mercredi 18 juillet 2012

Jean François-Poncet 18 Décembre 1928 + 18 Juillet 2012

Travaillant à la biographie de Maurice Couve de Murville, dont - en tant que ministre des Affaires étrangères - il avait été l'un des successeurs, et aussi un partenaire au Parlement puisque l'ancien Premier ministre du général de Gaulle présidait alors la commission des affaires étrangères, j'ai été reçu par Jean François-Poncet, dans son bureau de président de commission au Sénat, en 2000. J'ai été très agréablement surpris.

Etat provisoire de la transcription (Institut Charles de Gaulle) de
l’enregistrement magnétique par Bertrand Fessard de Foucault de l’entretien,
mardi 8 Février 2000

avec Jean FRANCOIS-PONCET

cabinet de M. Maurice FAURE & négociations traités européens sous la IVème
entrée en vigueur des traités 1958-1959
Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères 1976
Secrétaire général de l’Elysée 1976-1978
Ministre des Affaires Etrangères 1978-1981

                                                                                    

                __________________________



BFF : Je voudrais que vous témoigniez de Couve lui même et de manière dont vous exerciez vos fonctions pour pouvoir établir une comparaison.

JFP : Je n'ai pas bien connu Couve. Quand j'étais fonctionnaire, j'étais très loin de lui puisque j'étais un modeste jeune agent comme on dit au Quai d'Orsay, et je ne l'ai pas du tout approché pendant ce début de carrière. En réalité, il n'avait pas de sympathie particulière pour moi et en conséquence, moi pour lui. Il voyait en moi le collaborateur de Maurice Faure qui avait négocié le traité de Rome et qui n'était pas vraiment en odeur de sainteté. Il m'a donc éloigné, envoyé au Maroc d'abord, après (il n'était plus aux Affaires étrangères) en Iran. De sorte que je n'ai rencontré vraiment Maurice Couve de Murville que lorsque, ministre des Affaires étrangères, je l'ai retrouvé comme président de la commission des Affaires étrangères. Je suis donc venu plancher à la commission des Affaires étrangères comme tout ministre qui se respecte sous son autorité et je dois dire que là les choses se sont très bien passées. Mais jusque là, je suis en mal de vous répondre. Comment exerçait-il ses fonctions, comment travaillait-il, cela se passait au-dessus de ma tête.

BFF : En 1949-50, Bidault veut absolument se débarrasser de Couve et Schuman va craquer ; il y a une photo AFP légendée : probable haut commissaire en Allemagne au moment où votre père doit y aller. Avez-vous souvenir qu'il y ait eu une hésitation pour votre père et également la possibilité qu'en 1951 ou 52, votre père ait à quitter et soit remplacé par Couve ?

JFP : Non, je n'ai pas du tout de souvenirs permettant d'étayer cette information, il me semble que si c'était vrai, je l'aurais entendu dire. Je crois que le problème a pu se poser avec Queuille qui était plus ou moins secrétaire des Affaires allemandes, avec lequel les relations entre lui et mon père ont eu des moments de tension, mais je crois qu'en ce qui concerne Robert Schuman, puisque c'est Robert Schuman qui l'a nommé, je n'ai jamais entendu parler d'une hésitation. Mon père le voyait assez régulièrement, il allait déjeuner avec lui au quai d'Orsay et je crois que depuis longtemps, il était prévu qu'il parte là-bas et ce qui me rend encore plus dubitatif, c'est qu'avant d'être nommé comme haut-commissaire, mon père avait été nommé comme conseiller diplomatique du général Koenig près d'un an avant. C'était donc l'intention de Schuman et on ne l'avait pas mis là pour être conseiller diplomatique mais pour devenir haut-commissaire. Ce que savait très bien le général Koenig. Par conséquent, je serai surpris qu'il y ait eu une hésitation ce qui serait contradictoire avec ce parcours préparé à l'avance.

BFF : J'ai vu un projet de décret qui n'a pas été signé en juillet 1953.

JFP : C'est autre chose puisque mon père est parti là-bas en 1949. C'est probablement en 1953 qu'on a eu le changement de haut-commissaire, au moment où le régime d'occupation aurait été abrogé, c'est venu après l'échec de la CED. En 1953, je ne sais pas.

BFF : Etant passé d'une fonction de cabinet, de négociateur avec Maurice Faure, vous êtes pendant dix mois à la sous-direction organisation européenne.

JFP : Je succède à Peyrefitte.

BFF : Dans les papiers personnels de Couve, il apparaît que s'il y a quelque chose qu'il n'a absolument pas suivi c'est la négociation de ces traités et que même l'aspect multilatéral des choses lui échappe complètement. Lorsqu'il arrive en 1958, autant il a une idée des relations avec l'Allemagne. Il se fait une religion en demandant des notes à Gros avec lequel il semble avoir été très lié et en confiance, il part très vite sur l'idée qu'il faut à la fois appliquer le traité de Rome comme prévu mais qu'en même temps, ce n'est pas sur cette matrice là qu'on va bâtir l'ensemble d'une communauté européenne et notamment politique. Il n'est pas, d'une certaine manière, hostile au traité de Rome. Comment voyez-vous son début de règne par cette entrée en matière ?

JFP : Dans la matière européenne, il y avait un certain nombre d'acteurs au quai d'Orsay, qui entouraient le ministre et dont certains connaissaient très bien le sujet. Il y avait sûrement Gros, mais celui qui le connaissait le mieux était Wormser. Et il me semble que Wormser a toujours eu de bonnes relations avec Couve.

BFF : On peut même dire que c'était presque son alter ego et qu'il l'aurait voulu comme ministre des Affaires financières et économiques en 1968. Je crois même que Barre aurait voulu l'avoir en 1976.

JFP : Wormser n'était pas un enthousiaste de la construction européenne, il n'avait d'ailleurs pas piloté la négociation alors qu'il aurait dû le faire comme directeur au quai d'Orsay. Ce n'est pas ce qui a été fait. Mais il avait néanmoins suivi de très près. C'était un esprit particulièrement intelligent et délié. Il connaissait très bien cela. Il y avait Margelin qui était au cabinet du ministre de l'époque et il y avait Jacques Donnedieu de Vabres qui avait été en réalité le négociateur. Il avait déjà fait le traité CECA et c'est le principal rédacteur du traité de Rome. Cela avait été suivi de très près par Wormser et c'est donc normalement à lui que Couve s'est adressé pour l'informer de ce qui avait été fait. Là où j'ai aperçu Couve dans ses talents, c'est lorsqu'on a réagi à de Gaulle (on n'a pas réagi à Couve). Pour une affaire de l'importance de l'Europe, étant données les positions publiques prises par le général de Gaulle avant qui n'étaient pas favorables au traité de Rome au moment de sa ratification (il n'y était pas favorable et d'ailleurs les gaullistes avaient voté à l'Assemblée nationale contre le traité), quand il est arrivé, il a en effet décidé de l'appliquer et il a très vite et c'est la partie où j'ai vu pour la première fois Couve dans une négociation internationale (cela m'a d'autant plus intéressé que j'avais passé deux ans avec Maurice Faure et qu'on ne pouvait pas imaginer des personnalités plus différentes), c'est quand l'Angleterre a frappé à la porte. Cela a été un des tournants de toute l'affaire européenne sur lequel personne ne revient jamais, l'Angleterre ne voulait pas adhérer, mais voulait qu'il y ait autour du Marché commun une zone de libre échange. C'est un moment tout à fait crucial parce que si nous avions accepté, on aurait pu imaginer un processus de la construction européenne qui n'aurait pas été vers l'élargissement progressif mais par cercles concentriques. On a obligé en réalité les Anglais à entrer. A-t-on bien fait, on peut se poser la question ?

BFF : Vous êtes le premier à analyser cela comme cela, car la plupart des gens à l'époque ou rétrospectivement disent : danger de dilution.

JFP : Oui sûrement. Je fais cette analyse de manière rétrospective. Je ne dis pas que je fais cette analyse sur le moment. Sur le moment, j'ai raisonné à peu près comme tout le monde, mais rétrospectivement, je me dis qu'on aurait pu avoir une Europe construite tout autrement, si à l'époque on avait donné aux Anglais ce qu'ils souhaitaient, c'est-à-dire une entrée dans la Communauté sur le plan économique sans participer au coeur des institutions. C'est là où sont intervenus Couve et Wormser ( là, Wormser a repris le bâton de la négociation) et Couve a été totalement négatif, sûrement sur ordre du général de Gaulle, et avec une froideur, une rigueur, c'était un niet quasi soviétique. Ce n'était pas du tout le style de Maurice Faure qui était un style beaucoup plus radical, beaucoup plus ouvert. C'est là que j'ai vu Couve pour la première fois. Cette négociation a complètement échoué.

BFF : On a la sensation que c'est presque une question d'hommes. Avec Lloyd, les choses se passent bien, Heath lui a manifestement couru après pendant les 10 ans, avec Maudling, il y a réellement une opposition de raisonnement, de caractère.

JFP : Maudling était un homme de talent. Mais c'est vraiment la France, Couve, qui a fermé la porte. C'est tout à fait clair. On insiste pas assez là-dessus : à la fois sur la rapidité avec laquelle les Anglais, qui n'avaient pas voulu participer à la négociations, ont immédiatement frappé à la porte et le fait que la leur ayant fermé sur l'hypothèse de la zone de libre-échange, on les a obligé à refuser, mais Pompidou a accepté.

BFF : La vague des jeunes loups aux législatives de 1967, je me suis aperçu que cela coïncide avec votre entrée au Conseil général dans votre département. Aviez-vous un peu cet esprit de conquête du sud du Massif central et est-ce qu'à cette époque-là, les éventuels clivages que vous pouviez avoir vis-à-vis du gaullisme au sens conventionnel, faisaient que vous étiez plutôt majorité Ve République et peut-on dire que vous ayez fait partie de cette tentative d'une nouvelle génération pour entrer en politique ?

JFP : Je ne crois pas qu'on puisse tout à fait dire cela. C'était une époque où il y avait encore en France un courant centriste qui a disparu avec le Programme commun. Les vraies valeurs ont été décapitées (ils sont morts prématurément Duhamel, Gaillard, Bourgès). Cela n'était pas le cas en 1967. Je me suis présenté sous cette bannière, c'est pour cela que je n'ai pas été élu. Je suis arrivé en tête au premier tour contre le sénateur président du Conseil général qui était le candidat de la FGDS, il y avait un candidat RPR. Au deuxième tour, le candidat RPR s'est maintenu bien qu'arrivé en queue, et j'ai été battu. J'ai appris après que cela avait été prévu comme cela et que ce sénateur, qui était un assez habile radical qui ne gênait personne, un radical de banquet, on ne l'avait convaincu de se présenter que parce qu'on lui avait dit qu'au deuxième tour, le candidat RPR se maintiendrait s'il n'était pas arrivé en tête. C'est vous dire que je ne faisait pas partie de la génération des jeunes loups.

BFF : Après un passage dans le secteur privé, vous revenez aux affaires. Y a-t-il encore des traces de Couve au quai d'Orsay lorsque que vous y arrivez secrétaire d'Etat ? Pourquoi n'avez pas tout de suite été nommé ministre ?

JFP : Le changement en 1958 a profondément marqué à la fois le quai d'Orsay et la diplomatie française. Profondément et durablement. Par exemple, dans l'attitude même de Giscard à l'égard de la Commission de Bruxelles. C'était le moment, lorsque je suis arrivé comme secrétaire d'Etat, où le ministre belge Hindemans, a fait une de ses premières propositions sur la réforme des institutions européennes. Il y avait un mémorandum. Sauvagnargues, qui était pourtant au quai d'Orsay un représentant de la tendance européenne, avait comme instruction de détruire ce papier. Ce qu'il a fait très proprement et c'était sur instruction de Giscard qui a, dans le cours de son mandat, pris des initiatives dont certaines étaient à mon avis tout à fait dans le droit fil du plan Fouchet (le Conseil européen des chefs d'Etat par exemple), et d'autres qui n'allaient pas tout à fait dans ce sens ( l'élection du Parlement au suffrage universel par exemple). D'ailleurs, Debré à l'époque était tout à fait hostile à cette décision. Par conséquent, Giscard a été beaucoup plus gaullien qu'on ne le pensait. C'est une des choses qui m'a tout de suite frappé.

BFF : Qu'est-ce qui vous a mis sur orbite pour entrer au gouvernement en 1976 ?

JFP : Giscard. C'est quelqu'un que je connaissais peu, nos familles se connaissaient. Je connaissais beaucoup mieux le père et les cousins que lui et comme il a fait une carrière très rapide, je l'avais très peu fréquenté. Mais c'est quelqu'un qui est une espèce de tête chercheuse ; il va constamment à la pêche aux têtes nouvelles. J'imagine qu'il avait cela dans la tête probablement parce que j'étais sorti premier de l'Ecole d'administration, que par ailleurs j'avais pris une position centriste (il a toujours eu l'idée d'une certaine ouverture au centre et au centre gauche) et il voyait en moi, à tort d'ailleurs, un radical. Il devait y avoir quelque chose qui était dû à la couleur politique, quelque chose qui était dû à mon passé universitaire, le fait que j'ai eu une carrière où j'avais quitté le quai d'Orsay. Tout cela composait un personnage un peu atypique. Il m'a nommé secrétaire d'Etat pour voir comment cela se passerait. Je suis rentré au quai d'Orsay comme secrétaire d'Etat ; Sauvagnargues et son équipe ont eu le sentiment que je représentais un danger pour Sauvagnargues et m'ont très soigneusement mis à l'écart de tout.

BFF : Vous étiez à la fois politique, ancien fonctionnaire mais plus vraiment fonctionnaire.

JFP : Ils devaient penser que j'avais la tête de quelqu'un qui pouvait éventuellement remplacer Sauvagnargues qui avait fait un parcours difficile et qui n'avait pas du tout réussi au Parlement, qui était très fatigué.

BFF : On lui reprochait de s'être risqué du côté d'Arafat.

JFP : Cela a été difficile. Mais la plus grande difficulté a été une difficulté personnelle ; il était fatigué, il ne dormait plus, on disait qu'il s'était mis à boire. Il vivait de somnifères.

BFF : Il m'a laissé entendre que le courant ne passait plus entre lui et le Président ; il semble qu'au début, le Président lui ait témoigné beaucoup de confiance, que même beaucoup d'initiatives étaient de son fait et qu'ensuite sur des questions un peu médiatisées, il a cessé de plaire.

JFP : C'est probable. Il avait cessé de plaire en partie probablement à cause de ce que je viens de dire et à cause du fait qu'au Parlement cela ne passait pas. Il était donc plutôt un poids mort politique qu'un atout. A l'époque, il m'avait soigneusement mis à l'écart, de sorte qu'au bout de quelques mois, je n'avais pratiquement rien fait comme secrétaire d'Etat. C'est alors que je crois, Giscard a dû dire à Couve, qu'il fallait que je fasse quelque chose et on m'a donné à traiter un dossier qui paraissait infaisable, qui était une peau de banane et qui était de conduire à l'indépendance Djibouti. C'était une situation inextricable. Le miracle a fait que cela s'est très bien résolu. C'est un des cas de décolonisation qui a marché le mieux et même aujourd'hui cela marche à peu près.

BFF : Sur la période secrétaire général, pouvez-vous m'indiquer si le secrétaire général se projette en écran, en relais, quelle part vous prenez à la politique extérieure entre le ministre et le Président.

JFP : Guiringaud avait une forte personnalité ; on l'avait chargé d'un ou deux dossiers, c'était le moment de la crise pétrolière. C'est lui qui avait monté, à la demande de Giscard, la conférence de l'avenue Kléber et il a mené cela très bien , avec beaucoup de personnalité. Le rôle du secrétaire général est un rôle de relais, dans les deux sens.

BFF : Au temps de Burin ou de Tricot, il fait très peu de chose sur le contenu.

JFP : Sur le contenu, je ne crois pas pouvoir dire qu'il faisait grand chose. C'était le ministre des Affaires étrangères et le Président qui se voyaient en tête à tête, qui réglaient les choses. Giscard était très bien informé, non seulement des affaires internationales, mais aussi de la mécanique du quai d'Orsay. Il avait regardé cela de près. Il avait une très bonne idée de la façon dont fonctionnait le quai d'Orsay et de la façon dont on pouvait le faire fonctionner. Il connaissait les hommes. Cela venait de son expérience de ministre des Finances. Le ministre des Finances passe son temps à voyager partout et à cette occasion, il voyait les ambassades. Il avait une bonne idée de la façon dont cela fonctionnait et du personnel.

BFF : Pendant les trois ans où vous avez été ministre, y avait-il encore sur certains sujets des jurisprudences Couve de Murville que vous aviez à étayer et à combattre et quel a été le climat entre vous et Couve à l'Assemblée ?

JFP : Ce qui m'embarrasse dans la réponse, c'est la part de Couve dans l'héritage. Par exemple, un domaine où on n'a pas dévié d'un pouce, c'est le Moyen-Orient. Giscard a poursuivi la politique qui était totalement à l'opposé de la politique de la IVe République qui est la politique que le général de Gaulle a initiée, que Couve a appliquée, que Giscard a poussé un peu plus loin. Mais dans la ligne d'une politique qui avait été définie par le général de Gaulle et dont on n'a pas dévié. Etait-ce Couve ou de Gaulle, j'ai du mal à le dire parce que je n'ai pas vécu l'expérience Couve. Mais c'était tout à fait clair dans ce domaine. Dans les relations avec les Etats-Unis, Giscard a, là aussi malgré tout, suivi la ligne fixée par le général de Gaulle c'est-à-dire la fidélité à l'Alliance mais avec des manifestations d'indépendance qui font qu'il y avait des tensions franco-américaines assez régulièrement. Tout en ayant de bonnes relations avec les Etats-Unis.

BFF : Quand vous êtes arrivé, vous n'aviez plus cette épine de cette Charte atlantique ou transatlantique que l'on voulait refaire.

JFP : Il n'y avait pas de papiers à négocier mais par exemple, dans l'affaire de l'Afghanistan, qui a été la grande période de tension de ma période aux affaires, on s'est quand même distancé des Américains sur des sujets aussi majeurs que le boycottage des Jeux olympiques, où on n'a pas suivi les Américains, mais d'une façon générale, quand Giscard a été à Varsovie, j'étais très hostile à cette visite, c'était une initiative qui n'allait pas dans le droit fil de la vision américaine. Giscard a eu de bonnes relations avec Ford mais l'affaire des Jeux olympiques, c'était avec Carter. Sur cette affaire-là, avec Schmidt qui a pris plus ou moins une position analogue à la sienne, je me souviens de conversations qu'on a eu ensemble (Gemscher, Schmidt, Giscard) où on a marqué des différences très significatives avec les Etats-Unis. Il y a avait donc encore une marque de Gaulle-Couve.

BFF : Vis-à-vis de l'Allemagne, on a un peu le sentiment que les choses marchent avec efficacité entre de Gaulle et Adenauer, mais que dès septembre 1963 quand le Chancelier se retire, on a une période de froid qui va durer jusqu'à Schmidt-Giscard.

