dimanche 9 novembre 2014

9 Novembre 1989 - chute du mur de Berlin






Chaque drame national dans le Vieux Monde
pose la question d’Europe





Je fais partie de la génération de l’après-Seconde guerre mondiale qui, en Europe, a vécu sur deux dogmes : l’Allemagne n’avait pas droit à son passé et devait se le faire pardonner, la division de l’Allemagne résultait de celle de l’Europe et sans être définitive pouvait durer interminablement. Né en 1943.

 Les études que j’ai faites : l’E.N.A. 1967-1968, et mon expérience professionnelle, comprenant deux séjours en Germanie : la Bavière en 1979-1982 et l’Autriche à partir d’Octobre 1988, me convainquaient que la situation héritée du partage de l’Europe et de la victoire relative de l’Est sur l’Ouest en Août 1961 quand fut édifié « le mur », après l’échec du blocus de Berlin-Ouest en 1948-1949, était finalement vivable. L’Allemagne de l’Ouest avec Willy Brandt faisait concession sur concession à Pankow pour une osmose des deux Républiques et donc une amélioration de la condition des Allemands sous régime communiste.

La réunification de 1989-1990 n’est que partielle. Un tiers ? un quart ? du territoire de 1913 est définitivement perdu : transferts de population en 1945 et traités de 1990. Les Allemands de ma génération, par leurs parents et grands-parents savent que Korolev a été le berceau de la Prusse (Koenigsberg) et que Wroclaw fut Breslau. Les démantèlements ont frappé plus encore l’Autriche des Habsbourg, qui a changé complètement d’Etat. L’Allemagne d’aujourd’hui a encore beaucoup de sa puissance d’autrefois. Deux hommes l’ont permis : Mikhaïl Gorbatchev qui a laissé escalader le fameux mur, puis a traité aux seuls plans économiques et de compensations financières non seulement la réunification mais la transgression décisive des conditions posées dès les années 1950 (le plan Rapacki) à celle-ci. L’Allemagne devait être neutre, elle continue, même augmentée de l’ancienne République démocratique, de faire partie de l’Alliance atlantique. Helmut Kohl qui a refusé que se pérennise un dualisme des Etats qu’aurait tempéré par la conversion de l’est au système économique de l’ouest.

François Mitterrand s’est trouvé à l’automne de 1989 dans la situation de Georges Pompidou vingt ans plus tôt. Ne pouvant empêcher l’irrépressible : la candidature britannique, l’absorption de la République orientale par l’occidentale, l’un et l’autre ont exigé l’Europe : résultat, Maastricht. Résultat mitigé. L’entrée de la Grande-Bretagne en 1973 n’a jamais été sincèrement jouée par ses dirigeants (le chèque-retour consentie à la longue à Margaret Thatcher en 1984) ni acceptée par son peuple. Le fonctionnement, l’identité, la défense de l’Europe en tant que telle n‘ont pas été eogansiés vraiment : une succession de nouveaux traités, Amsterdam, Nice, projet de Constitution, Lisbonne atteste que rien n’est abouti.

Le résultat est apparemment une hégémonie allemande dans les affaires européennes. Mais la dialectique a été bien plus diverse qu’il n’y paraît et la leçon vaut pour aujourd’hui. La chute du mur a fait la chute de l’Union soviétique, d’un système de contrainte, mais ces chutes ont emporté aussi une utopie ou une espérance, celle d’un régime social d’égalité de chances et de priorité à la satisfaction des besoins, le contraire des accaparements et des spéculations qui sont le fond du capitalisme. Celui-ci n’investit pas mais thésaurise, l’investissement est un  placement et la production ests considérée en termes de profit, non de satisfaction des besoins de l’homme. Il n’y a plus eu de contrepoids, notamment politique, syndical, idéologique au dogme capitaliste, devenu libéralisme par dévoiement de ce que le mot signifiait au XIXème siècle : libération et sauvegarde de l’acquis libertaire. Sans doute, le système de contrainte a-t-il pour une bonne part empêché la recherche et l’établissement de ce « monde juste » dont la majorité des hommes rêve, il a sans doute par la dialectique des équilibres et recours géo-stratégiques permis les décolonisations. Mais il est vrai que le libéralisme et le mondialisme ont permis – positivement – les « émergences » qui sont justice et ouverture pour les peuples, si accaparement et spéculation n’étouffent pas les fruits de la novation économique et des investissements concrets. L’événement de 1989 est donc mondial. Il est traité dans son moment en termes sécuritaires : les évacuations et « dédommagements » soviétiques, les traités et engagements limitant l’ancien Reich (confirmation de l’interdit nucléaire et de la ligne Oder-Neisse).

Mais les chances n’ont pas été saisies. La dissolution du pacte de Varsovie n’a pas fait reconnaître l’obsolescence de l’Alliance atlantique. Celle-ci dispense et empêche l’Union européenne de se vouloir une défense en propre. Et ce qui aurait pu devenir la matrice d’une force d’intervention et de sauvegarde mondiale sous l’autorité des Nations Unies elles-mêmes démocratisées pour être davantage qu’un agencement entre gouvernements, qui ne sont pas forcément représentatifs des peuples ni tous les peuples… est un instrument sans nom, aux affectations ne dépendant que des Etats-Unis. Un outil potentiellement mondial qui n’opère que peu. Pas de réflexion donc sur la « gouvernance » et la démocratie planétaires.

Pas d’amélioration, mais au contraire empirement du fonctionnement à huis clos de l’Union européenne. Coincidence du traité de Marrakech avec la vague d’adhésion à l’Union européenne des pays anciennement sous domination soviétique : des ouvertures et des déréglementations qui ont déséquilibré l’Europe et fait des dumpings et des délocalisations la règle partout et sur tous les continents.

La sécurité en Europe n’est plus menacée par l’Allemagne comme pendant un demi-siècle mais elle a été dramatiquement troublée, et le demeure par des contestations nationales, en faity des sécessions, en mouvement inverse de qui bouleversa l’Allemagne. La dislocation de la Yougoslavie n’a pas encore fini de porter toutes ses conséquences, et la dissolution de l’Union soviétique a libéré les avatars d’un nationalisme russe trop humilié par la fin de l’empire soviétique pour ne pas soutenir un régime lui donnant saatisfaction, fut-ce au prix d’une démocratie que l’empire des tzars n’a jamais connu et qui ne laisse donc aucune mémoire ni nostalgie. Les remodelages de la carte à l’est de l’Union européenne, de la Baltique à la mer Noire, ne font sans doute que commencer. Les droits de l’homme, assurés dans l’Allemagne de 1990 et depuis, ne le sont guère dans plusieurs pays d’Europe orientale.

Le chantier reste donc ouvert dans toute l’Europe. L’événement du 9 Novembre 1989 peut indiquer la manière de le faire aboutir : la volonté, mélange d’idéal et de sang-froid, de quelques hommes, Kohl et Gorbatchev, comme naguère Robert Schuman, Adenauer, de Gaulle, peut fonder. Il y faut aussi la matière : l’irruption des peuples. Il y eut cela en 1989. Il le faut de nouveau.

La chute du mur de Berlin – décisive pour l’Allemagne – n’a été qu’une des actualisations de la question d’Europe. A laquelle nous continuons de si mal répondre.


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