Pourquoi
le système politique français est à bout de souffle
« une » du Monde daté du mardi
14 Octobre 2014
I – Constat
Le président de la République omnipotent,
absorbant toutes les compétences gouvernementales et législatives. Davantage
par une surprésence médiatique, qu’il est pourtant maître de moduler – ce à
quoi François Hollande s’était engagé après avoir observé chez Nicolas Sarkozy
la confusion entre décider et communiquer – que par une véritable orientation
du pouvoir. Les entourages quotidiens selon l’organigramme de l’Elysée, ou
occultes, leur expression en propre sous le précédent mandat, continuée sous
l’actuel font chambre d’écho, la dégénérescence vécue ces dernières semaines se
traduit par des prises de parole non concertées de ministres, et les pouvoirs
publics au lieu de trancher ou de s’en tenir comme sous le précédent mandat à
l’énoncé de « pistes » en viennent aux « ballons d’essai »
et aux tâtons.
Un Etat diminué en prérogatives, bien davantage par
abstention dans les interrogations économiques et sociales, que par l’effet du
traité et des institutions de l’Union européenne.
Le pantomime de la décision en tout et la réalité
d’une impuissance des pouvoirs publics décrédibilise un système qui n’est ni
celui des partis (la Quatrième République),
ni celui de gouvernements en forme de commission parlementaire en constante
recomposition (la Troisième République),
ni celui fondé, voulu et pratiqué par le général de Gaulle, puis par ses trois
premiers successeurs (la Cinquième
République).
Nous sommes – de fait – dans une Sixième République.
L’ensemble de la vie politique est rigide selon un
socle établi en très peu de temps mais pour cinq ans. La coincidence à quelques
semaines près des élections présidentielle et législative, la même durée pour
les mandats en résultant bloquent les institutions sur un seul moment
d’origine. La coincidence des majorités présidentielle et parlementaire opère
la confusion des pouvoirs, le législatif ne contrôle pas l’exécutif car il en
dépend, les élus ne voient pas en conscience mais selon une obligation de
solidarité avec le gouvernement. L’opposition en tant que telle et les
ambitions personnelles aussi bien chez celle-ci que dans le parti au pouvoir se
concentrent sur l’élection présidentielle suivante. L’absence de contrôle au
présent, l’exonération de toute responsabilité du président régnant pendant son
mandat puis après que le pouvoir l’ait quitté, l’impossibilité pratique de
l’opposition parlementaire ou extra-parlementaire de peser sur les débats et à
plus forte raison sur les décisions donnent l’illusion de la puissance, alors
que le système n’a de prise que sur lui-même : le registre politique
résumé à la vie du seul parti le soutenant, et pas du tout sur l’ensemble de la
vie et des échéances nationales.
Le peuple est exclu du système. Le referendum est
refusé par le pouvoir en place – quel que soit le président – depuis 2005,
Nicolas Sarkozy n’en vantant les vertus que maintenant après l’avoir refusé
pour la ratification du traité de Lisbonne, notre réintégration dans l’OTAN,
pour la révision constitutionneelle de 2008 et François Hollande n’envisage de
referendum ni national ni local pour le refonte en territoires et en
compétences des collectivités locales, pas davantage pour la prochaine révision
constitutionnelle. La pétition – malgré la nouvelle lettre de la Constitution – à
propos du service public à l’occasion de changements de statut pour la Poste, n’a pas été
considérée.
L’impopularité – le désaveu populaire – et la
transgression, chaque semaine plus manifeste depuis le début de 2014, des
espérances qu’avait concrétisée la défaite du président sortant et l’élection
d’un candidat pour le changement, sont cyniquement devenus le support d’une
indifférence affichée du pouvoir pour les gouvernés. Le mépris croissant d’un
pouvoir pédagogue et catéchiste pour un peuple censé ne pas comprendre le monde
actuel caractérise des gouvernants autistes qui n’ont de pouvoir que le refus
d’entendre. Mais ces gouvernants, et singulièrement le président de la République, n’en
imposent plus à personne : c’est ce qu’ont montré, dès le premier automne
du quinquennat en cours, leurs timides pourparlers avec Peugeot et avec Mittal.
Le vase est clos. La société elle-même s’atomise, la
crise est palliée non par l’insurrection mentale ou la mobilisation à ciel
ouvert, mais par le quant-à-soi, l’absence de solidarité en complet contraste
avec l’ensemble du mouvement social depuis un siècle met face à face un peuple
de muets et un pouvoir sourd, sensible seulement au corps-à-corps , lequel ne
se pratique plus qu’en réunion fermée et par initiative corporatiste.
L’ensemble des institutions publiques qui chacune
avait sa dialectique et sa compétence propre, est devenu un jeu de rôles,
écartant de la scène – qui n’est plus que rituelle – les vivants que sont
aujourd’hui les seules entreprises. Divisés, les syndicats de salariés ne sont
pas davantage en prise avec le grand nombre que les élus le demeurent avec les
électeurs. Plus personne n’est représentatif en France aujourd’hui, quoiqu’en
droit presque tout soit électif. L’Etat, seule institution dont la compétence
était universelle dans notre pays depuis que celui-ci existe en tant que tel,
et qui soit mû par des élus, non des héritiers ou des cooptés, n’est plus
central qu’en apparence. Et l’actuel mandat autant que le précédent, continue à
expulser l’Etat de son rôle traditionnel exactement comme les Français sont
expropriés de leur patrimoine collectif, et même de leurs jeunes générations
soit par exclusion sociale et lacune d’intégration des nouveaux arrivants chez
nous ou sur le simple « marché du travail », soit par délocalisation
des actifs physiques ou immatériels et de la ressource humaine.
Le système n’est pas démocratique et il ne répond pas
du pays ni dans le moment, ni pour l’avenir. Les Français en ont pris
conscience. La vie collective n’a plus d’outil et elle n’est plus réglée.
Pour faire face à des crises politiques, financières,
économiques bien plus graves que notre situation actuelle, pour décoloniser, pour
se libérer-même, la France
avait pendant plusieurs décennies su faire son unité mentale et morale,
s’inventer des instutions pour la négociation, les mises en commun, les
projection. Elle est aujourd’hui gérée selon la boîte à idées, et concrètement
l’action du pouvoir en place – et dont chacun des ministres a une vie de plus
en plus brève, surtout dans des domaines où la continuité est décisive :
finances, éducation – ne consiste plus qu’à faire des lois, lesquelles sont des
catalogues, des compilations de promesses et intentions sans financement pour
ce qui s’établit, et sans efficacité normative.
Au mieux réactif et déploratif devant les
circonstances paramétrant notre vie nationale
Les institutions publiques constitutionnelles –
telles qu’elles sont pratiquées – ne
mobilisent plus, n’aident plus à discerner. Les manifestations d’opposition ne
concernent plus qu’un thème et non l’ensemble de l’évolution nationale, ainsi
celles dénonçant les projets puis les décisions sur le mariage et la conception
– si imposantes qu’elles aient été, leur objet était trop restreint pour donner
naissance à une nouvelle force politique, ou même faire clivage. Le mouvement
social ne s’exprime plus, ce qui prive le pouvoir et le peuple d’un des
dialogues les plus productifs en macro-économie et en orientation politique.
S’en faisant imposer par les acteurs économiques et financiers, le pouvoir ne
délibère ni avec le peuple ni même avec lui-même. Tous les témoignages
d’acteurs politiques convergent sur l’absence de collégialité et dynamique de
groupe au sein des gouvernements successifs depuis des années. Il n’y a
d’échange que dans le secret entre très peu de personnes, et jamais selon les
formes institutionnelles.
Des corruptions ou des indélicatesses avérées qui se
vérifient au plus haut niveau de l’Etat ou dans l’exercice de fonctions
détournées, pour spectaculaires qu’elles soient depuis une dizaine d’années,
éloignent moins les Français de la République actuelle que le vide de celle-ci et le
mélange d’improvisation et d’entêtement caractérisant les décisions et les
aboulies du mandat en cours à l’instar du précédent. Des démagogies et des
reculades ne pallient rien et confirment au contraire la sensation générale et
la réalité de « la politique du chien crevé au fil de l’eau ».
Les deux contestations en cours – l’une intérieure à
l’actuelle majorité (les « frondeurs ») et l’autre extérieure au
système (le Front national) – ont en commun avec les principales candidatures à
la prochaine élection présidentielle de ne rien analyser de la dégénérescence
de nos institutions pas plus d’ailleurs que de notre situation générale. Aucun
diagnostic n’étant posé, les remèdes ne peuvent être énoncés. Ils ne le sont
d’ailleurs par personne. Comme si le consentement à notre décérébration et à
notre démantèlement était général.
La tolérance pour ce que nous vivons et
l’identification erronnée que nous en faisons : nous ne savons pas dire
que nous ne sommes plus en démocratie mais en régime de contrainte, tant pour
nos fonctionnements que pour les thèmes de nos débats, nous empêchent de
remarquer que l’Union européenne est frappée par le même vice et que nos
anciens territoires de souveraineté coloniale en Afrique souffrent du même
empêchement à se développer et à employer leurs élites. Or, depuis les épreuves
de 1940-1945, paroxysme des régimes de contrainte, nous sommes – responsabilité
autant que gloire – en charge d’inspirer l’Europe et de conduire l’Afrique dite
d’expression française. Ne nous conduisant plus nous-mêmes, nous manquons
totalement à ces deux grandes entreprises.
Ce qui fait le souffle et l’efficacité d’un régime
politique, ce n’est pas un système reflétant un affaissement moral et
intellectuel, c’est la démocratie. Nous ne sommes plus en démocratie et toute
politique aujourd’hui le signifie, puisque plus rien n’est efficace.
suite à écrire dans la journée
de ce lundi
II – Genèse
III - Remède
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