RUe 89 & Nouvel Observateur
DROIT DE SUITE 19/02/2014 à 18h57
Homme d’affaires français arrêté à Moscou : des zones d’ombre persistent
Camille Polloni | Journaliste
Eric Cokini,
l’homme d’affaires niçoisarrêté le 14 janvier à Moscou à la demande de
l’Ouzbékistan, risque de ne pas revoir la Côte d’Azur de sitôt. Soupçonné de
« crimes économiques », il risque l’extradition vers Tachkent mais pourrait aussi rester en prison en Russie jusqu’au
14 juillet prochain. La France ne semble pas pressée d’intervenir en sa
faveur.
Tour à tour
vendeur d’ordinateurs Apple en Asie centrale, parfumeur, consultant et
intermédiaire pour l’implantation d’entreprises françaises, Eric Cokini paie le
prix de complexes luttes de pouvoir à l’intérieur de l’opaque appareil d’Etat
ouzbek. Des conflits déchirent la famille du dictateur Islam Karimov, sur fond
de querelles de succession et de rivalités avec les services secrets (le SNB).
D’après la lettre confidentielle [lien payant]
Intelligence Online de ce mercredi, la proximité d’Eric Cokini avec
l’entreprise Cifal, « émissaire de grands groupes hexagonaux en
Ouzbékistan » et plus largement dans les pays de l’Est, l’a perdu.
Les services secrets ouzbeks en colère
En 2011, une
consultante de ce cabinet et son mari se sont mis à dos les services secrets
ouzbeks, plutôt rancuniers. Le couple Tadjieva a dû se réfugier en France et
les contacts sur place de Cifal se sont retrouvés blacklistés, ce qui a ralenti
les affaires de grandes entreprises françaises (Areva, Airbus, Thales, etc.).
Des
consultants comme Eric Cokini, dont le nom figurait dans un ordinateur saisi,
mais aussi Matthieu Mitterrand (le fils de Frédéric Mitterrand), ont été
écartés des affaires locales. D’après Intelligence Online :
« L’arrestation
du Français à Moscou a ainsi fait figure d’avertissement : celui qui ne
rentre pas dans le rang s’expose à une nouvelle révélation du SNB issue des
“dossiers Tadjieva”. »
Le mandat
d’arrêt international émis par l’Ouzbékistan contre Eric Cokini date de cette
période. Pour son avocat français, Paul Sollacaro, le rôle joué par
l’entreprise Cifal pourrait expliquer le silence radio du Quai d’Orsay depuis
l’arrestation de son client :
« Je me
demande quel est le rôle du ministère des Affaires étrangères là-dedans,
jusqu’à quel point ils sont mouillés et quel est l’intérêt de la France à ne
pas agir. Mon client a été totalement lâché. »
Le Quai
d’Orsay ne s’est exprimé qu’une seule fois publiquement sur cette affaire, lors
d’un point presse le 7 février, et avec des pincettes :
« La
France ne peut pas intervenir dans une procédure judiciaire. Elle exerce en
revanche sa protection consulaire, conformément à la convention de Vienne.
A travers
son réseau diplomatique et consulaire, le ministère des Affaires étrangères est
très actif : nous rendons visite à nos compatriotes ; nous nous
assurons que les droits de la défense sont garantis ; nous veillons à ce
que nos ressortissants ne soient pas en difficulté sur le plan médical et
puissent avoir des contacts avec leur famille. C’est évidemment le cas dans cette
affaire. »
Paul
Sollacaro s’agace :
« On ne
peut pas intervenir non plus au Mexique, pour Florence Cassez, et pourtant on
le fait ! »
Son client
est retenu à 30 kilomètres de Moscou, « bien traité »,
« sans problème avec les autres détenus ». Il a reçu la visite des
autorités consulaires et s’est entretenu avec des avocats moscovites, qui ont
tenu au courant leurs homologues français. De nouvelles demandes de remise en
liberté doivent être examinées bientôt.
Thierry Mariani dans la boucle
La séquence
se joue sur des œufs. Médiatisé par des proches de l’homme d’affaires, le
dossier a ému d’anciens ambassadeurs en Asie centrale et un ancien attaché de
défense, qui ont sollicité l’intervention du député français (très actif dans la région) Thierry Mariani. Aurait-il
l’amabilité de jouer de ses contacts sur place et au Quai ?
Dans un
e-mail au député dont Rue89 a eu copie, l’un de ces anciens diplomates
décrit Eric Cokini comme « audacieux et franc-tireur » mais
« travailleur », « organisé » et au-dessus de tout soupçon
de fraude.
Le député
répond le 5 février, assurant qu’il est « particulièrement mobilisé
sur ce dossier », qu’il a téléphoné « à plusieurs reprises » à
l’épouse d’Eric Cokini resté en France, suit les événements grâce au consul de
France à Moscou et a « alerté personnellement le Quai d’Orsay sur la
situation de notre compatriote ».
« Cependant,
nous devons attendre que la justice russe se prononce avant de pouvoir agir
plus. Soyez assuré que je reste vigilant aux suites qui seront réservées à
cette affaire. »
OUZBÉKISTANLes malheurs de Goulnara (3), un putsch à Tachkent ?
Les personnes les plus
proches de la fille aînée du président Karimov ont été arrêtées, dans la nuit
du 17 au 18 février à Tachkent, par un commando qui a fait irruption dans son
appartement.
En pleine chute libre de son Olympe de fille aînée du président,
Goulnara Karimova subit des attaques depuis plusieurs mois. Et en voilà une
nouvelle : dans la nuit du 17 au 18 février, son appartement à Tachkent a été
pris d'assaut par des Spetsnaz (groupe d'intervention de la police) ouzbeks,
sur l'ordre et avec la participation de Mouïdjon Tahiri, le patron du service
de sécurité du président.
Les dix personnes présentes au moment de l'intervention, dont le compagnon de Goulnara, Roustam Madoumarov, et deux personnes de confiance de son entourage, les femmes d'affaires Gaïané Avakian et Ekaterina Klioueva, ainsi que le bébé de cette dernière, ont été arrêtés. Iman, la fille cadette de Goulnara, choquée par les militaires débarquant par le balcon, a été hospitalisée, accompagnée de sa mère.
“L'arrestation a eu lieu dans le cadre d'une enquête pour dissimulation de devises étrangères et fraude fiscale au sein des sociétés Terra Group, Prime Media, Gamma promotion, etc.”, dont la fille du président détenait des parts, directement ou via ses hommes de paille, explique le site ouzbek indépendant Uznews.
Cette attaque hors norme “contre son enfant” dans un pays où jusqu'ici Karimov contrôlait tout d'une main de fer signifie que le président “est mal informé et ne voit pas ce qui se trame”. Selon des sources anonymes à Tachkent, “on cherche à anéantir Goulnara pour éliminer une candidate au pouvoir [l'élection présidentielle est prévue en mars 2015]”. Karimov, 76 ans, qu'on dit malade depuis plusieurs années, et dont l'emprise semble faiblir, “sera isolé jusqu'à ses derniers jours de toute information”, pour qu'ensuite “le Comité de sécurité nationale puisse établir son pouvoir sur le pays”.
Ainsi, le drame de Goulnara ne peut être analysé séparément de la situation de Karimov, car “la puissance de la fille n'était qu'un prolongement du pouvoir illimité du père”. “A Tachkent, la 'meute' [des ministères de la force] se cherche un nouveau chef”, conclut Uznews.
Les dix personnes présentes au moment de l'intervention, dont le compagnon de Goulnara, Roustam Madoumarov, et deux personnes de confiance de son entourage, les femmes d'affaires Gaïané Avakian et Ekaterina Klioueva, ainsi que le bébé de cette dernière, ont été arrêtés. Iman, la fille cadette de Goulnara, choquée par les militaires débarquant par le balcon, a été hospitalisée, accompagnée de sa mère.
“L'arrestation a eu lieu dans le cadre d'une enquête pour dissimulation de devises étrangères et fraude fiscale au sein des sociétés Terra Group, Prime Media, Gamma promotion, etc.”, dont la fille du président détenait des parts, directement ou via ses hommes de paille, explique le site ouzbek indépendant Uznews.
Cette attaque hors norme “contre son enfant” dans un pays où jusqu'ici Karimov contrôlait tout d'une main de fer signifie que le président “est mal informé et ne voit pas ce qui se trame”. Selon des sources anonymes à Tachkent, “on cherche à anéantir Goulnara pour éliminer une candidate au pouvoir [l'élection présidentielle est prévue en mars 2015]”. Karimov, 76 ans, qu'on dit malade depuis plusieurs années, et dont l'emprise semble faiblir, “sera isolé jusqu'à ses derniers jours de toute information”, pour qu'ensuite “le Comité de sécurité nationale puisse établir son pouvoir sur le pays”.
Ainsi, le drame de Goulnara ne peut être analysé séparément de la situation de Karimov, car “la puissance de la fille n'était qu'un prolongement du pouvoir illimité du père”. “A Tachkent, la 'meute' [des ministères de la force] se cherche un nouveau chef”, conclut Uznews.
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