Election présidentielle 2007
observations & réflexions
V
1° Le naturel des partis
La gauche est
favorisée par la
Cinquième République : la Constitution lui
permet de gouverner durablement, comme jamais elle n’avait pu le faire plus
d’une quinzaine de mois sous les Troisième et Quatrième –,le système électoral
tant pour les députés que pour le président l’a forcée à se constituer en force
unie d’alternative. Existant en tant que telle, la gauche, dans sa composante
aujourd’hui dominante, le parti socialiste, a ajouté pour son compte des
évolutions spectaculaires pour la démocratie interne : l’élection par les
militants du premier secrétaire dès 1995, la désignation du candidat pour 2007
selon des débats équitables et la décision, là encore, des militants à qui il a
été vraiment donné de choisir : pluralité des candidatures, accentuation
des programmes. Mais la mûe n’est pas contagieuse.
La droite est
décidément incapable de suivre sauf lors de la première élection du président
du RPR au suffrage des militants : c’est alors que Michèle Alliot-Marie,
qui n’était pas la candidate de l’Elysée et du fondateur, l’emporta. La
désignation en cours du candidat pour 2007 se fait sans qu’il y ait eu débat et
sans qu’une pluralité de candidatures ait été pratiquée. Le phénomène doit être
analysé car il explique aussi la manière de gouverner à droite : le tenant
du pouvoir, quel qu’il soit et quel que soit ce pouvoir s’impose et élimine.
Nicolas Sarkozy s’est imposé par un évident (quoiqu’involontaire) mimétisme de
Jacques Chirac : la foi des cadres et des professionnels (les élus) dans
une machine électorale, le goût du chef chez les adhérents, le simplisme du
langage et du programme. Ni un débat ni des candidatures autres n’ont donc été
possible : ce n’est sans doute pas le goût du candidat auto-proclamé
depuis des années malgré des défaites sensibles (comme avant lui Jacques
Chirac) : les européennes de 1999 où Nicolas Sarkozy était tête de liste
et se fit déborder par les souverainistes, les régionales de 2004 où beaucoup
de têtes de liste notamment en Ile-de-France se réclamaient exclusivement de
lui ; c’est encore moins le goût du président sortant qui perd là un des
arguments d’une ultime candidature qui serait de conciliation d’antagonismes ne
se départageant pas. Ni Dupont-Aignan, ni Alliot-Marie, ni Dominique de
Villepin ne sont allés au scrutin, les deux précédents Premiers ministres de
Jacques Chirac se sont ralliés. L’UMP n’a donc pu s’aligner sur la pratique
démocratique du PS : ce n’est pas, probablement, un handicap dans la
course à l’Elysée, mais c’est la confirmation qu’il existe deux types de partis
en France : l’exceptionnalité du PS et des Verts tandis que dans tous les
autres mouvements c’est la domination du chef, le parti communiste ne faisant pas
exception. Si l’UMP se dirige ainsi, c’est qu’elle en a la tradition depuis la
fondation du RPR ; sous de Gaulle et même Georges Pompidou, le mouvement,
avec ses sigles divers, pouvait s’écarter ouvertement de la ligne de l’homme du
18-Juin, puis du président. Le système est autoritaire, c’est celui des barons
s’inclinant, il y eut déjà ce phénomène en 1968-1969 face à Georges Pompidou et
le parallélisme à près de quarante ans de distance mettrait Dominique de
Villepin dans le rôle de Maurice Couve de Murville de qui l’on crut que
l’affaire Markovic était l’œuvre comme aujourd’hui l’affaire Clearstream serait
le fait de l’actuel Premier ministre. Histoire opaque, jeu de rôles surtout
avec une répétition qui devient immanquable. Les adhérents ne conçoivent pas le
débat, il serait lèse-majesté ou trahison : le débat Balladur-Chirac… en
1995.
Seconde tare
actuellement, la même droite, essentiellement du fait de Jacques Chirac, a la
responsabilité des principales déviances de nos institutions par rapport à leur
dessein fondateur et à une pratique qui les expliquent seules dans leur
totalité. Aucun de ses principaux dirigeants ne demande d’y remédier. La gauche
au contraire, par les candidatures de Gaston Defferre en 1964 puis de celle,
décisive, de François Mitterrand, en 1965, puis par sa pratique gouvernementale
de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993,
a au contraire compris cette pratique et a opéré une
réconciliation générale des Français autour de la Constitution
gaullienne. La question des cohabitations, complexe parce qu’il était légitime
que le premier président de gauche reste en place pour sauver des acquis
nouveaux mais dérangeant pour les institutions que s’instaure une telle
jurisprudence peut se reposer en 2007 malgré la coincidence forcée des calendriers
électoraux (présidentielle et législative) qui fait d’ailleurs l’impasse sur
l’exercice du droit de dissolution par le président ou sur sa démission ou
encore son décès. Deux élections en sens contraire dans le même trimestre ont
paru improbable à ceux qui ont proposé ces ajustements de calendrier :
Raymond Barre et Michel Rocard. Mais tous les candidats à l’Elysée n’ayant de
stature, malgré leur prétention actuelle, que celle conférée par l’électeur,
auront plus de mal à imposer la cohérence que François Mitterrand et Jacques
Chirac à leur réélection. On peut augurer que l’élection de Ségolène Royal
s’apparentera à la première, en 1981, de François Mitterrand et que ses
électeurs redevenus majoritaires voudront une victoire absolue pour leur
espérance. Tandis que Nicolas Sarkozy, censé « faire peur » selon
bien des sondages, poussera par son élection, si elle a lieu, à des corrections
immédiates et à poser des garde-fous.
2° Les clivages ne
correspondent plus aux partis
De Gaulle
était, par lui-même, pendant la guerre puis quand il revint au pouvoir à partir
de 1958, un programme par lui-même. Il polarisait l’adhésion et cristallisait
les oppositions de droit comme de gauche. D’une certaine manière, tout en
fondant des institutions nouvelles qui ont généré un nouvel agencement et une
nouvelle vie interne pour les partis, il empêcha ceux-ci de se disposer comme
ils le firent aussitôt après son départ : droite et gauche, alternance au
pouvoir, changement des dirigeants mais de moins en moins d’alernative en
politique, de plus en plus de compromis avec « l’idéologie
dominante », donc de moins en moins de choix pour les électeurs, et à
terme peut-être de moins en moins de démocratie. D’où la foi – que 2007 met à
l’épreuve – qu’à changer les têtes et même le sexe, on aura eut-être quelque
changement de fond. Depuis 1981, plus aucune majorité parlementaire sortante
n’a été reconduite, dissolution ou pas.
Une des
raisons de ce blocage politique, lui-même conséquence du blocage interllectuel,
est structurelle. Depuis 1789, les partis naissaient en fonction des opinions
et cela perdura sous tous les régimes, ceux-ci étant eux-mêmes l’objet du
principal des clivages entre Français. La dégénérescence des Républiques
successives, y compris de la
Cinquième, a consacré une autre genèse des partis : les
solidarités ne sont plus d’idées mais d’opportunités électorales. En sorte que
le débat d’idées et a fortiori la naissance des grands mouvements d’imagination
ou de protestation se font en dehors des partis, à côté d’eux, et ceux-ci se
livrent alors à une course de récupération ou à un concours de mimétisme.
Récupération et course ont-elles-mêmes une conséquence : une idée peut
encore susciter un parti : les Verts, par exemple, mais un tel parti n’a
de longévité que par tolérance d’autres partenaires. L’écologie est dans tous
les partis, la critique souverainiste et anti-libérale des politiques et des
institutions européennes est dans tous les partis, alors pourquoi un ou des
partis écologistes ? pourquoi une coalition « anti-libérale » ?
En revanche, il manque un parti s’avouant marxiste et visant le pouvoir, pas
plus utopiquement que la
République sous l’Empire, il manque un parti s’avouant
pro-américain à tous crins ce qui romprait la solitude d’Alain Madelin. Sans
doute existe-t-il des groupuscules et les scores aux précédentes élections
porésidentielles, surtout à l‘extrême-gauche sont appréciables. Il manque aussi
– surtout – un parti vraiment gaulliste, un parti ne demandant pas la révision
mais l’application de la Constitution
dans son esprit fondateur.
3° Le métier fait les moeurs
Quand un
régime dure, il secrète les professionnels. Les élus le sont sans doute mais
pour l’étiquette et avec la machine du parti, même si localement ce sont
souvent eux qui l’organisent et la font fonctionner. Des vies entières sont en
politique, souvent par hérédité, surtout à droite. Il faut donc ménager et
assurer sa carrière politique, quitte à scandaliser. Ainsi ce transfert d’une
mairie à l’autre de Philippe Douste-Blazy dont il est acquis qu’il n’a pas
d’emprise à Toulouse, ainsi cette brigue de Dominique Perben à Lyon. Ceux qui
n’étaient pas professionnels sont gagnés par ce sytème et cette rente, pas tant
financière que sociale : Thierry Breton achète une circonscription parisienne,
et peut-être la mairie de Paris, au prix d’une nomination à la Cour des comptes ; on
avait fait libérer son bien électoral à François Léotard contre une nomination
à l’inspection générale des Finances. Et ceux qui se sont trompés, un moment,
achètent leur ré-admission au prix de désistement pour l’avenir et aussi de
quelques circonscriptions : Jean-Pierre Chevènement de retour au bureau
national du PS et très probablement Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin croient
s’assurer respectivement la présidence de l’Assemblée nationale et celle du
Sénat en ayant rallié Nicolas Sarkozy avant même que le président sortant ait
dit ses intentions ou son abstention. Les places, même de second rang, sont
chères autour de Ségolène Royal.
4° L’élection présidentielle est à un tour
La présence,
une dernière fois, de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle prochaine
actualise le souvenir d’Avril 2002. La défaite socialiste est une leçon dont
tient compte aussi l’UMP. Viser la seconde place – modestement au premier tour
– parce qu’au second on rassemblera bien plus que celui qui sera en tête, est
périlleux. Il faut gagner dès le premier tour. Chacun des deux grands partis
traite cette hantise différemment. Pour les socialistes, la stratégie est
simple : éviter des dispersions de voix à l’élection présidentielle en
donnant des circonscriptions législatives donc un poids parlementaire aux
candidats éventuels à l’Elysée. Contre un parti troquer un morceau bien concret
de circonscriptions bien sélectionnées : ainsi est mort le Mouvement des
citoyens. Michel Jobert apportant son soutien à François Mitterrand au
printemps de 1981 ne recevait rien de sensible en échange qu’une participation
honorifique mais peu gouvernante à la première équipe de gauche sous la Cinquième. Pour
l’UMP, prendre le programme des autres candidats de droite pour s’assurer non
d’un désistement de ceux-ci mais de leurs voix-mêmes. Ainsi, 2007 va-t-il
expliquer rétrospectivement 2002 : la gauche perd-elle du fait de
l’extrême-gauche ? la droite va-t-elle perdre parce que le Front national
ne lui cèdera rien, ses électeurs fidélisés au premier tour, et pas de
désistement contre la gauche au second tour si Jean-Marie Le Pen n’en est pas.
2002 a détruit les sondages,
sans doute pour longtemps, puisque l’imprévu est arrivé. Or, le candidat du
Front national n’était crédité généralement que de la moitié de ce qu’il a
obtenu au premier tour : complexité de l’attitude intime de ses électeurs
se sachant souvent ostracisés, y compris dans leur milieu de vie quotidienne, à
cause du candidat qu’ils préfèrent. Cela même s’il est admis que le quart au
moins des Français partagent ses idées. S’étant trompés presque tous de moitié
au moins sur Jean-Marie Le Pen, les instituts donc corrigent ce qu’ils
recueillent des intentions de vote et les… multiplient par deux, pour
éventuellement les re-pondérer. Dans le cas du duel Ségolène Royal – Nicolas
Sarkozy, depuis l’automne les chiffres publiés se contredisent sur le résultat
du second tour comme de l’écart entre eux d’un institut à l’autre. Non
seulement, le résultat ne peut être anticipé que par de simples observations
rationnelles sur ce qui peut être supposé de l’état d’esprit des Français –
qu’il serait temps de connaître, ce qui est précisément l’un des arts majeurs
(mais perdus…) de la politique, mais surtout rien ne pouvant être chiffré par
avance les financements divers sont plus aléatoires. La démocratie, est-ce
l’inconnu ? ou le bon sens ?
Pour l’heure,
l’absence de débat thématique et, chez les candidatrs censément principaux, de
propositions ou de manifestations sur les grands sujets ou sur les points du
jour, continuent de laisser augurer un quinquennat qui ne gouvernera qu’au coup
par coup, réactivement, jamais prévisionnellement. Le « grand dessein national »
pour lequel certains hommes d’Etat ont été crédités chez nous : Pierre
Mendès France, le général de Gaulle, - ou un renversement de cours qu’a incarné
François Mitterrand ne sont manifestement plus d’actualité. La réponse
politique à l’économisme tardera encore : or, les conceptions les plus
laxistes de l’économie, précisément à proportion de ce laxisme, ont toujours
pour demande un cadre et des interlocuteurs./.
BFF – 2 I 07
disponibles sur demande, les
précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007
12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de
candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la
manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en
conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des
Français en forme de questions
Quel contexte ?
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