LE MONDE | 27.09.2016 à 05h36 • Mis à jour le 27.09.2016
à 12h22 | Par Mattea Battaglia et Aurélie
Collas
Ce n’est pas la faute de l’enseignement privé, dont la responsabilité a encore été pointée du doigt, récemment, dans nos colonnes, par l’économiste Thomas Piketty, en tout cas concernant Paris. Pas non plus celle des stratégies familiales ou de la crise économique. Ce vaste travail met en cause trente ans de politiques éducatives qui, au lieu de résorber les inégalités de naissance, n’ont fait que les exacerber.
Lire aussi : Ecole :
des inégalités profondes et persistantes
On le sait maintenant depuis plusieurs années : d’élève moyen dans les
années 2000, l’école française est devenue la plus inégalitaire de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’enquête
internationale PISA, dont on attend la prochaine mouture en décembre, vient le
rappeler tous les trois ans. Baisse des résultats des élèves défavorisés,
amélioration du niveau des élites : le fossé se creuse.La politique des ZEP en cause
Et c’est là une singularité française : la plupart des pays, à commencer par l’Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis, un temps considérés, eux aussi, comme très inégalitaires, ont su mener, ces quinze dernières années, des politiques volontaristes. Encaisser le « choc PISA » et en tirer des conséquences. Pas la France.La synthèse du Cnesco détaille une « longue chaîne de processus inégalitaires » qui se cumulent et se renforcent à chaque étape de la scolarité : inégalités de traitement, inégalités de résultats, inégalités d’orientation, inégalités d’accès au diplôme et même inégalités d’insertion professionnelle. Limités à l’école primaire, les clivages explosent à partir du collège. C’est, par exemple, à ce niveau-là de la scolarité que les élèves des établissements les plus défavorisés, en fin de 3e, ne maîtrisent que 35 % des compétences attendues en français contre 80 % pour les élèves scolarisés dans un contexte privilégié. A même niveau scolaire, les premiers ont deux fois moins de chances d’intégrer le lycée général.
Voilà pour le diagnostic. Mais le Cnesco va au-delà en interrogeant les responsabilités. En premier lieu, la politique des ZEP en prend un coup. Fondée en 1981 sur le principe de la discrimination positive – « donner plus à ceux qui ont moins » –, l’éducation prioritaire aboutit, aujourd’hui, à produire de la discrimination négative : on donne moins à ceux qui ont moins. « Au départ pensé comme temporaire, le dispositif s’est étendu, les moyens se sont dilués, avec des effets de stigmatisation assez forts : dès lors qu’un établissement passe en éducation prioritaire, il y a une désertion des familles pour scolariser leur enfant dans un autre collège », résume Georges Felouzis, sociologue à l’université de Genève.
En éducation prioritaire, la taille des classes n’est pas suffisamment réduite pour avoir un impact : seulement 1,4 élève en moins au primaire ; 2,5 élèves de moins au collège. Les enseignants y sont moins expérimentés : 17 % ont moins de 30 ans dans le secondaire, contre 9 % hors éducation prioritaire. Et beaucoup ne font qu’y passer.
Réquisitoire sévère
Mais là où un tabou tombe, c’est sur la qualité et le temps d’enseignement dispensés. Ainsi, au collège, les enseignants de ZEP estiment consacrer 21 % du temps de classe à « l’instauration et au maintien d’un climat favorable », contre 16 % hors de l’éducation prioritaire et 12 % dans le privé. C’est autant de temps en moins consacré à l’enseignement. Les 4 heures de français par semaine programmées en 3e deviendraient 2 h 30 en ZEP, 2 h 45 hors ZEP et 3 heures dans le privé. Problèmes de discipline mais aussi exclusions, absences d’élèves et d’enseignants pèsent sur les emplois du temps.Qualitativement aussi, le réquisitoire est sévère. « Les élèves de milieux défavorisés n’ont pas accès aux mêmes méthodes pédagogiques que ceux de milieux favorisés, souligne la sociologue Nathalie Mons, présidente du Cnesco. En mathématiques, par exemple, les tâches sont moins ambitieuses, les attentes plus basses, l’environnement pédagogique moins porteur. » Et cette différence de traitement est plus importante en France qu’ailleurs.
