré à la tête du pays, mais le mode d’accès au pouvoir – s’il
est pratiqué en style de pugilat – déprécie les personnes autant que
l’exercice. La prévisibilité de la campagne dont une première étape s’achève
avec la désignation du candidat socialiste, est malheureusement d’une joute
personnelle sans merci, donc d’un dialogue entre candidats plaçant les citoyens
en spectateurs, au mieux en jurés, et non en collaborateurs du pouvoir
politique à réinstituer.
BFF – 12.15 XI 06
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