mercredi 19 février 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 2 Janvier 2007



Election présidentielle 2007

observations & réflexions

V


     Le naturel  des partis

La gauche est favorisée par la Cinquième République : la Constitution lui permet de gouverner durablement, comme jamais elle n’avait pu le faire plus d’une quinzaine de mois sous les Troisième et Quatrième –,le système électoral tant pour les députés que pour le président l’a forcée à se constituer en force unie d’alternative. Existant en tant que telle, la gauche, dans sa composante aujourd’hui dominante, le parti socialiste, a ajouté pour son compte des évolutions spectaculaires pour la démocratie interne : l’élection par les militants du premier secrétaire dès 1995, la désignation du candidat pour 2007 selon des débats équitables et la décision, là encore, des militants à qui il a été vraiment donné de choisir : pluralité des candidatures, accentuation des programmes. Mais la mûe n’est pas contagieuse.

La droite est décidément incapable de suivre sauf lors de la première élection du président du RPR au suffrage des militants : c’est alors que Michèle Alliot-Marie, qui n’était pas la candidate de l’Elysée et du fondateur, l’emporta. La désignation en cours du candidat pour 2007 se fait sans qu’il y ait eu débat et sans qu’une pluralité de candidatures ait été pratiquée. Le phénomène doit être analysé car il explique aussi la manière de gouverner à droite : le tenant du pouvoir, quel qu’il soit et quel que soit ce pouvoir s’impose et élimine. Nicolas Sarkozy s’est imposé par un évident (quoiqu’involontaire) mimétisme de Jacques Chirac : la foi des cadres et des professionnels (les élus) dans une machine électorale, le goût du chef chez les adhérents, le simplisme du langage et du programme. Ni un débat ni des candidatures autres n’ont donc été possible : ce n’est sans doute pas le goût du candidat auto-proclamé depuis des années malgré des défaites sensibles (comme avant lui Jacques Chirac) : les européennes de 1999 où Nicolas Sarkozy était tête de liste et se fit déborder par les souverainistes, les régionales de 2004 où beaucoup de têtes de liste notamment en Ile-de-France se réclamaient exclusivement de lui ; c’est encore moins le goût du président sortant qui perd là un des arguments d’une ultime candidature qui serait de conciliation d’antagonismes ne se départageant pas. Ni Dupont-Aignan, ni Alliot-Marie, ni Dominique de Villepin ne sont allés au scrutin, les deux précédents Premiers ministres de Jacques Chirac se sont ralliés. L’UMP n’a donc pu s’aligner sur la pratique démocratique du PS : ce n’est pas, probablement, un handicap dans la course à l’Elysée, mais c’est la confirmation qu’il existe deux types de partis en France : l’exceptionnalité du PS et des Verts tandis que dans tous les autres mouvements c’est la domination du chef, le parti communiste ne faisant pas exception. Si l’UMP se dirige ainsi, c’est qu’elle en a la tradition depuis la fondation du RPR ; sous de Gaulle et même Georges Pompidou, le mouvement, avec ses sigles divers, pouvait s’écarter ouvertement de la ligne de l’homme du 18-Juin, puis du président. Le système est autoritaire, c’est celui des barons s’inclinant, il y eut déjà ce phénomène en 1968-1969 face à Georges Pompidou et le parallélisme à près de quarante ans de distance mettrait Dominique de Villepin dans le rôle de Maurice Couve de Murville de qui l’on crut que l’affaire Markovic était l’œuvre comme aujourd’hui l’affaire Clearstream serait le fait de l’actuel Premier ministre. Histoire opaque, jeu de rôles surtout avec une répétition qui devient immanquable. Les adhérents ne conçoivent pas le débat, il serait lèse-majesté ou trahison : le débat Balladur-Chirac… en 1995.
Seconde tare actuellement, la même droite, essentiellement du fait de Jacques Chirac, a la responsabilité des principales déviances de nos institutions par rapport à leur dessein fondateur et à une pratique qui les expliquent seules dans leur totalité. Aucun de ses principaux dirigeants ne demande d’y remédier. La gauche au contraire, par les candidatures de Gaston Defferre en 1964 puis de celle, décisive, de François Mitterrand, en 1965, puis par sa pratique gouvernementale de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993, a au contraire compris cette pratique et a opéré une réconciliation générale des Français autour de la Constitution gaullienne. La question des cohabitations, complexe parce qu’il était légitime que le premier président de gauche reste en place pour sauver des acquis nouveaux mais dérangeant pour les institutions que s’instaure une telle jurisprudence peut se reposer en 2007 malgré la coincidence forcée des calendriers électoraux (présidentielle et législative) qui fait d’ailleurs l’impasse sur l’exercice du droit de dissolution par le président ou sur sa démission ou encore son décès. Deux élections en sens contraire dans le même trimestre ont paru improbable à ceux qui ont proposé ces ajustements de calendrier : Raymond Barre et Michel Rocard. Mais tous les candidats à l’Elysée n’ayant de stature, malgré leur prétention actuelle, que celle conférée par l’électeur, auront plus de mal à imposer la cohérence que François Mitterrand et Jacques Chirac à leur réélection. On peut augurer que l’élection de Ségolène Royal s’apparentera à la première, en 1981, de François Mitterrand et que ses électeurs redevenus majoritaires voudront une victoire absolue pour leur espérance. Tandis que Nicolas Sarkozy, censé « faire peur » selon bien des sondages, poussera par son élection, si elle a lieu, à des corrections immédiates et à poser des garde-fous.



     Les clivages ne correspondent plus aux partis

De Gaulle était, par lui-même, pendant la guerre puis quand il revint au pouvoir à partir de 1958, un programme par lui-même. Il polarisait l’adhésion et cristallisait les oppositions de droit comme de gauche. D’une certaine manière, tout en fondant des institutions nouvelles qui ont généré un nouvel agencement et une nouvelle vie interne pour les partis, il empêcha ceux-ci de se disposer comme ils le firent aussitôt après son départ : droite et gauche, alternance au pouvoir, changement des dirigeants mais de moins en moins d’alernative en politique, de plus en plus de compromis avec « l’idéologie dominante », donc de moins en moins de choix pour les électeurs, et à terme peut-être de moins en moins de démocratie. D’où la foi – que 2007 met à l’épreuve – qu’à changer les têtes et même le sexe, on aura eut-être quelque changement de fond. Depuis 1981, plus aucune majorité parlementaire sortante n’a été reconduite, dissolution ou pas.

Une des raisons de ce blocage politique, lui-même conséquence du blocage interllectuel, est structurelle. Depuis 1789, les partis naissaient en fonction des opinions et cela perdura sous tous les régimes, ceux-ci étant eux-mêmes l’objet du principal des clivages entre Français. La dégénérescence des Républiques successives, y compris de la Cinquième, a consacré une autre genèse des partis : les solidarités ne sont plus d’idées mais d’opportunités électorales. En sorte que le débat d’idées et a fortiori la naissance des grands mouvements d’imagination ou de protestation se font en dehors des partis, à côté d’eux, et ceux-ci se livrent alors à une course de récupération ou à un concours de mimétisme. Récupération et course ont-elles-mêmes une conséquence : une idée peut encore susciter un parti : les Verts, par exemple, mais un tel parti n’a de longévité que par tolérance d’autres partenaires. L’écologie est dans tous les partis, la critique souverainiste et anti-libérale des politiques et des institutions européennes est dans tous les partis, alors pourquoi un ou des partis écologistes ? pourquoi une coalition « anti-libérale » ? En revanche, il manque un parti s’avouant marxiste et visant le pouvoir, pas plus utopiquement que la République sous l’Empire, il manque un parti s’avouant pro-américain à tous crins ce qui romprait la solitude d’Alain Madelin. Sans doute existe-t-il des groupuscules et les scores aux précédentes élections porésidentielles, surtout à l‘extrême-gauche sont appréciables. Il manque aussi – surtout – un parti vraiment gaulliste, un parti ne demandant pas la révision mais l’application de la Constitution dans son esprit fondateur.



3° Le métier fait les moeurs

Quand un régime dure, il secrète les professionnels. Les élus le sont sans doute mais pour l’étiquette et avec la machine du parti, même si localement ce sont souvent eux qui l’organisent et la font fonctionner. Des vies entières sont en politique, souvent par hérédité, surtout à droite. Il faut donc ménager et assurer sa carrière politique, quitte à scandaliser. Ainsi ce transfert d’une mairie à l’autre de Philippe Douste-Blazy dont il est acquis qu’il n’a pas d’emprise à Toulouse, ainsi cette brigue de Dominique Perben à Lyon. Ceux qui n’étaient pas professionnels sont gagnés par ce sytème et cette rente, pas tant financière que sociale : Thierry Breton achète une circonscription parisienne, et peut-être la mairie de Paris, au prix d’une nomination à la Cour des comptes ; on avait fait libérer son bien électoral à François Léotard contre une nomination à l’inspection générale des Finances. Et ceux qui se sont trompés, un moment, achètent leur ré-admission au prix de désistement pour l’avenir et aussi de quelques circonscriptions : Jean-Pierre Chevènement de retour au bureau national du PS et très probablement Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin croient s’assurer respectivement la présidence de l’Assemblée nationale et celle du Sénat en ayant rallié Nicolas Sarkozy avant même que le président sortant ait dit ses intentions ou son abstention. Les places, même de second rang, sont chères autour de Ségolène Royal.



4° L’élection présidentielle est à un tour

La présence, une dernière fois, de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle prochaine actualise le souvenir d’Avril 2002. La défaite socialiste est une leçon dont tient compte aussi l’UMP. Viser la seconde place – modestement au premier tour – parce qu’au second on rassemblera bien plus que celui qui sera en tête, est périlleux. Il faut gagner dès le premier tour. Chacun des deux grands partis traite cette hantise différemment. Pour les socialistes, la stratégie est simple : éviter des dispersions de voix à l’élection présidentielle en donnant des circonscriptions législatives donc un poids parlementaire aux candidats éventuels à l’Elysée. Contre un parti troquer un morceau bien concret de circonscriptions bien sélectionnées : ainsi est mort le Mouvement des citoyens. Michel Jobert apportant son soutien à François Mitterrand au printemps de 1981 ne recevait rien de sensible en échange qu’une participation honorifique mais peu gouvernante à la première équipe de gauche sous la Cinquième. Pour l’UMP, prendre le programme des autres candidats de droite pour s’assurer non d’un désistement de ceux-ci mais de leurs voix-mêmes. Ainsi, 2007 va-t-il expliquer rétrospectivement 2002 : la gauche perd-elle du fait de l’extrême-gauche ? la droite va-t-elle perdre parce que le Front national ne lui cèdera rien, ses électeurs fidélisés au premier tour, et pas de désistement contre la gauche au second tour si Jean-Marie Le Pen n’en est pas.

2002 a détruit les sondages, sans doute pour longtemps, puisque l’imprévu est arrivé. Or, le candidat du Front national n’était crédité généralement que de la moitié de ce qu’il a obtenu au premier tour : complexité de l’attitude intime de ses électeurs se sachant souvent ostracisés, y compris dans leur milieu de vie quotidienne, à cause du candidat qu’ils préfèrent. Cela même s’il est admis que le quart au moins des Français partagent ses idées. S’étant trompés presque tous de moitié au moins sur Jean-Marie Le Pen, les instituts donc corrigent ce qu’ils recueillent des intentions de vote et les… multiplient par deux, pour éventuellement les re-pondérer. Dans le cas du duel Ségolène Royal – Nicolas Sarkozy, depuis l’automne les chiffres publiés se contredisent sur le résultat du second tour comme de l’écart entre eux d’un institut à l’autre. Non seulement, le résultat ne peut être anticipé que par de simples observations rationnelles sur ce qui peut être supposé de l’état d’esprit des Français – qu’il serait temps de connaître, ce qui est précisément l’un des arts majeurs (mais perdus…) de la politique, mais surtout rien ne pouvant être chiffré par avance les financements divers sont plus aléatoires. La démocratie, est-ce l’inconnu ? ou le bon sens ?

Pour l’heure, l’absence de débat thématique et, chez les candidatrs censément principaux, de propositions ou de manifestations sur les grands sujets ou sur les points du jour, continuent de laisser augurer un quinquennat qui ne gouvernera qu’au coup par coup, réactivement, jamais prévisionnellement. Le « grand dessein national » pour lequel certains hommes d’Etat ont été crédités chez nous : Pierre Mendès France, le général de Gaulle, - ou un renversement de cours qu’a incarné François Mitterrand ne sont manifestement plus d’actualité. La réponse politique à l’économisme tardera encore : or, les conceptions les plus laxistes de l’économie, précisément à proportion de ce laxisme, ont toujours pour demande un cadre et des interlocuteurs./.

BFF – 2 I 07

disponibles sur demande, les précédentes réflexions sur le même thème de l’élection de 2007

12 Novembre 2006
Le contexte : L’impuissance à plusieurs points de vue.
Les paradoxes
Les processus de candidatures et de programmes
20 Novembre 2006
Le choix et la manière socialistes
Les programmes
Les faux semblants
Interrogations en conclusion d’étape.
2 Décembre 2006
Les candidatures
Les procédés
Les absences
16 Décembre 2006
Les rôles-titres et les acteurs
L’électorat présumé
Les certitudes des Français en forme de questions
Quel contexte ?

Aucun commentaire: