Chaque peuple a les moments où il se
fait manifestement. L’événement de l’unisson et de la qualité des hommes. La Grande Guerre est certainement
pour la France
de cette sorte. La Seconde
guerre mondiale la complète. Je ne sais comment la psychologie allemande peut
vivre et méditer la leçon de ces deux guerres pour elle, qui furent chacune –
selon toute apparence – paroxysme atroce et échec la rendant, deux fois, tout
autre quoiqu’en raisonnance avec des siècles antérieurs. Ce seraient de vrais
dialogues, et sans doute si le cercle s’agrandissait jusqu’à l’écoute de chacun
de nos peuples en Europe, arriverions-nous à quelque chose de prodigieux :
la conscience de nous-mêmes. A partir de quoi tout se ferait. Nous en sommes
loin, abrutis par l’amnésie et la superficialité, les soi-disant gestions,
domaine où, malgré de prétendues expertises, nous échouons le plus. Surtout en
commun. Envers lamentable de l’espérance des années 50 et aussi des années 90.
La
victoire de 1918 est à l’arraché –
selon toute apparence aussi – car en Mai-Juin 1918, nous sommes près de
laisser
la seconde de nos épaules à terre, à plat comme la première. Sans doute,
les
comparaisons de l’espace et de l’économie : les Etats-Unis arrivés au
front,
qui leur semblait si étranger, mais l’Allemagne avait quasiment annexé
l’Ukraine
et Lénine sauvé l’essence de son régime en sacrifiant le terrain, au
contraire
de ce que fera Staline. Elle me paraît une victoire des
hommes. La troupe certainement quelque vivante et scandalisée,
douloureuse
qu’elle ait été : les mutineries, tandis que l’ « arrière »
était transbahuté vers le sud-ouest (notre histoire familiale, côté
maternel,
de Crépy en Valois à Bordeaux) mais ne souffrait pas, s’habituait,
éternité,
pérennité de la guerre. Mais le commandement. Proche des réalités,
proche des
hommes, soit l’expérience coloniale : Joffre et Gallieni, soit
l’intelligence : Foch à l’école de guerre ou attaché militaire à Berlin,
intelligence soudainement tarie par l’armistice puisqu’il en sacrifiera
la victoire et l’avenir en ne passant pas la frontière, soit
l’exceptionnel
mélange, « gaullien » avant la lettre, que manifeste Pétain dans sa
relation avec l’homme et avec l’opération. Victoire du commandement et
d’un
désintéressement personnel, d’une conscience humble de soi d’une
quantité de
nos « grands chefs » d’alors, résultat probablement du désastre de
1870 et de la retenue obligée ensuite de notre passion pour la
« revanche », au lieu de nos années 30 mûes totalement par la peur
que cela recommence (la guerre, non la victoire) et la pusillanimité de
l’encadrement de nos armées et de notre politique nationale, l’essentiel
(comme
aujourd’hui) perdu de vue avec persévérance.
La langue française, la laïcité, la
tolérance entre convictions religieuses ou agnostiques, entre héritages
provinciaux et urbains naissent – je crois et c’est une leçon que nous avons
tous en mémoire – de notre amalgame dans l’effort et dans les tranchées. Ils se
sont retrempés d’ailleurs dans les camps, les combats de l’ombre et la
résistance pendant la guerre suivante. La France est un pays qui sans doute se fait par
l’histoire et la géographie, toutes deux contraignantes et inspirantes, mais
plus encore par le goût – inavoué et peu étudié – des Français pour l’unisson,
quelqu’individualistes qu’ils paraissent, qu’ils se croient. L’étranger et
surtout l’immigration, et nos frères colonisés puis finalement séduits par
nous, le ressentent mieux que nous. Notre essence est moins physique que celle
d’autres pays, quoique toute collectivité humaine est finalement, forcément
spirituelle.
L’extraordinaire adaptation de notre
élite et de notre peuple en 14-18. Toutes nos doctrines militaires –
napoléoniennes – démenties en quelques semaines du premier engagement : la
formule du général de Gaulle, ce fut la
fortune de la France
que Joffre ayant mal engagé l’épée ne perdit point l’équilibre, et la suite
sans véritable stratégie, au moins pour tenir le front principal. Une guerre de
front gagnée par nous dont le territoire industriel et les ressources humaines
étaient indisponibles, occupées, saisies, saccagées ou nettement inférieures
statistiquement. Le miracle !
Evidemment, les deux apports sans
précédent : le travail des femmes, matrice d’une nouvelle conscience
nationale que nous gaspillons aujourd’hui par le peu de stimulation procuré,
sauf exception (Simone Veil, Cécile Duflot, Eva Joly… mais aussi Germaine
Tillion, Geneviève Anthnioz-de Gaulle et dans un autre ordre mais nous
constituant aussi : Simone de Beauvoir, Brigitte Bardot et Françoise
Sagan), par l’entrée des femmes en politique, en visibilité. Et les troupes
dites indigènes et coloniales. Le premier apport n’est pas encore vraiment vécu
et exploité, le mimétisme masculin reste trop fort, le mariage pour tous va
peut-être faire mieux estimer le couple et la différence-similitude de la femme
et de l’homme, les deux imaginaires et la nécessité du courage et du respect
quotidiennement et en ambition sociale. Le second est une dette décisive et la
chance insigne de notre pays, en cela tout à fait exceptionnel parmi les
peuples et les Etats du monde actuels : nous avons gagné par les
populations et peuples, notamment du Maghreb et d’Afrique subsaharienne que
nous avions subjugués mais qui nous séduisaient tellement… notre mélange est
justice, il est désirable, il manifeste une compréhension par autrui de notre
essence nationale, de ce que nous devrions et pouvons être, qu’aucun
jugement, qu’aucune analyse ne peuvent rendre.
L’armistice – comme texte – a été
médiocre, la négociation de paix a été trop contrainte par notre esprit de
revanche et par la dictée wilsonienne (celle-ci finalement irresponsable
puisque les Etats-Unis n’ont pas ratifié le traité de Versailles, ce qui
laissait présager leur si grand retard à réintervenir dans le second conflit
européen. Il a été gros, dit-on depuis, de la Seconde guerre mondiale et
des totalitarismes dont l’Europe, malheureusement et si coupablement, a donné
au monde le secret… et le mode opératoire : le déni des droits de l’homme,
de la dignité du vivant, de la valeur des âmes, une par une et pour tous. Je
crois plutôt à une responsabilité collective des Européens (et sans doute de
l’Amérique alors si lointaine et revenue aux comptabilités des diverses
créances accumulées par une rente de situation qui aura duré un grand
siècle : l’insularité et l’invulnérabilité physique), à des maladresses
surtout psychologiques, à des cécités. L’absence d’armistice, pour l’essentiel
– alors l’Allemagne – en 1945
a facilité une compréhension miraculeuse ? des
erreurs de 1919 à 1939 et des conduites inverses : l’engagement américain
pérenne en Europe (le républicain Dulles soutenant à fond Truman le démocrate
en 1948-1949), la révolte spirituelle permanente des peuples contraints par le
système soviétique (les ouvriers allemands en 1953, le plébiscite de la liberté
nié par le « mur » de Berlin à partir de 1961, Imre Nagy, Ian Palac,
peut-être même Tito, assurément Lech Walesa et Karol Wojtyla amenant une
Pologne historiquement si peu consistante malgré la gloire de Jean Sobieski au
sommet du témoignage libertaire en Europe) et l’intelligence souveraine du
général de Gaulle et du chancelier Adenauer. L’avenir a des bases. Il n’en
avait guère quand se turent les canons le 11 Novembre 1918 à 11 heures.
Il y a des gloires, des sacrifices, des
éclats exceptionnels dont les fruits sont
longtemps réservés parce que d’autres plus conventionnels en empêchent la vue
et la culture. Je crois qu’aujourd’hui nous sommes à pied d’œuvre nonobstant le
système Poutine, le totalitarisme chinois, l’erreur mondialiste, la déviance
djihadiste davantage selon les recrues hors sol et hors ethnies. Je crois au
bouquet de la paix, je crois au possible. En cela, nous devons beaucoup, sinon
tout à la victoire de 1918. L’hégémonie wilhelmienne, le dépeçage au tiers au
moins de notre pays auraient mené l’Europe et donc le monde – puisqu’alors
l’Europe faisait le monde et que le reste n’était que latent – à pire que ce
que produisirent les années 30 en Europe et en Asie. Il y aurait eu les
apparences d’une légalité internationale. Nous n’y aurions gagné qu’une
mondialisation de la langue de Goethe, ce qui n’eût pas été négligeable au
regard du dépérissement culturel et des propagations de modes dictatoriales
dont le bas-anglais si éloigné de la couleur shakespearienne et même de la
qualité de « l’oxonien » et des British Institutes que n’approchera
jamais le Wall street English…
L’armistice de 1918 a
été une chance non saisie mais une disponibilité de l’Histoire dont nous
héritons et vivons aujourd’hui, et que la défaite nous aurait interdit très
longtemps.
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