Election
présidentielle 2007
observations
& réflexions
XI
C’est en
apparence le hasard fait, sans doute pour chacun de nous, les événements qui
nous déterminent, choix de vie, choix électoraux. Pour ma part, j’ai été
impressionné par des « directs ». Ceux de Ségolène Royal répliquant à
propos d’Eric Besson – qui le connaît ici – ou concédant le second porte-avion
nucléaire à une assistance d’enseignants, ceux de François Bayrou disant
l’échec des alternances droite-gauche et évoquant la nomination d’un Premier
ministre de gauche, sans exclure qu’il puisse être de droite mais ne voyant
personne, dans le moment, de cette mouvance. Il y a aussi ce qu’il faut avoir
vu pour bien le lire. La solennité avec laquelle Jacques Chirac, méconnaissable
quand on compare les visages de dix ans en dix ans, impressionnant de carrure,
annonnant avec des soulignements par le sourire, le communiqué syllogique de
soutien à Nicolas Sarkozy, et la désinvolture, le dire sollicité et accidentel
de Nicolas Sarkozy concédant que cette déclaration (ou ce soutien ?) est
très importante : les textes sont
ici secondaires, et même négligeables, forcés de part et d’autre. L’un touche
le sol des deux épaules puique son consentement au quinquennat était en vue
d’un triplé, souhaité dès la non-élection de 2002 et qu’il a espéré jusqu’au
bout l’ouverture à sa énième candidature, l’autre s’en f… et le soutien lui est
plutôt un poids, puisqu’il le charge d’une solidarité en contradiction avec un
programme dit de rupture.
1° L’ordre de bataille
Les
validations par le Conseil constitutionnel ont plus d’importance pour les
« principaux » candidats que pour ceux qui attendent tout de
l’égalité de traitement dans les médias, au moins officiels et audio-visuels.
L‘extrême-gauche
ou les tenants de « l’altermondialisme » alignent au moins cinq
candidats sur douze : l’enjeu est sans doute la survie des mouvements qui
y ont poussé avec le paradoxe d’un parti communiste qui a encore son
implantation locale mais n’a plus d’électorat de masse ; il est surtout
une dubitation sur le report au second tour en faveur de Ségolène Royal.
Celle-ci, par cette dispersion au premier tour, ne sera pas amoindrie à ce
stade, le risque est au second tour. La distribution l’avantage au premier, la
pénaliserait si elle arrive au second. L’U.M.P.
est parvenue à empêcher deux candidatures qui auraient sans doute pris deux ou
trois points à Nicolas Sarkozy et auraient eu, pour celui-ci, un effet
désastreux, celui de le faire descendre dans les sondages à placer ex-aequo
avec lui la candidate socialiste. Corine Lepage et surtout Dupont-Aignan en
font les frais. S’il y a eu et s’il y aura dans le cas d’un mandat présidentiel
confié à Nicolas Sarkoy, un débat interne à la majorité initialement de Jacques
Chirac, c’est seulement entre eux deux et dans un secret relatif moyennant des
ébruitements programmés, qu’il aura eu lieu. Dans le mouvement, il a été
refusé, soit parce que les compétiteurs : Dominique de Villepin et Michèle
Alliot-Marie, ont jeté l’éponge, soit parce qu’ils ont été étouffés par la
culture du chef et de l’unanimisme : Dupont-Aignan quoiqu’il représente
une sensibilité mi-gaulliste au sens ancien du terme,
ni-« souverainiste » au sens de la défaite de Nicolas Sarkozy aux
élections européennes de 1999. Seul François Bayrou n’est pas atteint par ces
montées sur l’estrade. Simplement parce que sa dialectique n’implique aucun
électorat réputé fidélisé par avance ou potentiellement visé. Au contraire, la
tentative repose sur un bouleversement total des habitudes acquises de vote.
Elle ouvre deux inconnues : non seulement, la victoire de celui qui fait
ce pari – pari gagné s’il est une réponse à l’attente populaire au vu des
résultats de vingt-cinq ans d’alternance droite/gauche – pari risqué si c’est
la nouvelle expression d’une vieille pétition que l’U.M.P. qualifie de
nostalgie de la Quatrième République,
le Parti socialiste de travesti de la droite, les gaullistes d’ancienne
obédience de parti-charnière ou sans détermination de fond.
Jean-Marie Le Pen reste inconnu, non en
personne, mais en prise sur l’électorat puisqu’il est maintenant admis que
celui-ci ne s’avoue pas, et que les instituts de sondage corrigent, on ne sait
toujours comment, les estimations fondées sur des réponses explicites. Mais il
est encadré par deux certitudes, s’il est placé pour le second tour, il aura
transformé le premier tour en tour unique, et s’il ne l’est pas, ses voix,
quelle que soit sa recommandation, se porteront sur Nicolas Sarkozy. Il
n’existera de nouveau mais fortement que si la représentation proportionnelle
est introduite, complètement ou en partie, dans le mode d’élection de
l’Assemblée nationale succédant, peut-être après dissolution, à celle à élire
au mois de Juin. Et cette représentation
du Front national, si le mode d’élection est changé, accentuera pour les élus
selon le mode actuel la dissuasion que représente le droit discrétionnaire de
dissolution.
Ce droit va
être décisif si François Bayrou est élu et s’il veut imposer ses règles de jeu
au Parlement. Il le sera aussi dans une autre hypothèse, selon que les Français
démentiraient aussi une règle qu’on croit structurelle depuis 1981 –
jurisprudence très judicieuse qu’a créée François Mitterrand et qui n’est pas
commentée aujourd’hui. On lui met à charge la cohabitation en oubliant que
Jacques Chirac ne démissionnant ni en 1997 (dissolution sans le résultat
espéré) ni en 2002 (referendum négatif lu tout différemment du général de
Gaulle, démissionnant aussitôt en 1969). Cette règle serait que votant à
quelques semaines d’intervalles pour élire le président de la République, puis les
députés, les Français ne se déjugeraient pas. Ils peuvent, au contraire,
estimer que pour limiter l’abus de position à l’Elysée, il y a le moyen d’élire
une Assemblée nationale qui ne soit pas à la botte, et dont la réélection dans
cinq ans soit découplée de la réélection du président. Il me semble que ce
correctif sera fait au cas de l’élection de Nicolas Sarkozy, mais bien moins
probablement si Ségolène Royal est élu. Au contraire, François Bayrou, appelant à une majorité ductile et sensible à des
consensus selon les sujets, se satisfera du choix des électeurs pour la
nouvelle Assemblée nationale, quel qu’il soit.
2° Le vote utile
François
Bayrou toujours – qui fait la couverture des magazines avec l’interrogationn
sur sa possibilité de gouverner s’il gagne, interrogation sans fondement
puisque l’appétit d’être ministre est la mécanique de toute carrière politique
aujourd’hui, celui d’être un bon législateur a disparu, celui d’être un édile
efficace demeure en revanche sans cependant pousser excessivement au non-cumul
des mandats (Pradel à Lyon fut une exception) – François Bayrou est la surprise
de cette campagne, en apparence. Dans le
fond, la surprise me paraît autre. Les Français mènent eux-mêmes la campagne.
Ce sont eux qui ont créé, je crois, la dialectique puis la dynamique François
Bayrou. Le mérite du candidat est d’avoir discerné cet appel à une autre
distribution des cartes et à la détermination d’une autre manière de gouverner,
non du fait d’un changement de personne ou d’un changement de
« style » ou de réformes institutionnelles, mais par une
recomposition des électorats et des clivages politiques. Si François Bayrou
l’emportait, la dialectique majorité/opposition ne serait plus droite/gauche
mais comme sous de Gaulle, au moins pendant son premier septennat entre ceux
qui soutiennent le nouveau système, et ceux qui restent nostalgiques de
l’ancien. Mais la limite de François
Bayrou est là, aussi. L’électorat peut se reprendre faute que celui qui porte
potentiellement ce changement de donne ait suffisamment d’étoffe, de charisme
et même de programme pour le soutenir. Si François Bayrou sort – seul –
indemne des désignations de candidats par le Conseil constitutionnel, il est
celui qui a le plus à redouter de la campagne proprement dite, c’est-à-dire des
portraits que vont dessiner, soir après soir, les médias dans l’esprit des
téléspectateurs et des auditeurs.
La surprise du
premier tour de scrutin pourrait donc ne pas être le rang de classement faisant
que François Bayrou double Ségolène Royale cette campagne. Elle pourrait être le vote utile, rendant ses chances à
Ségolène Royal dans son électorat d’origine et dans l’ensemble du camp de
gauche, si ce camp ou ce « peuple » existent toujours en tant que
tel, ce que je crois. En passe de gagner (hypothèse courante en 2002), il se
disperse ; en passe de perdre (analyses répandues cette fois-ci), il se
rassemble, mais au second tour. Ici, ce serait dès le premier, éliminant donc
François Bayrou et renvoyant les chances de celui-ci à l’échéance
parlementaire, ce qui serait le réduire à ce que veulent ses détracteurs et à
ce qu’il réfute : le rôle du parti-charnière, sinon girouette. Le candidat
d’alternative au clivage droite/gauche ne serait pas la seule victime du vote
utile. Tous les « petits » candidats le seraient bien plus que lui. Elimination à laquelle aucun des
précédents scrutins n’avait procédé. Ce qui rend encore plus nécessaire
d’introduire à l’Assemblée nationale l’ensemble des sensibilités et des
parcours français. Et si l’idée est enfin admise par « la bande des
quatre », qui s’est réduite à trois, depuis la dissidence de l’U.D.F.,
elle devrait être étendue au Sénat. La diversité française serait, dans la
« haute assemblée », d’ordre davantage socio-culturelle,
socio-professionnelle, voire selon les générations ; mais il sera
difficile de traiter l’association de ce Sénat, enfin rénové, à la confection
de la loi et à la décision politique, puisqu’il est de dogme que seule peut
voter la loi une représentation nationale. Je crois qu’il y a une piste qui
serait que les désignations au titre socio-culturel et professionnel et de
toutes autres diversités à définir, se fassent au suffrage universel mais selon
des circonscriptions non plus territoriales et pas non plus corporatives, mais
virtuelles, en sorte par exemple que la vie syndicale – si peu participative en
France, ce qui nuit à tout le mouvement social – soit en partie soumise à
l’examen de tous.
3° Cristallisation d’image et
psychopathie des prétendants
Le scrutin
présidentiel n’est pas de programme mais de personnalité. L’espérance, sinon le pari, des candidats minorés par les sondages est
qu’à les voir et entendre à égalité avec les favoris, le handicap sera remonté.
Pour Philippe de Villiers, c’est un leit-motiv. L’époque y encourage, répandre
sa photographie, faire connaître sa vie privée est censé la clé de tout amour.
Précisément, l’expérience affective montre qu’il n’en est rien, le portrait à
la couverture d’un livres ne le fait pas vendre. Plus je serai connu et vu,
plus je serai aimé. En fin de leur mandat respectif, Valéry Giscard d’Estaing
et maintenant Jacques Chirac l’ont éprouvé. De Gaulle s’inscrivit dans les
esprits de tous les Français sans qu’aucun ou presque ne se figure sa
silhouette ou son visage avant Août 1944. La campagne de 1974 fit tout perdre à
Jacques Chaban-Delmas d’une image longtemps avantageuse.
