Mardi 22 Juillet 2008
Le scenario de l'échec
Justice internationale ou justice des vainqueurs ?
Responsabilité de tout contemporain d'Hitler ou de la guerre de Yougoslavie
Un pays qui livre ses ressortissants
Un pays qui livre ses ressortissants
L'Afrique seule à se connaître
Commencé hier, dès mon retour de Kergonan, Une vie avec Karol [1], les mémoires du secrétaire de Jean Paul II, parfaitement francophone, c’est avec lui que s’est organisée mon audience de Février 1995 : soit, avec notre mariage, la seule chance, le seul événement heureux que j’ai vêcu depuis mon départ du Kazakhstan. Prier au cœur du désastre. – Que ce livre m’accompagne, dès les premiers pages, le ton est donné et la promesse faite, c’est le portrait d’un homme par ce qui fait sa vie, la tient, la prière, le souci des autres, la proximité, l’élévation extrême autant que la présence et l’accessibilité, la normalité fondamentale d’une condition humaine et pourtant l’exceptionnalité de la réussite dans la seule œuvre qui compte dans nos vies, devenir ce que Dieu nous permet et qu’Il attend de nous. Celle qui m’est le plus proche, dans nos moments de contemplation du gouffre (je vois que nous y tombons, tandis qu’elle voit que nous y sommes déjà pour ne plus jamais retomber), me dit son agacement que je sois tant attaché à la Providence (JL en faisant le reproche à sa mère tant aimée, au moment même où il entre dans la Compagnie…). Mais, non, c’est un mot et même une réalité qui ne m’appartiennent pas. Je ne revendique, à voix inaudible il est vrai, que l’espérance. Pas même le cri. Marie-Madeleine répond qui se rend au tombeau de grand matin, quand il fait encore sombre. … Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle est sauvée parce qu’elle cherche Quelqu’un et non quelque chose. [2] Toute la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. La nuit de l’amour, de la quête. Au-delà du désespoir, cette activité qui n’est pas celle de l’insecte qui se noie, mais qui n’est pas productive ni salvatrice par elle-même : elle est un état de vie, totalement disponible à la découverte et à l’événement espérés mais inattendus. A peine les avais-je dépassés… les gardes, les réalités et la vie de ce monde-ci, nos appels, nos dépendances et nos attentes, tout ce qui nous est naturel et obligé… à peine les avais-je dépassés, j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi, je ne le lâcherai pas. … Comme par un festin, je serai rassasié ; la joie sur les lèvres, je dirai ta louange… J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’Il m’a dit. Mais ce que Jésus, qui avait paru être le jardinier, à la plus familière et intuitive des femmes qui L’accompagnait, lui dit, est décisif, terrible et splendide cependant : Cesse de me tenir… va plutôt trouver mes frères… Quoiqu’à l’inverse, nous pouvons voir que Jésus-Dieu a une sollicitude totale pour ceux qui dorment encore (sinon toujours, dans chaque occasion décisive … la Transfiguration, l’Agonie au jardin des Olivier). Et nous sommes ses frères dans la mort et dans la résurrection. Pour l’heure, dans la mort. Heure pourtant où le cuivre aux feuillages des arbres semble avoir appelé les oiseaux à leurs premiers chants. Prier avec deux protecteurs qui me furent humainement proches et contemporains, un Jésuite, un pape, chacun si humble et commençant par s’administrer ce qu’ils prêchaient, la prière. Autant recherche que foi, familiarité de Dieu et souffrance de la souffrance du monde. Nous y voici. Et Jésus, à première vue, semble ne pas nous comprendre. Question incongrue : Femme pourquoi pleures-tu ? et ordre terrible qu'entend une amante, celle du Cantique, celle de toute âme : Cesse de me tenir... trraduit autrement : Ne me retiens pas... pour nous introduire au mystère qui dépasse sentiments et situations de condition humaine : je ne suis pas encore monté vers le Père.
Le vote du congrès du Parlement. Le scenario de l’échec a été parfaitement dit par Sarkozy aux députés U.M.P. : un revers le décrédibilisait à l’intérieur comme à l’étranger et mettait en cause rétrospectivement la législation adoptée (je préfère appeler les réformes selon ce qu’elles sont, des textes démantelant contrôles, réglementations et conquêtes dans le domaine social, et pas du tout des facilités pour entreprendre ou une réorganisation de ce qu’il nous reste de patrimoine national). En fait, c’était le quinquennat écourté ou la suite du mandat réduit à l’impuissance même si parlementairement le régime gardait la majorité pour tout texte. La victoire le fortifie puisqu’il n’y a plus d’échéance d’ici le renouvellement du mandat présidentiel, presque quatre ans sans récifs. Les élections sénaroriales n’auront pas d’impact dans l’opinion, il peut seulement en sortir indirectement un nouveau président du Sénat, intimement hostile au président de la République : Jean-Pierre Raffarin.
