LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 05.04.2013 à 17h08 • Mis à
jour le 05.04.2013 à 18h49 | Par Frédéric
Lemaître
Dimanche 14 avril, au moment où Peer Steinbrück, le candidat du Parti social-démocrate présentera en Bavière son programme pour la prochaine campagne électorale, un parti tiendra, à Berlin, son premier congrès : Alternative für Deutschland (AfD), "Alternative pour l'Allemagne". Ses dirigeants ont beau développer leur programme sur trois pages, celui-ci se résume essentiellement à un point : la disparition de l'euro et le retour aux monnaies nationales. "La réintroduction du Deutsche Mark [DM] ne doit pas être un tabou", affirme le point 2 dudit programme. Depuis l'annonce de ce lancement, mi-mars, chacun s'interroge : l'AfD a-t-elle une chance de peser véritablement sur le débat politique ?
Certes, il y a manifestement un créneau à prendre à la droite des chrétiens-démocrates, et une partie des Allemands ne se reconnaît pas dans l'offre politique traditionnelle. Un quart des électeurs pourraient envisager de voter pour un parti eurosceptique, affirmait un sondage publié en mars. Un chiffre qui bondit à 40 % chez les personnes âgées de 40 à 49 ans. De plus, on trouve des eurosceptiques dans quasiment tous les partis. Ils sont même majoritaires chez Die Linke, le parti de la gauche radicale opposé à la construction européenne sous sa forme actuelle. Certains députés libéraux (FDP) sont ouvertement eurosceptiques. Alors que ce parti, marqué par la figure tutélaire de l'ancien ministre des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher, a longtemps été l'un des fers de lance de la construction européenne, ses dirigeants actuels semblent parfois hésiter entre ce glorieux héritage et une ligne plus populiste.
Chez les chrétiens-démocrates (CDU), les Verts et les sociaux-démocrates (SPD), il n'y a pas de leader eurosceptique. Cela ne veut pourtant pas dire que le débat n'existe pas dans leurs rangs. Les eurosceptiques de la CDU restent discrets, quittent le parti ou tentent de soulever des débats, tel celui de la parité de représentation des pays de la zone euro dans les instances dirigeantes de la Banque centrale européenne. Le Parti social-démocrate n'a jamais exclu de ses rangs Thilo Sarrazin, ce polémiste qui, après avoir, en 2010, livré un essai à charge sur le déclin allemand provoqué par l'immigration turque, a publié un brûlot contre l'euro.
L'EURO A TOUJOURS ÉTÉ SOURCE DE CONTROVERSES
Il y a des thèmes qui ne provoquent quasiment aucun débat en Allemagne : par exemple, la lutte contre l'inflation ou le primat accordé aux exportations. En revanche, l'euro a toujours été source de controverses. Dès 1998, un parti "Pro-DM" s'est présenté devant les électeurs. Son score : 0,9 %. Aujourd'hui, entre ceux qui estiment que l'Allemagne prend des risques inconsidérés en prêtant de l'argent aux pays en difficulté à travers le Mécanisme européen de stabilité (MES), ceux qui, comme la Bundesbank, adressent un reproche similaire à la Banque centrale européenne et ceux qui envisagent une sortie de certains pays de la zone euro, l'éventail des critiques à l'égard de la politique actuelle de la chancelière, jugée trop conciliante vis-à-vis des pays en crise, est large.
En raison de la part prépondérante de l'Allemagne dans le MES (27 %), du rôle important joué par le Bundestag et par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, ainsi que des réserves émises par la Bundesbank, le débat sur l'euro est infiniment plus vif en Allemagne que dans la plupart des autres pays de la zone euro, notamment la France. A l'été 2012, 170 économistes, emmenés par une star de la profession, Hans-Werner Sinn (Institut Ifo), avaient publié une lettre ouverte mettant en garde contre l'union bancaire. Une initiative très critiquée par le gouvernement, mais aussi par une poignée d'économistes de renom.
Le terreau est donc fertile. Du reste, en quelques semaines, l'AfD aurait engrangé 5 000 adhésions, dont celles de quelques cadres intermédiaires du Parti libéral. Mais cela suffit-il pour bouleverser le paysage politique ? Rien n'est moins sûr. L'opposition à l'euro est en Allemagne aussi vieille que l'idée de lancer une monnaie unique. Or, jusqu'à présent, nul n'a réussi à véritablement structurer ce courant de pensée. Le petit parti bavarois Freie Wähler ("Electeurs libres"), dont l'euroscepticisme est l'un des fonds de commerce, n'a jamais fait école. En janvier, ce mouvement, qui s'était associé à l'AfD embryonnaire pour présenter des candidats en Basse-Saxe, n'a recueilli que 1,1 % des voix. D'ailleurs, les deux partis semblent incapables de s'entendre pour présenter des candidats communs aux élections du Bundestag de septembre.
Bernd Lucke, l'économiste qui a lancé l'AfD après avoir été membre de la CDU durant trente-trois ans, ne semble pas avoir le charisme nécessaire pour fédérer l'ensemble des eurosceptiques. D'autant que ceux-ci sont divisés. Hans-Werner Sinn, par exemple, souhaite la sortie "provisoire" de certains pays, notamment la Grèce, de la zone euro, mais ne plaide absolument pas pour une sortie de l'Allemagne de la monnaie unique. D'autres, comme Hans-Olaf Henkel, ancien président d'IBM-Allemagne et du patronat allemand (BDI), estime, lui, qu'il faudrait deux euros : l'un pour l'Europe du Nord, l'autre pour le Sud (dont la France).