Pour réduire son noyau dur d’échec scolaire, la France a, au fil du temps, toujours avancé les mêmes recettes par-delà les alternances politiques : plans de relance de l’éducation prioritaire, dispositifs dits de « compensation », ou encore formes diverses d’aide individualisée. Peu efficaces, ces aides ont été malgré tout reconduites dans le temps, faute d’évaluation, explique Nathalie Mons.
Pas de mixité sociale
L’organisme qu’elle préside en a dressé une frise chronologique impressionnante : depuis le « soutien aux élèves » de 6e et 5e institué en 1977, jusqu’à « l’aide personnalisée » instaurée par la réforme du collège de 2016, en passant par « l’aide individualisée » dans les années 1990-2000, l’aide au travail personnel, etc. Leur limite est qu’elles « travaillent à la marge de l’école et des heures de cours, soutient le Cnesco, sans changer le quotidien des élèves ni insuffler une véritable pédagogie différenciée au sein de la classe ».Que penser de ce qui se joue depuis le début du quinquennat, alors que la lutte contre les inégalités a été inscrite au cœur de la loi de refondation de l’école en 2013 ? Si le Conseil reconnaît des orientations « encourageantes » – scolarisation des enfants de moins de 3 ans, nouveaux programmes, heures consacrées au travail en petits groupes dans le « nouveau collège » –, il regrette « un défaut de mise en œuvre ».
Surtout, toute politique restera peu efficace si « les écoles et les collèges les plus ségrégués ne font pas l’objet d’une politique volontariste de mixité sociale », estime le Cnesco. Or, la lutte en faveur de la mixité reste le grand absent des politiques scolaires depuis trente ans. Et ce ne sont pas les expérimentations à petite échelle engagées en fin de quinquennat, dans une vingtaine de territoires volontaires, qui sont de nature à amorcer un virage.
- Aurélie Collas
Journaliste au Monde - Mattea
Battaglia
Journaliste au Monde
Vos réactions (158) Réagir
Ben Pierre 27/09/2016 - 16h52
Un sujet que n'aborde pas cet article mais qui est également une conséquence
directe de l'état du système éducatif : la déscolarisation. Une déscolarisation
coûterait entre 200 et 300 K€ à la collectivité : délinquance, drogue, alcool,
chômage, maladie. il y a urgence à se bouger !
Jean-Albert Camus 27/09/2016 - 16h02
Rousseau ? Voltaire ? Il faudra un jour écrire un nouveau "Discours de
l'inégalité"... Et se demander modestement pourquoi l'inégalité semble
"naturelle", donc acceptable, quand elle concerne le corps ("Mon
fils est nul en EPS, mais c'est pas grave"). Et pourquoi, en revanche,
elle semble socialement construite, donc injuste, quand elle concerne les
capacités intellectuelles ("Mon fils est nul en maths, la France et les
enseignants en sont coupables")... Toute argumentation est la bienvenue.
Jean-Albert "De qui se moque-t-on" Camus 27/09/2016 - 16h20
Première contribution : "Comment la société française aggrave-t-elle
les inégalités sociales ?" Chap. 1 : mise au chômage massive des
travailleurs. Chap. 2 : appauvrissement organisé de couches de plus en plus
vastes de la société. Chap. 3 : comment le patronat depuis 1970 exige une
immigration, y compris illégale. Conclusion partielle : la société est CONçUE
COMME inégalitaire, féroce, et seule l'Ecole doit être SOCIALE et réparer les
inégalités fabriquées par ailleurs. Hypocrisie politique ?
Nicholas Maqiavel 27/09/2016 - 15h35
@Francis K. Vous avez parfaitement raison : le collège doit assurer
l'enseignement primaire, le lycée celui du collège (c'est déjà passablement le
cas!) et le supérieur celui du lycée (on y donne déjà des cours d'orthographe,
n’est-ce pas ?) Avec ce système on aura un peu de peine à monter dans les
classements internationaux, non ? Jadis les profs de collèges étaient issus de
la filière "écoles normales" aujourd'hui ce n'est plus le cas, ils ne
sont pas du tout formés pour le primaire.
Pascal 27/09/2016 - 15h34
Autre question sans réponse : les moyens supplémentaires à l'école ont-ils
déjà amélioré les résultats des élèves en difficulté ?
Pascal 27/09/2016 - 15h27
Autre question sans réponse : les moyens supplémentaires à l'école ont-ils
déjà amélioré les résultats des élèves en difficulté ? Ou ya-t-il d'autres
explications, comme l'implication des parents ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire