jeudi 22 septembre 2016

Rafale, 27 ans d’attente - rétrospective . Le Monde.fr 12 Février 2015



LE MONDE ECONOMIE | 12.02.2015 à 18h10 • Mis à jour le 13.02.2015 à 09h33 | Par Dominique Gallois
 
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Entre 2014 et 2019, Dassault Aviation fabriquera 66 Rafale.
Le contrat conclu avec l’Égypte, pour l’achat de 24 avions, marquera-t-il la fin de la malédiction du Rafale ? Trop cher, trop sophistiqué, invendable… Rarement un avion de combat dans le monde aura été autant sous le feu de critiques virulentes. Des critiques émanant, bien souvent, de son pays d’origine.
Le Rafale était même devenu un sujet de plaisanterie récurrent quand était évoqué un probable contrat à l’exportation. Il faut dire que les six échecs subis en quinze ans à l’étranger (de Singapour à la Corée du sud, en passant par le Maroc ou les Pays-bas) avaient de quoi susciter la défiance face à cet appareil conçu par Dassault Aviation.
L’avion a d’ailleurs, très rapidement après son lancement, en 1988, été relégué au rang des grands programmes français prestigieux doté des technologies de pointe mais sans débouché, à l’image du Concorde, du TGV, ou de l’EPR nucléaire.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir reçu le soutien des chefs d’Etat successifs. Tour à tour Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François hollande ont ainsi fait la promotion du Rafale, la vente d’un avion de combat étant d’abord un acte politique.
Les revers enregistrés à l’export ont été d’autant plus cuisants qu’au même moment l’avion de combat ne cessait de faire la démonstration de ses compétences sur les terrains de conflit, que ce soit en Libye, au Mali, en Irak ou en Afghanistan.
Le Rafale est le sixième avion de chasse conçu par Dassault Aviation depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. L’avionneur avait pour habitude de lancer un nouveau modèle tous les dix ans, partant du principe que la vie d’un appareil se décline en trois temps sur ses trente années de vie : dix ans pour monter en puissance, dix pour la maturité et dix pour gérer la fin de carrière en lançant des dérivés.
C’est ainsi que l’industriel a lancé successivement l’Ouragan (1949), le Mirage III (1956), le Mirage-IV (1964), le Mirage F1 (1973) et le Mirage 2000 (1984). Ces appareils avaient tous été élaborés sous la houlette de Marcel Dassault et adaptés aux besoins des armées.

Un projet né d’un désaccord entre Européens

Le Rafale est né du souhait, au début des années 1980, des Européens - Britanniques Allemands et Italiens d’un côté, Français de l’autre - de préparer un successeur à l’avion britannique Tornado, pour les uns, au Mirage 2000 pour les autres.
Mais, très rapidement, les avis ont divergé. Les trois pays utilisant le bi-réacteur Tornado pour des missions air-sol, voulaient un avion capable d’effectuer des missions air-air. À l’opposé, les militaires français désiraient un avion de combat polyvalent (air-air, air-sol et air-mer).
L’objectif, côté français, était de remplacer, à l’horizon 2010, par un seul modèle les sept types d’avions en vol : Jaguar, Super Étendard, Crusader, Mirage F1, Mirage IV et les deux versions du Mirage 2 000. Il fallait aussi que cet appareil puisse être embarqué sur un porte-avions.
Dès le départ, la maîtrise d’œuvre de la cellule de ce qui devait être le futur avion européen avait été confiée à Dassault, les Britanniques s’octroyant, en contrepartie, le moteur (Rolls-Royce). Or, la motorisation est stratégique dans la défense. La demande britannique avait donc été jugée inacceptable pour les Français qui voyaient le motoriste national, Snecma, écarté du projet.
C’est sur ce point que les Européens se sont divisés et ont officiellement rompu, en août 1985. Chacun était alors reparti avec son projet dans ses cartons : d’un côté le Rafale, avec Dassault, Thomson (devenu Thales) et Snecma, de l’autre côté l’Eurofighter Typhoon, avec le britannique BAe Systems, les Allemands et espagnols d’EADS (devenu Airbus Group) et l’italien Finmeccanica.
Le programme Rafale a été officiellement lancé le 21 avril 1988, avec pour objectif une entrée en service dans les armées dix ans plus tard. Cet objectif a été ramené à huit ans (soit en 1996) par l’avionneur.
Pourquoi ce nom ? Nul ne le sait réellement. Il a été choisi par Marcel Dassault lui-même, comme il l’avait déjà fait pour chacun des avions de combat précédents. C’était au printemps 1986, quelques mois avant sa mort, lors de l’une de ses dernières sortie. L’appareil était au stade de démonstrateur, une sorte de « concept car ».
« Sans doute dans son esprit cela faisait-il référence aux rafales de vent », imagine un proche de la famille. Mais Marcel Dassault ne le verra jamais voler. Le premier vol d’un prototype interviendra cinq ans plus tard, le 19 mai 1991.

Dix ans de retard

C’est alors l’euphorie. L’Etat estime ses besoins à 320 appareils, qui remplaceront les 687 avions de combats dans la Marine et l’armée de l’Air. Trois versions de l’avion sont proposées en mono place et bi place.
L’industrialisation débute, mais le contexte est tendu. Et pour cause : les budgets de la défense se contractent et le programme Rafale est suspendu en novembre 1995. Dans un contexte de fin de guerre froide, liée à la chute du mur de Berlin et à l’effondrement de l’ex-URSS, les Français se font moins pressants.
C’est ainsi que le programme a pris dix ans de retard… Les premiers avions, attendus en 1996, n’ont été réellement livrés qu’en 2006 ! Ses concurrents ont connu le même décalage, que ce soit l’Eurofighter, ou le chasseur américain F-22, lancé en 1986 et entré en service vingt ans plus tard.
Toutefois, au fil des ans, pris dans les contraintes budgétaires, le gouvernement français a régulièrement revu ses objectifs d’achat de Rafale à la baisse. Les 320 avions du départ sont tombés à 225 en 2013.
Simultanément la polémique a enflé sur le coût de cet avion et sur le poids de ce programme sur le contribuable français. Chacun y est allé de son calcul. Depuis trente ans, il aurait coûté à chaque Français 500 euros, soit 16 euros par an.
En contrepartie, ce programme fait travailler 7 000 personnes chez Dassault et ses 500 sous-traitants, soulignent ses défenseurs. À titre de comparaison, le développement du JSF de l’américain Lockheed reviendrait à 5 000 euros par américain, soit dix fois plus que le programme Rafale.
En 2010, la Cour des comptes a reconnu que ce programme, estimé à 40 milliards d’euros sur quarante ans, pour fabriquer 286 avions, n’a dérivé que de 4,7 % par rapport au devis initial, arrêté vingt-cinq ans auparavant.
Celui de son rival, l’Eurofighter, selon la Cour des comptes anglaise (NAO) a dévié de 75 %. Sans parler de la dérive conséquente du JSF-35 américain, dont le coût avoisine les 1 000 milliards de dollars.

Une série d’échecs à l’export

Reste qu’un autre objectif pour le Rafale était de le vendre à l’exportation. Et là, les difficultés se sont également accumulées. Au début des années 2000, les compétitions s’enchaînent et à chaque fois, l’avion français, pourtant réputé meilleur techniquement, s’est fait battre sur le fil par un concurrent américain. Ce sera le cas aux Pays-Bas, à Singapour et en Corée du Sud.
« Le bambou penche toujours du côté de celui qui pousse le plus fort. » C’est par un proverbe chinois que l’avionneur justifie la préférence pour les Américains dans des zones sous influence des États-Unis.
Un autre argument est avancé : jamais un avion de combat n’a été vendu avant qu’il soit en service dans l’armée de son pays. Cela deviendra caduc au milieu des années 2000 avec l’apparition du Rafale dans de nombreux conflits.
Mais c’est l’échec du Maroc en 2007 qui a été le plus retentissant. Le royaume, donné pour acquis, a préféré les avions américains. Furieux d’un échec qu’il avait découvert, Nicolas Sarkozy, tout juste élu président, n’avait pas réussi à inverser la tendance.
Il avait alors décidé de prendre en main le dossier des ventes du Rafale. Le chef de l’Etat avait créé une « war room » à l’Elysée. C’est ainsi qu’il s’était impliqué dans les négociations avec les Émirats Arabes unis (pour 60 avions). Au Brésil, il avait aussi obtenu du président Lula un engagement pour 36 appareils. Au dictateur libyen Khadafi de passage à Paris, il en avait proposé 14.
Sans résultat sur aucun de ces dossiers. Après le départ de M. Sarkozy de l’Elysée, les Emiratis avaient gelé les négociations et les Brésiliens avaient préféré le concurrent suédois, Gripen, tout comme la Suisse.
Avant l’Egypte, seule l’Inde, qui envisage l’achat de 126 avions de combat, restait en lice. Trois ans après l’annonce de février 2012, les discussions se poursuivent d’ailleurs toujours aujourd’hui pour la fabrication des appareils dans ce pays.
Les négociations avec New Delhi achoppent sur une question de responsabilité : les Indiens vont fabriquer des Rafale sur leur sol, chez HAL, mais ils demandent à l’avionneur français de garantir cette production, ce que ce dernier refuse.

