mercredi 18 juin 2008

révision constitutionnelle - prise de parole présidentielle devant le Parlement

La proposition est le fait personnel du candidat à l’élection présidentielle puis de l’élu. Elle est présentée comme un « toilettage » banal mettant fin à une vieillerie, d’ailleurs accidentelle, la crainte de l’Assemblée nationale monarchiste de la perpétuation de l’emprise exercée depuis la tribune par Thiers, Président de la République, mais élu et révocable par elle, à tout moment et à la majorité simple.

Je soutiens qu’elle est un changement de régime – comme j’ai soutenu en 1973 et en 2000 que le quinquennat en serait un (ce qui est aujourd’hui reconnu, puisqu’il convient, dit-on, d’en tirer toutes les conséquences).

Même si l’on s’en tient à une rédaction de l’article 18 où ne serait supprimés que les mots « qu’il fait lire » - le reste étant sans changement – le débat sera ouvert à la suite du discours présidentiel, même décalé dans le temps et même hors sa présence. Si, en sus comme le souhaite le président actuel, le Parlement peut voter, proprio motu, des résolutions sur les domaines-mêmes où entendrait s’exprimer le Présdent de la République, on entre bien dans un débat : quelle en serait la sanction ? s’il n’y en a aucune, pourquoi cette prise de parole personnelle ? s’il y en a une, le régime entre dans une contradiction fondamentale, le Parlement pourrait renverser l’élu direct du peuple ?

Le droit de message remonte à la Constitution du 3 Septembre 1791 (titre III . chapitre III . section IV . article 4). Il était alors concurrent de la faculté reconnue au Roi de « faire l’ouverture de la session et proposer les objets qu’il croit devoir être pris en considération pendant le cours de cette session » et aussi de « venir faire la clôture de la session ». « Le Corpslégislatif cessera d’être corps délibérant, tant que le Roi sera présent » (article 8). Toutes dispositions proches du souhait de l’actuel président de la République, mais dans un système très différent (pas seulement par l’hérédité des fonctions de chef de l’Etat) : la séparation des pouvoirs est alors la plus stricte. Sous les Troisième et Quatrième Républiques, la lecture était faite par un membre du gouvernement. Sous la Cinquième République, sans que les textes l’imposent, cette lecture est donnée par le président de chacune des assemblées. Sauf à l’ouverture de la nouvelle législature issue de la dissolution sur vote de censure, en 1962, le message a toujours été adressé à chacune des assemblées, et pendant la durée de leurs sessions, mais, hors session, une réunion exprès est constitutionnelle.

L’origine en République de la communication par message peut contribuer à comprendre l’enjeu du changement souhaité par le nouveau président de la République.

La « constitution Rivet » (loi du 31 Août 1871) disposait que « le Président de la République est responsable devant l’Assemblée … il nomme et révoque les ministres … le conseil des ministres et les ministres sont responsables devant l’Assemblée ». Sur rapport du duc de Broglie (J.O. 22 Février 1873), le Président de la République continua de pouvoir être entendu sur les questions de politique extérieure en tant que « le négociateur chargé de racheter la liberté et de réparer la malheurs de la France. Cette qualité-là dure en lui, et prime toute autre, tant que le dernier soldat prussien n’a pas quitté le territoire » (circonstance exceptionnelle s’il en est), mais pas en politique intérieure : « si toutes les fois qu’un ministre est interpellé sur un fait de son administration opu le conseil des ministres tout entier sur un acte du Gouvernement, le Président peut venir interposer son autorité pourle défendre, l’ombre même de la responsabilité ministérielle a disparu ». Or, Thiers cumulait ses fonctions présidentielles avec son mandat de député : il était membre de l’Assemblée nationale (alors chambre unique) : « il ne renoncerait pas au droit d’exercer ce talent oratoire qui est un de ses plus certains et plus légitimes moyens d’ascendant. Or, du moment où il est présent à nos débats, il y est le premier et presque le seul représentant de sa politique. Les ministres disparaissent derrière lui, et leur responsabilité, couverte par la sienne, ne paraît plus que nominale ». Tel ne serait pas le cas du Président de la République de nos jours ; sans discuter le charisme ou le talent de sa personne, il ne peut exercer aucune autre fonction que la sienne, il n’est donc pas membre de l’Assemblée. Le duc de Broglie, pour que « s’il communique avec les assemblées, c’est par voie de message écrit, qu’il ne vient pas lire lui-même », a trois raisons. La première est qu’« ainsi diminuent avec les points de contact les occasions de conflit et disparaissent, au moins dans les rapports du chef de l’Etat et des assemblées, ces prises, ces luttes personnelles dont la vivacité aigrit et envenime si aisément les dissentiments politiques … En nous bornant à l’entendre et en nous interdisant de discuter avec lui, nous avions le dessein de prévenir tous les conflits qui peuvent naître inopinément du tour imprévu que prend un débat passionné, comme il s’en élève aisément dans une Assemblée nombreuse ». La seconde est du même ordre, mais diférente : « Une discussion même est-elle possible, quand les adversaires ne sont pas sur un pied de parfaite égalité ? Et chacun de nous peut-il s’y mettre avec le chef de l’Etat ? ». La troisième est de « laisser ses ministres agir et parler sous leur responsabilité » [1]. C’est l’essence du régime parlementaire. La loi dite « des Trente » (13 Mars 1873) ne permet donc plus la prise de parole du Président de la République qu’à l’ouverture des sessions ou que, moyennant un jour de préavis, donné par lui, les débats ne reprenant qu’en séance ultérieure et hors de sa présence.

Le système était complexe. Il distinguait les questions de politique extérieure et de politique intérieure, permettait au Président de la République d’intervenir cependant au titre de ces dernières si le conseil des ministres en décidait par une délibération spéciale communiquée à l’Assemblée avant la prise de parole souhaitée. Délais, thèmes, discussion hors la présence du président pourraient paraître – aujourd’hui – les limites raisonnables à assigner à la prise de parole personnelle du chef de l’Etat. Mais ces limites valaient parce que M. Thiers était d’abord membre de l’assemblée à laquelle il s’adressait avant, pendant et après son exercice des fonctions présidentielles. Le système était, en fait, une défiance de la majorité envers un personnage dont l’autorité morale la dépassait. La démission de M. Thiers se sollicitait, par de tels biais. Elle fut reçue le 24 Mai 1873. Ce n’est évidemment pas la situation qui est aujourd’hui souhaitée…

La loi constitutionnelle du 16 Juillet 1875 dispose donc catégoriquement (article 6) que « le Président de la République communique avec les Chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre ». La suite de l’article, prévoyant qu’au contraire « les ministres ont leur entrée dans les deux Chambres et doivent être entendus quand ils le demandent », montre que la disposition concernant le Président de la République est liée au fonctionnement du régime parlementaire.

L’article 18 de notre Constitution, disposant que « le Président de la République communique avec les deux Assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat », innove autant par rapport à la Constitution du 27 Octobre 1946 (celle de la Quatrième République) qui disposait seulement (article 37) que « le président de la République communique avec le Parlement par des messages adressés à l’Assemblé nationale » [2] : il est plus absolu que les régimes d’avant 1958, puisqu’il interdit explicitement le débat et plus souple puisqu’il ne désigne pas le lecteur du texte présidentiel et émancipe le président de la République du contreseing ministériel (article 19 de la Constitution).
Les dispositions en vigueur et respectées depuis cent trente quatre ans ne sont donc pas de circonstances, elles sont le résultat, le plus voyant, de l’option française pour le régime parlementaire.

La rumeur a assoupli le vœu présidentiel de se présenter en personne devant le Parlement en disant que l’exercice ne serait qu’actuel, mais elle n’entre dans aucun détail ni d’objet, ni de date fixe ou à volonté, elle ne définit pas non plus la forme de la réunion des deux chambres, ni s’il y aurait débat, enregistrement, réplique aux propos – propositions de programme ? – du président de la République.

La transformation du droit de communiquer par des messages « avec les deux assemblées du Parlement » en une prise de parole personnelle du président de la République appellerait donc – non seulement un choix fondamental sur la nature de notre régime – mais de nombreuses précisions sur les circonstances pratiques de l’exercice. Quelle en est la fin ? S’agit-il d’amoindrir la responsabilité gouvernementale devant l’Assemblée nationale, en la subordonnant à une orientation présidentielle devant l’ensemble du Parlement, manière de rehausser le Sénat devant lequel le gouvernement n’est pas responsable ? s’agit-il, en cas de majorité hostile au chef de l’Etat à l’Assemblée nationale, d’en imposer à celle-ci, mais par quels moyens, le prestige de la fonction n’étant pas à soi seul un moyen juridique et le temps des « lits de justice » étant révolu ? s’agit-il de varier le décor des adresses présidentielles à la nation [3] ? Au total, ce souhait du nouveau président de la République pose quantité de questions – de fond et de détail – , alors qu’en rester à la lettre (et à la pratique actuelles) n’en pose aucune.

La réalité de la proposition n’est pas d’honorer davantage la représentation nationale et elle est certainement de minorer le Premier ministre et le gouvernement.

[1] - une dernière raison est apparemment de circonstance, puisque la rapporteur la soumet à une assemblée monarchiste: « Le chef élu d’un Etat républicain est responsable en vertu du principe même de la République. On ne peut lui demander de se désintéresser au même degré des débats de la politique dont la conséqsuence peut l’atteindre. C’est ainsi qu’une plus grande latitude accordée au pouvoir personnel du chef de l’Etat aux dépens des droits du parlement est la déduction rigoureuse du principe républicain. Ce qui explique peut-etre pourquoi dans un pays comme le nôtre où le pouvoir exécutif disposant de tant de moyens d’action, est toujours porté à sortir de sa sphère, la République a deux fois, par une pente brusque et rapide, tourné à la dictature. »


[2] - le projet adopté par la première assemblée constituante de la Quatrième République, le 19 Avril 1946, par 309 voix contre 246 et rejeté par referendum le 5 Mai suivant, disposait (article 108) que « le Président de la République communique avec le peuple au moyen de messages adressés à l’Assemblée Nationale. Ces messages sont lus à l’Assemblée par son Président sous le double assentiment de celui-ci et du Président du Conseil des Ministres ». Aurait-il fallu en déduire qu’un discours radiotélévisé aurait été inconstitutionnel ? de fait, le général de Gaulle ayant démissionné le 20 Janvier 1946, fut pressé de ne pas en faire un par Vincent Auriol, « rentré précipitamment de Londres » : il aurait « divisé le pays pour l’vantage et la satisfaction des ennemis de la démocratie » . L’homme du 18-juin s’en explique : « Je calmai les alarmes du ministre d’Etat. A vrai dire, s’il m’avait convaincu d’exposer les raisons de ma retraite, je n’aurais pas manqué de le faire et cette explication, donnée au peuple souverain, n’eût été en rien contraire aux principes démocratiques. Mais je jugeais que mon silence pèserait plus lourd que tout, que les esprits réfléchis comprendraient pourquoi j’étais parti et que les autres seraient, tôt ou tard, éclairés par les événements. » Mémoires de guerre III p. 287 éd. tricolore Plon . 1954

[3] - une seule est prévue par la Constitution, article 16, celle qui informe la Nation de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels

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