mardi 25 février 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 9.11 Mars 2007




Election présidentielle 2007

observations & réflexions

IX




Je suis presque sans radio puisque je la « prenais » dans notre voiture, accidentée depuis maintenant dix jours (j’écouterai-regarderai le président sortant rétrospectivement selon un enregistrement vidéo. qui m’est fait à Paris), je lis beaucoup de journaux, les quotidiens dont j’ai l’habitude, les gratuits du métro. La recherche de mon chien me fait parler avec beaucoup de gens d’ici : ruraux ou salariés de Vannes habitant en campagne. Je sonde aussi mes étudiants de Paris VIII . Deux genres de vie, deux types de culture et des générations différentes. Mes étudiants dont une moitié n’est pas votante, parce que pas de nationalité française. – Je lis le livre-manétophone de Raymond Barre (L’expérience du pouvoir), le recueil des discours de François Bayrou (Au nom du tiers état) et le rapport de l’Académie des sciences morales et politiques (La France prépare mal l’avenir de sa jeunesse), notamment adopté par Raymond Barre et Pierre Messmer.
Recul donc. Deux sites que je crois phares dans nos débats : http://gaullismesocial.free.fr et www.maisonroyale.org.
Deux conversations ce matin tandis que je recherche toujours notre chien, en compagnie de ses deux frères et de notre petite fille Marguerite. Au lieudit moulin du Guérizec, bois et rivière. La question d’entrée, une fois établi le portrait du chien perdu … et la campagne électorale ? Toujours la prudence – qui me fait douter des sondages – mais parfois l’ouverture si je peux donner le sentiment que je m’ouvrirai aussi. La planète, l’avenir de nos enfants, tous les moyens et diagnostics sont là, mais ils se chamaillent, cour de récréation puérile et ne font/ne feront rien ; ce qui me fait songer aux années 1930, chacun conscient du péril mais personne n’entreprenant de le conjurer, ce qui a coûté au monde et surtout à l’Europe la deuxième guerre mondiale et les camps. Il n’est pas déterminé, il est très posé et me laisse ses adresses électroniques en couple, il est inquiet en profondeur, regrette Edouard Balladur et Jacques Delors, ce qui est dater le début de tout ce qui a été manqué : 1995. A la plage, ensuite, lisse de la mer, pas d’oiseaux, un autre silence, les gens ne s’entendent pas. Aux agrès, un visage rappelant celui de DSK. Je le dis, vous m’y gaites penser mais en beaucoup mieux. De fait, élancé et svelte, l’autre est rassuré ; tout sauf la gauche ; j’ai voté Mitterrand une fois, en 1981 (il ne dit pas si ce fut par exaspération de VGE, ma mère : cela avait été çà), cela suffit. Donc Nicolas Sarkozy. Remettre les Français au travail (il a 56 ans, ne les fait pas, a commencé de travailler à quatorze ans, est à la retraite depuis deux mois), je lui dis que beaucoup de gens voudraient bien travailler et ne trouvent pas. Je lui dis que ce sera Jacques Chirac, culte du chef, réputation d’énergie mais indélicatesse pire puisque cela concerne – déjà – les libertés publiques. Le Pen, je partage beaucoup de ces idées, répond-il. Pourquoi pas François Bayrou, alors ? Ah, non ! celui qu’il ne vienne pas nous emm… Ma postière, il y a quatre jours, passée du vote socialiste traditionnel à Bayrou : battre absolument Nicolas Sarkozy, Ségolène n’en est pas capable. Mais elle avait commencé selon la prudence : n’importe qui, pourvu qu’il soit bien entouré. Soit ! si l’impétrant est capable de travailler avec ce « bon » entourage et de le susciter.
 Deux non-événements.

