courriel à l'Elysée - comprendre les réactions de l'étranger à nos maldonnes

Cher ami, Monsieur le Secrétaire général,

ne nous trompons pas. Dans un premier temps, nos compatriotes musulmans et plus encore leurs frères et soeurs de foi dans le monde se sont sentis trahis par des terroristes prétendant agir au nom de l'Islam. Notre soin pour éviter tout amalgame - dans nos opinions si diversifiées par la culture, la foi, l'histoire - a été fructueux, et l'amour ou l'estime pour la France chez nous et au dehors nous a tous éclairés.

Mais plusieurs maldonnes ont été ensuite commises. Le roi de Jordanie participant avec la reine à notre marche parisienne le 11 a fait l'exacte remarque pour le nouveau numéro de Charlie- Hebdo. émouvant par rétrospective et fidélité pour nous mais faisant récidive pour nos amis arabo-musulmans dans le monde : irresponsable. La rédaction du prochain numéro doit en être avertie avec respect mais fermement : il n'est pas interdit d'être intelligent (Senghor) et "bouffer" du curé ou de l'adjudant ou du "beauf." (sosie du nouveau secrétaire général de la CGT) reste entre nous. Et il y a malheureusement eu plus. Deux moments pour le judaïsme dans le seul dimanche 11 à l'initiative du président de la République : recevant à l'Elysée le matin, s'affichant aux côtés du Premier ministre israëlien dans la Grande Synagogue le soir, sans se rendre à la Grande Mosquée de Paris, par exemple pour la prière de vendredi, avant-hier, ou dans la mosquée d'un "quartier". Pis, une condamnation des manifestations anti-Charlie depuis Tulle - où avait été donnée au monde l'assurance que la françafrique était révolue. Le tirage formidable et cette condamnation valent caution des caricatures pour nos amis musulmans au dehors, sinon pour nos compatriotes. La France est désormais conspuée et l'amalgame risque de se faire chez les modérés et les croyants avec le djihad et l'Etat islamique.

Voici un échange avec l'un de nos évêques les plus engagés dans la cité. Il a la délicatesse de ne pas citer le pape François qui a déclaré en vol vers l'Extrême-Orient que la liberté d'expression n'est pas celle d'insulter autrui dans ce qui lui est le plus précieux : ses convictions, sa foi.Le pape avait d’entrée de jeu affirmé que la liberté d'expression importe autant que la liberté religieuse.

En sus d'un discret encadrement des prochains numéros de Charlie-Hebdo. à qui l'on ne demande pas pour autant de manger son chapeau, que faire pour le président de la République ? peut-être aller recevoir en personne le corps de notre compatriote retrouvé par nos amis algériens en Kabylie, et à cette occasion se rendre dans l'une des principales mosquées de l'Algérie. Que le martyre des moines de Tibeïrine, restés jusqu'à leur mort, confiant en l'Algérie et fidèle aux fils de celle-ci, si proches de nous, reste fécond.

Vœux chaleureux.                                             *

*      *

Le 17/01/2015 22:34, ...  a écrit :

Monsieur

Merci de vos messages.

Ceux d’aujourd’hui correspondent à ce que je viens d’entendre de la bouche d’un évêque d’Algérie que j’avais au téléphone il y a un instant.

La nouvelle caricature de Charlie Hebdo, qui est pour nous anodine, est reçue comme une nouvelle et violente provocation.

Des manifestations ont lieu dans tous les pays arabes.

La présence du Pdt Hollande à la grande Synagogue, sans geste équivalent pour les musulmans, est perçue comme une offense.

Que le Seigneur nous montre comment être des artisans de paix.

Bien respectueusement à vous et bon dimanche.

-------- Message transféré --------

Sujet :	Re: votre message de ce soir
Date :	Sat, 17 Jan 2015 23:05:46 +0100
De :	Bertrand Fessard de Foucault
Pour :

                                               Vous avez tout à fait raison, Eminence, mon Père.

                                     C’est très dangereux, et le plus grave est que nos gouvernants n’en ont pas conscience. Il est de plus en plus paradoxal de demander à l’Islam, particulièrement aux Français musulmans, de se désolidariser de l’extrêmisme et du djihad, ou aux monarchies pétrolières d’être moins ambigües vis-à-vis de l’Etat islamique, et de ne pas prier les Français juifs de se désolidariser des pratiques de l’Etat d’Israël depuis 1967, sinon même d’Israël en tant qu’entité politique, ni les Etats-Unis de ne plus soutenir en tout, finances, armement, diplomatie un tel Etat. Nous sommes en train d’arriver à un total retournement de situation. Loin de nous comprendre, les pays arabo-musulmans vont finir par croire qu’après tout l’Etat islamique pourrait se comprendre et même se justifier. Nous avions craint, et nos compatriotes musulmans aussi, un amalgame entre djihadistes et croyants tout bonnement, et voici que l’amalgame risque de se faire entre ces Etats, dont nous avons vitalement besoin sur le terrain – vous le savez mieux que personne en France par vos voyages et votre « fait-et-cause » pour nos frères d’Irak – pour réduire le « daech », et ce soi-disant Etat islamique ou projet d’un gigantesque Califat.

Le discernement à souhaiter et à prier pour nos dirigeants, commence d’ailleurs par un art de penser et un  consentement à la méditation, au lieu de la course à la communication. De Gaulle était ainsi dont il a été rapporté qu’il arrivait des après-midi, à dessein sans réunions ni audiences. Le Général était des heures durant, les mains à plat sur sa table de travail, la lampe de bureau éteinte, quant au téléphone, on le lui apportait du dehors avec un long fil. On n’appelait d’ailleurs pas le général de Gaulle. Ce matin, de Tulle, où le soir du 6 Mai, il y avait eu d’excellentes phrases pour le changement en « françafrique », condamner les cortèges à l’étranger contre Charlie-Hebdo. était se faire moins entendre que jamais. Le silence sur ces manifestations hostiles aurait été  bienvenu.

Filialement et fraternellement, avec déférence, Eminence, mon Père. Il faudrait, comme auprès de Louis XIII il y eut à la fois Vincent de Paul et le grand cardinal, des hommes et des femmes à l’Elysée de culture et de recul, sans aucune appartenance avérée. J’attends un écho de Jean-Pierre Jouyet et espère sa lecture, même cursive, du texte conciliaire de 1965.