Ambassade
de France au Kazakhstan
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Almaty, lundi 19 Juillet 1993
Observations &
Réflexions sur
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LA MEMOIRE ET LA
PSYCHOLOGIE AMBIANTES AU KAZAKHSTAN
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Dans le discours officiel comme
dans la conversation avec des fonctionnaires de responsabilité ou des
ministres, le Kazakhstan se dit un pays jeune.
Slogan repris complaisamment et
qui ne serait pas le sentiment d'une population qui a le sens de la
généaologie; qu'elle soit originaire d'ici, ou venue d'ailleurs ?
Alibi ? ou vérité par sensation
d'une profonde inexpérience de la vie internationale ? Mais cette inexpérience
n'est pas avouée. Bien au contraire, depuis les débats sur la Constitution,
puis l'adoption de celle-ci, il est dit que toutes les expertises ont été
consultées et que celles-ci concluent toutes à l'excellent niveau de la
démocratie, au moins dans les textes. Or, il saute aux yeux du lecteur le moins
attentif que les innovations du texte de 1993 par rapport à celui de 1978,
hormis les références idéologiques, ne comportent que deux institutions : la
Présidence de la République, plutôt musclée, et la Cour Constitutionnelle, qui
fait - elle - preuve d'indépendance quoiqu'entièrement nommée. De même, le
ministère des Affaires Etrangères fait pleuvoir sur les Ambassades des
recommandations et des indications tendant toutes à son monopole pour la
relation des diplomates avec le reste du pays. Rien - donc - que dans les
usages publics, l'expérience internationale manque en fait absolument, et
pourtant il est considéré et proclamé qu'elle ne manque pas.
Conscience
de n'avoir pas de précédent à la forme étatique contemporaine ? Pourtant le
concept de " nation kazakhe " figure dans les premiers articles de la
Constitution, et cette nation a ses éphémérides fêtés et repérés jusqu'au XIème
siècle, et des anniversaires de batailles anciennes de trois ou quatre siècles
sont commentés dans la presse quotidienne. Réciproquement... Semipalatinsk ou
Oust-Kaménogorsk ont des vestiges de presque trois siècles d'établissement
frontalier russe, et le 250ème anniversaire du " rattachement volontaire
" à la Russie a pu être fêté peu avant l'effondrement soviétique.
Il
faut donc penser - jusqu'à plus ample informé - que
1° les peuplements divers du
Kazakhstan actuel ne considèrent le commencement de leur histoire commune et
donc de la République actuelle que de la proclamation de l'indépendance de
celle-ci : pas bencore deux ans. Ce qui rend peu significatives aussi bien la
courte phase des déclarations de souveraineté au sein de l'Union Soviétique
dans le cours de l'année 1991, que l'érection d'une République socialiste
soviétique du Kazakhstan, par scission de la République de Kirghizie en 1936 et
démembrement partiel au profit de l'Ouzbékistan. Ce qui constitue une première
approche - très positive - d'un examen de l'entente domestique des différentes
"nationalités" ;
2° un lien est fait avec le
consentement désormais libre des
Kazakhs à une certaine invasion de leurs terres de
parcours par les Russes, puis tous ceux que ceux-ci y déportèrent dans les
dernières décennies ;
3° aucune revendication
territoriale majeure de l'ethnie-hôte des autres n'oblitère la sensation
actuelle d'indépendance, quoique dans la conversation courante la rive gauche
de la Volga, Omsk et Ohrenburg soient considérés comme ayant été kazakhs.
Evaluations qui ne sont pas faites à propos de territoires actuellement sous
juridiction des Républiques de Chine ou d'Ouzbékistan.
En revanche, le pays, et surtout
les Kazakhs peuvent s'inquiéter des manifestations et des démonstrations des
Cosaques aux frontières du pays ; la région d'Ouralsk se trouve en sus proche
des zones pétrolifères et de leurs voies d'évacuation.
Il
faut aussi en déduire que - probablement sans l'avoir délibéré - le pays
s'engage à un difficile exercice d'explicitation de son identité, puisque
celle-ci n'aura pas de référence historique nette.
La
géographie suggère une forte identité mentale, d'autant plus que les esprits -
par delà d'éventuels clivages ethniques - sont singulièrement homogènes.
