Chaque drame
national dans le Vieux Monde
pose la
question d’Europe
Je fais partie de la génération de
l’après-Seconde guerre mondiale qui, en Europe, a vécu sur deux dogmes :
l’Allemagne n’avait pas droit à son passé et devait se le faire pardonner, la
division de l’Allemagne résultait de celle de l’Europe et sans être définitive
pouvait durer interminablement. Né en 1943.
Les études que j’ai faites : l’E.N.A.
1967-1968, et mon expérience professionnelle, comprenant deux séjours en
Germanie : la Bavière
en 1979-1982 et l’Autriche à partir d’Octobre 1988, me convainquaient que la
situation héritée du partage de l’Europe et de la victoire relative de l’Est
sur l’Ouest en Août 1961 quand fut édifié « le mur », après l’échec
du blocus de Berlin-Ouest en 1948-1949, était finalement vivable. L’Allemagne
de l’Ouest avec Willy Brandt faisait concession sur concession à Pankow pour
une osmose des deux Républiques et donc une amélioration de la condition des
Allemands sous régime communiste.
La réunification de 1989-1990 n’est que
partielle. Un tiers ? un quart ? du territoire de 1913 est
définitivement perdu : transferts de population en 1945 et traités de
1990. Les Allemands de ma génération, par leurs parents et grands-parents
savent que Korolev a été le berceau de la Prusse (Koenigsberg) et que Wroclaw fut Breslau.
Les démantèlements ont frappé plus encore l’Autriche des Habsbourg, qui a
changé complètement d’Etat. L’Allemagne d’aujourd’hui a encore beaucoup de sa
puissance d’autrefois. Deux hommes l’ont permis : Mikhaïl Gorbatchev qui a
laissé escalader le fameux mur, puis a traité aux seuls plans économiques et de
compensations financières non seulement la réunification mais la transgression
décisive des conditions posées dès les années 1950 (le plan Rapacki) à
celle-ci. L’Allemagne devait être neutre, elle continue, même augmentée de
l’ancienne République démocratique, de faire partie de l’Alliance atlantique.
Helmut Kohl qui a refusé que se pérennise un dualisme des Etats qu’aurait
tempéré par la conversion de l’est au système économique de l’ouest.
François Mitterrand s’est trouvé à
l’automne de 1989 dans la situation de Georges Pompidou vingt ans plus tôt. Ne
pouvant empêcher l’irrépressible : la candidature britannique,
l’absorption de la
République orientale par l’occidentale, l’un et l’autre ont
exigé l’Europe : résultat, Maastricht. Résultat mitigé. L’entrée de la Grande-Bretagne en
1973 n’a jamais été sincèrement jouée par ses dirigeants (le chèque-retour
consentie à la longue à Margaret Thatcher en 1984) ni acceptée par son peuple.
Le fonctionnement, l’identité, la défense de l’Europe en tant que telle n‘ont
pas été eogansiés vraiment : une succession de nouveaux traités,
Amsterdam, Nice, projet de Constitution, Lisbonne atteste que rien n’est abouti.
Le résultat est apparemment une
hégémonie allemande dans les affaires européennes. Mais la dialectique a été
bien plus diverse qu’il n’y paraît et la leçon vaut pour aujourd’hui. La chute
du mur a fait la chute de l’Union soviétique, d’un système de contrainte, mais
ces chutes ont emporté aussi une utopie ou une espérance, celle d’un régime
social d’égalité de chances et de priorité à la satisfaction des besoins, le
contraire des accaparements et des spéculations qui sont le fond du
capitalisme. Celui-ci n’investit pas mais thésaurise, l’investissement est
un placement et la production ests
considérée en termes de profit, non de satisfaction des besoins de l’homme. Il
n’y a plus eu de contrepoids, notamment politique, syndical, idéologique au
dogme capitaliste, devenu libéralisme par dévoiement de ce que le mot
signifiait au XIXème siècle : libération et sauvegarde de l’acquis
libertaire. Sans doute, le système de contrainte a-t-il pour une bonne part
empêché la recherche et l’établissement de ce « monde juste » dont la
majorité des hommes rêve, il a sans doute par la dialectique des équilibres et
recours géo-stratégiques permis les décolonisations. Mais il est vrai que le
libéralisme et le mondialisme ont permis – positivement – les « émergences »
qui sont justice et ouverture pour les peuples, si accaparement et spéculation
n’étouffent pas les fruits de la novation économique et des investissements
concrets. L’événement de 1989 est donc mondial. Il est traité dans son moment
en termes sécuritaires : les évacuations et « dédommagements »
soviétiques, les traités et engagements limitant l’ancien Reich (confirmation
de l’interdit nucléaire et de la ligne Oder-Neisse).
Mais les chances n’ont pas été saisies.
La dissolution du pacte de Varsovie n’a pas fait reconnaître l’obsolescence de
l’Alliance atlantique. Celle-ci dispense et empêche l’Union européenne de se
vouloir une défense en propre. Et ce qui aurait pu devenir la matrice d’une
force d’intervention et de sauvegarde mondiale sous l’autorité des Nations
Unies elles-mêmes démocratisées pour être davantage qu’un agencement entre
gouvernements, qui ne sont pas forcément représentatifs des peuples ni tous les
peuples… est un instrument sans nom, aux affectations ne dépendant que des
Etats-Unis. Un outil potentiellement mondial qui n’opère que peu. Pas de
réflexion donc sur la « gouvernance » et la démocratie planétaires.
Pas d’amélioration, mais au contraire
empirement du fonctionnement à huis clos de l’Union européenne. Coincidence du
traité de Marrakech avec la vague d’adhésion à l’Union européenne des pays
anciennement sous domination soviétique : des ouvertures et des
déréglementations qui ont déséquilibré l’Europe et fait des dumpings et des
délocalisations la règle partout et sur tous les continents.
La sécurité en Europe n’est plus menacée
par l’Allemagne comme pendant un demi-siècle mais elle a été dramatiquement
troublée, et le demeure par des contestations nationales, en faity des
sécessions, en mouvement inverse de qui bouleversa l’Allemagne. La dislocation
de la Yougoslavie
n’a pas encore fini de porter toutes ses conséquences, et la dissolution de
l’Union soviétique a libéré les avatars d’un nationalisme russe trop humilié
par la fin de l’empire soviétique pour ne pas soutenir un régime lui donnant
saatisfaction, fut-ce au prix d’une démocratie que l’empire des tzars n’a
jamais connu et qui ne laisse donc aucune mémoire ni nostalgie. Les remodelages
de la carte à l’est de l’Union européenne, de la Baltique à la mer Noire, ne
font sans doute que commencer. Les droits de l’homme, assurés dans l’Allemagne
de 1990 et depuis, ne le sont guère dans plusieurs pays d’Europe orientale.
Le chantier reste donc ouvert dans toute
l’Europe. L’événement du 9 Novembre 1989 peut indiquer la manière de le faire aboutir :
la volonté, mélange d’idéal et de sang-froid, de quelques hommes, Kohl et
Gorbatchev, comme naguère Robert Schuman, Adenauer, de Gaulle, peut fonder. Il
y faut aussi la matière : l’irruption des peuples. Il y eut cela en 1989.
Il le faut de nouveau.
La chute du mur de Berlin – décisive
pour l’Allemagne – n’a été qu’une des actualisations de la question d’Europe.
A laquelle nous continuons de si mal répondre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire