Mardi 29 Juillet 2008
Plusieurs attitudes… ceux qui, aveugles, thuriféraires ou disposant d’une intelligence et de données que je suis loin d’avoir, jugent que la France est conduite par un génie au moins égal à Napoléon et très supérieur à de Gaulle, qu’en conséquence la politique économique, les torrents de législation nouvelle, la révision constitutionnelle, nos réorientations diplomatiques sont remarquables, que le succès et ses fruits pour tous, sont là, évidents sauf mauvaise foi. Qui est de ceux-là ? presque personne dans la « classe politique », même si beaucoup dans la majorité en ont le vocabulauire directement reçu de l’Elysée et que relaie, sans en paraître humilié, l’actuel Premier ministre. Quant aux Français ? fort peu même dans l’électorat majoritaire l’an dernier. Ceux qui se satisfont du courant parce qu’il ne les dérange pas personnellement. Ceux qui sont abasourdis de tristesse et de pessimisme – moi, par exemple. Je suis au bord de crier à la trahison : trahison de tous nos acquis sociaux, de notre ingéniosité sociale, de nos consensus (il suffit de le demander posément comme le milliard de contributions extraordinaire pour le régime-maladie de notre Sécurité sociale, pour l’obtenir : sidérant…) – trahison bien entendu à propos des institutions, à propos de notre réintrégration de l’O.T.A.N.
Mais il y a aussi une attitude qui est de négliger ce qui se fait, sans prise sur le réel, d’aucun impact sur l’opinion publique, quelle que soit la thèse défendue : pour ou contre l’OTAN, pour ou contre la révision constitutionnelle … quelle importance, qu’est-ce que cela change concrètement, et d’ailleurs les problèmes ne sont pas là.
A propos des institutions donc. On dira que ce qui a été voté, certes, n’a pas de beauté, que la Constitution, courte jusqu’il y a dix ans double de volume et que sa souplesse tant vantée se perd avec ses nombres de fois où telle chose est possible ou pas possible, avec ces octrois de démocratie mais à condition que et si… et qu’en réalité, tout est déterminé par le fonctionnement interne des partis, le degré de discipline des élus en respect ou pas des stratégies du pouvoir ou des dirigeants de l’opposition, et que ce fonctionnement provient du mode de scrutin. Je l’admets. Mais l’expérience de la Cinquième République montre qu’on ne revient pas sur une « réforme », sur la meilleure : l’élection au suffrage direct du président de la République, l’extension de la saisine du Conseil constitutionnel, et sur les mauvaises : la limitation en durée, et maintenant en nombre des mandats présidentiels. Le vote de Versailles a consacré l’emprise présidentielle sur le Premier ministre et sur les élus U.M.P. L’analogie avec l’instauration douteuse de la Troisième République, elle aussi à une voix près, ne tient pas. Le vote d’alors était libre, chaque voix se déterminait par elle-même et l’incertitude de l’avenir et du régime qu’on devait fonder permettait à chacun de se déterminer. A Versailles et toute cette année, seuls les opposants ont été éloquents. Les opposants individuels, car le parti socialiste n’a pas été clair sur les textes et a semblé tenté par diverses tactiques : le chantage à quelques avancées auxquels il tenait, les modes de scrutin pour chacune des ceux assemblées, sujets d’importance et qui intéressent, mais détachables en tant que textes d’une révision constitutionnelle, le refus politique pour mettre en cause la manière présidentielle, l’acquiescement selon les positions de Jack Lang. Seule certitude, un vote négatif parce que n’obtenant la majorité constitutionnelle, aurait ouvert la crise et probablement déréglé tout le système de gouvernement sarkozyste. Le vote de la réforme maintient de système, il va continuer, sans changement, tel qu’il fonctionne depuis quatorze mois.
A propos de notre réintégration dans l’O.T.A.N. et plus encore de nos alignements sur les Etats-Unis, on peut dire que depuis le début des années 1980, nos oppositions étaient politiques, elles portaient sur les négociations de désarmement dans le couple américano-soviétique, auxquelles nous voulons n’être pas associées, elles visaient la « guerre des étoiles » : Maurice Couve de Murville, en principe élu R.P.R., le parti de Jacques Chirac, soutenait Roland Dumas et François Mitterrand dans leur contestation de la stratégie de Ronald Reagan, tandis que Jacques Chirac soutenait l’américain. Jacques Chirac qui s’abonna, en 1995, aux simulations américaines nous dispensant désormais d’essais réels de nos outils nucléaires, et qui tenta de négocier contre quelqus commandements en Europe notre réintégration dans l’O.T.A.N. Le mouvement n’était plus du tout celui qu’interrompit la chute du général de Gaulle : une défense tous azimuts [1]d’un sanctuaire national et peut-être un jour européen ? les conversations de Rambouillet en Novembre 1962 étaient la pétition d’identité européenne face aux propositions de John Kennedy. Le mouvement de Nicolas Sarkozy a donc un élan antérieur à son élection, et il a ses soutiens ardents dans nos armées depuis une trentaine d’années : sans l’alliance américaine, nous n’avons ni logistiques, ni oreilles, ni portée.
Ces mots qu’on ne lit ni n’entend plus, en politique intérieurere : libertés publiques, referendum. Et en politique extérieure : indépendance, souveraineté. Les lecteurs de ce blog. et ceux qui naguère me firent l’honneur de lire Le Monde quand celui-ci me publiait, savent bien qu’indépendance et souveraineté, sont – pour moi, aujourd’hui – transposées dans leur acception contemporaine : indépendance et souveraineté de l’Europe. En bonne partie, parce que les successeurs du général de Gaulle n’ont pas eu l’énergie intime et le talent d’analyse et d’imagination pour jouer, à fond, l’indépendance française qui n’est pas tributaire de notre taille ou de notre poids, mais de son exemplarité. Contagieux, nous pouvons changer le monde, alignés nous perdons notre âme et aussi cette matéirialité-même que les réalistes croyaient sauver. Croient toujours. Indifférence maintenant parce qu’en somme, Nbicolas Sarkozy clôt une évolution et que, ce que je regrette, ne fut plus tenté depuis 1969 ?
Indifférence enfin à propos de la politique économique. Partout les déficits budgétaires, à commencer par le prochain exercice américain : quelques 490 milliards de dollars. Partout, la même perte de confiance et la France (- 4,7 points sur un mois) n’est pas la plus pessimiste de la zone euro : en Italie (-9,6 points), en Grande-Bretagne (-7,2 points) en Allemagne (-4,2%) ou aux Pays-Bas (-3,9 points). Et les incertitudes sont analogues puisque le prix du pétrole et les erreurs bancaires, les politiques du crédit immobilier sont les mêmes pour tous. Sauf, pour ce point, au Japon. Et le renflouement du système bancaire par nationalisations ou concours d’Etat, il y a dix-douze ans est manifestement la voie dans laquelle les doctrinaires du libéralisme sont entrés : outre-Manche et outre-Atlantique. Nous, dont la méthode depuis l’élection présidentielle est de nous conformer, pour enfin réussir, aux leçons des usages et réformes pratiqués par l’étranger, nous faisons le contraire : gestion des actifs ou des créances du Crédit Lyonnais, par exemple. Privatisation de la collecte de certains fonds affectés jusques là au logement social (les livrets de caisses d’épargne et de certaines mutuelles, désormais proposables par toutes banques commerciales).
En revanche, l’échec du cycle de négociations commerciales mondiales a ses responsables nominaux dans la dernière semaine. L’exercice depuis six ans et ces derniers jours, pivait être mené autrement. Ce n’est pas indifférent.
