HYB
Hedy Belhassine
vendredi 6 mars 2015
Yémen. Les dernières nouvelles de demain...
http://hybel.blogspot.fr/2015/03/yemen-les-dernieres-nouvelles-de-demain.html
Il y a tout juste trente ans, le
Yémen était deux. Celui du Nord était capitaliste, celui du Sud était
communiste. Avant garde de la pérestroïka de Moscou, les camarades d'Aden
voulaient s'ouvrir au monde. Les conservateurs s'y opposaient farouchement. Un
jour, en pleine réunion du Comité central les pistolets prirent la parole.
Immédiatement,
la ville s'embrase, l'armée se divise et s'affronte. Aden est à feu et à sang.
La bataille dure une semaine, le temps d'épuiser les stocks de munitions. Dix, vingt,
trente mille morts ? Qui les a comptés ? Ils étaient tous yéménites. Pas
un seul étranger.
Devant
l'aéroport où étaient retranchés des Français, un capitaine de blindé cria dans
la radio « cette guerre ne regarde que nous » , et les belligérants
allèrent se faire tuer plus loin.
A
l'ambassade de France, les provisions étaient abondantes, mais l'eau était
coupée, alors celle des climatiseurs fut récoltée. Un soir, à la faveur d'un
cesser le feu précaire, la petite colonie étrangère de quelques centaines
d'européens se rassembla sur une plage. Les forces spéciales britanniques
réussirent à les recueillir sur le yacht de sa gracieuse majesté le Britannia qui
par un singulier hasard croisait dans les parages. Puis, au large, les Français
furent transférés sur le Jules Verne qui alla les débarquer
dignement à Djibouti. L'épisode diplomatique n'était pas glorieux, mais
l'honneur tricolore était sauf.
Les
choses rentrèrent dans l'ordre. Les staliniens avaient gagné. Le Kremlin
entérina la victoire des marxistes dissidents dont la coalition tribale était
la plus puissante. Gorbatchev avait perdu sa première bataille du feu. Les
chancelleries étrangères regagnèrent Aden. La communauté internationale oublia
bien vite.
Aucun
diplomate ne pouvait alors imaginer que cet épisode tragique était l'un des
premiers signes avant coureur de l'effondrement de l'empire soviétique. Le mur
s'était fissuré à Aden avant de tomber à Berlin quatre ans plus tard.
Les
Yéménites sont des marins téméraires et des montagnards farouches. Ils sont
fiers et têtus comme les Corses ; pragmatiques et malins comme les
Limousins. Ils ont été les premiers à se convertir à l'islam, à participer aux
conquêtes arabes, à se libérer des dominations coloniales. Dans le monde arabe
le rayonnement de la civilisation du Yémen – qui possède des bibliothèques
vieilles de dix siècles – contraste avec celui de son misérable PIB.
C'est
sans doute pourquoi, la splendide contrée de la légendaire reine de Saba est un
pays oublié. C'est un grand tort.
Réunifié
en 1990, le Yémen compte aujourd'hui environ 30 millions d'habitants parmi les
plus pauvres de la planète.
Pour
leurs malheurs, ils ont comme voisins le désert des Saoudiens et la mer des
requins. L'endroit est stratégique. Bab El Mandeb, la porte des lamentations,
est le détroit qui commande le commerce maritime entre l'Asie et l'Europe. De
surcroît, le Yémen a du gaz et du pétrole, mais il est exploité avec parcimonie
et circonspection pour ne pas concurrencer les Saoudiens qui se considèrent
propriétaires de leur arrière pays.
Il y a
quinze ans, en décembre 2000 un destroyer de la marine des USA qui mouillait à
Ma'alla le port d'Aden était la cible de commandos : 17 morts, 50 blessés.
L'Amérique fut sidérée. Depuis Pearl Harbor nul n'avait osé lui lancer un
pareil affront.
Alors,
les policiers du dictateur local furent encouragés, le peuple yéménite souffrit
davantage, mais qui s'en soucia ? La psychose du drone s'installa. Les
avions invisibles et sans pilotes traquèrent les terroristes. Quelques beaux
succès opérationnels, de nombreuses bavures. Un désastre pour la population
condamnée à mendier des emplois humiliants dans les monarchies voisines.
En
fait, l'attaque de USS Cole était le signal précurseur d'une
guerre dont on ne percevra l'ampleur que dix huit mois plus tard le 11
septembre 2001 à New York.
Après
ce second épisode prémonitoire, le Yémen a tenté de subsister. Dans la foulée
des printemps arabes il a réussi à se débarrasser de son Président cleptomane,
le colonel Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis plus de 20 ans par la grâce de
la complaisance internationale qui lui a permis d'amasser pour sa retraite une
cinquantaine de milliards de dollars selon des experts en filouterie.
Las,
toutes les tentatives d'instauration d'une démocratie parlementaire durable ont
été malmenées par l'instrumentalisation de l'étranger qui a envenimé à souhait
les rivalités confessionnelles.
Les
yéménites sont musulmans chiites de rite zaïdite à 45% et sunnite pour le
reste ; une forte proportion de la population est laïque. Tous mâchonnent
le qat, une plante euphorisante pas vraiment halal.
Cette
cohabitation n'a jamais posé de problèmes sérieux, sauf aux puissants voisins
saoudiens qui inlassablement et par tous les moyens y compris par l'action
interposée d'Al Qaïda cherchent à les convertir au wahhabisme.
Depuis 2004, l'armée saoudienne
assistée de la logistique US et européenne a tenté de dominer la tribu zaïdite
des Houthi à la frontière. Bilan : 10 mille morts contre deux centaines.
Les chiites n'ont pas cédé un pouce de terrain. Le mois dernier, à la faveur de
la chienlit, et d'un projet de réforme qui leur était défavorable, ils ont
marché sur la capitale Sanaa. Président, gouvernement ont démissionné avant
d'aller se réfugier à Aden, la seconde ville du pays.
Alors,
en signe de mauvaise humeur ou de défi, les USA, l'Arabie, les Emirats, la
Grande Bretagne ont fermé leur ambassade. La France a manqué l'occasion de se
distinguer, elle a précipitamment rapatrié tous ses diplomates, abandonnant la
défense de ses intérêts à l'ambassadeur du Maroc resté sur place. C'est une
sage précaution car il est probable que les plénipotentiaires marocains seront
bien plus adroits que ceux du Quai d'Orsay pour démêler la crise diplomatique
aigüe qui pointe.
Le
pétrolier Total est en effet le premier opérateur du Yémen. La partition de
fait du pays place l'entreprise française dans une posture de négociation
délicate car en raison de la dispersion de ses installations sur le territoire,
il lui faudra s'entendre avec toutes les factions.
A Aden
les envoyés spéciaux de la communauté internationale affluent pour tenter de
démêler l'imbroglio. Les pétro-monarchies du golfe promettent des armes et des
millions, les tractations vont bon train. Al Quaïda vient de libérer un vice-consul
saoudien qu'elle détenait depuis trois ans, et pour faire bonne mesure un
Iranien. Reste l'otage française Isabelle Prime.
À
Sanaa, Abdelkader Al-Houthi, le leader des insurgés dont les ancêtres ont régné
pendant des siècles a signé un accord pour organiser un pont aérien avec
Téhéran et il menace d'appeler l'aide de la Russie.
Tous
les ingrédients sont réunis pour une déflagration majeure ou un revirement
d'alliance dans une union salutaire. Une nouvelle fois, le drame du Yémen est
prémonitoire de la bascule de l'Histoire contemporaine.
Mais
que va t-il se passer et jusqu'où portera l'onde de choc ?
Jadis,
une célèbre éditorialiste commençait toujours son émission à la radio par
« attendez-vous à savoir... »
Décidément,
Geneviève Tabouis nous manque.
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