jeudi 27 février 2014

archives pour l'histoire immédiate de notre vécu - 17.23 Mars 2007



Election présidentielle 2007

observations & réflexions

XI



C’est en apparence le hasard fait, sans doute pour chacun de nous, les événements qui nous déterminent, choix de vie, choix électoraux. Pour ma part, j’ai été impressionné par des « directs ». Ceux de Ségolène Royal répliquant à propos d’Eric Besson – qui le connaît ici – ou concédant le second porte-avion nucléaire à une assistance d’enseignants, ceux de François Bayrou disant l’échec des alternances droite-gauche et évoquant la nomination d’un Premier ministre de gauche, sans exclure qu’il puisse être de droite mais ne voyant personne, dans le moment, de cette mouvance. Il y a aussi ce qu’il faut avoir vu pour bien le lire. La solennité avec laquelle Jacques Chirac, méconnaissable quand on compare les visages de dix ans en dix ans, impressionnant de carrure, annonnant avec des soulignements par le sourire, le communiqué syllogique de soutien à Nicolas Sarkozy, et la désinvolture, le dire sollicité et accidentel de Nicolas Sarkozy concédant que cette déclaration (ou ce soutien ?) est très importante :  les textes sont ici secondaires, et même négligeables, forcés de part et d’autre. L’un touche le sol des deux épaules puique son consentement au quinquennat était en vue d’un triplé, souhaité dès la non-élection de 2002 et qu’il a espéré jusqu’au bout l’ouverture à sa énième candidature, l’autre s’en f… et le soutien lui est plutôt un poids, puisqu’il le charge d’une solidarité en contradiction avec un programme dit de rupture.


     L’ordre de bataille

Les validations par le Conseil constitutionnel ont plus d’importance pour les « principaux » candidats que pour ceux qui attendent tout de l’égalité de traitement dans les médias, au moins officiels et audio-visuels.
L‘extrême-gauche ou les tenants de « l’altermondialisme » alignent au moins cinq candidats sur douze : l’enjeu est sans doute la survie des mouvements qui y ont poussé avec le paradoxe d’un parti communiste qui a encore son implantation locale mais n’a plus d’électorat de masse ; il est surtout une dubitation sur le report au second tour en faveur de Ségolène Royal. Celle-ci, par cette dispersion au premier tour, ne sera pas amoindrie à ce stade, le risque est au second tour. La distribution l’avantage au premier, la pénaliserait si elle arrive au second. L’U.M.P. est parvenue à empêcher deux candidatures qui auraient sans doute pris deux ou trois points à Nicolas Sarkozy et auraient eu, pour celui-ci, un effet désastreux, celui de le faire descendre dans les sondages à placer ex-aequo avec lui la candidate socialiste. Corine Lepage et surtout Dupont-Aignan en font les frais. S’il y a eu et s’il y aura dans le cas d’un mandat présidentiel confié à Nicolas Sarkoy, un débat interne à la majorité initialement de Jacques Chirac, c’est seulement entre eux deux et dans un secret relatif moyennant des ébruitements programmés, qu’il aura eu lieu. Dans le mouvement, il a été refusé, soit parce que les compétiteurs : Dominique de Villepin et Michèle Alliot-Marie, ont jeté l’éponge, soit parce qu’ils ont été étouffés par la culture du chef et de l’unanimisme : Dupont-Aignan quoiqu’il représente une sensibilité mi-gaulliste au sens ancien du terme, ni-« souverainiste » au sens de la défaite de Nicolas Sarkozy aux élections européennes de 1999. Seul François Bayrou n’est pas atteint par ces montées sur l’estrade. Simplement parce que sa dialectique n’implique aucun électorat réputé fidélisé par avance ou potentiellement visé. Au contraire, la tentative repose sur un bouleversement total des habitudes acquises de vote. Elle ouvre deux inconnues : non seulement, la victoire de celui qui fait ce pari – pari gagné s’il est une réponse à l’attente populaire au vu des résultats de vingt-cinq ans d’alternance droite/gauche – pari risqué si c’est la nouvelle expression d’une vieille pétition que l’U.M.P. qualifie de nostalgie de la Quatrième République, le Parti socialiste de travesti de la droite, les gaullistes d’ancienne obédience de parti-charnière ou sans détermination de fond.
Jean-Marie Le Pen reste inconnu, non en personne, mais en prise sur l’électorat puisqu’il est maintenant admis que celui-ci ne s’avoue pas, et que les instituts de sondage corrigent, on ne sait toujours comment, les estimations fondées sur des réponses explicites. Mais il est encadré par deux certitudes, s’il est placé pour le second tour, il aura transformé le premier tour en tour unique, et s’il ne l’est pas, ses voix, quelle que soit sa recommandation, se porteront sur Nicolas Sarkozy. Il n’existera de nouveau mais fortement que si la représentation proportionnelle est introduite, complètement ou en partie, dans le mode d’élection de l’Assemblée nationale succédant, peut-être après dissolution, à celle à élire au mois de Juin. Et cette représentation du Front national, si le mode d’élection est changé, accentuera pour les élus selon le mode actuel la dissuasion que représente le droit discrétionnaire de dissolution.
Ce droit va être décisif si François Bayrou est élu et s’il veut imposer ses règles de jeu au Parlement. Il le sera aussi dans une autre hypothèse, selon que les Français démentiraient aussi une règle qu’on croit structurelle depuis 1981 – jurisprudence très judicieuse qu’a créée François Mitterrand et qui n’est pas commentée aujourd’hui. On lui met à charge la cohabitation en oubliant que Jacques Chirac ne démissionnant ni en 1997 (dissolution sans le résultat espéré) ni en 2002 (referendum négatif lu tout différemment du général de Gaulle, démissionnant aussitôt en 1969). Cette règle serait que votant à quelques semaines d’intervalles pour élire le président de la République, puis les députés, les Français ne se déjugeraient pas. Ils peuvent, au contraire, estimer que pour limiter l’abus de position à l’Elysée, il y a le moyen d’élire une Assemblée nationale qui ne soit pas à la botte, et dont la réélection dans cinq ans soit découplée de la réélection du président. Il me semble que ce correctif sera fait au cas de l’élection de Nicolas Sarkozy, mais bien moins probablement si Ségolène Royal est élu. Au contraire, François Bayrou, appelant à une majorité ductile et sensible à des consensus selon les sujets, se satisfera du choix des électeurs pour la nouvelle Assemblée nationale, quel qu’il soit.


     Le vote utile

François Bayrou toujours – qui fait la couverture des magazines avec l’interrogationn sur sa possibilité de gouverner s’il gagne, interrogation sans fondement puisque l’appétit d’être ministre est la mécanique de toute carrière politique aujourd’hui, celui d’être un bon législateur a disparu, celui d’être un édile efficace demeure en revanche sans cependant pousser excessivement au non-cumul des mandats (Pradel à Lyon fut une exception) – François Bayrou est la surprise de cette campagne, en apparence. Dans le fond, la surprise me paraît autre. Les Français mènent eux-mêmes la campagne. Ce sont eux qui ont créé, je crois, la dialectique puis la dynamique François Bayrou. Le mérite du candidat est d’avoir discerné cet appel à une autre distribution des cartes et à la détermination d’une autre manière de gouverner, non du fait d’un changement de personne ou d’un changement de « style » ou de réformes institutionnelles, mais par une recomposition des électorats et des clivages politiques. Si François Bayrou l’emportait, la dialectique majorité/opposition ne serait plus droite/gauche mais comme sous de Gaulle, au moins pendant son premier septennat entre ceux qui soutiennent le nouveau système, et ceux qui restent nostalgiques de l’ancien. Mais la limite de François Bayrou est là, aussi. L’électorat peut se reprendre faute que celui qui porte potentiellement ce changement de donne ait suffisamment d’étoffe, de charisme et même de programme pour le soutenir. Si François Bayrou sort – seul – indemne des désignations de candidats par le Conseil constitutionnel, il est celui qui a le plus à redouter de la campagne proprement dite, c’est-à-dire des portraits que vont dessiner, soir après soir, les médias dans l’esprit des téléspectateurs et des auditeurs.
La surprise du premier tour de scrutin pourrait donc ne pas être le rang de classement faisant que François Bayrou double Ségolène Royale cette campagne. Elle pourrait être le vote utile, rendant ses chances à Ségolène Royal dans son électorat d’origine et dans l’ensemble du camp de gauche, si ce camp ou ce « peuple » existent toujours en tant que tel, ce que je crois. En passe de gagner (hypothèse courante en 2002), il se disperse ; en passe de perdre (analyses répandues cette fois-ci), il se rassemble, mais au second tour. Ici, ce serait dès le premier, éliminant donc François Bayrou et renvoyant les chances de celui-ci à l’échéance parlementaire, ce qui serait le réduire à ce que veulent ses détracteurs et à ce qu’il réfute : le rôle du parti-charnière, sinon girouette. Le candidat d’alternative au clivage droite/gauche ne serait pas la seule victime du vote utile. Tous les « petits » candidats le seraient bien plus que lui. Elimination à laquelle aucun des précédents scrutins n’avait procédé. Ce qui rend encore plus nécessaire d’introduire à l’Assemblée nationale l’ensemble des sensibilités et des parcours français. Et si l’idée est enfin admise par « la bande des quatre », qui s’est réduite à trois, depuis la dissidence de l’U.D.F., elle devrait être étendue au Sénat. La diversité française serait, dans la « haute assemblée », d’ordre davantage socio-culturelle, socio-professionnelle, voire selon les générations ; mais il sera difficile de traiter l’association de ce Sénat, enfin rénové, à la confection de la loi et à la décision politique, puisqu’il est de dogme que seule peut voter la loi une représentation nationale. Je crois qu’il y a une piste qui serait que les désignations au titre socio-culturel et professionnel et de toutes autres diversités à définir, se fassent au suffrage universel mais selon des circonscriptions non plus territoriales et pas non plus corporatives, mais virtuelles, en sorte par exemple que la vie syndicale – si peu participative en France, ce qui nuit à tout le mouvement social – soit en partie soumise à l’examen de tous.


     Cristallisation d’image et psychopathie des prétendants

Le scrutin présidentiel n’est pas de programme mais de personnalité. L’espérance, sinon le pari, des candidats minorés par les sondages est qu’à les voir et entendre à égalité avec les favoris, le handicap sera remonté. Pour Philippe de Villiers, c’est un leit-motiv. L’époque y encourage, répandre sa photographie, faire connaître sa vie privée est censé la clé de tout amour. Précisément, l’expérience affective montre qu’il n’en est rien, le portrait à la couverture d’un livres ne le fait pas vendre. Plus je serai connu et vu, plus je serai aimé. En fin de leur mandat respectif, Valéry Giscard d’Estaing et maintenant Jacques Chirac l’ont éprouvé. De Gaulle s’inscrivit dans les esprits de tous les Français sans qu’aucun ou presque ne se figure sa silhouette ou son visage avant Août 1944. La campagne de 1974 fit tout perdre à Jacques Chaban-Delmas d’une image longtemps avantageuse.
Les trois principaux candidats ont chacun une relation particulière à leur image. Celle de Nicolas Sarkozy est exclusive, soit détestable, soit adulée, schématisée en tous cas, additionnée fortement par des péripéties de vie privée – encore que celles qui sont à l’origine de sa fortune politique, son premier mariage et ainsi son accès par adoption à l’imposante mairie de Neuilly, soient peu conées – et par des mots qui ont fait balle sans que le contexte précis ait été retenu. Il se trouve que le dernier de ses livres produit une image toute différente, ce qui rend perplexe. J’en ai été ébranlé, le Projet d’espoir de François Bayrou n’a pas cet effet, car il est d’écriture très distancié. Le livre de Ségolène Royal, annoncé, sera-t-il un apport ? Car un livre, même s’il est écrit par association d’idées et de fil en aiguille, est forcément maîtrisé tandis que l’image est indépendante de celui qui en est victime ou bénéficiaire. Un livre se lit sans intermédiaire, une image est fournie.
Celle de Ségolène Royal devait tout emporter, et cette certitude attira le vote militant : les chances de victoire plus encore qu’une analyse de stratégie ou de programme. Le pavois a fait apparaître un autre portrait, non maîtrisé, dont se sont chargés les adversaires, d’abord au parti socialiste, puis de toutes parts. La candidate en a spontanément rajouté. Elle est donc connue – ombres et lumières, comme peu de candidats l’ont été depuis que le suffrage universel élit le président de la République. Cette connaissance par le public est de psychologie, non de convictions. François Mitterrand était étudié, plutôt en mauvaise part, en fonction de son parcours jugé peu sincère ; il avait donc une marge immense pour démontrer sa conviction et il sut excellemment l’utiliser dans l’exercice du pouvoir et dans les revers de sa majorité initiale. Ségolène Royal est scrutée en psychologie. On croyait, au début de sa démarche, que ce serait pour décider de sa capacité à présider et gouverner avec la réponse donnée à tous, la qualité de l’entourage. Celui de José Bové, avec la part la plus expérimentée de l’établissement communiste, vaut le sien. L’examen est aujourd’hui celui d’un ego. Nicolas Sarkozy s’est imposé à l’opinion, sans souci que les traits soient positifs ou négatifs, l’important était de marquer et d’occuper de la place, au point même d’éclipser le président régnant. Les approfondissements – supposés – de sa psychologie ne peuvent lui nuire, ils le renforcent. Au contraire, Ségolène Royal ayant misé beaucoup sur l’effet d’image y perd. Les pamphlets d’intimes ou de co-parcourants, un chapitre habile de son concurrent (Jean-Pierre Raffarin) en Poitou-Charente censé s’adresser à Nicolas Sarkozy, auraient pu avoir de la prise si les lives étaient encore un vecteur. Il ne semble pas qu’ils le soient dans cette campagne.