L’annonce par le président sortant qu’il ne se représente pas, est une confirmation. L’interrogation rétrospective est triple. Jacques Chirac a consenti à l’abrègement de la durée du mandat présidentiel pour se faire plus aisément réélire aussi bien en 2002 qu’en 2007, à la recherche qu’il est depuis 1995 de dépasser son score du premier tour (jamais plus de 20% depuis 1981…), sans avoir compris que son élection à 82% lui rendait l’avenir, non pas tant un nouveau mandat, mais les moyens d’une tentative si novatrice : le gouvernement d’union nationale correspondant à cette majorité unanimitaire contre l’extrêmisme que d’ailleurs n’importe quel candidat opposé à Jean-Marie Le Pen aurait recueillie. Beaucoup plus difficile sera celle de François Bayrou, s’il en reçoit le mandat au premier tour en y étant second : il aura été préféré, en pis-aller peut-être mais préféré, par l’électorat traditionnellement socialiste alors que son parcours jusqu’en 2002-2006 aura été dans la majorité sortante, l’équation est la même que celle de 2002, mais le score évidemment sera très moindre, ce qui rend les choses proches des contraintes ayant pesé sur le dessein de Valéry  Giscard d’Estaing (François Bayrou me paraît avoir le même sans que l’ancien président de la République le reconnaisse encore) : caractéristique du « chiraquisme », l’adversaire n’est pas légitime, on ne peut donc travailler avec lui parlementairement (ce qui imposa à François Mitterrand la dissolution en 1981 et en 1988), mais on accepte la cohabitation convaincu qu’on sera meilleur que lui… Deuxième interrogation-méditation, Jacques Chirac avait tous les moyens d’empêcher Nicolas Sarkozy d’exister au point où celui-ci en est maintenant : il dominait l’U.M.P. sans conteste jusqu’en 2004, le non-cumul des fonctions de chef de parti et de ministre allait de soi, enfin des rappels à l’ordre sur les libertés publiques lui étaient faciles, elles étaient de sa compétence, elles l’auraient grandi, François Mitterrand, dans ce registre, eût été décisivement assassin. Enfin, quitte à ce que le président ne se représente pas  en 2007, crainte d’être battu (le referendum de 2005 et l’hospitalisation peu après), le suspense pouvait être organisé et des hâtes dans le processus de candidature au sein de l’U.M.P. où le moins qu’on puisse constater est que le plébiscite de confirmation a effacé toute discussion, auraient pu être évitées, les impertinences caractérisées du ministre-candidat aussi. Mais Jacques Chirac est au seuil de sa vraie popularité ; celle qu’il aura en n’étant plus au pouvoir et correspondant au portrait de l’humaniste (cf. Pierre Péan sur L’inconnu de l’Elysée), passionné d’arts et de civilisations exogènes, engagé à fond dans la sauvegarde de la planète rejoignant Mikhaïl Gorbatchev et Nicolas Hulot… à se demander pour quoi il fut président de la République ? Il semble que l’opinion ne le réalise pas encore.

L’analyse faite si tardivement par les « deux principaux » candidats et surtout par les parieurs de carrière, de leur positionnement mutuel en cas d’émergence d’un tiers. Pour Ségolène Royal, le précédent de l’irrésistible distanciation de Jacques Chaban-Delmas en 1974 par Valéry Giscard d’Estaing, tient à ce qu’une partie de son électorat potentiel a deux envies qu’il faut satisfaire à la fois. Une capacité de renouveler la politique mais avec compétence, être placé pour battre l’adversaire dont on ne veut à aucun prix. Dès qu’il apparut que Valéry Giscard d’Estaing était mieux à même de l’emporter sur François Mitterrand, l’électorat de la majorité sortante quitta Jacques Chaban-Delmas, qu’elle ne préférait que par raison (à quoi s’était employé Georges Pompidou ne considérant plus à « l’usage » son Premier ministre). L’homme à battre aujourd’hui est, pour beaucoup, Nicolas Sarkozy et la gauche n’est pas seule dans cette mobilisation négative. A l’inverse, la hiérarchie du Parti socialiste sent bien que les voix grossissant l’électorat de François Bayrou, par rapport à son score de 2002, viennent du centre gauche. François Bayrou a eu le génie de sentir le premier que la réserve de voix est là. Et bien entendu, alors que Ségolène Royal fait l’erreur de l’étiqueter à droite sans réaliser qu’elle-même ne peut l’emporter au second qu’avec cet électorat centriste qu’elle avait d’abord visé en étant candidate à la candidature, François Bayrou au contraire a décisivement évoqué que son Premier ministre sera choisi à gauche.
Pour Nicolas Sarkozy, l’aveu est sans fard : faire que Jean-Marie Le Pen soit présent au premier tour, c’est au mieux l’avoir comme adversaire au second tour, qui n’en sera plus un, le plébiscite se renouvellera, et c’est plus probablement disposer de ses voix contre Ségolène Royal, mais encore davantage contre François Bayrou du fait de l’engagement européen de ce dernier. Si le ministre-candidat est si petitement européen, c’est bien à cause du Front national. François Bayrou au second tour est plus dangereux que Ségolène Royal, il aura des voix de gauche, il aura des voix libérales au sens premier du terme, c’est-à-dire se déterminant en fonction des libertés publiques et du profil psychologique du président souhaitable. François Mitterrand l’emporta ainsi en 1988.

Les voix dont disposera Ségolène Royal au premier tour dépendent en fait des possibilités de candidature de l’extrême-gauche dite anti-libérale bien plus que de sa perte de séduction envers l’électorat centriste. Si la question des parrainages construit une candidature unique : celle d’Olivier Besancenot, faute que les appareils y soient parvenus d’eux-mêmes à l’automne, la bataille socialiste deviendra une bataille d’identité de gauche. Intéressante et décisive pour une grande famille d’esprit et qu’avait su gagner – paradoxalement – François Mitterrand à plusieurs reprises, mais très handicapante pour assembler, au second tour, au-delà de la gauche.

Je préfère donc analyser ce qu’apporte la campagne en cours – structurellement – à la vie politique française. Je la crois révélatrice et constructive. Donc, indépendamment des candidats et de leurs dires, bénéfique pour notre avenir.
   

     La campagne modifie peut-être la fonction présidentielle


L’élection au suffrage universel direct n’était pas utile à de Gaulle, elle l’handicapa même, modifiant pour quelques années l’origine de son pouvoir. Le défunt Comte de Paris le remarqua le premier, il ne s’agirait plus de légitimité. Mais l’homme du 18 juin – ce faisant – dès 1962, voulait, et fit jurisprudence, que les successeurs aient une équation dépassant leur propre personnalité et leur parcours. C’est  l’occasion à de sa propre campagne, en 1965, que le fondateur refusant «  la politique des boules puantes » - dont beaucoup de Français regrettent en ce moment qu’elle ait tant cours – articula aussi, à propos de François Mitterrand que les siens voulaient discréditer, qu’ « il ne faut pas porter atteinte à la fonction, pour le cas où il viendrait à l’occuper » [1]. Prophétie et capacité de recul, alors qu’on est soi-même en cause, devenues rares en ce moment. La droite en particulier déniant toute capacité à la candidate socialiste et tâchant de répandre un jugement sur Ségolène Royal qui n’aurait comme critères que les siens : quoi d’étonnant alors qu’elle ne fasse pas l’affaire. Tactique décalée car la candidate socialiste, qu’on avait cru à gauche comme à droite capable de faire bouger les traditionnels votes de droite, n’y est manifestement pas parvenue, plus attractive en campagne interne au Parti socialiste, qu’une fois intronisée. Problème déjà rencontré par Michel Rocard, apprécié à droite plus que d’autres socialistes, mais jamais au point d’être préféré au candidat proprement dit de cette droite.

L’élection présidentielle, dans la forme décidée par referendum en 1962, devait être à la fois une décision de politique générale et un choix de personne, la meilleure, la plus adéquate possible. A partir de 1995, c’est l’échec. D’une part, les campagnes deviennent une prospection des électorats par catalogues et engagements commerciaux : 1988 en avait donné un avant-goût, François Mitterrand parla de « jack-pot » à propos de celle du Premier ministre sortant. Celle en cours dépasse tout précédent. J’entends par promesses autre chose que les priorités ou les propositions, manière de la gauche qui pourrait d’ailleurs s’articuler en propositions de loi dûment déposées avant la fin de la législature et automatiquement reprises, au début de celle suivant la victoire du nouveau président. Mais des spontanéités, en fonction d’auditoires de l’instant (le second porte-avion nucléaire abandonné pour en reporter les crédits sur l’éducation), ou des calculs très délibérés en fonction d’un électorat recherché (le projet de fichier national des psychopathes, rejeté par la communauté médicale et même la majorité parlementaire sortante, donc retiré par le ministre de l’Intérieur mais promis par le candidat). Promesses qui créent un besoin  de leur évaluation par des autorités ou des mécanismes indépendants, et appellent des questions sur la manière de les réaliser. Le débat sur le chiffrage… le site d’Alexandre Jardin…