Arrestation de Karadzic. Le transfert à une justice internationale n’a de légitimité nationale qu’au motif qu’un procès national diviserait la nation, la ruinerait peut-être moralement. C’est évidemment un aveu de faiblesse, un peuple, un pays qui ne peut affronter son histoire surtout récente, n’a plus d’esprit commun. La France a su vivre des procès « à chaud », ceux de Vichy, ceux de l’Algérie française. Chacun, depuis Nuremberg, et la jeunesse actuelle plus encore que ses devancières, sait bien que les procès devant des cours internationales ad hoc ne sont pas équitables pour deux raisons, la première est que par hypothèse c’est le procès des vaincus par les vainqueurs. Les vainqueurs ne sont considérés comme des criminels – de la bombe sur Hiroshima et Nagasaki aux incarcérations à Guantanamo via des étapes secrètes et attentatoires à beaucoup de souverainetés nationales en Europe – que par la partie la plus avancée de leur opinion publique. On oublie presque toujours la responsabilité collective non pas d’un peuple, mais de tous les peuples (et surtout de leurs dirigeants) vis-à-vis de l’Etat belligène. La génération au pouvoir politique, économique et culturel quand Hitler se développe, cette génération dans le monde entier, et notamment en Europe et aux Etats-Unis est autant responsable de la guerre mondiale et des crimes nazis que le peuple allemand, elle l’est même davantage car hors les frontières du Reich, elle n’était pas sous pression comme le furent les Allemands eux-mêmes. La responsabilité – notamment de la France et de l’Allemagne, incapables d’une analyse et de vues communes sur la Yougoslavie en 1991-1992 – est la même pour les guerres actuelles. La cécité augmente même puisque la question d’Irak est totalement banalisée au prétexte – proprement américain – que ce n’est plus le sujet, que c’est l’Afghanistan qui importe. Ceux qui ont accepté la clause terroriste comme ajout au traité de l’Atlantique-nord ont autant dénaturé celui-ci, et initié une nouvelle alliance – pour le pire – que chez nous hier la révision adoptée nous a fait changer de République, je serais même assez tenté de dire nous a fait quitter « la forme républicaine du gouvernement » qui n’est pas l’électivité de la fonction suprême, mais bien la participation des citoyens.
Je reviens à la Yougoslavie et à la Serbie. Belgrade a tous les torts à l’intérieur de la fédération qu’avait su maintenir Tito par la résistance à Hitler puis à Staline. L’édifice des Karageorgevitch, quand je traversai le pays de l’Autriche à la Grèce, pendant que se jouait (Juillet 1982) le match France/Allemagne, m’avait paru solide, naturellement solide malgré tant de diversités, particulièrement sensible à Sarajevo-même. Le récit – de Zagreb à Skopje – que j’entendis, dix ans plus tard, de la part des plus hauts dirigeants croates et macédoniens, était accablant pour Belgrade, de maladresses, mais pas encore de cruautés ou de crimes. J’allai à Belgrade, que je ne connaissais pas, la beauté très française de l’urbanisme me frappa, mais plus encore la sensation d’un peuple désemparé par l’isolement international dont il avait pris conscience. Le fait est que la France et l’Allemagne, unies, auraient tout sauvé et que l’outil existait : une entrée dans l’Union européenne aussi rapide et inconditionnelle de l’ensemble des entités yougoslaves que l’avait été, dix-huit mois auparavant, l’absorption de la République démocratique allemande par la République fédérale. Je me battis comme je pus pour qu’à Paris, l’Elysée et le ministre des Affaires étrangères, j’y étais lu alors, on sache la réalité. Et également ce qui inéluctablement allait se produire en Bosnie si l’on éteignait pas le feu là où il avait déjà pris, c’est-à-dire pas encore partout. François Mitterrand comme Georges Pompidou avait peur des Allemands. Ce qui a fait se ressembler beaucoup leur politique extérieure respective, moyennant l’apparence d’une excellence relation de personne à personne avec Helmut Kohl. Il est vrai que Willy Brandt n’avait pas aimé de Gaulle et était trop charismatique à l’Est pour ne pas faire de l’ombre au successeur du Général.
Ce que je ne peux admirer, c’est le comportement serbe. Suicidaire parce qu’à courte vue en 1991-1992, servile ces années-ci. On ne livre pas ses dirigeants. Livrer Slobodan Milosevic en pensant se faire admettre ainsi dans l’Union, courir ces jours-ci à Bruxelles dans la demi-journée de l’arresation du « bourreau » des Bosniaques musulmans n’est pas noble. Cette agitation autour du Tribunal ad hoc fait d’ailleurs oublier la plainte devant les tribunaux néerlandais de victimes bosniaques qui mettent en cause l’inaction des forces des Nations unies au moment des massacres. Un officier général français en avait été – sur place – désastreusement impressionné. Mandats internationaux de même libellé que ceux régissant les forces aux frontières libano-israëliennes.
Poignée de main et conventions de pourparlers honnêtes, loyaux et sincères : Mugabe et son opposant. Il ne faut pas a priori croire comprendre l’Afrique, ni pronostiquer à notre manière. Non seulement, le sommet de Charm-elCheikh a dû son replâtrage aux analyses et réclamations de l’Union européenne prétendant se substituer aux Africains, mais les jusqu’auboutistes du soutien à Tsvangirai étaient moins éclairés sur la stratégie et les pensées de celui-ci qu’ils ne l’ont prétendu. Les déclarations de Bernard Kouchner sont heureusement oubliées. Cette considération d’un certain génie et du réalisme africains ne peut faire, cependant, oublier que les solutions à la kenyane – déjà exemplaires à la précédente élection, observée et contrôlée internationalement – sont précaires, et le calendrier du dénouement ivoirien s’accélère. Avec une affaire d’assassinat compromettant judiciairement le pouvoir localement en place, qui ressemble à celle de Djibouti.
[1] - Stanislaz DZIWISZ, Une vie avec Karol . entretiens avec Gian Franco Svidercosci (DDB . Seuil . Janvier 2007 . 302 pages)
[2] - Cantique des cantiques III 1 à 4 ; psaume LXIII ; évangile selon saint Jean XX 1 à 18
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