Un successeur en 2040

L’absence de contrats à l’export pour le Rafale était d’autant plus pénalisante qu’elle obligeait la France à poursuivre l’achat d’avions pour ne pas arrêter la chaîne de production.
L’Etat s’était ainsi engagé à ce que la cadence ne descende pas en dessous du seuil minimum de onze appareils par an, au risque de déstructurer toute la filière et les 500 sous-traitants.
Ainsi, faute d’avoir décroché un contrat export, Paris a dû, en 2010, accélérer son programme d’achat des Rafale.
Certains voient dans cette garantie « un cadeau fait à la famille Dassault », d’autres « la condition pour que la France maintienne sa souveraineté militaire ».
Dans la loi de programmation militaire (2014-2019), seuls 26 sont destinés la France alors que Dassault en fabriquera 66 sur cette période. Il lui faut donc impérativement trouver des clients exports pour 40 exemplaires.
L’Égypte est peut-être le premier client qui servira de déclic. Sur la liste des clients potentiels figurent le Koweït, la Malaisie ou encore la Belgique.
Le Rafale volera dans l’armée française jusqu’en 2040, le temps pour son successeur de se lancer. L’avenir sera alors aux avions sans pilote.
Signe des temps, à plusieurs occasions, Dassault a fait évoluer le Rafale au côté du NeuRon, son démonstrateur de drone. Tout un symbole illustrant l’avenir en vol.

Vos réactions (59) Réagir
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Jean PHILIPPE 12/04/2015 - 19h49
Le nom de RAFALE a été choisi par Marcel Dassault en hommage à Marcel RIFFART, célèbre concepteur avant guerre de la cellule des avions de course Caudron, notamment du Caudron RAFALE, titulaire à l'époque de plusieurs records de vitesse. Lors de l'acquisition de l'entreprise Bréguet, Marcel Dassault avait également conservé le nom de Bréguet, en hommage à ce grand constructeur d'avions. L'entreprise s'appelait alors "Avions Marcel Dassault - Bréguet Aviation" (AMD-BA).
 
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Jean PHILIPPE 12/04/2015 - 19h40
Le rédacteur de cet article aurait du approfondir ses recherches . En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Dassault a développé l'Ouragan, puis la série des Mystère, dont le Mystère IV supersonique en piqué, puis le Super-Mystère, premier avion français supersonique en palier, puis le Mirage III, puis le Mirage F1, puis le Mirage 2000, et enfin le Rafale. Le Mirage IV a été développé en tant que bombardier, puis avion de reconnaissance, et jamais en tant que chasseur.
 
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Roland Berger 14/02/2015 - 04h34
Dommage que Sissi soit un despote.
 
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ZOTTE 14/02/2015 - 02h38
Quellle est la devise de facturation ?
 
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Jean-Yves Le Roy 13/02/2015 - 18h12
J'ai un peu honte, en quelques heures le prix de ce très bel oiseau (version exportation et hors taxes) est passé de 142,3 millions d'Euros à 100,1 ! Je crains pour la suite...
 

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