D’autre part, si à mesure de l’exercice du pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand étaient critiqués, il ne fut jamais avancé qu’ils étaient inférieurs à leur fonction. Edouard Balladur dès 1996 l’a soutenu à propos de Jacques Chirac, alors qu’une quasi-unanimité s’était faite sur son exercice des fonctions de Premier ministre. La révérence que le président sortant pour son prédécesseur explique probablement sa lacune principale : il lui faut un père, même s’il s’oppose à lui. Valéry Giscard d’Estaing, de trop peu son aîné, n’en tint pas lieu. Jacques Chirac à Pierre Péan ne dit pas : de Gaulle ou le général de Gaulle, il dit : le père de Gaulle. Et envers Georges Pompidou, puis la femme de celui-ci, ses sentiments d’attachement filial ont toujours été explicites.

Mais si l’élection présidentielle, dans son actuelle psycho-sociologie, ne contribue pas à la fonction telle que l’avait inaugurée de Gaulle, elle en construit peut-être une autre. Du moins, la conception qu’en a désormais la « classe » politique le présage. L’un des arguments pour abréger la durée du mandat présidentielle a été le risque de conflit de légitimité entre le président et l’Assemblée renouvelée en cours de son mandat, et donc plus « fraîchement » élue que lui. C’est un argument que je récuse car la dissolution précisément ou le recours au referendum sont des opportunités pour le président en place de se faire confirmer presqu’à tout moment. Evidemment en courant le risque d’être désavoué. Dans une conception de la présidence quinquennale, c’est le renouvellement du mandat qui compterait le plus. La légitimité ne serait plus créée par la première élection, ne caractérisant pas une personnalité et ne lui permettant que l’accès au pouvoir, mais elle serait reconnue par la seconde selon la qualité d’exercice de la fonction présidentielle. En tout cas, la première élection serait un choix de programme, une décision d’orientation ; la consécration personnelle ne pourrait intervenir qu’à la seconde. Le quinquennat serait un mandat de dix ans conditionnels. Durée choisie pour le consulat de Napoléon Bonaparte ou pour le chef de l’Etat, dans le projet du maréchal Pétain. Durée d’exercice des fonctions présidentielles par le général de Gaulle, seul à avoir accompli cette durée en pleine possession de toutes les prérogatives qui leur sont attachées, puisque François Mitterrand et Jacques Chirac ont eu leur propre longévité, partiellement amputée par les cohabitations (deux fois deux ans pour le premier, cinq ans sur douze pour le second).

Ainsi, la vraie révision de nos institutions n’est-elle pas celle proposée pour son texte par tous les candidats, elle résulte de la campagne en cours.
     La campagne révèle aussi bien notre vie politique intérieure que l’état de nos relations extérieures


L’élection présidentielle, surtout, révèle la réalité de la vie politique et montre les évolutions dans la distribution des familles d’esprit. C’est elle qui a fait constater la diminution puis la quasi-disparition du vote communiste, bien moins sensible dans les scrutins parlementaires puisque les réserves de circonscription entre partis maintiennent – artificiellement – l’importance non seulement des communistes, mais des Verts. Le fait qu’aucun candidat ne se réclame du passé, ni du sien propre, ni de l’exercice du pouvoir par l’un quelconque des présidents de 1959 à ce printemps-ci, centre l’agencement des forces politiques et des candidatures que la plupart cherchent à placer sur la stricte actualité.

La procédure d’émergence des candidatures est d’ailleurs – sauf pour ceux des chefs de partis qui sont eux-mêmes candidats : François Bayrou, Marie-George Buffet, Jean-Marie Le Pen, Philippe de Villiers – tout à fait nouvelle à peu près partout. La tentative de candidature unique à l’extrême-gauche, le pluralisme très libre chez les socialistes, le simulacre dans la majorité sortante d’autant plus remarquable qu’on le croyait imputable seulement à la personnalité fondatrice de Jacques Chirac.

Le mauvais rapport à l’argent n’est pas nouveau. Il y eut – ravageusement – les scandales du Panama ou de Stavisky – sous la Troisième République. Jacques Chaban-Delmas fut atteint par l’affairisme de certains de ses ministres, il est vrai de rang secondaire. Plus que d’enrichissement sans cause ou d’une concussion avérée – quoique ce soit le problème manifeste de l’un des candidats, du fait d’ailleurs d’un cumul de mandats qui est l’habitude du R.P.R. léguée à l’U.M.P. – c’est de laxisme, qu’il s’agit. Dès leur entrée respective à l’Elysée et à Matignon, Jacques Chirac et Alain Juppé, en 1995, aveint vu mettre en cause leur pratique immobilière selon leur position à la mairie de Paris. Il est évidemment choquant que des candidats à une fonction dont l’exercice sera en partie de veiller à la morale publique, donc à la sincérité fiscale, ne soient pas rigoureux dans leurs gestions personnelles. Mais le laxisme n’est pas que pour l’argent. Il fut choquant d’entendre le président sortant dont la responsabilité politique a été deux fois sanctionnée, en 1997 à la suite de la dissolution et en 2005 par referendum, en appeler au sens de la responsabilité de tous, à plusieurs reprises. Le mauvais rapport à l’argent va de pair avec un mauvais rapport au peuple, simplement parce que le laxisme personnel rend superficiel les engagements politiques. La phrase si cynique de Charles Pasqua : les promesses n’engagent que ceux qui y croient. C’est ce qui produit la sensation chez les Français – fondée – que la politique est un exercice professionnel, comme un autre, en rien exceptionnel, sacré donc, que les carrières dans l’intérêt public et selon des convictions ou un idéal laissent la place à de simples parcours d’ambition. Une sorte de « jeu de l’oie » : du cabinet à la députation (circonscriptions que l’on se repasse, ainsi le monnayage de celle de François Léotard contre une nomination à l’inspection générale des finances, au tour extérieur, ou la disponibilité de celle de Jean-Louis Debré à Evreux qui échoit au directeur du cabinet de Dominique de Villepin – le fait que celui-ci ne la retienne pas pour lui-même et donc pour commencer une carrière parlementaire d’ici l’été, est d’ailleurs, je crois, l’événement de la semaine, peu commenté encore), de la députation au gouvernement malgré la philosophie première de notre Constitution qui prétendait distinguer les deux fonctions et aussi les deux types de talent, et du gouvernement… à « la dernière marche » : expression de Nicolas Sarkozy, donnant à la Réunion en exemple pour tous les modestes de naissance, sa propre carrière. Discrimination positive.
Le rapport aux médias a complètement changé. D’une possibilité technique pour saisir directement les Français qu’Edouard Daladier avait inaugurée et qui importa tant au maréchal Pétain, et à quoi n’excella de Gaulle que parce qu’il avait quelque chose à dire et à faire approuver, quelque chose de précis, les ondes ont fait apparaître une profession, tendant à devenir une classe, au fonctionnement analogue à celle de la politique : même problématique du rapport à l’argent et au peuple, même tendance à la cooptation et même à l’hérédité, même écart entre l’explicite et le sous-jacent dans l’exercice d’une fonction pourtant essentielle à la démocratie contemporaine. Essentielle quand fléchit l’instance du contrôle politique qu’est le Parlement : magistrature et journalisme d’investigation, ensemble, tiennent le rôle de la commission d’enquête parlementaire, y compris dans la phase de contradiction. Naguère, les « affaires » étaient portées sur la place publique par les adversaires ; aujourd’hui, elles sont exposées à l’électeur directement. Accessoirement, c’est un bon test de personnalité pour les candidats : le jeu de la vérité. Valéry Giscard d’Estaing y perdit le contrôle de son image. Que Jacques Chirac ne soit pas tombé par harcèlement tient de deux prodiges, une « mithridatisation » des Français, pas forcément positive ni civique, dangereuse pour notre estime à l’étranger, une vraie solidité nerveuse du président de la République. Trait de caractère que semble posséder bien plus Ségolène Royal que Nicolas Sarkozy, à égalité de questionnement ces jours-ci.

L’actuelle campagne semble dégager, pour l’exercice de la fonction médiatique, deux règles. L’équilibre de traitement entre les candidats ne serait pas seulement affaire de temps d’antenne, mais de neutralité ou de réserve des commentateurs et des éditorialistes de renom. Il y aurait une émission « faiseuse de rois », à chaque campagne. Il est dit que François Bayrou doit le début de sa « percée » dans les intentions de vote à son passage dans l’émission où avant lui, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal avaient surtout rivalisé et subi une évaluation selon l’audience, mais non le fond (10,5 millions de téléspectateurs pour la seconde contre 8 et quelques pour le ministre-candidat). Encore, n’en sommes-nous qu’à la pré-campagne. En 1974, Jacques Chaban-Delmas espéra se rattraper par un face-à-face avec François Mitterrand avant le premier tour, comme s’il s’était agi pour lui de surpasser le champion de la gauche, alors que son adversaire était bien – pour la primaire – Valéry Giscard d’Estaing. De Gaulle, au contraire, pour la campagne du deuxième tour en 1965, avait innové (ou plutôt son secrétaire général, Etienne Burin des Roziers) : un dialogue, la chose a été reprise à satiété, au point que soit confondu de plus en plus un discours direct du président de la République avec une conversation. L’homme du 18 juin avait seulement voulu contrer une réputation de trop grande altitude par rapport au commun. Des gouvernants qui ont suivi, on réclame au contraire – maintenant – un peu plus de hauteur de vues et de propos, car si ceux qui exercent le pouvoir en démocratie sont tellement semblables à leurs administrés, et tiennent tellement à ce que cela se sache, au nom de quelle différence rétendent-ils l’emporter. Concours de proximité, à quoi serait consacré l’essentiel de tout talent des candidats et des gouvernants ensuite ? ou démonstration d’excellence ?  

Une des révélations de la campagne actuelle est qu’il n’y a plus de primaire ni à droite ni à gauche, elles surabondèrent de 1974 à 2002. Tandis que beaucoup regrettent que nous n’ayons pas de « primaires » à l’américaine, c’est-à-dire un choix des candidats, non seulement par les appareils ou par les militants, mais bien par les électeurs potentiels De même – pour beaucoup de Français qui s’en cachent bien moins que de leur intention de vote –, le parrainage des candidats devrait rester le secret du Conseil constitutionnel pour ne pas être, par la publication des signatures, un véritable premier tour de l’élection et, pis encore, une élimination de sensibilités politiques existantes. Réforme à inscrire à l’ordre du jour de la prochaine législature. Ce qui induit une réflexion de plus grande portée. La prérogative présidentielle, surtout si elle retrouve son fondement qui est la responsabilité du président de la République devant le peuple à l’occasion de la dissolution ou du referendum, est telle que le mode de scrutin pour l’Assemblée nationale peut changer. La représentation proportionnelle permettrait l’accès au Palement de toutes les familles d’esprit, alors qu’actuellement elles n’espèrent, pour beaucoup d’entre elles, n’apparaître et pouvoir se dire qu’à l’occasion de l’élection présidentielle. Le changement du mode de scrutin pour le renouvellement de l’Assemblée nationale, et peut-être aussi le changement dans la composition du Sénat, ce qui est pensé depuis cent cinquante ans et toujours pas accepté – malgré de Gaulle notamment – libèrerait l’élection présidentielle d’un rôle qui ne doit pas être le sien et qui pollue la campagne : la représentation. L’élection présidentielle est une décision de personne, elle-même garante d’un programme et incarnant des options ; elle n’est pas un outil de représentation des diversités françaises.

Certaines idées-force peuvent fonder un parti, mais quand elles ont été efficaces, c’est-à-dire contagieuses, elles ne peuvent faire, par elles-mêmes, que susbiste un parti. Les républicains, ou les courants républicains, se justifiaient en tant que partis face aux alternatives royaliste et bonapartiste au début de la Troisième République. Se dire républicain aujourd’hui à peu de sens surtout si la République n’est plus définie comme un régime mais comme l’attachement à des valeurs : qui n’est pas humaniste ? d’autant que sans changer la forme républicaine du gouvernement, constitutionnellement insusceptible de révision, rendre héréditaire (dans la maison de France) la fonction présidentielle permettrait sans doute de donner à la Cinquième République ce qu’il lui manque essentiellement en ce moment : le contrôle parlementaire, le chef de l’Etat n’étant plus qu’arbitre. Les Verts, depuis René Dumont qui fit en 1974 que tout commença, ont gagné : l’écologie doit être la priorité de tous les partis, si elle n’est la tâche que d’un seul, elle ne s’accomplira pas assez. Leur déclin, en tant que mouvement politique, est à la mesure de leur succès d’idées. La bataille pour l’emploi ou la sécurité sociale, la dignité des travailleurs en tant que tel, qui – en situation de gouverner – les ignorerait ? La pétition socialiste, sur ce plan, est en concurrence et le Premier ministre actuel a eu tort d’en faire dépendre son image, alors que – à tort ou à raison – son discours aux Nations unies lui avait donné une image populaire. D’une telle image, Michel Jobert avait eu la ténacité (et le talent incomparable) de bénéficier jusqu’à sa mort et sans jamais avoir été élu. Du fait de l’échec d’un système ayant régné de fait depuis 1981 : l’alternance droite/gauche au pouvoir, ls centristes – actuellement l’U.D.F. – deviennent un parti nécessaire dont la proposition n’est qu’institutionnelle. Cette proposition peut, selon ce qu’exprimera leur candidat-refondateur, être aussi une radicale imagination européenne. Paradoxalement, autant la proposition institutionnelle est porteuse pour François Bayrou, autant une pétition européenne intégrale serait périlleuse : on mesure là l’évolution en France de la perception de l’enjeu européen. Le général de Gaulle, pourtant si ferme (et ingénieux avec Maurice Ciouve de Murville aux Affaires étrangères) dans la fondation d’une pratique européenne entièrement dans nos intérêts, et il  parvenait, fut mis en ballotage en 1965 à l’élection présidentielle par une surenchère des centristes (la candidature de Jean Lecanuet, supranationaliste). Ne pas paraître assez européen était dangereux il y a trente ans, l’être ou l‘être trop est aujourd’hui périlleux. Ce qui rend encore plus artificielle la puérile course à la « stature internationale » - avec ses paradoxes, la candidate socialiste cherchant son adoubement chez la chancelière chrétienne-démocrate et le candidat de la majorité sortante chez le président socialiste du gouvernement espagnol – montre l’état pitoyable de nos relations extérieures. L’entente franco-allemande à l’épreuve des erreurs de gestion d’Airbus.
                                                                                        BFF – 9.11 III 07

 disponibles sur demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007

12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des Français en forme de questions
Quel contexte ?
2 Janvier 2007
Le naturel  des partis
Les clivages ne correspondent plus aux partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour
9 Février 2007
Les mises en campagne
Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour l'avenir
La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que tel par personne
18 Février 2007
L'opinion et les candidats
Les candidats et l'opinion
L'absence de choix en matière institutionnelle
Le mauvais énoncé de la question européenne
24.25 Février & 4 Mars 2007
Des certitudes négatives
De rares certitudes positives, mais qui sont sans doute la matrice d’un système nouveau
Apathie ou désespérance des électeurs ? ou médiocrité des acteurs ?
Quelque chose prendrait-il forme ?
Le monde, pendant ce temps-là…
Les résultats du capitalisme tel qu’il se pratique en français


[1] - Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle ** p.602 (éd. Fallois-Fayard  . Octobre 1997 . 653 pages)

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