LE MONDE | 21.06.2016 à 09h53 • Mis à jour le 22.06.2016 à
07h59 | Par Philippe Dagen
Lire le compte-rendu : Le
temps d’un vernissage, la « Chiraquie » reverdit
Deux histoires, l’une personnelle, l’autre commune, sont tressées ensemble.
La personnelle passe, plus ou moins vite selon les cas, sur l’enfance, la
formation et la carrière : ministères, élections et Elysée. Dans ce récit,
la politique intérieure s’éclipse derrière les affaires étrangères. Le parti
pris est habile car Jacques Chirac a connu, autant que ses prédécesseurs et
successeurs, grèves et mauvaises passes, dont rien n’est mentionné.Mais la préférence accordée à l’action internationale se justifie par un autre argument, plus convaincant : cette action a touché à maintes reprises aux questions culturelles, l’intérêt de Jacques Chirac pour ce qu’on a longtemps appelé le « tiers-monde » étant indissociable de ses curiosités pour les arts d’ailleurs. Et c’est là l’autre histoire qui est racontée simultanément : celle de la progressive, si progressive, reconnaissance par l’Occident de ce qui n’est pas occidental. Antiracisme, anticolonialisme, négritude, droit des peuples à l’autodétermination, développement des sciences anthropologiques et ethnographiques forment un contexte politique et intellectuel auquel l’étudiant Chirac est sensible.
Dans chacune des sections, des textes se font donc face, les uns racontant sa vie, les autres définissant l’époque. Les documents photographiques qui montrent voyages, rencontres, conférences ou discussions « au plus haut niveau », comme on dit, sont insérés dans une trame où Aimé Césaire, Michel Leiris, la collection ethnographique « Terre humaine » fondée par Jean Malaurie en 1955, André Malraux et Claude Lévi-Strauss sont autant de repères. De façon inattendue, l’exposition tourne ainsi à la leçon d’histoire institutionnelle et culturelle française.
Substances hallucinogènes
Elle remet en lumière des noms négligés, tel celui de Michel Guy, actif secrétaire d’Etat à la culture de juin 1974 à août 1976, Jacques Chirac étant premier ministre. Elle cite des événements oubliés, comme la mutation du Musée des colonies en Musée des arts africains et océaniens – en 1960, il était temps… D’autres sont mieux connus : l’installation du Musée des arts et traditions populaires au bois de Boulogne en 1972, l’ouverture de celui des Arts africains, océaniens et amérindiens à Marseille en 1992, l’action continue en faveur des Musées Guimet et Cernuschi – la Chine, le Japon, passions chiraquiennes – ou, en 1994, l’extravagante inauguration au Petit Palais de l’exposition consacrée aux Taïnos, peuple des Antilles exterminé par les conquérants du Nouveau Monde. On y entendit le maire de Paris d’alors détailler les pratiques vomitives et la consommation de substances hallucinogènes préalables à la communication des caciques avec les esprits. De la part d’un candidat à la présidence de la République, c’était risqué. Il l’était encore plus que dénoncer, comme il le fit alors, le massacre des Indiens « au nom de la prétendue supériorité de notre religion ».
Lire le post de blog : Chirac au musée mais plus que jamais d’actualité
Les œuvres d’art de toutes époques et origines associées à ces chapitres
valent pour leur splendeur particulière, mais, plus encore ici, pour les
voisinages symboliques qui les réunissent. Une tête funéraire de terre cuite
akan du Ghana a pour compagnes de vitrine trois autres têtes, un marbre
byzantin, une pierre romane et un Bouddha du Gandhara de schiste gris. Elles
sont toutes admirables et s’entendent admirablement bien. Leur proximité a pour
fonction d’énoncer le principe d’égalité entre les peuples que Jacques Chirac a
défendu dans maints discours : toutes les civilisations doivent être
considérées avec la même attention et le même respect. Il n’y a pas de
« primitifs » et encore moins de « sauvages » : il y a
des formes différentes, mais d’un intérêt égal. La démonstration est répétée
dans l’exposition aussi souvent que nécessaire. Elle inclut les peuples
d’Afrique et d’Océanie, les Inuits, les Indiens des plaines américaines ou
encore les antiques civilisations gauloise, chinoise et égyptienne. Les
analogies formelles se rient des dates : L’Homme qui marche
d’Alberto Giacometti est le frère d’un Egyptien marchant du IVe siècle
avant notre ère dont on ne saura jamais qui le sculpta dans le bois.Une lutte de seize ans
Jean Dubuffet, Martial Raysse, Jacques Villeglé, Adel Abdessemed et Kader Attia sont ici aussi, avec des œuvres qui font écho à des moments du siècle, guerre d’Algérie ou du Vietnam, mémoire enfin ressuscitée des « troupes coloniales » envoyées au massacre pendant la première guerre mondiale. La présence de ses œuvres intrigue d’abord, Jacques Chirac n’ayant pas manifesté pour l’art de son temps une prédilection comparable à celle de Georges Pompidou. Mais une autre comparaison vient à l’esprit. Sans doute est-ce un héritage de la monarchie, mais, en France, les grandes décisions culturelles ne se prennent qu’au plus haut de l’Etat, quand, aux Etats-Unis par exemple, elles relèvent de l’initiative privée et du mécénat. Pour imposer à Paris un lieu pour l’art vivant et une architecture provocante, il fallut l’autorité d’un président de la République. Sans Georges Pompidou, pas de Beaubourg. Sans François Mitterrand, pas de Grande Bibliothèque. Et de même, sans Jacques Chirac, pas de Quai Branly.