L'ALLEMAGNE SE PORTE BIEN
Dernier obstacle, de taille, à la création d'un parti anti-euro : l'Allemagne se porte bien. Les Allemands restent majoritairement optimistes tant pour l'avenir du pays que pour le leur. Au demeurant, le nombre d'électeurs susceptibles de voter pour un parti eurosceptique était plus élevé en 2011 qu'aujourd'hui. Implicitement, l'AfD le reconnaît. "L'euro n'apporte rien à l'Allemagne et nuit à d'autres pays", écrit le parti pour justifier "la dissolution ordonnée de la zone euro", premier point figurant à son programme. Même pour l'AfD, l'euro ne nuit donc pas à l'Allemagne, ce qui lui retire un argument majeur.
Les principaux problèmes dont souffre l'Allemagne - le vieillissement démographique et les inégalités sociales - n'ont pas de lien avec la monnaie unique. Dès lors, certains s'interrogent. Les fondateurs de l'AfD sont-ils vraiment contre l'euro ou ce combat n'est-il que le cheval de Troie de causes démocratiquement contestables ? Evidemment, les intéressés s'en défendent, mais la référence constante dans le programme de l'AfD aux "vieux partis" qui sont "encroûtés et usés", pour décrire les partis représentés au Bundestag, laisse planer le doute.
Jusqu'à présent, toute tentative de créer un parti populiste en Allemagne a échoué, faute de leader, tant le tabou du IIIe Reich reste présent dans la conscience des responsables politiques. Les caricatures comparant Angela Merkel à Hitler dans plusieurs pays européens prouvent que le sentiment antigermanique ne demande qu'à renaître. En Allemagne, un tel mouvement a deux conséquences : il incite les responsables à se serrer les coudes et ne peut que renforcer les eurosceptiques. Comme l'écrit régulièrement le quotidien populaire Bild : "Non seulement on paye, mais on se fait insulter."
L'euro, qui devait réunir les Européens, est en train de les diviser. L'émergence de l'AfD est le signe que les Allemands ne sont pas insensibles à cette évolution. Certains rêvent que leur pays puisse être une grande Suisse et d'autres que sa puissance économique lui permette de se passer de l'union économique et monétaire. Jusqu'à présent, aucun des cinq partis susceptibles de former un gouvernement - la CDU, la CSU, le Parti libéral, le SPD et les Verts - n'a succombé à ces sirènes. Mais il est probable que celles-ci redoubleraient de vigueur si le fossé entre l'Allemagne et ses partenaires continuait de se creuser.
Vos réactions (10) Réagir
Ludovic Noémie 09/04/2013 - 09h41
Bravo pour ce bel article à la fois fin et riche en informations. Au moment
où le débat en France se tend (mais se vide sur le fond!) et où certains
rebondissements ridiculisent la France, il est bon d'apprendre ce que pense
notre premier partenaire.
Langelot 07/04/2013 - 14h57
L'Euro était une bêtise et ce sont les Allemands qui sont le plus dans la
mouise: soit ils payent soit ils décident la fin de l'euro. S'ils décident la
fin de l'euro, il y aura une dévaluation automatique des monnaies autre que le
deutshmark, qui profitera à la compétitivité des pays du sud (dont la France).
Tant que l'euro existe, il faut éviter d'avoir des finances publiques
équilibrées, c'est la meilleure façon d'être certain de payer pour les
autres...
Brubois 05/04/2013 - 20h27
On peut être contre l'Euro sans être contre l'Union européenne. Cf le projet
Debout la République de Nicolas
Dupont-Aignan.(http://www.debout-la-republique.fr/sites/default/files/memorandum-sortie-euro-web.pdf)
Je vous enjoins également de lire sur le blog de Nico
http://blogdenico.fr/entretien-avec-j-sapir-22-pas-de-sortie-de-crise-sans-sortie-de-leuro/...
vous réviserez peut_être votre jugement. Cordialement
Du bon sens 05/04/2013 - 23h39
Sûrement pas car à lire M. Sapir, il reste un mystère : pourquoi les pays
avec leur propre monnaie (et qui abusent de la planche à billets) ne sont pas
dans une santé économique resplendissante ? Voyez le Japon, l'Angleterre et
même les Etats-Unis... De beaux exemples ou plutôt contre-exemples ! Cet
argument anti-euro ne tient pas une seconde.
Du bon sens 05/04/2013 - 18h59
Comment entretenir le buzz anti-euro populiste par facilité journalistique...
L'Allemagne se porte bien ? Avec un fossé qui se creuse entre elle et ses
"partenaires" et bien, moi je n'oserais pas avancer de telles
assertions : dans un monde globalisé, peut-on dissocier son sort de celui de
ses proches voisins qui sont aussi ses premiers clients ? La voie européenne
libérale actuelle ne mène à rien de bon mais la voie anti-européenne mène au
pire, déjà vécu au XXe siècle.
Thor 05/04/2013 - 20h12
Je rajouterais "l'Allemagne se porte bien" mais beaucoup moins les
allemands taux de pauvreté 22% des salaires de moins de 8 euros de l'heure (
les hauts salaires allemands concernent 15% des salariés).
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