Pascal Lamy est-il l’ancien commissaire européen responsable de ces négociations à Seattle quand apparut l’anti-mondialisme, gros de l’alter-mondialisme, et l’homme de gauche venant des premiers entourages des Premiers ministres de François Mitterrand ? est-il un des hommes du discours de Cancun en 1981 ? ou bien l’ami d’Alain Minc, et donc en communion d’esprit avec cet entourage plein de contradictions qui inspire Nicolas Sarkozy, mondialiste en politique macro-écomonomique nationale exprimée par une déréglementation systématique, protectionniste et nationaliste, a-européen chaque fois qu’une profession ou qu’une usine est clabotemaltraitée. Point commun aux deux tendances : la faiblesse face aux pressions, la démagogie ? Je ne décide pas, mais il n’y a pas une démonstration claire à l’Organisation mondiale du commerce des bienfaits planétaires du libre-échange généralise. Il y a un refus d’examiner posément – et avec précision et expertise – les situations locales et les efforts accomplis selon les divers accords. Il s’agit notamment des partenariats européens avec l’Afrique ou les pays d’Europe anciennement communistes, dans leur génération des années 1990, c’est-à-dire avant le traité de Marrakech et la substitution de l’O.M.C. au G.A.T.T. Et responsabilité grave parce qu’ultime, l’Union européenne n’a pas su – dans un domaine pourtant fondateur des Communautés, le commerce et la politique commune décidée par les traités, article 113 du traité de Rome – se présenter unie et négocier unie. Car un accord interne – entre Etats-membres, notamment pour le renouvellement de la politique agricole commune – serait la meilleure démonstration que des accords mondiaux sont possibles, à condition qu’ils soient faits selon des situation et des intérêts légitimes, et non par esprit de système, les uns contraignant les autres et ceux-là répondant par chantage et obstruction.
Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Le succès de la méthode d’intégration économique européenne, dès Décembre 1958, provoqua les répliques libre-échangistes et mondialistes (avant la lettre), la grande zone de libre-échange patronnée par la Grande-Bretagne et son ministre Reginald Maudling. La France et le sien, Maurice Couve de Murville, bloquèrent net cette prétention. La candidature britannique présentée par Harold MacMillan, en Août 1961, s’assortit de la proposition de John Kennedy d’une négociation tarifaire atlantique – en même temps que d’une intégration nucléaire périmant dans l’œuf la tentative d’indépendance française. De cet été-là sont nées les questions d’aujourd’hui. Je ne peux comprendre qu’une présidence française, annoncée et claironnée un an à l’avance n’ait pas préparé, selon des échéanciers archi-connus, les ententes et stratégies européennes correspondantes : le cycle de Doah, le changement à la Maison-Blanche. Sur les grands sujets de politique mondiale, l’Europe pouvait proposer : elle ne le fait pas.
Confirmation, la dictature chinoise ne se relâchera pas pendant les Jeux Olympiques. Débat sur internet, promesses de Pékin pour « obtenir » les jeux : non tenues. Le Comité international olympique communique – mais c’est peu repris en France – son remords d’avoir cédé aux engouements internationaux il y a dix ans. Donner beaucoup pour avoir un peu. On aura le dopage et on a la consécration politique : côté chinois. Côté droits de l’homme, côté Tibet : quelles avancées ? honteusement, Nicolas Sarkozy attend d’être revenu de Pékin pour communiquer qu’il recevra le Dalaï-Lama à l’occasion de sa venue pour la réunion internationale. A Pékin, il sera aux côtés d’un président américain finissant, même plus honni. Angela Lerkel, Gordon Brown et même Silvio Berlusconi n’y seront pas.
[2] - la revue Défense nationale, en Février 1969, publia un exposé succinct de cette doctrine sous la signature du général Ailleret, chef d’état-major de nos armées. Celui-ci disparut quelques semaines ensuite dans un accident d’aviation à la Réunion
[1] - Paul aux Romains XII 9 à 13 ; psaume XXXIV ; évangile selon saint Jean XI 19 à 27
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire