vendredi 20 juillet 2012

un exemple - première définition de politique extérieure - réunion du 10 Juin 1958 autour du général de Gaulle

première réunion consacrée à la politique extérieure,
que tient de Gaulle après son retour aux affaires
(10 Juin 1958)



(source : dossier 316 – Secrétariat général – série 1958 à 1968 – archives diplomatiques, Quai d’Orsay)
4 à 13 * - 10 Juin . Compte rendu de la réunion chez le Général sur les questions internationales

PRESIDENCE DU CONSEIL                    Paris, le 10 Juin 1958
      --------


TRES SECRET

                         Compte rendu de la réunion
                du 10 juin chez le Général sur les questions
                              internationales.
                                   -=-=-

Participaient à cette réunion :
Affaires Etrangères                      Présidence du Conseil
M. Couve de Murville                     M. Pompidou
M. Joxe                                  M. Boegner
M. Wormser
M. Laloy
                        S.G.P.D.N.
                        Le Contrôleur Général GENEVEY

                                   -=-=-

I - Conférence au sommet -
            1 - M. Couve de Murville et M. Laloy exposent au
Général la procédure adoptée pour la Conférence au sommet :
d'une part, définition par le groupe tripartite à Washington
des positions occidentales, d'autre part conversations des
trois Ambassadeurs à Moscou avec M. Gromyko.
            2 - Le Général aborde aussitôt la question du désar-
mement nucléaire et demande si la France a, dans ce domaine,
souligné que nous devons sauvegarder nos possibilités de
devenir une puissance atomique. C'est là un point essentiel
                                    .../...
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                                   - 2 -

Certes, nous sommes fondamentalement favorables au désarmement.
Mais, tant que ce désarmement ne sera pas intervenu, il est
indispensable que nous accédions au rang de puissance nucléaire.
Ce sera d'ailleurs le meilleur moyen de jouer un rôle efficace
dans le problème du désarmement. Notre politique, à cet égard,
peut donc avoir à se distinguer de celle des Etats-Unis et de
la Grande-Bretagne.
            M. Couve de Murville et M. Joxe font observer
que l'aide technique des Américains nous sera nécessaire,
notamment pour l'équipement de fusées à têtes nucléaires.
            Le Général indique que nous devons faire par nous-
mêmes ce dont nous sommes capables, et recevoir l'aide qui
pourra nous être accordée.
            M. Joxe souhaite que, à cet égard, l'on puisse
trouver des formules d'associations.
            En ce qui concerne les négociations sur le désar-
mement, le Contrôleur Général Genevey fait remarquer que les
discussions sont de plus en plus déplacées de l'O.N.U. vers la
préparation de la Conférence au sommet, ce qui entraîne pour
résultat fâcheux d'étudier les questions séparément les unes
des autres.
            Le Général conclut la discussion sur le désarme-
ment en indiquant qu'il sera nécessaire d'entretenir du pro-
blème nucléaire, compte tenu des préoccupations particulières
de la France, M. Macmillan et M. Foster Dulles.
      3 - M. Couve de Murville et M. Laloy exposent ensuite
la question des participants à la Conférence au sommet. Au
départ, les Occidentaux demandaient que l'on s'en tienne à la
formule des conférences précédentes : trois plus un. Mais les
Soviétiques demandent la parité. Du côté occidental, on a
pensé à s'adjoindre l'Italie à laquelle des promesses ont été
faites par les Américains et les Britanniques, alors que nous
étions plus réservés. En contrepartie, les Russses voudraient
adjoindre la Roumanie à la Pologne et à la Tchécoslovaquie.
                                   .../...
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                                   - 3 -

            Répondant à une question du Général, M. Couve de
Murville indique que l'on ne peut pas véritablement parler
d'autonomie polonaise en matière de politique étrangère. Tout
au plus, a-t-on pu déceler des velléités sans conséquences
pratiques.
            M. Joxe précise que M. Foster Dulles a très nettement
décliné les avances de Moscou en vue d'une conférence à deux
russo-américaine. Il indique qu'il sera utile d'envoyer à nos
experts, qui vont prochainement discuter du problème des ex-
périences nucléaires, des instructions tenant compte des
directives formulées par le Général.
            4° - On aborde ensuite le problème de la réunification
de l'Allemagne et de la sécurité européenne.
            Répondant à une question du Général, M. Laloy indique
que nous avons déjà manifesté notre opposition au plan Rapacki.
De même, nous ne sommes pas favorables à la proposition sovié-
tique tendant à une réduction des forces étrangères stationnées
sur le territoire des pays membres de l'OTAN et du Pacte de
Varsovie. Enfin, une autre suggestion soviétique prévoyant
l'institution d'une zone de contrôle aérien, inspirée du pro-
jet Eisenhower de 1955, mais ne concernant qu'une étendue de
800 kilomètres de chaque côté du rideau de fer (c'est-à-dire
de Brest à Brest-Litowsk) paraît également dangeresue. Tous
ces plans en effet présenteraient pour l'Occident de graves
dangers sur le plan militaire et auraient en outre pour résul-
tat de perpétuer le statu quo politique comportant la consécra-
tion du droit des Russes d'intervenir dans les affaires inté-
rieures des Satellites et le maintien de la division de
l'Allemagne. A cet égard, il faut particulièrement prendre
garde à la manoeuvre soviétique visant à rejeter sur les
                                         .../.
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                                   - 4 -

Occidentaux la prolongation de la situation présente de
l'Allemagne en vue de favoriser une négociation directe entre
les deux Allemagne. D'ailleurs, les Russes refusent de
parler de la réunification.
            Le Général demande si nous avons soulevé la question
de savoir dans quelle mesure une Allemagne réunifiée devrait
être, non pas un Reich, mais une Confédération. Il est répon-
du que cette condition n'a pas été envisagée et que le carac-
tère fédéral de l'Allemagne de l'Ouest est d'ailleurs très
atténué.
            M. Laloy ajoute que, toujours avec la même arrière pensée
de maintenir le statu quo et de susciter une conversation
entre les deux Allemagne, les Soviétiques ont avancé une
proposition de pacte de non-agression entre l'OTAN et le Pacte
de Varsovie. Les puissances occidentales estiment qu'une
telle suggestion ne peut pas être traitée isolément, et qu'
elle ne pourrait être valablement examinée que si des progrès
étaient accomplis dans d'autres domaines.
            5° - M. Laloy mentionne l'intention de l'U.R.S.S. de
soulever à la Conférence au sommet le problème du Proche-Orient
sur les bases suivantes :
      - condamnation du recours à la force et non ingérence ;
      - embargo sur les armes ;
      - collaboration économique avec les pays du Proche-Orient
      en vue de créer sur leur sol des industries nationales.
            M. Couve de Murville relève que le dernier point
doit être spécialement souligné : il s'agit essentiellement
dans l'esprit des Soviétiques, d'amener les gouvernements
locaux à nationaliser le pétrole. D'autre part, l'embargo
                                               .../.
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sur les armes pose un problème en ce qui concerne la Turquie.
Celle-ci devrait être exclue du champ des discussions.
            Le Général demande quelle attitude les Occidentaux
ont adoptée à l'égard des propositions soviétiques.
            M. Joxe répond que les Anglais et les Américains sont
très réservés. Ils considèrent que le Proche-Orient est une
chasse gardée, ce qui d'ailleurs, ne correspond plus à la
réalité des faits. La France a été plus hésitante, car les
propositions soviétiques pouvaient être utilisées au bénéfice
d'Israël.
            Le Général observe qu'il pourrait en être de même
pour le Liban. Il conclut que la question soulevée par les
Soviétiques devra être examinée au cours des entretiens pré-
vus avec M. Mac Millan et M. Foster Dulles et que nous devrons
prendre position.
            Le Général demande des précisions sur la crise liba-
naise.
            M. Joxe indique que l'idée de M. Chamoun était de
faire un coup d'état en demandant le renouvellement immédiat
de son mandat, à la fois par ambition personelle et pour
faire face à la menace résultant des infiltrations syriennes.
Les trois puissances occidentales ont donné leur assentiment
à cette tentative qui a échoué. Aujourd'hui, la situation est
complètement pourrie. Quoiqu'il en soit, la France a, dès le
début de la crise, fait savoir au gouvernement libanais qu'el-
le demeurait fidèle à la déclaration tripartite de 1950 et
que, le cas échéant, elle en assumerait seule les obligations.
            Le Général souligne l'importance de ce dernier point
et s'informe des dispositions prises à cet égard concernant
                                   .../.
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le " de Grasse ".
            Le Général demande où en est l'état de nos affaires
avec l'Egypte et si la reprise des relations diplomatiques
est en vue.
            M. Couve de Murville indique que le règlement de
l'affaire de la Compagnie du Canal est plutôt satisfaisant.
Reste le problème de nos biens et intérêts en Egypte, qui
fait l'objet de négociations ouvertes à Genève en Août dernier 
et suspendues à plusieurs reprises. La principale difficulté
réside dans la question de l'arbitrage neutre pour l'évalua-
tion des indemnités. De toute manière, il y a intérêt à
reprendre les négociations le plus rapidement possible, car
elles commandent le reste.
            Le Général approuve cette manière de voir.
            M. Joxe mentionne, en passant, l'affaire de Chypre et
indique que nous nous sommes efforcés de ne mécontenter per-
sonne.
                                     °
                                    °   °