François Bayrou en publie donc deux, aucun ne le révèle personnellement. Son entourage n’est ni connu ni présenté ni étudié. Sa position sur l’échiquier parce qu’il le bouscule, suffit jusqu’à présent. Il est instrumenté, il cristallise aussi bien une volonté de changer les règles du jeu qu’une contestation qui aux scrutins précédents allait aux extrêmes. Paradoxe du centrisme qui, originellement, modéré aboutit à une sorte de violence mentale exercée sur les habitudes acquises. Mais à ressasser sa foi dans son propre succès, il risque de donner une image assez simpliste de lui-même : tenace mais imbu. Nicolas Sarkozy peut gagner à être mieux connu, Ségolène Royal doit démontrer plus de subtilité, donc de considération pour autrui, mais François Bayrou doit encore tout batir. Il peut esquiver à condition que ce soit explicitement, en tenant – comme de Gaulle (Le fil de l’épée : on ne révère que ce qu’on ne connaît pas) ou comme François Mitterrand, sa mystérieuse courtoisie  [1] – que le président de la République doit être jugé sur sa production : ce qu’il fait, et sa relation au peuple. A ce compte, le candidat de l’U.D.F. donne à plein. C’est lui qui a apporté à la campagne de succession à Jacques Chirac son enjeu, sa structure, donc son exceptionnalité, qu’il gagne ou qu’il perde, il aura mis les électeurs en situation de décider autrement que d’habitude.
Valéry Giscard d’Estaing fut brocardé pour la manière narcisssique dont, au début de son mandat, il s’étudiait publiquement sur les transformations intimes que produisait pour lui l’exercice de la plus haute fonction de notre République. Des anecdotes, dont le troisième tome de ses mémoires ont raison, le posait en monarque d’ancien temps. En réalité, la dérive sociologique et psychologique est venue ensuite. Non pas par François Mitterrand puis par Jacques Chirac, mais sous eux. C’est notre travers national que de traiter le pouvoir, soit par la force, la décapitation physique de Louis XVI en 1793, morale du général de Gaulle en 1968, ce qui est rare, soit par la flatterie, l’enjeu étant les nominations à la discrétion du gouvernement. Les entourages depuis 1981 ont créé une perceoption psychopathique de l’exercice du pouvoir, et cette image fascine les candidats, surtout s’ils sont en situation de l’emporter. La monarchie, quand elle était familiale et héréditaire, laissait intacte les psychés individuelles car elles n’étaient pas mises en avant, la personne était une institution, d’autant que le roi délibérait avec son conseil (ce qui n’est plus le cas en conseil des ministres, sauf les « tours de table » sous de Gaulle ; nos rois, s’identifiant à l’Etat et à la nation (la revendication est de Louis XV, donc très antérieure aux pétitions de l’été de 1789), étaient dépersonnalisés et s’y prêtaient. Le Comte de Chambord a été conclusif : ma personne n’est rien, mon principe est tout. Sous la république actuelle, c’est l’inverse. La critique même de l’absolutisme présidentiel, commune à tous les candidats, n’empêche aucun de se projeter hors de pair et par conséquent de promettre lune et paradis. L’irresponsabilité politique, financière, pénale que Jacques Chirac fait tolérer de tous – électeurs, entourages, collaborateurs et médias, opposition comprise – est telle qu’elle déteint par avance sur les candidats. Ce sont des esprits qui se posent en souverain vis-à-vis du commun et qui envisagent les choses et leur apport sans jamais envisager d’être contrôlés ou sanctionnés. L’autisme n’est pas loin. Seule, la dépersonnalisation du pouvoir permet le sacré, elle suppose une psychologie de serviteur, un rapport avoué à la conscience intime, donc une référence à des échelles de valeurs qui soient personnelles – ce qui n’est pas affaire de convictions thématiques ou de résolutions selon l’expérience, mais de comportement. Le sans-gêne a au contraire caractérisé notre vie publique (et celle des dirigeants de grandes entreprises) depuis des années.