Les trois
principaux candidats ont chacun une relation particulière à leur image. Celle
de Nicolas Sarkozy est exclusive, soit détestable, soit adulée, schématisée en
tous cas, additionnée fortement par des péripéties de vie privée – encore que
celles qui sont à l’origine de sa fortune politique, son premier mariage et
ainsi son accès par adoption à l’imposante mairie de Neuilly, soient peu conées
– et par des mots qui ont fait balle sans que le contexte précis ait été
retenu. Il se trouve que le dernier de
ses livres produit une image toute différente, ce qui rend perplexe. J’en
ai été ébranlé, le Projet d’espoir de
François Bayrou n’a pas cet effet, car il est d’écriture très distancié. Le
livre de Ségolène Royal, annoncé, sera-t-il un apport ? Car un livre, même
s’il est écrit par association d’idées et de fil en aiguille, est forcément maîtrisé
tandis que l’image est indépendante de celui qui en est victime ou
bénéficiaire. Un livre se lit sans intermédiaire, une image est fournie.
Celle de
Ségolène Royal devait tout emporter, et cette certitude attira le vote
militant : les chances de victoire plus encore qu’une analyse de stratégie
ou de programme. Le pavois a fait
apparaître un autre portrait, non maîtrisé, dont se sont chargés les
adversaires, d’abord au parti socialiste, puis de toutes parts. La candidate en
a spontanément rajouté. Elle est donc connue – ombres et lumières, comme peu de
candidats l’ont été depuis que le suffrage universel élit le président de la République. Cette
connaissance par le public est de psychologie, non de convictions. François
Mitterrand était étudié, plutôt en mauvaise part, en fonction de son parcours
jugé peu sincère ; il avait donc une marge immense pour démontrer sa
conviction et il sut excellemment l’utiliser dans l’exercice du pouvoir et dans
les revers de sa majorité initiale. Ségolène Royal est scrutée en psychologie.
On croyait, au début de sa démarche, que ce serait pour décider de sa capacité
à présider et gouverner avec la réponse donnée à tous, la qualité de
l’entourage. Celui de José Bové, avec la part la plus expérimentée de
l’établissement communiste, vaut le sien. L’examen est aujourd’hui celui d’un
ego. Nicolas Sarkozy s’est imposé à
l’opinion, sans souci que les traits soient positifs ou négatifs, l’important
était de marquer et d’occuper de la place, au point même d’éclipser le
président régnant. Les approfondissements – supposés – de sa psychologie ne
peuvent lui nuire, ils le renforcent. Au contraire, Ségolène Royal ayant misé
beaucoup sur l’effet d’image y perd. Les pamphlets d’intimes ou de
co-parcourants, un chapitre habile de son concurrent (Jean-Pierre Raffarin) en
Poitou-Charente censé s’adresser à Nicolas Sarkozy, auraient pu avoir de la
prise si les lives étaient encore un vecteur. Il ne semble pas qu’ils le soient
dans cette campagne.
François
Bayrou en publie donc deux, aucun ne le révèle personnellement. Son entourage
n’est ni connu ni présenté ni étudié. Sa position sur l’échiquier parce qu’il
le bouscule, suffit jusqu’à présent. Il est instrumenté, il cristallise aussi
bien une volonté de changer les règles du jeu qu’une contestation qui aux
scrutins précédents allait aux extrêmes. Paradoxe du centrisme qui,
originellement, modéré aboutit à une sorte de violence mentale exercée sur les
habitudes acquises. Mais à ressasser sa foi dans son propre succès, il risque
de donner une image assez simpliste de lui-même : tenace mais imbu.
Nicolas Sarkozy peut gagner à être mieux connu, Ségolène Royal doit démontrer
plus de subtilité, donc de considération pour autrui, mais François Bayrou doit
encore tout batir. Il peut esquiver à condition que ce soit explicitement, en
tenant – comme de Gaulle (Le fil de
l’épée : on ne révère que ce qu’on ne connaît pas) ou comme François
Mitterrand, sa mystérieuse courtoisie [1] – que
le président de la
République doit être jugé sur sa production : ce qu’il
fait, et sa relation au peuple. A ce compte, le candidat de l’U.D.F. donne à
plein. C’est lui qui a apporté à la
campagne de succession à Jacques Chirac son enjeu, sa structure, donc son
exceptionnalité, qu’il gagne ou qu’il perde, il aura mis les électeurs en
situation de décider autrement que d’habitude.