A
l'évidence, c'est la steppe et le fait que - nomadisme ou déportation ou encore
fuite vers les " terres vierges " loin du centralisme tsariste - tout
le monde a conscience d'être déplacé ou de s'être déplacé dans un passé qui
n'excède pas trois générations, qu'on soit Kazakh sédentarisé ou Russe arrivé
de Sibérie ou d'Ukraine ou Coréen venu après l'occupation japonaise de la
patrie d'origine ou Allemand arrivé sous Catherine II ou sous STALINE. L'esprit
des steppes, qu'il faut comprendre différent des animismes et du chamanisme,
imprègne la conversation, la comparaison poétique, le discours d'usage en
province comme dans la capitale, quel que soit l'origine ethnique. Ce sont les
récits de chasse, c'est le culte du cheval, base non négligeable de la
nourriture (lait et viande), c'est la sensation d'espace disponible d'autant
plus que la densité de la population est faible (17 millions d'habitants pour
près de 3 millions kms²).
Les
soixante-dix ans de communisme ont d'autre part gommé toute éducation, toute
référence religieuses, que celles-ci soient musulmane ou orthodoxe.
L'interdiction de l'écriture arabe d'une langue kazakhe, elle-même minorée
pendant le régime totalitaire, a contribué à l'isolement autant vis-à-vis de
l'Islam courant, qui n'avait d'ailleurs que superficiellement pénétré le pays
et l'âme de ses nomades, que du fondamentalisme aujourd'hui iranien. Le respect
cependant pour quelques signes extérieurs sinon de foi, du moins de maintien
d'une tradition, est général : on bénit souvent la table ou l'on conclut le
repas à la manière musulmane. Le chapelet est rarissime, et la calotte n'est
pas à rattacher avec une piété affichée.
La
littérature n'oppose pas les nationalités entre elles, au contraire. POUCHKINE
et DOSTOIEWSKI sont aussi populaires et réellement connus chez les Kazakhs que
chez les Russes. La création contemporaine fait reconnaitre davantage que par
le passé le fonds commun qu'est le pays dans sa géographie et sa sociologie, un
fonds qu'exprime en russe un authentique Kazakh comme M. Oljas SOULEïMENOV par
exemple tandis qu'un authentique Russe SYDORKINE épouse une Kazakh et devient
le talentueux graveur et illustrateur de scènes populaires et d'oeuvres
considérables comme celles de Moktar AOUEZOV (La voie d'ABAï). S'il est
couramment dit - à notre grand bénéfice - que le français fut l'esprit et la
langue d'ouverture de la Russie au XIXème siècle, ABAï alors et M. SOULEïMENOV
maintenant assurent que la langue russe est l'ouverture du Kazakh au monde
international. Les références d'ailleurs à la France, via l'enseignement
littéraire et historique que le régime soviétique véhicula à profusion, pour
schématiques qu'elles sont (interprétation nationaliste de la Commune,
encensement de BALZAC, de DUMAS, de ZOLA) sont un élément d'unité mentale non
négligeable du pays. La littérature constitue même une conciliation mentale
fréquente avec l'ancien régime ; DJAMBOUL qui a donné son nom à la ville de
Taraz, fut un poète officiel, CHOUKALINE ou RASPOUTINE (sans relation avec le
moine...) marquent sous KHROUCHTCHEV un certain éveil.
L'interprétation
de l'histoire des deux derniers siècles est unanime, quoique non encore écrite.
Le
pays se voit comme une colonie russe davantage sous le régime tsariste que dans
l'ensemble soviétique où l'égalité de droits et d'apparence faillit créer une
nationalité nouvelle et en tout cas plus vaste d'aire géographique, que chacune
des Républiques socialistes. Moscou exerça une attraction certaine et continue,
l'ancienne Leningrad dans une moindre mesure, à être vêcue comme un bien et un
lieu communs. L'esprit colonial ne se manifestait pas parmi les nouveaux venus,
et n'était qu'implicite dans l'esprit des dirigeants, mais la pratique d'Etat,
et ses conséquences actuelles dans l'économie, dans la pénurie de cadres
intellectuels ou militaires, font bien de l'ancien régime un système
d'exploitation. Lieu de déportation au XIXème siècle, astreint au XXème à une
division du travail l'empêchant de se doter d'industries de transformation et
le faisant structurellement déficitaire puisque le jeu des prix d'achat de ses
richesses se faisait sans sa consultation, le Kazakhstan estime avoir été
pénalisé. Mémoire familiale de l'installation ici, analyse des responsables
d'entreprises, les Russes d'origine confortent ainsi les Kazakhs dans la
conscience de leur exploitation non par ceux qui physiquement arrivaient chez
eux - il n'y a pas de structures féodales, de descendances d'anciens dominants
étrangers - mais par des systèmes
politiques. Les dommages aux êtres humains et à
l'environnement, causés par quarante ans d'essais nucléaires à Kurtchatov, dans
la région de Semipalatinsk, frappent sans doute davantage la population kazakhe
mais sont en partie reconnus par les militaires et les médecins russes
localement en service de longue date.
Le
regard est le même, quelles que soient la nationalité ou la région, sur les
phases du régime communiste. Sans qu'il y ait la moindre velleité d'un retour
au passé, que l'on sait et dit totalitaire pour les personnes comme pour les
nations, la conscience est générale que l'Union Soviétique était une grande
puissance, et qu'elle a été ruinée en rang à l'extérieur, et en fonctionnement
domestique de son économie par le président GORBATCHEV ; très rares sont ceux
qui reconnaissent à ce dernier un rôle positif, notamment pour avoir restauré
la liberté, et ménagé une transition à frais relativement faibles jusqu'à
présent. Il est vrai qu'il constitue aujourd'hui un repoussoir commode et que
certains commencent de lui reconnaître une transition - peut-être involontaire,
mais globalement pacifique - vers les indépendances. Pour une majorité, l'interrogation
est fréquente sur les raisons de sa popularité à l'étranger. L'homme est
présenté comme instable et en contraduction avec lui-même. Les événements de
Décembre 1986, présentés ici non sans orgueil, comme la première manifestation
avouée d'indépendance nationale dans toute l'Union Soviétique d'alors (les
événements antérieurs à la perestroïka en Géorgie ou à Iakoutsk furent
étouffés), illustrent ce jugement ; on descendit parmi les jeunes dans la rue,
parce qu'on était convaincu que la perestroïka impliquait une
explication franche et un débat sur la nomination d'un nouveau Premier
secrétaire du parti communiste localement (M. KOLBINE). Et que la contestation
était loisible, et même souhaitée ! L'on fut cruellement détrompé. C'était un
acte de force, et l'homme ne consultait pas, pas même celui qui prenait sa
retraite, était populaire relativement et avait donné tous les gages (M.
KOUNAEV).
La
chute de l'Union Soviétique est donc généralement analysée sans détour comme la
faute d'un homme, ce qui en fait regretter la puissance et le rayonnement, mais
évidemment pas le régime oppressif ; le lien n'est pas fait entre ce régime et
le maintien de l'Union. Parmi les dirigeants successifs, c'est BREJNEV qui a la
meilleure image, d'abord parce qu'il "régna" un temps au Kazakhstan
et n'y fut pas maladroit ; ensuite parce que ses réformes économiques
réussirent et furent perçues comme un certain âge d'or : stabilité des prix
mais label aussi de qualité. KHROUCHTCHEV est considéré - au rebours des appréciations
flatteuses en Occident et de son entente tacite avec le président KENNEDY à
l'expérience de la " crise de Cuba " qui ne sont pas ici perçues -
comme l'initiateur du militarisme soviétique, le vrai responsable du désastre
écologique nucléaire dans tout l'Est du Kazakhstan, et économique avec la
campagne pour les " terres vierges " (exécutée pourtant sous le
secrétariat local de
BREJNEV) engendrant les travaux agricoles gigantesques
dont pâtit la mer d'Aral et même le redoublement du goulag minier dans
la région de Karaganda. Seuls, les intellectuels voient dans le début des
années 1960 les premiers signes d'un "dégel" et de la possibilité de
commencer à s'exprimer. Ils sont rares dans l'administration d'aujourd'hui.
Le
milieu de celle-ci est mentalement et numériquement restreint ; la plupart des
responsables se connaissent et donc se jugent, pour avoir été formés aux mêmes
écoles du Parti et avoir débuté dans les mêmes fonctions d'animation des
organisations de base ou d'entreprises de celui-ci, quelles que soient le
études techniques ou l'application politique. Le jugement sur les personnes est
constant et assez simpliste, qu'il s'agisse des dirigeants de naguère pour
lesquels il est ouvertement exprimé en moeurs ou en capacités intellectuelles,
ou des actuels. Ce qui n'est pas démocratique dans la vie institutionnelle ou
collective, l'est en revanche dans les rencontres individuelles et la
conversation même officielle.
On ne
fait pas le lien entre l'ancien régime et l'incommunication avec l'extérieur,
pourtant regrettée et manifeste dans les arts plastiques, ou pour la
littérature contemporaine. Longtemps, L'Humanité en surplus constant
dans les kiosques est une des rares ouvertures pour les francophones. La percée
actuelle du sous-cinéma américain est unanimement abhorrée, quoiqu'elle ait son
public de télévision bien accroché.
A la
période de relative aisance économique des années 1970 de BREJNEV fait pendant
l'euphorie patriotique qui suivit la victoire de 1945 et perdura jusqu'aux
débuts des années 1960 avec les conquêtes nucléaire et spatiale. La perception
d'une sorte d'empire idéologique alors constitué avec la révolution chinoise et
les décolonisations indienne et africaine est rare ; la latente menace que fait
peser à l'Est le gigantesque voisin chinois n'est en rien liée aux conflits de
puissance des années 1960 au temps de KHROUTCHEV, ou à leur apaisement par les
différentes évacuations de l'Afghanistan ou de la Mongolie consentis par M.
GORBATCHEV. L'analyse seulement ethnique ou locale de cette menace fait donc
présumer la pérennité de celle-ci dans les esprits. Pas davantage, un lien
n'est établi entre les "ethno-allemands" (pour prendre l'expression
usitée en Républiqe fédérale et dans l'Ambassade de celle-ci à Almaty) et le
passé impérialiste de leur pays d'origine. Lecture apatride du
"fascisme" ? contrepoids mental de la République démocratique ? - qui
n'eût cependant pas son consulat dans les pays où la minorité allemande était
trop présente, et donc pas au Kazakhstan.
Si
devait apparaître une histoire proprement nationale, il n'est pas sûr qu'elle
diviserait les nationalités. Chacune de celles-ci peut écrire les étapes de son
arrivée et de son installation sans afficher de martyres ou d'occupation violente.
Les Russes ne se solidariseraient pas avec la politique tsariste et celle-ci
joua autant des rivalités entre les principaux clans kazakhs, que de la force.
Les Kazakhs, quant à eux, mettront sur le compte de la révolution de 1917 et de
ses excès, puis de la dictature de STALINE les massacres des années 1930, la
sédentarisation forcée, l'affamement systématique d'une population privée de
ses racines et de ses habitudes, la " dékoulakisation " et même la
liquidation du premier parti communiste local ou la suppression de l'éphèmère
République pourtant socialiste qui eut sa capitale à Ksyl-Orda. Plus délicates
cependant seront l'inévitable analyse des camps de travail (notamment das les
mines d'uranium proches de la frontière kirghize, où 200.000 Kazakhs auraient
péri de fatigue) et surtout la probabilité statistique d'un quasi-génocide
ayant coûté à l'ethnie-hôte peut-être 1.500.000 morts, en sorte que la
population kazakh n'auraient retrouvé son nombre du début des années 1930 qu'au
début des années 1980. Faits et chiffres son encore loin de la place publique.
Mais cette histoire n'est pas encore écrite, et l'"idéologie" qui se
cherche officiellement, spécule davantage sur l'avenir ou la sociologie, que
sur la reconnaissance du passé.
La
démocratie n'est pour le moment qu'une notion théorique, le cédant de beaucoup
à la conscience de libre-détermination du pays et de libre expression
individuelle.
Si la
jeunesse estudiantine est avide d'entendre quelque jugement ou explication du
nouveau régime par un étranger, la génération au pouvoir raisonne en termes
sans doute analogues à celle de l'ancien régime : la compétence au pouvoir est
plus nécessaire que la liberté des élections. On va même jusqu'à assurer que la
succession au Président régnant - le sujet n'étant qu'économique - se fera non
par l'émergence des partis, mais par l'accession des milieux d'affaires et
d'une classe formée aux techniques du marché par l'étranger. On ne conçoit pas
d'alternative au traitement de la plupart des questions du jour, et la
délibération actuelle sur l'émission ou non d'une monnaie nationale, quoique
pratiquement publique, est évaluée en termes de compétences.
Paradoxalement,
la fin du régime précédent est expliquée par son défaut de compétition interne,
par l'absence de concurrence au parti unique, mais chacun - y compris les chefs
des principaux partis, reconnus légalement ou pas - se résigne au truquage des
prochaines élections parlementaires et personne ne semble rétrospectiveent
choqué par l'absence de candidatures opposées en Décembre 1991 à celle du
Président NAZARBAEV ; les retraits qui eurent alors lieu ne sont expliqués que
par la conscience que les audacieux prirent de la valeur du candidat officiel.
Le monisme actuel n'est donc en rien rapproché du système précédent. Sans doute
parce que le pouvoir en place n'a jusqu'à présent heurté personne ni en
sociologie, ni en nationalisme, ni même en avantages acquis.
Pourtant,
hommes et usages n'ont pas changé dans le fonctionnement des institutions. Les
jeunes conseillers juridiques du Comité central sont aujourd'hui ceux de la
Présidence ou de la vice-Présidence de la République. La plupart des
fonctionnaires d'autorité locale sont les précédents secrétaires des comités
exécutifs locaux ou des organisations de base du Parti communiste. Non
seulement, les Conseils régionaux et le Conseil suprême (anciennement Soviet
suprême) tiennent leur mandat de consultations d'ancien régime pour la date et
pour la forme de leur élection, mais ils vivent pratiquement de la même
manière. Sans doute, les débats sont vifs au Parlement à chambre unique, mais
ils sont sans conséquence sauf sur certains points auxquels l'étranger est pus
attentif : le statut de la Banque centrale ou le maintien d'une Cour
constitutionnelle, créée d'abord par décret. La notion de séparation ou de
spécialité des pouvoirs, celle de responsabilité de l'exécutif sont inconnues.
Les Gouverneurs de région sont nommés par le Président, celui-ci a été
plébiscité : les représentations locales ou nationale sont en droit, et plus encore
en fait, sans pouvoir sur eux. Cela est parfaitement su, et semble généralement
admis.
Presse
écrite et audiovisuelle sont très hiérarchisées ; un projet de taxation de la
seule presse non-officielle a été annullé par la Cour Constitutionnelle sur recours
d'un groupe privé, mais la pression par l'octroi ou non du papier chroniquement
rare, par l'accès à l'information toujours monopolisée par une agence nationale
permet les discriminations le cas échéant. Le débat existe cependant sous forme
d'articles et de réponses à ces articles. Qu'il ait lieu prête cependant à
critique, notamment au Parlement, ou de la part des Gouverneurs, dont la
plupart sont aussi députés, ainsi que certains de leurs adjoints.
La
percée d'un syndicalisme libre est récente et presque fortuite. Elle tient
beaucoup à la personnalité de M. Leonid SOLOMIN, officier en retraite, chargé
des questions juridiques auprès du futur Premier Ministre, M. Sergueï
TERETCHENKO, alors responsable du Parti communiste pour la région de Tchimkent,
qui épousa les heurs et malheurs des premiers adeptes de la perestroïka
dans l'économie ; l'émergence d'un secteur privé permit seule l'émancipation
vis-à-vis du syndicalisme officiel, longtemps réputé comme la seule voie
d'accès aux protections sociales et aux menus privilèges dans l'entreprise, et
les mouvements sociaux commencèrent par la contestation des usages abusifs de
fonds ponctionnant légalement depuis 1993, 37 % de la masse salariale, et se
poursuivent aujourd'hui faute tout simplement que les salaires soient payés. La
pression a été assez forte pour que le projet de loi syndicale adopté par le
Consel suprême fasse l'objet d'un veto présidentiel, puis cède la place à une
version proposée par ce nouveau syndicalisme comptant, à l'en croire, déjà
autant d'adhérents que l'ancien.
La
seule rupture généralement perçue avec le passé, est donc l'indépendance
nominale du pays - quoique le consensus autour du Président NAZARBAEV ne soit
pas qu'on ait porté celle-ci à son crédit personnel. Son prestige, au
contraire, est détaché de l'histoire récente et a tenu d'abord à sa réputation
de compétence (nullement à un adoubement par Moscou ou par l'ancien chef local
du Parti communiste, M. KOUNAEV) et tient maintenant à son habileté politique
sur les deux sujets principaux que sont la paix entre les nationalités et la
négociation permanente à l'intérieur de la Communauté des Etats indépendants.
Il en
est une autre, fort nouvelle dans la sociologie du XXème siècle, car elle
transcenderait les analyses habituellement dualistes des classes dirigeantes
d'un pays donné. La véritable alternance attendue serait dans une succession
des dirigeants actuels, généralement issus du Parti communiste, par des
dirigeants d'entreprises, formés à l'économie de marché et même frottés de
voyages à l'étranger. Façon sans doute de demeurer dans une société refusant
les clivages politiques et idéologiques, mais conscience répandue que les
hommes n'ayant pas encore changé, les mentalités et les moeurs subsistent, ce
qui laisse sceptiques les gouvernés et assure, dans leur comportement
quotidien, les gouvernants. Et consentement général en fait à une
interprétation seulement économique de la vie sociale et des nécessités de
l'organisation d'Etat, ce qui était bien la doctrine ancienne, quoique son
application dans l'avenir paraîtrait neuve, surtout par les hommes qu'elle
ferait apparaître.
Le
débat démocratique, quand il y a toutes les apparences d'une lecture univoque
de l'histoire (les hétérodoxes ne s'avouant pas encore publiquement) et la
prétention que tout sujet n'est qu'affaire de compétence, est évidement
difficile à nourrir. Les partis sont généralement considérés comme inutiles,
quand leur existence-même n'est pas rapprochée de l'ancien Parti communiste qui
aurait dégoûté tout le monde du concept-même de parti. Dans un cercle vicieux
que personne n'explicite, on leur reproche tantôt leur faiblesse, tantôt leur
peu d'implantation, tantôt leur mimétisme de programmes ou leur absence de
contestation réaliste des politiques en cours. Certains voient dans la
succession de leurs naissances depuis l'indépendance, la tentative du Président
NAZARBAEV de maintenir l'ancienne habitude d'un parti dominant, sinon unique,
pour lui et pour la plupart des gouvernants ou des administrants. Le Congrès
populaire de M. Oljas SOULEïMENOV ou l'Entente populaire, le mouvement le plus
récent, seraient justiciables de cette analyse, à laquelle échapperait seul le
parti Azat créé avant l'indépendance et revendiquant celle-ci pour la
nationalité kazakhe. Si l'administration compte davantage avec ce qui existe,
la représentation locale ou nationale élue sous l'ancien régime et qui ne rend
donc pas compte des nouveaux partis, d'autant que certains n'ont d'implantation
que régionale, et que trois seulement ont une existence légale, il apparaît
cependant que leur coalition et la " table-ronde " périodique qui les
rassemble avec le syndicalisme non officiel et des associations à but plus
sectoriel pèsent déjà sur le débat législatif et poussera sans doute à
modifier, sinon de fond en comble, le régime électoral.
L'unité
mentale faite par la géographie, l'athéisme et un regard homogène sur la
politique passée ou actuelle rend, pour le moment, inopérante une analyse du pays
fondée sur des clivages ethniques.
Seuls
les Allemands disposent d'une référence attractive et partent aussi massivement
qu'ils le peuvent. Le mouvement est très différent d'une région à l'autre. Les
Russes, s'ils sont établis localement depuis plus d'une génération, n'envient
pas actuellement leur patrie d'origine : la Russie semble se débattre dans des
difficultés, y compris les risques de conflits internes au sein de sa
fédération, que ne connaît pas à un tel degré le Kazakhstan. De même que les
notions de libertés publiques ou de démocratie pratique sont encore informulées
et très théoriques, de même le droit de la nationalité et de la citoyenneté est
couramment ignoré dans le pays ; d'autant que les passeports restent
soviétiques, même s'ils sont à l'occasion (notamment pour voyager à l'extérieur
de la CEI) tamponnés d'une référence au Kazakhstan. La récente loi sur la
citoyenneté n'est pas connue, et pas davantage l'interdiction de la double
nationalité par la Constitution. La rumeur est cependant de départs importants,
mais ceux-ci semblent se compenser par des arrivées et ne pas excéder un solde
de 100.000 dans l'année.
Si
les mariages mixtes sont rares, sauf dans l'administration d'autorité, et si
les jeunesses spontanément ne se mélangent guère, la cohabitation et le travail
ensemble sont la règle, et sans contrainte apparente. Sans doute le doublage,
au rang d'assistant ou d'adjoint, par une des deux nationalités dominantes, de
chaque fonction détenue par l'autre, est aussi rituel que voyant dans
l'administration territoriale ou dans les ministères. Mais le phénomène
grégaire joue plutôt en faveur des Kazakhs et tout se passe comme si l'intimité
- au moins celle proposée à l'hôte étranger - n'était le fait que de ceux-ci.
Alors, le parler devient exclusivement kazakh, au moins les premiers moments et
un nouveau territoire mental, par ignorance du voisin ou de ses rejetons
locaux, apparaît. En tout cas le fait se vérifie statistiquement pour les
invitations personnelles dans la capitale et pour la suite des accueils en province.
Mais s'il paraît parfois exister un "marché russe" ou un
"village allemand", si la réflexion en est faite un peu
péjorativement par l'ami kazakh, si les Coréens sont perçus comme fort
solidaires entre eux pour les affaires, ces nuances ne sont pas décisives.
La
révolte conte la nomination de M. KOLBINE en 1986 tenait bien plus à son
inexpérience totale du Kazakhstan, qu'à son appartenance ethnique, et elle est rétrospectivement
comprise par les Russes d'installation locale de longue durée. L'état-major de
nationalité russe et d'obédience à la Fédération de Russie, qui est
actuellement au comandement de l'ex-centre d'expérimentations nucléaires de
Kurtchatov, semble à la fois s'accomoder d'un protocole donnant le pas à
l'administration civile que tient un Kazakh et de tâches apparemment de seule
conversion économique. Des textes opportuns permettent en sus aux engagements
dans l'armée, conclus antérieurement aux indépendances, de ne pas empêcher
jusqu'à l'an 2.000 des réintégrations dans les armées de la nationalité
d'origine, et certains des avancements d'officiers peuvent être d'initiative de
la nationalité d'accueil. En fait, l'entente tient surtout à l'absence
d'accords formels, au flou juridique de l'avenir et à la confiance réciproque
que les habitudes et les osmoses ne peuvent se rompre ; ces liens semblent bien
plus présents mentalement et pas forts pour le futur que de quelconque
solidarité face à un ennemi extérieur ou à la cise économique. Car de celle-ci
toutes les preuves, qu'elle ne joue pas, commencent d'être administrées.
Personne cependant, malgré des analyses peu favorables aux thèses ou aux
gouvernants russes, ne passe pas de l'observation économique à l'hostilité
politique, et ni le ministre de la Défense ni l'homme de la tente ou de la rue
ne semble s'inquiéter de prévoir si l'on pourra ici compter sur la garantie
nucléaire ou le concours conventionnel de Moscou en cas d'agression chinoise.
Il
est donc tentant de conclure à une vie et à une réflexion seulement locales sur
des questions internationales pour les unes et au moins inter-étatiques au sein
de la CEI pour les autres. Ce qui est encore un facteur d'unité politique dans
le pays. Kazakhs et Russes se rejoignent sans doute aussi dans leur
appréhension que se distendent - pas du fait de M. NAZARBAEV - les relations
avec la Russie. Pour ces derniers, l'intérêt à une osmose économique et
culturelle est évident, mais l'élite des premiers, l'influence quotidienne de
la Russie empêche une réelle pénétration de l'Iran et même de la Turquie dont
l'avenir est jugé de moins en moins certain ; vis-à-vis de ces deux pays, c'est
en fait d'Islam qu'il s'agit et d'une menace sociale concrète qu'introduirait
dans la vie quotidienne une religion toujours peu pratiquée et encore moins
connue ici.
Bertrand
Fessard de Foucault
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