publié par Le Monde daté du 27 Août 1975
Les Français ont droit à la différence
Le drame d’Aleria comme les prises de conscience de certains Bretons, Basques, Catalans et d’autres demain, si minoritaires soient-ils dans leur propre village, sont une « chance » pour la France. Ils l’obligent à s’interroger – enfin – sur la nature de son Etat et de sa nationalité.
Notre régionalisation, depuis Vichy, les décrets de 1964 et la loi de 1972 se fait sur un modèle aussi jacobin – c’est-à-dire uniforme – que l’organisation départementale par la Constituante. Modèle jacobin en ce que le sorganismes administratifs locaux, leurs compétences et leur aire d’autorité sont partout les mêmes d’un bout à l’autre du territoire national. Pourquoi ne pas comprendre aujourd’hui que des parties de l’Hexagone tiennent de par leur passé, de par leur potentiel économique original, à s’administrer en vaste région : la Bretagne par exemple, la Normandie (haute et basse) peut-être, tandis que d’autres se contenteraient de structures simplement départementales ou bidépartementales : l’Alsace, la Savoie, que d’autres encore ne ressentent leur homogénéité et leur communion d’intérêts et de problèmes à résoudre qu’au sein d’entités encore plus exigües : le Pays Basque par exemple, bien plus restreint que l’actuel département des Pyrénées-Atlantiques.
Ce pluralisme territorial se doublerait d’une semblable souplesse dans la définition des compétences. Certaines parts de notre territoire veulent faire reconnaître leur personnalité pour des raisons quasi « nationales » : la Corse, la Bretagne, le Pays Basque. Les compétences transférées par l’Etat à ces Français seront donc fort étendues. D’autres régions, telles l’Auvergne, l’Aquitaine, ont davantage que des cultures à promouvoir, une économie à défendre, des investissements à atirer, une population à fixer : elles auront des compétences surtout économiques. D’autres encore, telles l’Alsace, la Lorraine, veulent pouvoir traiter directement et dans des domaines précis (migrations journalières, harmonisation des investissements de chaque côté de la frontière franco-allemande) avec les régions germaniques mitoyennes ; elles auront délégation pour ce faire.Et les Parisiens décideraient enfin de leur urbanisme et de leurs transports en commun.
Sans doute ce pluralisme compliquerait-il l’enseignement des organigrammes. Sans doute ces chartes dont la précision situerait à prportion les responsabilités dévolues aux communautés territoriales, seraient-elles chacune d’un modèle différent. Mais l’administration réelle n’en souffrirait pas, elle se décongestionnerait, deviendrait d’arbitrage, dincitation, de conseil « technique » ; elle ne serait plus gérante. L’échelon se consacrerait à ce qu’il est seul à pouvoir entreprendre et sauvegarder, c’est-à-dire précisément ce que les collectivités territoriales par nature ne peuvent faire elles-mêmes à moins d’admettre le monstrueux abus de la partie sitpulant pour le tout. Abus précisément reproché à Paris stipulant pour des provinces si diverses.
L’unité nationale n’en souffrirait pas davantage, car elle ne serait plus masquée par le quotidien administratif, véritable repoussoir parfois d’une conscience française. La solidarité et la communauté de destin seraient fortement marquées par l’exercice des compétences que précisément les citoyens expérimenteraient qu’ils ne peuvent les exercer au seul échelon de leur communauté locale. D’ailleurs, notre Constitution, implicitement, prévoit cette novation de l’Etat et sa plus grande décentralisation possible, et cette unité nationale dont le ciment serait le consentement et non plus la contrainte et la routine. Les compétences nationales sont essentiellement celles décrites par l’article 5 de la Constitution et définissant le rôle du président de la République, précisément élu directement par l’ensemble de la nation. Le Premier ministre verrait son existence encore plus justifiée qu’aujourd’hui, puisqu’il exercerait toutes les compétences « administratives » que les collectivités territoriales ne peuvent exercer que peu ou pas du tout à leur niveau.
L’Etat retrouverait sa vocation première : maintenir, en les « entourant », l’unité des divers peuples et terroirs de France. A lui alors d’imposer, entre les collectivités de tailles et de ressorts si différents, les solidarités financières, les causes communes qui sont l’intérêt de tous. Bien entendu, la « rénovation » du Sénat proposée par le général de Gaulle en 1969 deviendrait une évidence, puisque ces communautés locales devraient avoir – face à la représentation nationale maintenue dans son mode jacobin d’aujourd’hui – une représentation conforme à leur pluralisme et à l’exclusivité de leurs compétences propres. Eduqués à la gestion de leurs affaires terrioriales, les Français s’orienteraient naturellement – sans contrainte législative illusoire, sans freins syndicaux rétrogrades – vers des modèles d’autogestion analogues dans leurs autres communautés que sont l’ « ensemble résidentiel », l’entreprise, le circuit local de la consommation et de la vente.
Pour que les citoyens ne s’absorbent pas pas dans ces gestions quotidiennes – qui sont cependant la seule chance collective d’échapper au gouvernement par ordinateur, sondages d’opinion et contrainte publicitaire qui nous menace, – pour conduire les Français à voir loin et grand, il est clair que l’unité nationale, dépouillée de ses vestiges autoitaires, n’a d’autre fondement que l’indépendance, déjà reconnue, dans la conduite des affaires locales. L’indépendance nationale doit être – dans cette France réorganisée, rendue à chacun des Français – le leitmotiv du discours politique, de la formation civique, de la décision économique, de l’organisation sociale. C’est cette indépendance qui justifie seule l’unité nationale et l’existence de l’Etat. Ne pouvant défendre cette indépendance pour lui seul, ou pour son seul terroir, le citoyen ne peut croire en la France que si celle-ci est la réalité première, la fin ultime de tout geste, de toute action, de toute ambition politiques.
On en est loin aujourd’hui. Et ce n’est pas une coincidence si l’idée régionale – surtout sensible dans les périphéries de notre Hexagone – fleurit dans le même temps qu’on nous éduque par tous moyens et tous les raisonnements à l’atlantisme et à l’européisme, qu’on nous prêche donc la mort de la France. L’ « imagination au pouvoir » – si elle refuse, comme aujourd’hui, le souhaitable et même l’utopie, si elle n’entend pas que sa responsabilité est de rendre possible ce que souhaitent les citoyens – sera bientôt le miroir aux alouettes. Le « soutien de l’activité économique » suppose la mobilisation des cœurs et des esprits, leur consentement à l’Etat et à la politique. Ce consentement, les minoritaires, les plastiqueurs, les clandestins du désespoir – qui n’ont plus que ce langage, nous en indiquent la voie. Bien maladroitement peut-être, criminellement quelquefois.
Les Français ont droit à la différence
Le drame d’Aleria comme les prises de conscience de certains Bretons, Basques, Catalans et d’autres demain, si minoritaires soient-ils dans leur propre village, sont une « chance » pour la France. Ils l’obligent à s’interroger – enfin – sur la nature de son Etat et de sa nationalité.
Notre régionalisation, depuis Vichy, les décrets de 1964 et la loi de 1972 se fait sur un modèle aussi jacobin – c’est-à-dire uniforme – que l’organisation départementale par la Constituante. Modèle jacobin en ce que le sorganismes administratifs locaux, leurs compétences et leur aire d’autorité sont partout les mêmes d’un bout à l’autre du territoire national. Pourquoi ne pas comprendre aujourd’hui que des parties de l’Hexagone tiennent de par leur passé, de par leur potentiel économique original, à s’administrer en vaste région : la Bretagne par exemple, la Normandie (haute et basse) peut-être, tandis que d’autres se contenteraient de structures simplement départementales ou bidépartementales : l’Alsace, la Savoie, que d’autres encore ne ressentent leur homogénéité et leur communion d’intérêts et de problèmes à résoudre qu’au sein d’entités encore plus exigües : le Pays Basque par exemple, bien plus restreint que l’actuel département des Pyrénées-Atlantiques.
Ce pluralisme territorial se doublerait d’une semblable souplesse dans la définition des compétences. Certaines parts de notre territoire veulent faire reconnaître leur personnalité pour des raisons quasi « nationales » : la Corse, la Bretagne, le Pays Basque. Les compétences transférées par l’Etat à ces Français seront donc fort étendues. D’autres régions, telles l’Auvergne, l’Aquitaine, ont davantage que des cultures à promouvoir, une économie à défendre, des investissements à atirer, une population à fixer : elles auront des compétences surtout économiques. D’autres encore, telles l’Alsace, la Lorraine, veulent pouvoir traiter directement et dans des domaines précis (migrations journalières, harmonisation des investissements de chaque côté de la frontière franco-allemande) avec les régions germaniques mitoyennes ; elles auront délégation pour ce faire.Et les Parisiens décideraient enfin de leur urbanisme et de leurs transports en commun.
Sans doute ce pluralisme compliquerait-il l’enseignement des organigrammes. Sans doute ces chartes dont la précision situerait à prportion les responsabilités dévolues aux communautés territoriales, seraient-elles chacune d’un modèle différent. Mais l’administration réelle n’en souffrirait pas, elle se décongestionnerait, deviendrait d’arbitrage, dincitation, de conseil « technique » ; elle ne serait plus gérante. L’échelon se consacrerait à ce qu’il est seul à pouvoir entreprendre et sauvegarder, c’est-à-dire précisément ce que les collectivités territoriales par nature ne peuvent faire elles-mêmes à moins d’admettre le monstrueux abus de la partie sitpulant pour le tout. Abus précisément reproché à Paris stipulant pour des provinces si diverses.
L’unité nationale n’en souffrirait pas davantage, car elle ne serait plus masquée par le quotidien administratif, véritable repoussoir parfois d’une conscience française. La solidarité et la communauté de destin seraient fortement marquées par l’exercice des compétences que précisément les citoyens expérimenteraient qu’ils ne peuvent les exercer au seul échelon de leur communauté locale. D’ailleurs, notre Constitution, implicitement, prévoit cette novation de l’Etat et sa plus grande décentralisation possible, et cette unité nationale dont le ciment serait le consentement et non plus la contrainte et la routine. Les compétences nationales sont essentiellement celles décrites par l’article 5 de la Constitution et définissant le rôle du président de la République, précisément élu directement par l’ensemble de la nation. Le Premier ministre verrait son existence encore plus justifiée qu’aujourd’hui, puisqu’il exercerait toutes les compétences « administratives » que les collectivités territoriales ne peuvent exercer que peu ou pas du tout à leur niveau.
L’Etat retrouverait sa vocation première : maintenir, en les « entourant », l’unité des divers peuples et terroirs de France. A lui alors d’imposer, entre les collectivités de tailles et de ressorts si différents, les solidarités financières, les causes communes qui sont l’intérêt de tous. Bien entendu, la « rénovation » du Sénat proposée par le général de Gaulle en 1969 deviendrait une évidence, puisque ces communautés locales devraient avoir – face à la représentation nationale maintenue dans son mode jacobin d’aujourd’hui – une représentation conforme à leur pluralisme et à l’exclusivité de leurs compétences propres. Eduqués à la gestion de leurs affaires terrioriales, les Français s’orienteraient naturellement – sans contrainte législative illusoire, sans freins syndicaux rétrogrades – vers des modèles d’autogestion analogues dans leurs autres communautés que sont l’ « ensemble résidentiel », l’entreprise, le circuit local de la consommation et de la vente.
Pour que les citoyens ne s’absorbent pas pas dans ces gestions quotidiennes – qui sont cependant la seule chance collective d’échapper au gouvernement par ordinateur, sondages d’opinion et contrainte publicitaire qui nous menace, – pour conduire les Français à voir loin et grand, il est clair que l’unité nationale, dépouillée de ses vestiges autoitaires, n’a d’autre fondement que l’indépendance, déjà reconnue, dans la conduite des affaires locales. L’indépendance nationale doit être – dans cette France réorganisée, rendue à chacun des Français – le leitmotiv du discours politique, de la formation civique, de la décision économique, de l’organisation sociale. C’est cette indépendance qui justifie seule l’unité nationale et l’existence de l’Etat. Ne pouvant défendre cette indépendance pour lui seul, ou pour son seul terroir, le citoyen ne peut croire en la France que si celle-ci est la réalité première, la fin ultime de tout geste, de toute action, de toute ambition politiques.
On en est loin aujourd’hui. Et ce n’est pas une coincidence si l’idée régionale – surtout sensible dans les périphéries de notre Hexagone – fleurit dans le même temps qu’on nous éduque par tous moyens et tous les raisonnements à l’atlantisme et à l’européisme, qu’on nous prêche donc la mort de la France. L’ « imagination au pouvoir » – si elle refuse, comme aujourd’hui, le souhaitable et même l’utopie, si elle n’entend pas que sa responsabilité est de rendre possible ce que souhaitent les citoyens – sera bientôt le miroir aux alouettes. Le « soutien de l’activité économique » suppose la mobilisation des cœurs et des esprits, leur consentement à l’Etat et à la politique. Ce consentement, les minoritaires, les plastiqueurs, les clandestins du désespoir – qui n’ont plus que ce langage, nous en indiquent la voie. Bien maladroitement peut-être, criminellement quelquefois.
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