publié par Le Monde daté du 29 Septembre 1977, p. 10
Quel Sénat ?
Les élections sénatoriales de dimanche ressemblent fort à celles de 1959. Alors, il s’était agi pour les battus de novembre 1958 de retrouver au Palais du Luxembourg la place perdue au palais-Bourbon – au moins pour ceux des députés de la IV° République qui n’étaient pas du Conseil d’Etat. Ainsi, l’opposition au régime nouveau peupla ce qui devint les deux foyers de résistance. A chacun des grands projets référendaires du général de Gaulle. Aujourd’hui, le jeu est à peu près le même, sauf qu’il anticipe la défaite législative et le changement de gouvernement, au lieu d’en découler comme il y a dix-huit ans. C’est merveille de voir tant de chantres de la démocratie ou des réformes de l’ « ère nouvelle » courir à la sécurité pour neuf ans. C’est merveille aussi de voir tant de décisions d’investiture aux prochaines législatives suspendues dans tous les partis aux résultats du 25 septembre.
Bref la seconde chambre, telle qu’elle recrute, illustre la dégradation de notre régime. La politique est une profession ; elle crée une classe à part et soucieuse de sécurité de l’emploi et de débouchés. Il est notoire – au moins dans les couloirs – que toute la réforme du régime des suppléants tient depuis l’automne 1974 à un cas personnel qu’on a réglé successivement par l’octroi d’un semi-portefeuille, puis maintenant d’une circonscription sénatoriale sûre.
Or, il se trouve que bien des questions posées par la carrière et le recrutement politiques pourraient trouver des solutions dans le renouvellement du Sénat. Et qu’au-delà des questions de personnes, la France s’en porterait mieux. Ce fut dit en 1969, conçu bien avant ; la consultation des « grands électeurs », cette fin de semaine, pourrait faire reprendre cette méditation.
La France est aujourd’hui – pour maintenir l’autorité de son Etat et l’unité de sa nation – confrontée à deux nécessités :
- Fortifier institutionnellement l’unité nationale mais favorioser (et pas seulement subir ou tolérer) les diversités régionales, les points de vue socio-professionnels même antagonistes.
- Rassembler dans les enceintes de délibération, de conseil et de contrôle le maximum des expériences, des compétences, des illustrrations, des innovations de notre pays, quelle qu’en soit l’étiquette partisane si elles en ont, et quelle que soit leur popularité du moment.
Ces deux nécessités sont pour l’heure palliées de la pire manière :
- En matière sociale, c’est la confrontation ou le couloir ; on joue d’un ministre sur l’autre, d’un service parisien à une administration régionale ou à une ambassade à l’étranger ; on mobilise à tort et à travers tandis que des détresses, des impasses, de véritabales problèmes sont laissés dans l’ombre ; en matière régionale, c’est le plastic ou la complaisance à quoi répondent la Cour de sûreté de l’Etat ou les arguments sommaires.
- Les carrières politique sont des courbes ; commencées par le cabinet ou par le parti, elles font longtemps du mimétisme, de la subordination et de la démagogie les clés de la réussite, qui, par construction ne doit appartenir qu’aux médiocres ; elles flamboient un court instant dans un hôtel ministériel où la logorrhée l’emporte sur la réforme, faute de durée et de liberté, quoiqu’ait souhaité le chef de l’Etat en entrant en fonctions ; c’est le fiévreux où l’on emmagasine du crédit local pour plusieurs années et où le cabinet du ministre se consacre au moins pour moitié à la circonscription, dans un régime qui, à l’origine, avait voulu séparer les fonctions et faire du gouvernement un organe indépendant de l’élection parce que déjà soutenu par deux pouvoirs élus : le président et le Parlement ; vient enfin l’automne, déjà l’hiver, où le plus énergiques ou les plus illustres s’éteignent à flatter l’arrondissement, à peindre en gris ce qui est blanc ou noir.
Renouveler le Sénat, ce ne doit pas seulement en changer ou en réélire le tiers ; ce serait le composer en sorte que :
- Les collectivités locales disposant toutes, échelmon régional compris, d’un organe délibérant élu, voire même pour les seules régions d’un exécutif élu à condition que les compétences en soient strictement définies, se fondraient, s’équilibreraient au Palais du Luxembourg.
- Les grandes illustrations de la politique, de la vie économique et sociale, la pensée et les arts, les plus jeunes qui déjà participent de mille façons publiques et personnelles au débat national siègeraient également au Sénat. Marcel Dassault libèrerait sa circonscription législative ; Pierre Mendès France ne serait plus à l’écart de la préparation de la loi ; les ministres ne craindraient plus d’être sans rien ou contraints d’affronter encore l’électeur ; Alain Krivine et Bertrand Renouvin encadrant Arlette Laguillier, la France entière serait vraiment au Palais du Luxembourg.
La question de trancher si la loi doit être votée ou non par les deux chambres ou par celle-là seule élue au suffrage universel deviendrait secondaire puisque la navette en consultation serait maintenue et que le gouvernement ne sollicitant la confiance que de l’Assemblée nationale et n’étant tenu que par son vote législatif, pourrait cependant et àç discrétion faire voter sur le texte arrêté par le Sénat. Pourquoi la qualité ne convaincrait-elle pas le peuple et ceux qu’il élit directement ?
Il n’est pas jusqu’à la hantise de M. Giscard d’Estaing de auvegarder les libertés qui n’y trouverait remède ; par une réforme appropriée de l’article 11 de la Constitution serait ouverte à chacune des deux Chambres, et non plus seulement comme aujourd’hui à leur corps réuni en Parlement, la possibilité de proposer au président de la République le referendum ; ce dernier trouverait dans un Palais du Luxembourg aussi diversifié et peu conventionnel que la liste de ses propres dîners chez l’habitant ou de ses commensaux élyséens ou privés, le contrepoids idéal à une Assemblée nationale qui ne serait plus de la couleur qu’il souhaite.
Tout le monde y gagnerait, en dignité d’abord, en réelle représentativité ensuite.
Quel Sénat ?
Les élections sénatoriales de dimanche ressemblent fort à celles de 1959. Alors, il s’était agi pour les battus de novembre 1958 de retrouver au Palais du Luxembourg la place perdue au palais-Bourbon – au moins pour ceux des députés de la IV° République qui n’étaient pas du Conseil d’Etat. Ainsi, l’opposition au régime nouveau peupla ce qui devint les deux foyers de résistance. A chacun des grands projets référendaires du général de Gaulle. Aujourd’hui, le jeu est à peu près le même, sauf qu’il anticipe la défaite législative et le changement de gouvernement, au lieu d’en découler comme il y a dix-huit ans. C’est merveille de voir tant de chantres de la démocratie ou des réformes de l’ « ère nouvelle » courir à la sécurité pour neuf ans. C’est merveille aussi de voir tant de décisions d’investiture aux prochaines législatives suspendues dans tous les partis aux résultats du 25 septembre.
Bref la seconde chambre, telle qu’elle recrute, illustre la dégradation de notre régime. La politique est une profession ; elle crée une classe à part et soucieuse de sécurité de l’emploi et de débouchés. Il est notoire – au moins dans les couloirs – que toute la réforme du régime des suppléants tient depuis l’automne 1974 à un cas personnel qu’on a réglé successivement par l’octroi d’un semi-portefeuille, puis maintenant d’une circonscription sénatoriale sûre.
Or, il se trouve que bien des questions posées par la carrière et le recrutement politiques pourraient trouver des solutions dans le renouvellement du Sénat. Et qu’au-delà des questions de personnes, la France s’en porterait mieux. Ce fut dit en 1969, conçu bien avant ; la consultation des « grands électeurs », cette fin de semaine, pourrait faire reprendre cette méditation.
La France est aujourd’hui – pour maintenir l’autorité de son Etat et l’unité de sa nation – confrontée à deux nécessités :
- Fortifier institutionnellement l’unité nationale mais favorioser (et pas seulement subir ou tolérer) les diversités régionales, les points de vue socio-professionnels même antagonistes.
- Rassembler dans les enceintes de délibération, de conseil et de contrôle le maximum des expériences, des compétences, des illustrrations, des innovations de notre pays, quelle qu’en soit l’étiquette partisane si elles en ont, et quelle que soit leur popularité du moment.
Ces deux nécessités sont pour l’heure palliées de la pire manière :
- En matière sociale, c’est la confrontation ou le couloir ; on joue d’un ministre sur l’autre, d’un service parisien à une administration régionale ou à une ambassade à l’étranger ; on mobilise à tort et à travers tandis que des détresses, des impasses, de véritabales problèmes sont laissés dans l’ombre ; en matière régionale, c’est le plastic ou la complaisance à quoi répondent la Cour de sûreté de l’Etat ou les arguments sommaires.
- Les carrières politique sont des courbes ; commencées par le cabinet ou par le parti, elles font longtemps du mimétisme, de la subordination et de la démagogie les clés de la réussite, qui, par construction ne doit appartenir qu’aux médiocres ; elles flamboient un court instant dans un hôtel ministériel où la logorrhée l’emporte sur la réforme, faute de durée et de liberté, quoiqu’ait souhaité le chef de l’Etat en entrant en fonctions ; c’est le fiévreux où l’on emmagasine du crédit local pour plusieurs années et où le cabinet du ministre se consacre au moins pour moitié à la circonscription, dans un régime qui, à l’origine, avait voulu séparer les fonctions et faire du gouvernement un organe indépendant de l’élection parce que déjà soutenu par deux pouvoirs élus : le président et le Parlement ; vient enfin l’automne, déjà l’hiver, où le plus énergiques ou les plus illustres s’éteignent à flatter l’arrondissement, à peindre en gris ce qui est blanc ou noir.
Renouveler le Sénat, ce ne doit pas seulement en changer ou en réélire le tiers ; ce serait le composer en sorte que :
- Les collectivités locales disposant toutes, échelmon régional compris, d’un organe délibérant élu, voire même pour les seules régions d’un exécutif élu à condition que les compétences en soient strictement définies, se fondraient, s’équilibreraient au Palais du Luxembourg.
- Les grandes illustrations de la politique, de la vie économique et sociale, la pensée et les arts, les plus jeunes qui déjà participent de mille façons publiques et personnelles au débat national siègeraient également au Sénat. Marcel Dassault libèrerait sa circonscription législative ; Pierre Mendès France ne serait plus à l’écart de la préparation de la loi ; les ministres ne craindraient plus d’être sans rien ou contraints d’affronter encore l’électeur ; Alain Krivine et Bertrand Renouvin encadrant Arlette Laguillier, la France entière serait vraiment au Palais du Luxembourg.
La question de trancher si la loi doit être votée ou non par les deux chambres ou par celle-là seule élue au suffrage universel deviendrait secondaire puisque la navette en consultation serait maintenue et que le gouvernement ne sollicitant la confiance que de l’Assemblée nationale et n’étant tenu que par son vote législatif, pourrait cependant et àç discrétion faire voter sur le texte arrêté par le Sénat. Pourquoi la qualité ne convaincrait-elle pas le peuple et ceux qu’il élit directement ?
Il n’est pas jusqu’à la hantise de M. Giscard d’Estaing de auvegarder les libertés qui n’y trouverait remède ; par une réforme appropriée de l’article 11 de la Constitution serait ouverte à chacune des deux Chambres, et non plus seulement comme aujourd’hui à leur corps réuni en Parlement, la possibilité de proposer au président de la République le referendum ; ce dernier trouverait dans un Palais du Luxembourg aussi diversifié et peu conventionnel que la liste de ses propres dîners chez l’habitant ou de ses commensaux élyséens ou privés, le contrepoids idéal à une Assemblée nationale qui ne serait plus de la couleur qu’il souhaite.
Tout le monde y gagnerait, en dignité d’abord, en réelle représentativité ensuite.
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