JFP : Schmidt en a mortellement voulu à Carter de toute cette opération de la bombe à neutrons. A un moment, l'Amérique avait lancé une arme nouvelle avec des neutrons renforcés, c'était une arme qui avait une charge de rayonnement plus importante qu'une charge de destruction. C'était donc une arme antipersonnel. Cette idée se heurtait en Europe au fait que le rayonnement est par définition extrêmement impopulaire. Le Parti communiste est parti en guerre contre cela, la Russie aussi. C'était une arme qu'on pouvait plus facilement employer pour arrêter une offensive éventuelle des chars soviétiques dans ce sens que cela ne détruisait soi-disant pas les chars mais les cerveaux des chars. Cela ne détruisait pas le paysage, c'était une bombe dont les effets étaient accrus dans un sens et minorés dans l'autre. C'était donc une arme du champ de bataille, pas une arme tactique. Les Américains avaient finalement convaincu Schmidt de l'accepter. Il avait publiquement avalisé jusqu'au jour où Carter est revenu en arrière du jour au lendemain et a enterré cette arme parce que justement elle était tombée sous les coups des lobies pacifistes qui la qualifiait d'arme inhumaine puisqu'elle tuait les hommes et pas les matériels. Schmidt n'a jamais pardonné cela à Carter qui était un personnage, il faut le dire, assez léger, assez bizarre. Schmidt a terminé son mandat sur une ligne qui n'était pas la ligne sur laquelle il était arrivé et d'ailleurs il n'a pas changé depuis puisqu"il est resté le grand défenseur de l'entente franco-allemande. Il est devenu beaucoup plus européen que lorsqu'il est arrivé où il était beaucoup plus anglo-saxon. L'Europe européenne, qui est une idée du Général, est une idée à laquelle Schmidt a adhéré tardivement.

BFF : Diriez-vous que le président Giscard d'Estaing faisait de la politique extérieure avec des arrière-pensées de politique intérieure mais que le sujet principal de son septennat c'était la politique intérieure, ou avez-vous senti la même préoccupation d'un primat de politique extérieure comme sous de Gaulle ?

JFP : Je serai quand même tenté de dire que la politique intérieure était plus présente. Il me semble notamment quand il a été à Varsovie. Je crois que la politique intérieure a toujours été plus ou moins dans ses préoccupations avec des dosages qui ont varié selon le temps et le moment et selon la proximité des échéances.

BFF : Qu'est ce qui vous a fait passé du secrétariat général et d'un travail assez personnel avec lui au quai d'Orsay ?

JFP : Il faudrait lui demander. Comme secrétaire général, cela s'est très bien passé. A un moment, il a voulu changer Guiringaud, et il souhaitait sûrement avoir au quai d'Orsay quelqu'un avec qui il était en relations faciles, quotidiennes.

BFF : A l'époque, on lui a beaucoup reproché de ne pas faire assez de papiers, de faire beaucoup d'oral et beaucoup de conversations téléphoniques.

JFP : C'était quelqu'un à qui on faisait des notes et qui répondait en commentaire des notes. On trouverait énormément de notes annotées de sa main. Je ne me souviens pas qu'il ait beaucoup dicté d'instructions ; ces instructions venaient sous cette forme ou sous une forme orale et c'est vrai qu'il a beaucoup utilisé le téléphone.

BFF : Rétrospectivement, j'ai la sensation que le haut fonctionnaire ou le ministre avait presque une crainte révérentielle pour Giscard que peu ont eu pour de Gaulle. La réputation de très grande vélocité et capacité intellectuelles de Giscard paralysait un peu les gens ?

JFP : Il est probable qu'en effet, Giscard est un esprit assez caustique et c'est vrai qu'on avait toujours l'impression de passer un examen de passage. Il avait maintenu l'exposé du ministre des Affaires étrangères toutes les semaines au Conseil des ministres et j'avais en effet le sentiment qu'il vous mettait une note. Je m'occupais moi-même de mon exposé. Je faisais travailler les services, les ambassades mais c'est moi qui m'en occupais. Je me souviens que pendant cette période là, j'ai vu Couve assez souvent et j'ai été très frappé par l'acuité de son intelligence. C'était quelqu'un qui, dans une situation compliquée, mettait le doigt sur le sujet important, sensible, sur la fragilité du raisonnement qu'on pouvait lui tenir, il était redoutable. C'était un rayon laser d'intelligence, qui n'apparaissait pas forcément dans ses exposés car il avait un côté rabat-joie comme on en rencontre rarement, c'était un dégonfleur de ballons, qui, lorsqu'on arrivait en croyant avoir une idée, on sortait de là, l'idée avait disparu, parce qu'il avait cet esprit extraordinairement perspicace, qui allait droit à la faiblesse du raisonnement qu'on pouvait lui tenir. Nous parlions ensemble et on avait pas besoin de l'interroger pour qu'il vous fasse part de son sentiment. Je l'ai rarement vu exprimer une opinion sur un sujet sans que cette opinion méritât le détour. Il avait une vision très personnelle et très aiguë des situations, des problèmes, des hommes, sans complaisance aucune mais très juste. En sens contraire, j'ai donc été planché très souvent devant la commission, et je dois dire qu'il a toujours été d'une parfaite courtoisie et ce que je dis là, ce n'est pas quelques chose que j'ai ressenti comme ministre, je dois dire que j'étais plutôt inquiet en allant à la commission des Affaires étrangères pour la première fois et il a été d'une correction parfaite. Il ne cherchait pas à me mettre mal à l'aise. Il ne l'a jamais fait et nos relations qui n'étaient pas bonnes lorsque j'étais jeune fonctionnaire au quai d'Orsay, je l'ai probablement agacé parce que je remuais dans les brancards, au contraire lorsque j'étais ministre tout s'est très bien passé. J'ai souvent demandé ses conseils et je l'ai toujours trouvé intelligent, utile.

BFF : C'est vous qui avez défendu l'élection de 1979 au suffrage universel ou c'était antérieur ?

JFP : C'est moi qui l'ai défendu. C'est passé par la question de confiance. C'était évidemment très contraire à la ligne de De Gaulle et de Debré qui vous épinglait lorsqu'on disait Parlement. On n'avait pas le droit de dire parlement.

BFF : Le schéma de départ Couve-de Gaulle vers 1960-1961, c'était plutôt le référendum européen pour éviter l'élection directe.

JFP : Je n'ai jamais entendu exprimer l'idée d'un référendum européen. Elle n’a été ni envisagée, ni vraiment débattue.

BFF : Vous aviez Bruno de Leusse comme secrétaire général ?

JFP : Oui et ensuite Soutou.

BFF : Est-ce que dans la période où il est avec vous, Bruno de Leusse est haut-fonctionnaire ou est-il couvien, gaullien...

JFP : Il faisait marcher la maison et pour les sujets politiques difficiles, ce n'était pas lui. Je le connaissais très bien parce qu'il avait été le collaborateur de mon père. Pour ces fonctionnaires-là, j'imagine que ma nomination n'a pas fait plaisir, parce que c'était une génération beaucoup plus jeune qu'on parachutait au sommet d'une maison, que j'avais quitté en rupture de ban. Je revenais et cela ne plaît jamais aux fonctionnaires, ce que je comprends. Il n'en demeure pas moins que les relations ont été bonnes. Avec Soutou, ce n'était pas pareil parce que nous étions en sympathie sur les sujets.

BFF : Soutou était encore marqué par Mendès ?

JFP : Vous aviez dans la maison trois personnes qui voyaient les choses de la même façon dont aucun n'était couvien. Il y avait Sauvagnargues, Laloy et Soutou. C'étaient trois personnages tout à fait remarquables dans leur genre et qui avaient des idées très voisines sur l'Union soviétique et sur l'Europe. L'enterrement de la CED par Mendès et ensuite le raccommodage par Soutou, je ne sais pas si Soutou seul aurait fait cela. C'est quand même Mendès qui a enterré la CED. De l'autre côté, vous aviez les collaborateurs de Couve, c'était Lucet, Seydoux, Gilet...

BFF : Ils ont tous eu des relations assez intimes avec Couve : camarades de lycée, premier collaborateur... Et Joxe, que vous avez comme secrétaire général en 1958 quand vous êtes chez Maurice Faure. Pourquoi si on voulait un ministre technicien en 1958, n'a-t-on pas pensé à Joxe, à un retour de Massigli ou à Alphand ?

JFP : Je ne sais pas.

BFF : Joxe était marqué politiquement ?

JFP : Je ne peux pas vous dire pourquoi ; c'est vrai que le Général avait le choix. Il y avait un personnage qu'il aurait probablement choisi, en tout cas, ce personnage m'a dit que de Gaulle le lui avait dit, c'était Roland de Margerie. Il était le directeur de cabinet de Paul Reynaud et qui, par conséquent, en 1939-1940, passait les papiers de De Gaulle au Président. De Gaulle l'avait sûrement vivement apprécié, car c'était un homme d'une intelligence extrême, tout à fait remarquable. Il a été nommé après la défaite consul général à Shangaï, une des premières personnes que le général a appelé à Londres c'était lui. Il a  refusé. Ensuite cela a freiné tout cela. Il a terminé sa carrière comme ambassadeur à Bonn après Couve et quand le général de Gaulle a fait sa visite en 1962 en Allemagne, il était là, dans la voiture du chef de l'Etat avec Couve ; Roland de Margerie m'a dit que de Gaulle lui avait dit que s'il avait fait un autre choix en 1940, il serait à la place de Couve. Cela l'avait beaucoup frappé.

BFF : Est-ce qu'en 1981, c'est une chose que Deniaud laissait entendre, si Giscard avait gagné 1981, vous étiez l'un des deux Premiers ministres possibles ?

JFP : Je ne peux pas vous le dire, il ne m'en a jamais parlé. Je crois que c'est quelque chose que Barre disait et conseillait, mais jamais Giscard ne m'en a parlé.

BFF : Avec Barre, est-ce que le Premier ministre était en retrait sur la politique étrangère ?

JFP : Le Premier ministre a existé sur les Affaires européennes. Là, Barre a pesé relativement lourd à mon avis et Giscard ne prenait pas de décisions sans l'avis de Barre et c'est un avis qui dans les affaires de la monnaie unique a joué. Il a joué un rôle important. Dans le reste de la diplomatie, pas du tout. Je crois qu'il y a eu un moment particulièrement difficile dans la politique vis-à-vis du Moyen-Orient, le moment où Sadate a fait sa visite à Jérusalem, ce qui était extrêmement audacieux et approuvé par le monde entier et critiqué par nous parce qu'on a estimé que les Palestiniens n'étaient pas dans le coup, etc.. L'idée était que cela ne résolvait pas le problème. Dans un problème comme celui-là, Giscard demandait son avis à Barre qui d'ailleurs a tout à fait soutenu cette attitude, mais sinon, c'était vraiment le président de la République et le ministre des Affaires étrangères. Barre ne s'en mêlait pas, je ne lui rendais pas compte, il ne me le demandait pas.

BFF : Vous n'aviez pas, sinon de jour fixe, au moins d'audience avec le Premier ministre sur ces questions ?

JFP : Absolument pas.

BFF : Les nominations c'était vous et le président de la République ?

JFP : Oui.

BFF : Comment caractériseriez-vous les deux intelligences du président et du Premier ministre ?

JFP : C'était Giscard qui dirigeait et Barre était d'une extrême loyauté. Il y a sûrement un moment où Giscard s'est interrogé sur le fait de savoir si il était une gêne pour sa réélection (sûrement) mais il a finalement décidé qu'il fallait garder le même Premier ministre, lequel ne voulait pas faire ce que Giscard voulait faire, c'est à dire gouverner large avant les élections. Je crois que dans son esprit, Giscard l'a rendu en partie responsable de son échec, le principal responsable étant évidemment Chirac et les scandales.

BFF : Il est très étonnant que le moins valeureux de tous les présidents de la République qu'on ait eu, est celui qui a le mieux réussi à garder son image. L'image de Chirac aujourd'hui est encore intacte, jeune, fraternel, généreux, ouvert ? Giscard qui avait admirablement réussi à positionner son image et à la contrôler jusqu'en 1974-1975, qu'après 1977 il y ait eu un effilochement surprenant ?

JFP : C'est vrai. Je crois que cet effilochage a été un peu moins important dans l'opinion publique que nous ne l'avons pensé. Si Chirac avait joué le jeu, il est évident que Giscard aurait été réélu. Il n'y a aucun doute.

BFF : La campagne du Président en 1981 n'est pas formidable.

JFP : C'est vrai, mais il pensait sûrement que cela se passerait sans problème. Il a découvert la difficulté qu'en cours de campagne.

BFF : Pendant la période où vous êtes dans le privé, ce qui était à l'époque très rare pour un haut fonctionnaire…

JFP : C'est surtout rare qu'un fonctionnaire ayant fait cela revienne.

BFF : Entre 1966 et 1970, comment, vu de l'extérieur, voyez-vous le départ de Pompidou, la nomination de Couve et le départ de De Gaulle ?

JFP : Je vois cela comme un grand changement. J'ai le sentiment que Pompidou a profondément réorienté le style et la politique antérieure et son acte le plus significatif de la politique de Pompidou, c'est l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté. Je suis persuadé que de Gaulle n'aurait pas fait cela dans ces conditions, avec un référendum difficile. J'ai eu le sentiment d'un grand changement, d'un coup de barre vers le centre avec l'entrée de Duhamel...

BFF : Est-ce que Couve, avec du temps, aurait pu tenir comme Premier ministre ? Avez-vous eu l'impression qu'il y avait un changement dans l'ordre de succession en 1968-1969 ?

JFP : Je ne sais pas si il aurait tenu. Il était quand même peu fait pour la vie politique, la télévision. C'est ce qui a fait de Giscard l'homme qu'il a été, c'est le fait qu'il a été le premier homme politique après de Gaulle à maîtriser la télévision. Evidemment, de Gaulle a été le meilleur de tous, tout simplement parce qu'il était lui-même. Les autres ont réfléchi, ils ont préparé, de Gaulle n'a rien préparé du tout.

BFF : On a dit que votre père s'était mis en travers d'un projet du Général avec le Comte de Paris ?

JFP : C'est absolument vrai. Le Général avait cette intention avec quelles arrières-pensées, c'est difficile à dire : peut-être en faire son successeur élu au suffrage universel, je n'en sais rien. Mais il a souhaité le mettre à la tête de la Croix Rouge, cela ne fait aucun doute. Que mon père s'y soit opposé ne fait aucun doute non plus.

BFF : Il était, avec Raymond Aron, le meilleur pourfendeur de notre politique extérieure ?

JFP : C'était un républicain de la vieille école. Il était très politique, ce n'était pas du tout un fonctionnaire. C'est l'universitaire qui fait de la politique et qui a ses propres idées et évidemment parmi les idées qu'il avait, il y avait une réticence congénitale, héritée, à l'égard des militaires qui font de la politique. C'est l'Etat républicain modéré, mais il n'était pas modérément républicain. Il était totalement hostile à l'élection du Président au suffrage universel, au référendum. Pour lui, tout cela était quasiment du bonapartisme. Il était totalement contre les régions, il considérait que l'unité de la France n'était pas si solidement établie que cela.

BFF : Son enfance intellectuelle avait été Gambetta, Combes et Waldeck-Rousseau ?

JFP : Oui, c'est cela. L'accession d'un général qui en plus casse la vaisselle diplomatique, comme le Général l'a fait, c'était totalement contraire à sa façon de réagir et d'analyser les choses.

BFF : Lorsque vous étiez avec Maurice Faure, est-ce que Guy Mollet, Gaillard ou Bourgès valent beaucoup mieux que le souvenir qu'on a de la IVe ?

JFP : Je crois que la question est de savoir si le système était ce qu'il était à cause des hommes ou si les hommes n'ont rien donné à cause du système ? Je crois que les hommes n'ont rien donné à cause du système. Mon père était un patriote pas nationaliste dans un sens antieuropéen. Je me souviens par exemple que j'avais eu une altercation avec lui lorsque, sous Félix Gaillard, les militaires avaient pris sur eux de bombarder Sakhiet. J'avais trouvé cela scandaleux. Ce n'était pas du tout l'avis de mon père. Il y a avait chez de Gaulle quelque chose d'extraordinairement moderne, c'était un homme de son temps et au fond, mon père l'était beaucoup moins.

BFF : Si la ligne Maurice Faure avait continué, où allait-on ?

JFP : Cela posait un problème qui a été très souvent analysé : le problème était de savoir si on était capable d'appliquer le traité de Rome ou non. Sans de Gaulle et le redressement très rapide, on aurait pas pu. Je ne crois pas que la IVe République y soit arrivée. D'ailleurs dans le traité, on avait dépensé des trésors d'efforts et d'intelligence pour faire accepter au Allemands une taxe qui tenait lieu de dévaluation. On aurait obtenu beaucoup de choses des Allemands si on ne s'était pas accroché à cette ânerie. Avec l'arrivée de Gaulle, l'état des lieux à totalement changé. L'alternative est toujours plus ou moins posée. Il est certain qu'on avait dans l'esprit une communauté politique. Eux-mêmes ne l'ont jamais définie. Ils avaient dans l'esprit une confédération sans avoir poussé aussi loin le raisonnement. Je crois que cette évolution est incompatible avec l'élargissement, c'est là qu'il y a un choix. De plus lorsqu'on a fait rentrer l'Angleterre, on aurait du lui poser des questions politiques, on ne l'a pas fait, on lui a posé des questions économiques. On l'a obligé à accepter la politique agricole. Avec le recul du temps, a-t-on bien fait ; on a créé une situation agricole artificielle, on a monté les prix, il y a eu un moment d'euphorie agricole qui débouche aujourd'hui sur l'obligation de démanteler cette politique agricole commune.

BFF : Comment se fait-il que vous n'entrepreniez pas de Mémoires ?

JFP : Je n'ai pas beaucoup de talent, pas beaucoup de patience, cela m'assomme. En tout cas pour répondre à votre question, de quoi aura l'air l'Europe dans vingt ou trente ans, je crois que l'idée que l'on faire une communauté politique, une Europe fédérale, je crois que cette idée-là est dépassée; on aura une Europe qui sera un animal international comme il n'y en a pas d'autre. Je crois qu'à cause de cela, l'Europe ne sera pas une superpuissance, parce qu'elle ne s'en donnera pas les moyens, ni les moyens institutionnels...Ce n'est pas du tout l'Europe que je voulais. Je vois l'Europe comme une grande Suisse. On soutiendra les Nations Unies contre les Etats-Unis, on sera des adeptes du multilatéralisme, de l'écologie, on sera plus suédois que français, plus danois qu'anglais.

BFF : Il est très étonnant qu'en France, il y ai tant de capacités, d'intelligences inemployées, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis.

JFP : C'est tout à fait vrai. On ne consulte jamais personne. L'alter ego américain de mon père en Allemagne qui jusqu'à l'âge de 85 ans a été consulté par les Américains et très efficacement. Les Américains ont toujours fait cela, nous on ne fait pas cela et on est en plus étroitement politique là-dedans. Le seul moment où on a fait quelque chose de différent, c'est au moment de la guerre du Golfe où Dumas m'a demandé d'expliquer la politique et il m'avait envoyé voir le roi de Jordanie. C'est le seul cas.

BFF : Est-ce que Cheysson quand vous étiez ministre se singularisait à la Commission; pensiez-vous que ce serait le ministre de la gauche ?

JFP : Non pas vraiment. Je ne me suis pas posé la question, mais je peux dire qu'il s'est très longuement trompé, parce que lorsqu'il est arrivé et que je lui ai passé le service, nous avons eu trois minutes de conversation avant. Il m'a dit des choses qui étaient plus ou moins agréables pour moi et pas exacte pour lui. Il m'a dit que j'avais été un ministre des Affaires étrangères d'un Président qui connaissait bien les affaires étrangères et que j'étais un exécutant mais que lui, comme Mitterrand n'y connaissait rien, ne serait pas un exécutant. Ce n'est pas comme cela que ça s'est passé.


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