Aujourd’hui, à Reims, la chancelière allemande et le nouveau président français célèbrent ensemble : quoi ? Le cinquantième anniversaire du voyage officiel en France du chancelier Adenauer, premier du genre depuis la venue – rapide – de Hitler en 1940. De Gaulle et l’Allemand, sur fond de façade occidentale de la cathédrale de Reims, au lieu du Führer sur l’esplanade du Trocadéro entouré des uniformes de son armée, la tour Eiffel en fond d’image. 5-8 Juillet 1962, le plan Fouchet d’union politique a été rejeté mais le passage à la seconde étape du désarmement douanier entre les Six a été avancé – au 1er Juillet – de trois ans, les règlements fondatnt le Marché commun agricole ont été adoptés le 4 Avril précédent. De Gaulle rebndra la visite officielle en Allemagne du 4 au 9 Septembre.
Quatre ans plus tôt, ce sont les vingt-quatre heures de l’ancien maire de Cologne malmené par les Anglais puis par les Nazis, vécues en tête à tête avec l’homme du 18-Juin, chez celui-ci, à la Boisserie : 14-15 Septembre 1958, l’entente des deux personnages, fort grands dans chacun de leur pays respectif, met de côté ce qui ne peut être daté, la réunification allemande, l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’entreprise des Six. Le surlendemain, le Français saisit les Américains et les Anglais pour un directoire à trois de l’Alliance atlantique. Six mois après Reims, à l’Elysée, Adenauer et de Gaulle signe le traité franco-allemand, qui est l’application à deux de ce qu’ils s’étaient entendus pour faire vivre à Six et fut écarté par les Etats du Benelux pour des raisons dogmatiques (le rôle de la Commission relativement à un secrétariat politique) et au motif du préalable de la candidature britannique au Marché commun : 22 Janvier 1963.
François Hollande et Angela Merkel ont-ils connaissance, sinon mémoire, de ce qui ne serait plus qu’éphémérides et de moindre poids que leur rencontre du 15 Mai 2012 au soir ? Chacun a protesté avec les cérémonies d’aujourd’hui de l’importance de la relation franco-allemande. Tous deux en termes l’instrumentant pour le bon fonctionnement ou pour un autre fonctionnement de l’Union européenne, le premier avertissant que l’époque du directoire – qui aurait caractérisé le précédent quinquennat français – est révolue, d’autant que les lignes n’ont bougé au dernier Conseil européen qu’en procédant tout autrement, et la seconde assurant de l’importance mondiale de cette entente.
La mûe date du départ de François Mitterrand. Soit près de vingt ans, maintenant. Ce qu’ont voulu et scellé de Gaulle et Adenauer, assez différemment de Robert Schuman, l’européen, a été la réconciliation de deux peuples, de deux Etats, de deux histoires, la liquidation dans les âmes de trois guerres franco-allemandes dont deux dégénèrèrent en conflits mondiaux, faisant – ce qui n’est pas accessoire – perdre à l’Europe sa gouvernance du monde, donner aux Etats-Unis les moyens d’une hégémonie qui n’en finit pas de décliner, et se partager la planète en plusieurs groupes socialement, idéologiquement, voire militairement clivés. La réunification du Vieux Monde, donc l’implosion soviétique, la modération en politique intérieure des affrontements droite-gauche patronat-ouvriers, l’émergence d’autres manières de vivre et d’organiser l’économie entre peuples européens étaient en germe. Ils n’étaient que très indirectement et implicitement visés, même s’il apparaît depuis déjà quelques décennies que ces évolutions n’auraient jamais eu lieu sans cette réconciliation. Le germanique, réfléchissant selon l’expérience des armes, la réforme politique de son pays était d’ailleurs davantage de Gaulle, et le latin amoureux des lacs italiens, catholique ostensible était bien Adenauer. François Mitterrand avait une mémoire analogue, celle de 1940-1945, et Helmut Kohl eût à gérer la chute du mur divisant Berlin. L’Europe et les avancées consacrées par le traité de Maastricht furent l’instrument de la paix franco-allemande que l’extension territoriale de la République de Bonn et le rééquilibrage vers l’est d’un système qui n’avait eu d’horizon que rhénan pendant quarante ans.
D’une relation franco-allemande vécue pour elle-même à une entente pour faire prévaloir ensemble des vues et une stratégie européennes, la mûe avait été pratiquée avant l’heure par Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, du simple fait d’un travail ensemble en tant que ministre des Finances de leur pays respectif. Le cheminement monétaire européen, la pratique des sommets G 7, G 8 et maintenant G 20 ont été leur œuvre, considérable. Deux fondations possibles, celle des âmes – les rencontres et traités de 1958 à 1963 – et celle des techniques multilatérales en diplomatie et en monnaie, auraient pu fusionné. Ce n’est pas encore fait. Le patriotisme européen dont la réconciliation franco-allemande montre la possibilité psychologique et les effets positifs dans tous les domaines, n’inspire toujours pas les solutions de raccroc que les Vingt-Sept ratifient au coup par coup depuis quatre ans, « crise » oblige. La solidarité se cherche mais ne s’énonce pas encore, l’Union européenne n’est toujours pas en tant que telle une puissance mondiale, diplomatiquement et militairement à même de traiter d’égal à égal avec la Chine , la Russie , les Etats-Unis.
Le temps perdu a été passé stérilement à juguler la peur de la réunification allemande, puis la fascination de la réussite économique et budgétaire du modèle allemand, et maintenant à forcer un consentement pour la mutualisation des dettes souveraines. La substance-même des deux peuples, les nettes différences entre leurs pratiques démocratiques, l’ouverture qu’aurait pu constituer mentalement et pratiquement l’enseignement en première langue obligatoire dans chacun des deux pays celle de l’autre, au lieu du truchement anglais ou de la prétention francophone, numériquement dépassée et de beaucoup par l’hispanophonie et la lusophonie, rien qu’en s’en tenant aux parlers européens ont été perdus de vue. Les « sommets » semestriels entre dirigeants suprêmes ont été banalisés par d’autres rencontres de même type avec des Etats tiers. Il n’y a eu ni invention à deux, ni proposition pour tous. En réalité, Jacques Chirac, Gerard Schroeder, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel ont été à courte vue et, sauf à s’habituer à fonctionner en couple, ils n’ont pas eu de sympathie mutuelle. Ils en sont restés au registre politique et à la recherche d’un mode d’emploi de l’autre. Aucun n’a certes trouvé de substitut mais sans doute tous en ont rêvé aussi bien aux dimensions d’un Etat partenaire que d’un homologue plus semblable.
Surtout, nous ne trouvons plus le sujet, nous avons perdu la conscience du nécessaire et du possible. Nos exigences mutuelles sont petites, c’est pour cela qu’elles sont mal reçues de part et d’autre. La réconciliation a été une œuvre en soi, moyen et fin. Elle a fait merveille pour fonder le Marché commun, elle a changé toute l’ambiance en Europe puis l’histoire, de Gaulle s’en est porté fort à Moscou, Brandt puis Gorbatchev ont suivi sur le chemin de la confiance mutuelle. Tout est de nouveau en friche. La Russie parce qu’elle se veut dangereuse et présente signale, presque puérilement, qu’elle est demanderesse de la considération mondiale, la France du fait de l’Allemagne peut la lui prodiguer. Les traités européens – ou plutôt celui de Lisbonne qui maladroitement a prétendu les absorbé tous – sont de plus en plus mal écrits et méprisés pour leurs velléités essentielles : la démocratie équlibrant et justifiant l’émancipation juridique de la construction vis-à-vis des ordres étatiques et nationaux. Les vieilles peurs, méfiances qui sont autant de relents quasi-racistes entre peuples et surtout entre dirigeants… renaissent périodiquement, 1989 et la réunification un moment boulimique dans sa version Kohl, retenue et bien menée dans celle convenue entre Genscher et Dumas (eux, qui parlaient la même langue à tous égards, la table, l’allemand, les souvenirs de guerre, le goût des pays tiers), 2011-2012 et leurs accusations mutuelles de laxisme ou d’égoisme. Le chemin de l’acceptation de l’un par l’autre n’est jamais totalement abouti, puisque la vie des peuples et les circonstances mondiales ajoutent toujours du paysage et de la matière à réaction.
Surtout, deux questions qui peuvent faire levier ne sont pas traitées. Elles sont – en solutions – le cœur de ce rétablissement d’une confiance et d’une estime mutuelles entre l’Allemagne et la France. La question nucléaire et d’une dissuasion européenne, commune et indépendante de l’alliance euro-américaine. Le fonctionnement du Conseil de sécurité et la mutualisation des sièges permanents avec droit de veto dont historiquement ont bénéficié, seuls, en Europe, la Grande-Bretagne et la France. Ce sont des questions vraiment d’intimité avec soi et avec l’autre. En parle-t-on ? Y songe-t-on ? Ce serait sauter d’une conjoncture dont chacun sait qu’elle est traitée au tout petit angle, à des perspectives telles que les sujets financiers, économiques et de solidarité matérielle se règleraient en quelques semaines dans une ambiance toute nouvelle. Alors, l’Union européenne – dont j’ai toujours la nostalgie qu’elle n’ait pas gardé son appellation originelle, son nom de baptême : Gemeinschaft, Communauté – aura fondé, par l’approfondissement franco-allemand, enfin l’indépendance du Vieux Monde. Nous allons vers cette identité : la seule qui vaille, la seule réaliste, la seule nous donnant les dimensions et le champ convenables.
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