Valéry Giscard
d’Estaing fut brocardé pour la manière narcisssique dont, au début de son
mandat, il s’étudiait publiquement sur les transformations intimes que
produisait pour lui l’exercice de la plus haute fonction de notre République.
Des anecdotes, dont le troisième tome de ses mémoires ont raison, le posait en
monarque d’ancien temps. En réalité, la dérive sociologique et psychologique
est venue ensuite. Non pas par François Mitterrand puis par Jacques Chirac,
mais sous eux. C’est notre travers national que de traiter le pouvoir, soit par
la force, la décapitation physique de Louis XVI en 1793, morale du général de
Gaulle en 1968, ce qui est rare, soit par la flatterie, l’enjeu étant les
nominations à la discrétion du gouvernement. Les entourages depuis 1981 ont
créé une perceoption psychopathique de l’exercice du pouvoir, et cette image
fascine les candidats, surtout s’ils sont en situation de l’emporter. La monarchie, quand elle était familiale et
héréditaire, laissait intacte les psychés individuelles car elles n’étaient
pas mises en avant, la personne était une institution, d’autant que le roi
délibérait avec son conseil (ce qui n’est plus le cas en conseil des ministres,
sauf les « tours de table » sous de Gaulle ; nos rois,
s’identifiant à l’Etat et à la nation (la revendication est de Louis XV, donc
très antérieure aux pétitions de l’été de 1789), étaient dépersonnalisés et s’y
prêtaient. Le Comte de Chambord a été conclusif : ma personne n’est rien, mon principe est tout. Sous la république
actuelle, c’est l’inverse. La critique même de l’absolutisme présidentiel,
commune à tous les candidats, n’empêche aucun de se projeter hors de pair et
par conséquent de promettre lune et paradis. L’irresponsabilité politique,
financière, pénale que Jacques Chirac fait tolérer de tous – électeurs,
entourages, collaborateurs et médias, opposition comprise – est telle qu’elle
déteint par avance sur les candidats. Ce sont des esprits qui se posent en
souverain vis-à-vis du commun et qui envisagent les choses et leur apport sans
jamais envisager d’être contrôlés ou sanctionnés. L’autisme n’est pas loin.
Seule, la dépersonnalisation du pouvoir permet le sacré, elle suppose une
psychologie de serviteur, un rapport avoué à la conscience intime, donc une
référence à des échelles de valeurs qui soient personnelles – ce qui n’est pas
affaire de convictions thématiques ou de résolutions selon l’expérience, mais
de comportement. Le sans-gêne a au
contraire caractérisé notre vie publique (et celle des dirigeants de
grandes entreprises) depuis des années.
4° La démocratie émolliente ?
Cette dérive
est-elle la cause du piteux état de nos affaires, de l’amenuisement de notre
prestige et de la perplexité triste des électeurs ? Il y a eu tolérance
partout dans notre société. Chacun des principaux candidats a aujourd’hui –
c’est manifeste dans le mot à mot de Ségolène Royal autant que de Nicolas
Sarkozy – un discours moralisateur, et l’ambiance est telle que les Français le
tiennent aussi, sans débatre, pour juger que les systèmes sociaux actuels
encouragent l’indolence, l’insouciance, la faignantise : autrui, mais pas
soi : naturellement. Toujours le registre psychologique, mais si rarement
l’exigence politique. Si à la suite d’élections législatives manquées par le
président en place, l’opposition victorieuse avait tenu – comme à l’époque du
Cartel des gauches – à signifier qu’elle n’accepterait aucun Premier ministre,
à commencer par quelque personnalité que ce soit issue de ses rangs, s’il
devait etre nommé par le président désavoué, il n’y aurait jamais eu de
« cohabitation ». Jacques Chirac s’en retint en 1986 dans la pensée
que de Matignon il gagnerait plus facilement, mais Lionel Jospin était en
situation – après une dissolution discrétionnairement prononcée – d’exiger le
départ du signataire.
La démocratie
devient émolliente quand les comportements ne sont pas conformes aux pensées.
J’entends encore Michèle Alliot-Marie, dans l’opposition de 1997 à 2002, se
scandaliser que le gouvernement socialiste cherche à « déstabiliser »
le président de la
République (ce qu’il ne fit pas, en n’entrant dans aucune des
« affaires » où Jacques Chirac pouvait être mis en cause) : or,
c’est bien le jeu politique. Sous les Troisième et Quatrième Républiques, aucun gouvernement ne se serait maintenu,
bien entendu après un referendum négatif, mais aussi après le soulèvement
contre le C.P.E. ou la convocation de son chef nominal pour
l’ « affaire Clearstream ». Ce ne sont pas les institutions qui
protègent, mais notre mithridatisation. J’ai été l’un des seuls – à ma
connaissance car c’est aussi question d’être publié – à avoir demandé la
démission du président en Juin 1997. Aujourd’hui, personne ne s’est étonné d’une énième première de Jacques Chirac.
Avant lui, aucun président n’avait recommandé aux suffrages un candidat.
Soit parce qu’il l’était lui-même pour sa réélection, soit par
conviction : le général de Gaulle ne retint pas, en décembre 1965, une
première version de l’un de ses entretiens avec Michel Droit dans laquelle il
annonçait qu’en fin de son mandat suivant, il désignerait quelqu’un (il est
vrai que si le referendum de 1969 avait été positif, l’intérim présidentiel
étant désormais confié au Premier ministre, Maurice Couve de Murville était
préféré à Georges Pompidou), et François Mitterrand, connaissant parfaitement
aussi bien Jacques Chirac et Edouard Balladur pour les avoir pratiqués en
« cohabitation » que Lionel Jospin ou Jacques Delors, ne fit aucun
commentaire (Jacques Attali en rapporta un, privé, que L’Express placarda dès le mois de juin
1995) ; ils eussent été décisifs.
Cette révérence envers le président en
place coûte cher à l’étranger. Le contraste a été total entre les
commentaires nationaux quand le président sortant a fait savoir qu’il ne se
représenterait pas, et ceux de l’étranger. Nous y consentons puisque nous
sommes prêts à accorder à Jacques Chirac une popularité qu’il n’a jamais eu
étant à l’Elysée, dès lors qu’il va se joindre au club largement ouvert des anciens
grands dirigeants convertis à l’humanitaire et à l’écologie ou autre
développement durable. Du moins, Mikhaïl Gorbatchev a-t-il le mérite historique
d’avoir mis fin à la guerre froide (et chez lui, à la dictature), au prix de
son propre pouvoir et de l’empire dont il avait reçu la charge. Al Gore a
trouvé une autre niche que celle habité – efficacement – par Jimmy Carter
depuis vingt ans. Préfacée par Pierre Péan, la démarche est habile. Comment lui
opposer une mise en examen ? au titre de l’exercice des fonctions de maire
de Paris ou du montage de « l’affaire Clearstream », d’autant que
pour le premier Alain Juppé a payé (très modestement) et pour la seconde, un
autre ancien Premier ministre sera là, Dominique de Villepin. Tandis qu’il a
pris comme conseiller d’image en début de ses mandats (Pilhan), celui de
François Mitterrand, qu’il a attiré le chroniqueur de celui-ci pour changer
d’habit rétrospectivement (Pierre Péan, ) et place chez le même éditeur, avec
la même couleur de couverture et la même iconographie (masque en noir et blanc
en petit format), la publication de ses discours, qui seront sans doute
dcavantage lus hors contexte qu’ils ne furent entendus et reçus de son vivant
politique.
Du même genre,
l’hérédité et la cooptation pour
l’élection à la tête des grandes villes. Comment des personnalités telles
que Jacques Chaban-Delmas ou Robert Galley se laissent-elles convaincre
d’adouber respectivement Alain Juppé à Bordeaux et François Baroin à Troyes,
hommes d’un Jacques Chirac dont chacun a eu à se plaindre ? Et que vaut
l’élection de ratification d’une telle prise de possession. Le paradoxe est que
s’il y a eu débat à l’U.M.P. ou dans la majorité sortante, il n’a existé
que du fait de Nicolas Sarkozy – c’est la très originale présentation par le ministre-candidat
– de ses désaccords nombreux et approfondis avec le président-fondateur du
principal parti de droite. Une pratique démocratique qui serait confinée à la
confrontation entre le chef de l’Etat et l’un des ministres ? ou au dialogue
entre celui-ci et le chef du gouvernement en période de
« cohabitation » ?
Tous les
candidats aujourd’hui reconnaissent qu’il faut restaurer le Parlement, mais
tous ne retiennent comme solution que des retouches au texte constitutionnel, y
compris François Bayrou, avant que n’ait pris corps son analyse d’une des
causes de notre paralysie : le clivage droite/gauche, si respectable et
fondé qu’il soit en tradition mentale surtout, en familles d’esprit souvent et,
aujourd’hui concrètement, en situation des personnes possédantes ou
défavorisées. Ce ne sont pas les prérogatives du gouvernement qu’il faut
diminuer, elles seront au contraire indispensables si l’Assemblée nationale
devient représentative de toutes les diversités politiques françaises, c’est l’expression et le vote de conscience des
élus qui doivent enfin être psychologiquement et sociologiquement
possibles.
A quoi
répondrait une autre réforme – réclamée depuis des décennies par les électeurs
en nombre souvent équivalant aux suffrages se portant sur certains partis, et
revenue dans l’actuelle campagne – celle de légaliser le vote blanc, et de lui donner toute efficacité en ne
validant quelque scrutin que ce soit, qu’à la condition d’une participation
minimum et d’un pourcentage de suffrages également minimum par rapport aux
électeurs inscrits. Alors, il serait légitimement de sanctionner l’abstention
ou le défaut d’inscription sur les listes électorales. Bien entendu, le procédé
s’appliquerait aussi aux scrutins internes des diverses assemblées, notamment à
l’Assemblée nationale. Les exigences de quorum porteraient sur la présence
physique, elles dispenseraient de sanctions avilissantes du genre proposé en
retenues sur les traitements selon l’absentéisme.
BFF
– 17.23 III 07
disponibles sur
demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007
12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de
candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la
manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en
conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des
Français en forme de questions
Quel contexte ?
2 Janvier 2007
Le naturel des partis
Les clivages ne correspondent plus aux
partis
Le métier fait les moeurs
L’élection présidentielle est à un tour
9
Février 2007
Les mises en campagne
Les modalités de la campagne présidentielle restent à inventer pour
l'avenir
La politique extérieure est le vrai clivage, il n'est avoué en tant que
tel par personne
18
Février 2007
L'opinion et les candidats
Les candidats et l'opinion
L'absence de choix en matière institutionnelle
Le mauvais énoncé de la question européenne
24.25
Février & 4 Mars 2007
Des certitudes négatives
De rares certitudes positives, mais qui sont sans doute la matrice d’un
système nouveau
Apathie ou désespérance des électeurs ? ou médiocrité des
acteurs ?
Quelque chose
prendrait-il forme ?
Le monde, pendant ce
temps-là…
Les résultats du
capitalisme tel qu’il se pratique en français
9.11 Mars 2007
La campagne modifie
peut-être la fonction présidentielle
La campagne révèle
aussi bien notre vie politique intérieure que l’état de nos relations
extérieures
13.15 Mars 2007
La refonte possible des institutions
Quel que soit l’élu, un président très différent de ses deux
prédécesseurs
Effondrement de la
gauche ou fin d’un clivage ?
[1] - l’expression est de
Jean-Marcel Jeanneney, ministre du général de Gaulle de 1959 à 1962 puis de
1966 à 1969, et « inventeur » de Raymond Barre
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