     La démocratie émolliente ?

Cette dérive est-elle la cause du piteux état de nos affaires, de l’amenuisement de notre prestige et de la perplexité triste des électeurs ? Il y a eu tolérance partout dans notre société. Chacun des principaux candidats a aujourd’hui – c’est manifeste dans le mot à mot de Ségolène Royal autant que de Nicolas Sarkozy – un discours moralisateur, et l’ambiance est telle que les Français le tiennent aussi, sans débatre, pour juger que les systèmes sociaux actuels encouragent l’indolence, l’insouciance, la faignantise : autrui, mais pas soi : naturellement. Toujours le registre psychologique, mais si rarement l’exigence politique. Si à la suite d’élections législatives manquées par le président en place, l’opposition victorieuse avait tenu – comme à l’époque du Cartel des gauches – à signifier qu’elle n’accepterait aucun Premier ministre, à commencer par quelque personnalité que ce soit issue de ses rangs, s’il devait etre nommé par le président désavoué, il n’y aurait jamais eu de « cohabitation ». Jacques Chirac s’en retint en 1986 dans la pensée que de Matignon il gagnerait plus facilement, mais Lionel Jospin était en situation – après une dissolution discrétionnairement prononcée – d’exiger le départ du signataire.
La démocratie devient émolliente quand les comportements ne sont pas conformes aux pensées. J’entends encore Michèle Alliot-Marie, dans l’opposition de 1997 à 2002, se scandaliser que le gouvernement socialiste cherche à « déstabiliser » le président de la République (ce qu’il ne fit pas, en n’entrant dans aucune des « affaires » où Jacques Chirac pouvait être mis en cause) : or, c’est bien le jeu politique. Sous les Troisième et Quatrième Républiques, aucun gouvernement ne se serait maintenu, bien entendu après un referendum négatif, mais aussi après le soulèvement contre le C.P.E. ou la convocation de son chef nominal pour l’ « affaire Clearstream ». Ce ne sont pas les institutions qui protègent, mais notre mithridatisation. J’ai été l’un des seuls – à ma connaissance car c’est aussi question d’être publié – à avoir demandé la démission du président en Juin 1997. Aujourd’hui, personne ne s’est étonné d’une énième première de Jacques Chirac. Avant lui, aucun président n’avait recommandé aux suffrages un candidat. Soit parce qu’il l’était lui-même pour sa réélection, soit par conviction : le général de Gaulle ne retint pas, en décembre 1965, une première version de l’un de ses entretiens avec Michel Droit dans laquelle il annonçait qu’en fin de son mandat suivant, il désignerait quelqu’un (il est vrai que si le referendum de 1969 avait été positif, l’intérim présidentiel étant désormais confié au Premier ministre, Maurice Couve de Murville était préféré à Georges Pompidou), et François Mitterrand, connaissant parfaitement aussi bien Jacques Chirac et Edouard Balladur pour les avoir pratiqués en « cohabitation » que Lionel Jospin ou Jacques Delors, ne fit aucun commentaire (Jacques Attali en rapporta un, privé, que L’Express placarda dès le mois de juin 1995) ; ils eussent été décisifs.
Cette révérence envers le président en place coûte cher à l’étranger. Le contraste a été total entre les commentaires nationaux quand le président sortant a fait savoir qu’il ne se représenterait pas, et ceux de l’étranger. Nous y consentons puisque nous sommes prêts à accorder à Jacques Chirac une popularité qu’il n’a jamais eu étant à l’Elysée, dès lors qu’il va se joindre au club largement ouvert des anciens grands dirigeants convertis à l’humanitaire et à l’écologie ou autre développement durable. Du moins, Mikhaïl Gorbatchev a-t-il le mérite historique d’avoir mis fin à la guerre froide (et chez lui, à la dictature), au prix de son propre pouvoir et de l’empire dont il avait reçu la charge. Al Gore a trouvé une autre niche que celle habité – efficacement – par Jimmy Carter depuis vingt ans. Préfacée par Pierre Péan, la démarche est habile. Comment lui opposer une mise en examen ? au titre de l’exercice des fonctions de maire de Paris ou du montage de « l’affaire Clearstream », d’autant que pour le premier Alain Juppé a payé (très modestement) et pour la seconde, un autre ancien Premier ministre sera là, Dominique de Villepin. Tandis qu’il a pris comme conseiller d’image en début de ses mandats (Pilhan), celui de François Mitterrand, qu’il a attiré le chroniqueur de celui-ci pour changer d’habit rétrospectivement (Pierre Péan, ) et place chez le même éditeur, avec la même couleur de couverture et la même iconographie (masque en noir et blanc en petit format), la publication de ses discours, qui seront sans doute dcavantage lus hors contexte qu’ils ne furent entendus et reçus de son vivant politique.
Du même genre, l’hérédité et la cooptation pour l’élection à la tête des grandes villes. Comment des personnalités telles que Jacques Chaban-Delmas ou Robert Galley se laissent-elles convaincre d’adouber respectivement Alain Juppé à Bordeaux et François Baroin à Troyes, hommes d’un Jacques Chirac dont chacun a eu à se plaindre ? Et que vaut l’élection de ratification d’une telle prise de possession. Le paradoxe est que s’il y a eu débat à l’U.M.P. ou dans la majorité sortante, il n’a existé que du fait de Nicolas Sarkozy – c’est la très originale présentation par le ministre-candidat – de ses désaccords nombreux et approfondis avec le président-fondateur du principal parti de droite. Une pratique démocratique qui serait confinée à la confrontation entre le chef de l’Etat et l’un des ministres ? ou au dialogue entre celui-ci et le chef du gouvernement en période de « cohabitation » ?
Tous les candidats aujourd’hui reconnaissent qu’il faut restaurer le Parlement, mais tous ne retiennent comme solution que des retouches au texte constitutionnel, y compris François Bayrou, avant que n’ait pris corps son analyse d’une des causes de notre paralysie : le clivage droite/gauche, si respectable et fondé qu’il soit en tradition mentale surtout, en familles d’esprit souvent et, aujourd’hui concrètement, en situation des personnes possédantes ou défavorisées. Ce ne sont pas les prérogatives du gouvernement qu’il faut diminuer, elles seront au contraire indispensables si l’Assemblée nationale devient représentative de toutes les diversités politiques françaises, c’est l’expression et le vote de conscience des élus qui doivent enfin être psychologiquement et sociologiquement possibles. 
A quoi répondrait une autre réforme – réclamée depuis des décennies par les électeurs en nombre souvent équivalant aux suffrages se portant sur certains partis, et revenue dans l’actuelle campagne – celle de légaliser le vote blanc, et de lui donner toute efficacité en ne validant quelque scrutin que ce soit, qu’à la condition d’une participation minimum et d’un pourcentage de suffrages également minimum par rapport aux électeurs inscrits. Alors, il serait légitimement de sanctionner l’abstention ou le défaut d’inscription sur les listes électorales. Bien entendu, le procédé s’appliquerait aussi aux scrutins internes des diverses assemblées, notamment à l’Assemblée nationale. Les exigences de quorum porteraient sur la présence physique, elles dispenseraient de sanctions avilissantes du genre proposé en retenues sur les traitements selon l’absentéisme.

                                                                                        BFF – 17.23 III 07





disponibles sur demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007

12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de candidatures et de programmes

20 Novembre 2006
Le choix et la manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en conclusion d’étape.

2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences

16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des Français en forme de questions
Quel contexte ?

2 Janvier 2007
Le naturel  des partis
Les clivages ne correspondent plus aux partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour

9 Février 2007
Les mises en campagne
Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour l'avenir
La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que tel par personne

18 Février 2007
L'opinion et les candidats
Les candidats et l'opinion
L'absence de choix en matière institutionnelle
Le mauvais énoncé de la question européenne

24.25 Février & 4 Mars 2007
Des certitudes négatives
De rares certitudes positives, mais qui sont sans doute la matrice d’un système nouveau
Apathie ou désespérance des électeurs ? ou médiocrité des acteurs ?
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9.11 Mars 2007
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La campagne révèle aussi bien notre vie politique intérieure que l’état de nos relations extérieures

13.15 Mars 2007
La refonte possible des institutions
Quel que soit l’élu, un président très différent de ses deux prédécesseurs
Effondrement de la gauche ou fin d’un clivage ?


[1] - l’expression est de Jean-Marcel Jeanneney, ministre du général de Gaulle de 1959 à 1962 puis de 1966 à 1969, et « inventeur » de Raymond Barre

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