II - Affaires européennes. -
            1°- Marché Commun et autres institutions des Six.
            M. Wormser rappelle que le traité du Marché Commun
ratifié il y a onze mois, est entré en vigueur le 1er janvier
1958. Au cours de l'année 1958, les institutions sont mises en
place, les premières mesures de désarmement douanier ne de-
vant intervenir que le 1er janvier 1959. Toutefois, dès
cette année, les pays participants ne doivent prendre aucune
disposition restrictive. Or, en raison du lourd déficit de
notre balance des comptes, le Gouvernement précédent a été
obligé de supprimer les allocations de devises aux touristes.
                                         .../.
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                                   - 7 -

D'autre part, il avait été envisagé de réduire nos impor-
tations de 100 milliards jusqu'à la fin de l'année. Mais devant
l'opposition de la Commission Européenne, M. Pinay a décidé de
renoncer à ce projet.
            Le Général soulève la question du siège de la capitale
européenne. M. Couve de Murville rappelle les candidatures en
présence et les raisons de commodité et d'efficacité pour
lesquelles il avait été convenu de rassembler toutes les
institutions en un même lieu. Si les Italiens se montrent
favorables à Paris, en revanche, l'Allemagne et les Pays-Bas
soutiennent la candidature de Bruxelles. Le mieux, dans le
fond, serait de ne prendre aucune décision maintenant et de
s'accorder un délai de réflexion de deux ou trois ans.
            Le Général estime que le choix définitif de la future
capitale européenne dépend de ce que sera l'Europe. Si les
choses doivent rester là où elles en sont aujourd'hui, la
question du siège n'a pas grande importance. En effet, la
CACA n'a apporté aucun changement profond. Les investissements
auraient de toute manière été effectués par les Etats membres.
Les cartels existaient auparavant. En fin de compte, la CECA
n'a eu d'effet que dans des domaines secondaires.
            M. Couve de Murville observe que la CECA a abouti à
certains résultats techniques. Elle a notamment réglé le
problème du prix des transports.
            Le Général indique qu'un tel problème aurait pu être
résolu par des accords directs entre Etats. Quant à l'Euratom,
c'est une institution qui peut avoir des avantages sur le plan
des études, des contacts, voire des dépenses. Mais on ne peut
encore voir clairement ce qu'il en sortira.
            L'essentiel, c'est le marché commun qui, en soi, n'est
pas une mauvaise chose, et surtout l'organisation politique
et culturelle de l'Europe. A cet égard, rien n'a été
                                   .../.
//
                                   - 8 -

fait. On ne voit pas, par exemple, qu'il existe une véritable
solidarité européenne à l'égard du Proche Orient et de l'Afri-
que.
            M. Couve de Murville fait observer que ceci tient
au fait que, de tous les pays membres de la Communauté des
Six, seule la France a véritablement une politique étrangère.
Quoi qu'il en soit, nos partenaires de la Communauté des Six
nous ont loyalement soutenus dans nos difficultés africaines.
La République Fédérale nous a en outre ouvert des crédits
plus importants que ceux qui nous ont été accordés par les
Etats-Unis. En fait, s'il n'existe, en matière de coopération
politique, rien de spectaculaire, de systématique, néammoins
cette coopération se traduit par des faits.
            Le Général estime que, de toute manière, nul ne
peut prévoir ce que sera l'Europe. Dans ces conditions, il
pense, lui aussi, que le choix de la future capitale européen-
ne est une affaire qui doit attendre. Si l'Europe devait réel-
lement s'organiser, alors il est hors de doute que la capitale
ne pourrait et ne devrait en être que Paris, pour des raisons
politiques et culturelles évidentes. L'Europe s'organisera
d'ailleurs d'autant mieux que son centre sera à Paris. La
date à laquelle il faudra se prononcer dépendra de l'évolu-
tion du Marché commun.
            M. Wormser observe qu'un délai de trois ans serait
raisonnable, car il correspondrait à peu près à la fin de la
première étape de la période transitoire.
            M. Joxe insiste pour qu'un délai précis soit
fixé et que la candidature de Paris demeure nettement posée,
sans quoi le provisoire rsquerait de devenir définitif.
            Le Général conclut en indiquant qu'il faut clai-
rement laisser entendre que si l'Europe se fait, sa capitale
devra être Paris. Pour bien marquer cette résolution,
                                         .../...
//
                                   - 9 -

il entend que les rencontres qu'il sera amené à avoir avec
les Chefs des Gouvernements des autres pays membres de la
Communauté des Six aient lieu à Paris.
            M. Couve de Murville signale que le Chancelier Adenauer
est, d'ores et déjà, disposé à venir à Paris pour s'entretenir
avec le Général.
            2°- Zone de libre-échange.
            M. Wormser rappelle dans quelles conditions la Grande-
Bretagne a proposé une zone de libre-échange. Puis il sou-
ligne les différences existant entre la zone et le Marché
commun, à savoir essentiellement :
      - les pays membres de la zone conserveraient leur
tarif extérieur (car les Anglais veulent maintenir le régime
tarifaire du Commonwealth) ;
      - les produits agricoles seraient exclus des dispo-
sitions prévues à l'intérieur de la zone ;
      - enfin on ne retrouve dans la zone aucune des mesures
d'harmonisation prévues dans le Marché commun pour assurer
des conditions de concurrence équilibrée.
            Les discussions sur la zone se poursuivent, on
seulement à l'O.E.C.E., mais aussi au sein de la Commission
Européenne, car il est indispensable, et d'éviter que la zine
ne risque de faire disparaître le Marché commun, et d'accorder
les vues des six pays membres de la Communauté. A cet égard,
les pays à tarif bas sont plus favorables à la zone. D'ail-
leurs, nous sommes aujourd'hui assez isolés, l'Italie ayant
évolué en faveur de la zone.
            M. Wormser indique enfin qu'il faut maintenant
prendre position d'urgence car le délai de suspension que
nous avions demandé vient à expiration dans quelques jours.
                                         .../.
//
                                   - 10 -

La Grande-Bretagne et la Belgique insistent vivement pour
que les conversations reprennent incessamment. D'autre part,
la Commission Européenne a proposé que les réductions tari-
faires du Marché commun qui doivent entrer en vigueur le 1er
janvier prochain soient également étendues à tous les pays
appelés à faire partie de la zone. Sur ce point également,
il faut définir notre attitude.
            Répondant à une question du Général, M. Couve de
Murville indique que, si la Grande-Bretagne n'a pas proposé
plus tôt son projet de zone de libre échange, c'est qu'elle
ne croyait sans doute pas que le Marché commun deviendrait
une réalité.
            Le Général conclut la réunion en priant M. Couve
de Murville de se préparer à rapporter ces diverses affaires
lors d'un prochain Conseil de Gouvernement qui serait spécia-
lement consacré aux problèmes de politique étrangère.

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