Dans ce récit, la politique intérieure
s’éclipse derrière les affaires étrangères
En 1990, il rencontre le marchand et spécialiste des arts africains
Jacques Kerchache, dont il connaît les travaux et qui milite alors depuis
longtemps pour la reconnaissance artistique, et non plus exclusivement
ethnographique, des arts non occidentaux. Kerchache veut y intéresser François
Mitterrand, mais sans succès. En Jacques Chirac, il trouve son allié pour une
lutte qui durera seize ans, le musée étant inauguré en 2006.Lutte est-il un mot exagéré ? Il suffit de se souvenir de la résistance obstinée que les conservateurs du Louvre ont opposée jusqu’en 2000 à l’ouverture d’une section des arts lointains – même très réduite, même isolée au pavillon des Sessions – pour le maintenir : il y a eu combat et il n’a cessé que quand le premier personnage de l’Etat a imposé qu’il finisse. On aimerait être sûr que le principe de l’égalité entre les cultures est aujourd’hui admis universellement. On aimerait, mais on ne le croit pas. On aimerait aussi que la tradition des présidents de la République sensibles à leur responsabilité culturelle n’ait pas été interrompue après Jacques Chirac. On aimerait, mais on ne le croit pas non plus.
1/13
Pour célèbrer l’implication de l’ex-président de la République (1995-2007)
dans la création de ce musée des arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques,
l’établissement a été rebaptisé « Quai Branly – Jacques Chirac ».
Ici, l’ex-président, le 20 juin 2006, lors de l’inauguration du lieu.
FRANÇOIS MORI/AFP
« Jacques Chirac ou le dialogue des cultures »,
Musée du quai Branly, 37, quai Branly, Paris. Jusqu’au 9 octobre. Mardi,
mercredi et dimanche de 11 heures à 19 heures, jusqu’à 21 heures
du jeudi au samedi. Sur le Web : www.quaibranly.fr
- Philippe
Dagen
Journaliste au Monde
Vos réactions (18) Réagir
Electeuron libre 18/09/2016 - 21h40
Quand je vois le fiel se répandre en ressortant des histoires vieilles d'il
y a 30 ans je me dis quand même que tout est bon pour taper ....alors pour
faire bon poids avec les années Mitterand parlons d'Urba Graco, du Rainbow
Warrior, du Rwanda, des liens avec Vichy, mais ne mentionnons surtout pas la
culture encyclopédique de ce lettré. Tout ça pour dire que rien n'est binaire,
que l'on peut parler des qualités d'un homme dans un domaine sans le
panthéoniser, c'est ce que fait cet article.
Pied de nez 22/06/2016 - 14h21
Photo 7 : ces masques ressemblent à sa marionnette des Guignols de l'Info.
Lo 22/06/2016 - 15h01
Tout le monde l'a remarqué, et c'est assez rigolo, mais apparemment Ph.
Dagen met un point d'honneur à ne pas le mentionner.
Ph 21/06/2016 - 17h15
Très bien le Musée mais Chirac a été aussi malheureusement une sorte de roi
fainéant qui nous a fait "perdre" 10 ans dans un monde qui change. On
aurait pu appeler ce Musée, le Musée du "Vrai Branleur" !
La Corrèze avant le Péloponnèse 21/06/2016
- 16h47
45 ans après avoir été ministre de l'agriculture, Chirac est encore et
toujours acclamé au Salon de l'Agriculture; Plus aucun homme politique français
de droite ou de gauche ne réaliserait en 2016, le grand chelem à Paris (20/20
arrondissements); en vrai Gaulliste, Chirac nous a évité le fiasco moral de la
guerre en Irak (contrairement à T.Blair, le modèle de Valls)...Cela fait déjà
pas mal pour un homme politique. Sur le plan culturel, Chirac est un
spécialiste reconnu des Arts Premiers.
Lo 21/06/2016 - 23h01
Mais le fiasco moral du financement du RPR par la Ville de Paris, celui du
vote de 2002 confisqué, détourné au profit de son parti unique de la droite et
de ses copains, ces fiascos-là, ainsi que quelques autres (les frais de bouche
: rien d'un "vrai gaulliste" sur ce plan!), il ne nous les a
certainement pas évités. Quant au terme de "spécialiste", il est fort
exagéré : disons connaisseur.
Chirac le cuistre 21/06/2016 - 14h09
C'est aussi Chirac qui voulait une voie express rive gauche le long de la
Seine, qui a avalisé la destruction des halles de Baltard pour faire place à un
monstre en béton, qui était de ceux qui voulaient détruire la gare d'Orsay
sauvée par Giscard, qui voulait reproduire le pont des Arts dans un jardin
japonais à Kyoto, projet empêché grâce à une mobilisation au Japon et en
France,. Comme quoi la cuistrerie fait bon ménage avec un relativisme culturel
d'affichage.
Serge K 21/06/2016 - 17h04
Merci de me rassurer! Je me sentais bien seul a flairer l' imposture. Il
faut dire qu' en la matière , Chirac est champion toutes catégories. Il eut
fait sa carriere comme directeur de musee que notre destin en eut ete change (
en bien)
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