Le sujet est immense, touche à toutes les
questions physiques, mentales, économiques, psychologiques, questions de
personnes pas seulement de notoriété ou d’influence, questions de vivre ensemble
et en identité. Seule l’Histoire – se disant en mémoire, en expérience, en projet, en
volonté intensément consensuelle – légitime l’existence et la perpétuation
d’une organisation de peuple, d’un ensemble de personnes (et de biens), en
pays, en nation, en région…
La création d’une entité : pays,
région, commune, collectivité, ne peut s’entreprendre isolément des autres
entités, voisines soit dans le temps, soit dans l’espace. Elle est un fait
collectif, elle est une réponse, elle est un constat. Elle se raisonne et se
justifie concrètement et mentalement. L’organisation française actuelle est le
legs de deux périodes très différentes, mais répondant à ces exigences. La
Révolution, et nommément l’Assemblée constituante, sans doute l’Assemblée française
la plus librement et la plus brillamment, intelligemment composée avec le
préalable intense que furent le débat et l’écriture des « cahiers de
doléances », dont les Français ont de nouveau envie mais qu’au
gouvernement n’a encore eu la mémoire-culture-réflexe d’organiser depuis et
particulièrement de nos jours. Les nécessités de la pénurie et du maintien de
l’ordre – guerre avec Vichy, reconstruction à la Libération, voire tentatives
insurrectionnelles de 1947. Donc, les départements, facteur d’administration
plus directe et proche, plus homogène, facteur donc d’unité nationale et même
mentale au lieu des anciennes provinces souvent millénaires. Donc, les régions
dans leur version actuelle à superficies comparables, à compétences uniformes
mais publiquement méditées à la fin du règne du général de Gaulle, et cherchant
toujours leur relation avec l’Etat-nation et avec l’Europe, elle-même en mal de
formulations ethniques ou identitaires et de pratiques démocratiques.
En manière, en origine, en gestation, en
relation avec notre esprit national, en mémoire des personnes et de leurs
ensembles, l’organisation décentralisée de la France est inséparable de
celle-ci, et décide en grande part de sa démocratie et de son identité.
Y toucher n’est rien enfreindre. Mais y
toucher seul, sans consultation qu’à huis-clos et dans un moment où le pays et
le gouvernement affrontent des problèmes précis, requérant tout l’effort mental
d tous les acteurs de la vie nationale selon tous ses aspects, est se mettre
hors sujet et risquer ce qu’il reste de reconnaissance de la légitimité de
l’actuel président de la République.
Si, comme il est probable selon un
tempérament (est-ce un caractère ?) que les Français (et moi…) ont
découvert progressivement et avec stupeur : une propension insolite à
s’enfoncer dans des comportements, des schémas, des orientations de plus en plus décriés et
inefficaces… le Président ne veut pas surseoir à la proposition et au débat de
cette réforme territoriale, il est impossible qu’elle ne soit pas sanctionnée
par le suffrage universel, c’est-à-dire le referendum. Si la méthode
d’improvisation et de prise de court, faisant douter de tout l’art de gouverner
et même de penser, ne change pas, il est certain que le projet évoluera vers de plus en plus d’interventions
de couloir, de marchandages et donc de moins en moins de cohérence. « La
grande pensée du règne » deviendra l’illustration – dramatique pour ceux
qui partagent la responsabilité gouvernementale actuellement – d’une
transgression de ce qu’il y a de plus élémentaire pour entreprendre, diriger et
faire aboutir une réforme.
La réforme territoriale n’est pas urgente.
Celle de l’ouverture du du mariage aux personnes de même sexe, ne l’était pas
davantage (même si je l’ai approuvée pour ce qu’elle était, mais certainement
pas pour le moment choisi). Dans les deux cas, c’est une dispersion de
l’attention publique, qui est inopportune.
Le motif – ou l’habillage – d’un
« redécoupage » des régions et de la suppression du niveau
départemental des débats, des gestions et des financements nationaux, serait
les économies ainsi permises ou dégagées : dix milliards. Chiffre-fétiche,
que rien, dans l’état actuel de l’information publique, ne justifie :
« au doigt mouillé ». La B.N.P. doit dix milliards à la justice américaine
(même si ce sont des dollars). Le « mondial » va injecter dix
milliards dans l’économie du Brésil. Quel que soit le montant, simplement,
sèchement, les institutions françaises – nationales ou locales – ne sont pas à
vendre ou à brader comme l’habitude s’en est criminellement prise pour notre
patrimoine industriel de l’imagerie médicale Thomson en 1987 à Alstom en 2014,
pour tant de nos hauts-fonctionnaires en recel de carnets d’adresses et
d’expériences acquis grâce à l’Etat national et à ses frais : François
Pérol, le fiscaliste de Bercy : Lieb, Clara Lejeune-Gaymard.
La question des compétences des
institutions locales, celle de leur relation financière avec l’Etat et avec
leurs administrés, celle de leur meilleure adaptation aux vœux et aux pratiques
démocratiques est posée. En fait, en permanence, et il est nécessaire que ces
questions soient traitées en évolution, en perspective et que les décisions
législatives soient davantage le constat des expériences et la prise en
considération des souhaits qu’une décision autonome. C’est sous cet angle et de
cette manière qu’à mon sens, la réforme territoriale doit être abordée. Mais
sans urgence, à proportion-même qu’elle est complexe, multiforme et qu’il la
faut unifiante pour les Français et exigante pour nitre démocratie.
Découpage territorial. A rapprocher de la
question des compétences. Ce ne peut plus être sur un modèle uniforme. Mais à
la carte, donc selon des consultations à organiser concurremment par l’Etat et
par chacune des collectivités concernées. – La mûe du vocabulaire est
inquiétante. Paradoxalement, alors qu’ont été abolies les institutions, les
urgences et les façons de penser qu’a été l’aménagement du territoire, couplé
en « ardente obligation » avec la « planfication souple à la française »,
deux éléments de notre génie national mis à jour dans les années 30 tant à
gauche qu’à droite, et décidés par la Résistance et la Libération, on ne parle
plus de collectivités, mais de territoires. C’est sec.
Donc, des régions de taille inégale,
certaines par agrandissement ou par annexions d’autres, selon des vouloirs
communs, certaines par consentement national à des particularismes locaux,
quasi-nationaux et donc de taille très exigue. Ce qui fut accordé à la Corse
pourra l’être ainsi au Pays Basque. Les évidences normande et bretonne sont
autant légitimes qu’historiques. Le débat qui peut durer quelques législatures
et qui peut n’être pas conclu sur tous les sujets ou à propos de toutes les
régions en même temps, fera également réfléchir sur les composantes de notre
histoire nationale. Et de la réflexion sur le mouvement de notre agrégation française,
on pourra élargir nos connaissances et nos affections à ce que nous a apporté
en culture, en ethnies et en augmentation spirituelle notre outre-mer quand
quelques-uns issus de ses populations, naguère assujetties, choisissent de
s’établir chez nous, choissssent notre esprit, notre histoire, nous.
Aucun esprit de système, aucun critère
autre que le goût de s’établir en région. Les compétences à la carte selon les
problèmes, les responsabilités, les voisinages de chacune des régions. Un tronc
commun de compétences et donc d’obligations en échange des concours de l’Etat.
Inventer… selon les besoins, les traditions, ne rien taire. Etablir la carte de
France selon des modalités différentes d’être Français, d’adhérer au projet
national, de répondre de notre devenir mais avec des contruibutions, des
apports qui peuvent varier, des responsabilités aussi. A étudier chacune des
régions actuelles, cs diversités se diraient et se justifieraient.
Toute motivation, en organisation ou en
diverses statistiques (poids écnomique, démographique ou volume de ressources
notamment) qui s’établirait sur des comparaisons européennes ou sur des calculs
pour peser ou de faire couloir dans les fonctionnements institutionnels
européens, sera – à mon sens – une erreur. Ce serait substituer, au moins en
partie, à l’Etat-nation et à notre démocratie nationale, le rôle de vivre, discuter
la souveraineté partagée entre Etats-membres de l’Union et d’y participer.
Vouloir égaliser la Rhénanie-Westphalie ou l’Ecosse est une abstraction. Les
modes de gouvernement et de gestion locales sont souvent chez nos voisins
européennes antérieurs à leur constitution-même en Etat, c’est d’un nature,
d’un ordre différent. Si c’est plus efficace en gestion locale et en unité
nationale, ce n’est pourtant pas imitable. La mondialisation – si elle est un
dessein, et de qui ? – serait achevée pour le grand mal du genre humain si
un pays comme le nôtre devait reproduire des modèles étrangers et se préparer en peu de
générations à une uniformisation totale de ses institutions, de son art de
penser, donc à tout abandonner de ce qui l’a fait et continue de lui faire
plaisir et du bien…
Les départements. Ils sont proches
physiquement des adminstrés et des Français. Ils sont équipés en institutions
et en patrimoines, ils ont des compétences sociales : le système est bien
rodé, la
mixité Etat-collectivité et plus importante encore ;
autorités élues et autorités nommées fonctionne depuis longtemps, les réformes
de 1964 ont été bien assimilées. Les « supprimer » sera priver les
Français de repères et d’un champ très pratique et familier de démocratie et de
gestion.
Les convivialités, les familiarités sont
municipales, communales, départementales. Les régions sont un possible pouvoir
économique. La société a besoin d’être locale. Les mœurs politiques en se
dégradant ont éloigné les Français de leurs institutions, c’est moins que
jamais le moment de leur en enlever de très éprouvées.
L’improvisation présidentielle – soulignée
inopportunément par la présentation-même de la lettre adressées par l’Elysée à
la presse quotidienne régionale : des blancs pour ce qui se prête à
chiffres ou pour ce qui appelle des noms propres – pose une question pas
traitée ni même énoncée chez nous. Et qui me paraît à la racine de l’exercice
du pouvoir politique, très pratiquement.
Nous sommes – ce qui n’est pas, à mon sens,
le système ni le plus démocratique ni le plus efficace – en régime
d’alternance. Chaque côté du champ politique, droite/gauche, sait qu’au
prochain tour ou en tout cas un tour prochain, il reviendra au pouvoir. Les
grands partis sont à égalité d’expérience. Qu’ils soient depuis longtemps
frères siamois en orientation et en exécution de projets présidentiels,
toujours dits en termes de rupture, et toujours appliqués en continuité d’un
gouvernement à l’autre.
Or, deux improvisations dont celle de
maintenant sur la réforme territoriale, modèlent l’exercice du pouvoir politique.
L’opposition a cinq ans, parfois dix, pour se préparer non seulement en
resources humaines et en diverses propagandes, mais pour travailler des projets
ou ds réformes, et le faire d’une manière qui serait visible, qui serait –
justement – opposable au cours du moment. Des propositions de loi, des
contre-projets déposés à mesure des échéances gouvernementales et dès la
nouvelle majorité acquise et organisée, serait soumis au vote parlementaire ou
référendaire. Quand le Parti socialiste s’est opposé à la réforme territoriale,
version Sarkozy, pourquoi n’a-t-il pas déposé un projet qui aurait été débattu
pendant la campagne présidentielle et voté aussitôt par la nouvelle Assemblée
? Le temps d’opposition devrait être un temps de travail législatif et réglementaire,
voire même un temps de planification en chronologie, en calendrier, en
financement pour l’exercice du mandat brigué.
L’autre improvisation est la formation du
gouvernement. Dans la plupart des pays comparables au nôtre, l’exercice est
très médité et s’étend sur plusieurs semaines ou mois. La vraie transition
démocratique, la transmission des acquis, des données, voire le dialogue sur
l’expérience du mandat qui s’achève, une structure de consultation avec les
prédécesseurs, manquent en France. La place de l‘imagination et la place de
l’expérience sont curieusement inversées et l’on aboutit à la continuité dans
la stérilité ou la foucade, et à l’amnésie sur les échecs, les tentatives de
l’exercice précédent du pouvoir et sur
ls critiques qui en étaient faites par les nouveaux tenants du pouvoir. Ainsi
n’avance-t-on pas… sauf ministre entreprenant, ayant pensé de longue date à ce
qu’il ferait si… et qui dispose d’une aura ou d’un domaine le protégeant ou
n’intéressant personne parmi ses possibles hiérarchies politiques, ou
concurrents.
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