mercredi 25 juin 2008

de Gaulle dans notre histoire - selon François Mauriac

J’ai demandé à de Gaulle de nous dire lui-même qui était de Gaulle. Et maintenant je reviens à ma première ébauche, et je la confronte au personnage qui s’est composé sous mon regard, à travers les propos publics du Général, l’expression de sa pensée claire, non peut-être de son arrière pensée. Dois-je faire des retouches à ma première esquisse ? C’est toute la question, au moment de conclure.

Au vrai, tous les livres écrits sur de Gaulle vivant se ressemblent au moins par le dernier chapitre. Tous aboutissent à ce portique ouvert sur l’inconnu, à cette cohue des professionnels de la politique, déçus et inquiets, tout tremblants d’impatience, et qui guettent la sortie du héros. Tant qu’il occupera la scène, le jeu parlementaire, tel que les Français l’ont pratiqué, pour leur malheur, depuis près d’un siècle, demeure interrompu. Si les institutions qu’il vient de nous dnner s’enracinent, si lui-même tient encore la barre quelque temps, à l’Elysée, ou s’il reste dans la coulisse de Colombey pour en surveiller la croissance, alors à gauche toute une généation politique aura été frustrée et restera sur sa faim ; et pour l’extrême-droite, l’histoire aura fini avec la débâcle de l’O.A.S.

Ces passions avouées ou refoulées qu’entretient dans les cœurs de Gaulle présent et vivant semblent vouer à l’échec, du moins dans l’absolu, son rêve de « rassembler la France ». Les Français du temps de de Gaulle ne s’aiment pas plus que ne s’aimaient les Gaulois du temps de César. Mais de Gaulle a toujours su que le rassemblement n’existerait que comme une tentative sans cesse interrompue, et détruite, et reprise. Il suffit que cette remontée du courant de haine soit assurée par les institutions pour que la France, sourdement divisée, dresse tout de même à la proue de l’Europe ce visage ressemblant à l’idée que de Gaulle se fait d’elle dans son cœur et dans sa pensée.

Ce que de Gaulle a compris, c’est que plus la France existe en tant que nation, et plus profondément elle agit dans le monde. Les perroquets de la gauche dénonçaient son nationalisme, et les perroquets de la droite répétaient qu’il nous vouait à la solitude. Mais la nation française, à peine avait-elle émergé de ses deux derrières guerres coloniales, qu’elle avait déjà, non par la vertu de sa force, très réduite, simplement parce qu’elle est la France, retrouvé son rang et repris sa place. [i]

[i] - Erançois Mauriac – De Gaulle (Grasset . Septembre 1964 . 345 pages) pp. 321-323
acheté : jeudi 14 Août 1969


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