LE MONDE | 21.01.2015 à 11h25 • Mis à jour le 06.07.2016 à 15h24 | Par Samuel Laurent et Alexandre Pouchard
Mercredi 5 juillet marque la fin, en France, du jeûne du ramadan, observé par les musulmans du monde entier. Pendant un mois, les fidèles musulmans se sont abstenus de manger, de boire et d'avoir des relations sexuelles durant la journée. En France, plusieurs millions de musulmans observent ce rituel. L'occasion de faire le point sur le poids, souvent objet de fantasmes, de l'Islam en France.
1. Combien de musulmans en France ?
A l'été 2014, un sondage de l'institut Ipsos Mori réalisé dans plusieurs pays montrait qu'à l'instar des Britanniques, les Français surestimaient fortement le nombre de personnes de confession musulmane en France : interrogés sur une estimation sur 100 personnes, ils répondaient en moyenne 23 %, alors que la bonne réponse était 8 %.2,1 millions ? En réalité, le chiffre exact est plus flou. La loi française interdit de recenser les populations par religion, ce qui empêche d'avoir un chiffrage précis. Néanmoins, nous disposons de quelques estimations. Ainsi, l'enquête « trajectoire et origines » menée par l'Insee et l'INED, sur la base de sondages, estimait les fidèles musulmans à 2,1 millions en 2008, contre 11,5 millions de catholiques, parmi la population de 18 à 50 ans. Un échantillon qui, pour les deux religions, ne compte donc ni les seniors, ni les mineurs.
3,9 millions ? Le chercheur Patrick Simon, de l'INED, évoque, en extrapolant les estimations sur les 18-50 ans à l'ensemble de la population, un chiffre un peu plus élevé : entre 3,9 et 4,1 millions de personnes en France seraient « musulmans », avec les mêmes réserves quant à cette appellation.
4 à 5 millions ? C'est le chiffre qu'on entend le plus souvent. Il provient du ministère de l'intérieur et n'est qu'une approximation assez floue : il s'agit d'une extrapolation tirée de l'origine géographique des populations. On pourrait donc dire qu'il compte les personnes de « culture musulmane », qu'elles soient ou non pratiquantes dans leur quotidien.
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Pour l'anecdote, un recensement effectué en 1906 avait estimé à environ 10 % la part des habitants de confession musulmane, soit environ 3,9 millions sur une population totale d'environ 39 millions de personnes. Ce chiffre s'explique par l'inclusion dans le recensement de l'Algérie, qui était alors une colonie française.
La dynamique est en revanche notable : le nombre de fidèles musulmans tend à augmenter depuis trente ans dans le pays, quand le nombre de catholiques connaît le mouvement inverse.
2. Quelle pratique de l'islam ?
Il faut également grandement relativiser la différence entre se déclarer croyant et pratiquer une religion. A l'instar des personnes se présentant comme catholiques, dont une partie seulement fréquente l'église chaque semaine, les musulmans sont peu nombreux à prier chaque jour ou aller chaque semaine à la mosquée.Selon une enquête de l'IFOP pour le journal La Croix en 2011, basée sur un cumul d'enquêtes précédentes, 75 % des personnes issues de familles « d'origine musulmane » (sic) se disaient croyantes. C'est davantage que la précédente étude en 2007 (71 %) mais moins que celle d'avant en 2001 (78 %). Cette variation, causée par l'aspect déclaratif de l'enquête, illustre la difficulté d'établir précisément le nombre de croyants.
La population se revendiquant musulmane est plus forte chez les immigrés et descendants de deux parents immigrés, qui sont également les deux catégories où l'on retrouve la proportion la plus faible de personnes se disant « sans religion ».
Religion selon l'origine
Population
de 18 à 50 ans, enquête Ined / Insee 2008
Sans
religionCatholiquesOrthodoxesProtestantsMusulmansJuifsBouddhistesAutresMoyenne
en Fr…ImmigrésDescendants d…Descendants d'…Population non…0255075100Enquête
"Trajectoire et origine", Insee/Ined, 2008
Dans le détail, 41 % des personnes « d'origine musulmane » se
disaient « croyantes et pratiquantes » (contre 16 %
chez les catholiques), et 34 % « croyantes mais non
pratiquantes » (57 % des catholiques), 25 % se disant « sans
religion ou seulement d'origine musulmane » (27 % des catholiques).
Seuls 25 % des interrogés disaient aller « généralement à la mosquée le
vendredi ».
Pratiques religieuses
déclarées par des croyants de deux religions
Sondage
IFOP - La Croix de 2011, cumul de 70 vagues d'enquêtes auprès de 950 personnes
Personnes de culture
musulmanePersonne de culture catholiqueCroyants et pratiquantsCroyants mais non
pratiqua…Sans religion / d'origine mu…01020304050Ifop
L'enquête montrait une hausse de la pratique du jeûne durant le mois de
ramadan, observé par 71 % des interrogés, contre 60 % lors d'une
enquête précédente en 1989. En revanche, seuls 6 % des interrogés disaient
avoir déjà effectué le pèlerinage à La Mecque, qui est l'un des piliers de la
religion musulmane.Autre indication intéressante de l'étude IFOP : un tiers des personnes « d'origine musulmane » disaient consommer de l'alcool, pourtant interdit par l'islam. A contrario, près des trois quarts des répondants disaient acheter « systématiquement » ou « de temps en temps » de la viande halal, abattue dans le respect des rites islamiques.
Dans son étude publiée en en 2010, l'INED avait observé « un clivage entre les groupes en lien avec des régions où l'islam est dominant et les autres ». « Non seulement les proportions de 'sans religion' sont plus faibles chez les immigrés qui viennent des régions islamisées, mais leurs descendants déclarent plus souvent une référence religieuse que les autres. La transmission semble plus fréquente dans les familles à dominante musulmane que dans celles inscrites dans le catholicisme, le protestantisme ou le bouddhisme. »
3. Combien de mosquées ?
Autre flou, celui qui règne sur le nombre de mosquées en France. Selon le ministère de l'intérieur, on recensait, en 2012, 2 449 lieux de culte musulman dans le pays, dont 318 en outre-mer. Le ministère donnait une estimation de la progression de ce nombre de lieux, qui a doublé depuis 2000.
Nombre de lieux de culte
musulmans en France depuis 2000
Estimations
du ministère de l'intérieur
Lieux de
culte200020022004200620082010201205001000150020002500Ministère de l'intérieur
Néanmoins, un lieu de culte n'est pas une mosquée. Pour l'essentiel, les
musulmans français prient dans des salles discrètes, même si on constate depuis
la fin des années 2000 une vague de constructions de mosquées plus visibles. On
comptait en 2009 seulement 64 mosquées dotées de minarets pour près de 2
500 lieux de prière, soit 2,5 % environ, bien loin du symbole que
représentent ces tours pour certains.1/1 200 Si on rapporte le nombre de pratiquants de l'islam au nombre de lieux de culte, on arrive à un rapport significatif : si on compte 3 millions de pratiquants musulmans, on parvient à un lieu pour 1 200 fidèles. Si on compare avec le catholicisme, on recense environ 40 000 églises en France, pour 11 millions de catholiques pratiquants, soit une église pour 275 fidèles.
4. Combien de musulmans « radicaux » ?
Parmi ces millions de musulmans, combien sont « radicaux » ? Il faut déjà s'entendre sur le sens du mot « radical ». Il existe en effet plusieurs pratiques de l'islam, et plusieurs écoles.On estime en général que les plus rigides dans la pratique sont les salafistes sunnites, adeptes d'un mouvement qui prêche un retour à l'islam « des origines ». Financé par les monarchies du Golfe, le prosélytisme salafiste a permis à ce mouvement de conquérir des fidèles depuis une vingtaine d'années en Europe, voire d'imposer certaines pratiques, comme le voile intégral.
15 000 En 2012, le sociologue Samir Amghar, spécialiste de la question, expliquait notamment dans La Dépêche que « selon les renseignements généraux, les salafistes sont entre 12 000 et 15 000 en France ». Le chiffre correspondait donc à un salafiste pour environ 200 pratiquants musulmans en France.
image: http://s1.lemde.fr/image/2015/01/20/534x0/4559981_5_13e5_quel-part-de-l-islam-radical-en-france_01147aac8f2baae6b464415ed9af3fb5.png
On peut comparer ces chiffres à ceux du nombre de personnes « impliquées » dans des filières djihadistes, c'est-à-dire partis combattre en Syrie, désirant y partir ou aidant à organiser des départs. Selon Bernard Cazeneuve, ils seraient au total environ 2 000 soit 0,075 % des personnes pratiquant l'islam.
4 000 Nombre de fantasmes existent également concernant les conversions à l'islam. Là encore, il n'existe que peu de chiffres fiables sur le sujet. Bernard Godard, consultant pour le ministère de l'intérieur et des cultes, estimait en 2012 qu'il y avait environ 4 000 conversions en France chaque année, et autour de 100 000 personnes élevées dans des familles de culture chrétiennes qui se seraient converties.
5. Halal, voile : une jeunesse plus revendicative
Les spécialistes de l'islam soulignent d'autres éléments qui peuvent expliquer les peurs et les fantasmes. Les pratiques de l'islam acquièrent, spécialement auprès des jeunes générations de musulmans, une visibilité nouvelle, du fait de pratiques, notamment issues du salafisme, comme le port du voile intégral dans la rue, ou des revendications autour du voile à l'école.L'émergence d'une filière halal est également une composante de cette visibilité croissante. Selon un cabinet spécialisé, Solis, ce marché était, en 2013, de 5,5 milliards d'euros, en forte croissance depuis plusieurs années. Il était surtout concentré sur la viande, qui représente 88 % du chiffre d'affaires du secteur.
En 2013, Hugues Lagrange, sociologue au CNRS, publiait une étude qui montrait que cette affirmation plus forte de la pratique et de l'identité musulmane était surtout le fait des jeunes. « La résurgence des pratiques cultuelles et la religiosité augmentent chez les immigrés venus en France avant l'âge de 16 ans et chez les Français descendants d'immigrés, mais pas chez les immigrés arrivés à l'âge adulte », expliquait-il. Pour le sociologue, c'est le résultat d'un « sentiment de relégation sociale » qui favorise l'émergence d'une culture de l'islam rigoriste parfois opposé aux valeurs de la République.
Selon son étude, 90 % des 18-25 ans respectaient les prescriptions alimentaires musulmanes et le ramadan, soit plus que leurs aînés. Une conclusion qui avait posé question, et qui rejoignait d'autres études, tendant à montrer que les musulmans « qui vivent dans les "quartiers immigrés" sont sensiblement plus religieux que ceux qui sont dispersés dans des "quartiers mélangés" » ou ceux issus de couples mixtes. Une conséquence, pour lui, de l'échec de l'intégration : « Pour les jeunes ayant réussi leurs études ou vivant loin des cités, l'islam est un islam d'Europe, plus moderniste, marqué par une foi plus personnalisée. »
Lire aussi nos débats : Un islam à réformer ?
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