Si
la France mentait…
Monsieur le Président de la République,
permettez-moi
une nouvelle fois de solliciter votre attention. Je garde confiance en vous
quoiqu’en rien, ni dans le fond ni dans la forme, vous n’exercez les hautes
fonctions qu’une majorité de Français, et moi avec eux, vous ont conférées il y
a vngt mois, ni n’animez la politique nécessaire à notre pays, et quoiqu’aussi
– mais c’est secondaire – vous n’avez pas accepté de m’accorder les quelques
minutes bimensuelles que je vous demande depuis votre investiture par le Parti
socialiste.
Je
garde confiance pour deux raisons. L’une tient à vous. Je persiste à vous
croire honnête intellectuellement, capable de travail libre et personnel et
donc d’un sursaut quand vous aurez pris conscience de nos nécessités. L’autre
tient à vos fonctions. Tant que vous l’exercez, vous avez tous les moyens de
faire de votre sursaut personnel le sursaut du pays.
La
France est à plat.
Depuis
la radicale alternance de 1981-1986, elle a, pan par pan, perdu l’essentiel de
son patrimoine industriel (textile, métallurgique, bientôt l’automobile) et des
entreprises ou services de rayonnement mondial (le Lyonnais, Elf-Aquitaine,
Vivendi) et ce qu’il lui reste est trop isolé (Areva qui n’a pas su faire part
à deux avec Siemens) ou exposé à des logiques qui ne sont plus ni nationales ni
européennes (Airbus et EADS). La politique agricole commune est à sa fin.
L’économie française n’est que de consommation de produits étrangers et d’aide
à la personne naissante ou mourante.
On
lui a fait renoncer aux institutions d’économie mixte et aux systèmes sociaux
qui faisaient sa force depuis trois quarts de siècle : les entreprises
publiques à caractère industriel et commercial et les grands services publics
ce qui a mis à la dérive nos chemins de fer, la poste. On a laissé se
mélanger l’assurance et la
banque. On a perdu l’outil de dialogue, de mise en commun et
de prévision qu’était la « planification souple à la française ».
Tout est entreprise à but lucratif de l’hôpital aux moyens de communication,
les routes principales sont payantes.
On
a réduit l’entreprise européenne à deux éléments détestables : une gestion
bureaucratique et une impuissante gouvernance à près de trente. L’Europe n’est
ni une solidarité, ni une garantie d’indépendance pour l’ensemble que forment
les Etats-membres, ni une entité mondiale équilibrant des nations géantes mais
hégémoniques ou sous dictatures.
Nous
ne sommes plus en démocratie nationale puisque l’Etat – seule institution dont
les directions soient électives – est réduit à ses compétences
régaliennes : le fisc, la justice, la police. Toutes nos
orientations les plus vitales, nos régimes sociaux, nos solidarités
interrégionales, sont soit en voie de privatisation (la sécurité sociale et
AXA) soit étranglées par des contraintes budgétaires. Celles-ci sont acceptées
sans que soient analysées leur fondement ni choisies leurs perspectives.
La
dernière élection présidentielle – la vôtre – qui était pensée par vos
électeurs et par les Français qui ne l’étaient pas comme un retour aux sources
et à nos expériences ataviques : nationalisations ad hoc, étatisation du
crédit et retour des banques au financement de l’économie, supériorité du bien
commun sur les intérêts particuliers et légitimité de l’Etat supérieure à celle
des entreprises, s’est transformée en la nomination d’un directeur du budget
dont ces jours-ci il est démontré que, même chez lui, il est soumis à la
censure de ses propres magistrats, la Cour des comptes, dût la signature de la
France en pâtir sur les marchés spéculatifs.
Nous
sommes sans doute à la veille d’une faillite analogue à celle de la Grèce, le
choix d’une réduction de la dépense publique et d’une augmentation de l’impôt
ne réduit pas les déficits et la croissance qui ne serait plus attendue que de
l’international est moindre chez nous qu’ailleurs. En presque tout, y compris
l’intellectuel, le culturel, voire le respect des droits de l’homme nous sommes
parmi les derniers en Europe.
Vous
n’avez pas renversé la table truquée des casinos actuels. Vous n’avez pas
convaincu nos grands analogues d’un moratoire des dettes souveraines. Vous
n’appelez pas à une démocratie européenne seule capable de faire accepter la
solidarité et de nous faire entendre internationalement : l’élection du
président de l’Union au suffrage direct. Nos interventions en Afrique,
humainement nécessaires, ne sont pas appréciées, soutenues, partagées par nos
partenaires européens.
Nos
institutions dévoyées particulièrement par votre prédécesseur immédiat mais
faussées par le passage du septennat au quinquennat et par la non-démission du
perdant de la dissolution de 1997 et du referendum de 2005, n’ont pas été
remises dans leur axe de responsabilité populaire du président de la République. En peu
de mois, malgré la qualité personnelle du Premier ministre, et celle des
relations entre vous deux, vous avez pris les compétences de ce dernier :
le pacte de responsabilité qu’on le juge naïf eu égard au partenaire patronal
ou qu’on y voit le commencement d’une autre relation tripartite : Etat,
syndicats, entreprises, devait être l’invention, l’annonce et l’affaire du
Premier ministre. Mais en exerçant les fonctions de celui-ci, vous abandonnez
de fait les vôtres. Votre communication – ponctuellement mauvaise, l’affaire
Léonarda, et excessive autant que celle de votre prédécsseur – est sans recul
possible.
Enfin,
vous avez mis à mal votre propre autorité. Retirer un projet de loi à la suite
d’une manifestation de rue après que vous ayez calé devant Peugeot pour Aulnay
et Mittal pour Florange, au lieu de laisser les députés de la majorité en
imposer à l’opposition parlementaire, et le Parlement en imposer à la rue, au
lieu de laisser les syndicats en découdre avec les constructeurs automobiles et
avec Mittal, gorgés de subventions depuis des décennies. Je me suis permis de
vous écrire à propos de votre vie privée. Les Français font la différence entre
vos deux vies, mais ils ont eu la révélation de mensonges ou d’indécisions
mettant un jour déplorable sur votre personnalité, qui pourtant ne le mérite
pas.
Résultat ?
l’esprit public n’est plus suscité, les médias ne sont plus appelés à débattre
et faire débattre de ce qui est d’intérêt public. Plus de repères, plus de
limites. Il n’y a pas besoin de sondages comme celui que présente Valeurs actuelles – d’une manière prétendûment plus franche et plus exhaustive que le
reste de la presse – pour vivre une crédulité, surtout de nos soi-disant
élites, sans précédent en temps de paix. Des procès d’intentions en éducation
nationale, en bio-éthique mobilisent des manifestants de bonne foi et organisent
des rumeurs, formalisent des souhaits absolument fous de dictature,
d’apartheid. Les Français deviennent pires que la caricature habituelle de leur
esprit de clocher ou de la morgue de leurs dirigeants. Les partis politiques
n’existent plus, ceux dits de gouvernement ne sont plus crédibles ni en
gouvernement au jour le jour ni en promesses ni en capacités d’analyse, et ceux
considérés comme extrêmes ne parviennent évidemment pas à avoir la ressource
humaine qu’implique des scrutins à vocation gestionnaire, ainsi que nos
prochaines municipales.
Vous
avez une part de responsabilité – grande – dans ces perversions mentales
caractérisant maintenant notre pays, mais elle se limite en ce que vous
n’avez posé aucun diagnostic et n’avez choisi aucun des remèdes radicaux (ceux
qu’en toute modestie parce qu’ils tombent sous le sens et son banaux) qui nous
remettraient en marche et dans la bonne direction. Notre mal vient de loin.
L’entreprise
européenne que nous n’avons plus menée – et nous sommes les seuls à pouvoir
l’inspirer dans tous ses éléments et toutes ses dimensions, ni l’Allemagne, ni
l’Angleterre ne le peuvent, chacun le sait et d’abord les Allemands et les
Anglais eux-mêmes qu ne se sont jamais proposés pour ce faire – et la
démocratie française que nous n’avons pas su discerner au départ que nous avons
forcé, du général de Gaulle.
Trop
profus et trop long.
Laissé
en plan, avant la partie positive.
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