samedi 28 juin 2014

Serajevo . la même question d'Europe depuis cent ans - réflexions et méditation

en cours de rédaction ainsi - voir lundi 14 et mardi 15 Juillet



Serajevo – la même question d’Europe
réflexions et méditation





J’étais à Serajevo en Juillet 1982, c’est la seule capitale de la Yougoslavie en cours de dissociation que je n’ai pas visitée en Décembre 1991. Le point commun de la capitale bosniaque avec Belgrade est – autant que je me souvienne – cette insularité de la ville faisant pointe vers une autre culture ou une autre civilisation : l’escarpement au-dessus de la Save pour la seconde, une juxtaposition de deux ensembles différents totalement pour la première. L’Islam européen commence à Banja Luka, on est assis sur les talons, on porte une coiffure faisant un peu minotier, je le remarquais aux arrêts d’autobus. En 1982, il y avait un élément fédérateur omni-présent et fraternel, l’armée. Les soldats, sans doute pas en service, semblaient des promeneurs et les camions qui les emportaient ou les amenaient semblaient des transports pour vacanciers dans un pays peu pourvu. En 1991, je vécus dans le bureau du gouverneur de la Banque de Croatie, l’angoisse nationale que très peu savaient. Les camions de billets, fabriqués je crois en Angleterre allaient arriver par la route. Jusqu’à la frontière autrichienne, pas de problème, mais à traverser la Slovénie et à avancer vers Zagreb, tout pouvait survenir. Cinq ou six appareils téléphoniques à cadrans des années 1950 et de couleurs différentes, sonnaient l’un après l’autre. Presque manuellement, l’approche des camions était ainsi suivi. J’ai pris dans la poubelle du seuil de l’immeuble, un portrait noir et blanc de Tito. Pourtant croate.

Dans chacune de mes affectations diplomatiques, j’ai respiré l’histoire autant que la géographie et la façon d’aimer, de se raconter du pays et de la nation qui m’accueillaient. L’évidence en 1988-1992 était la survivance de l’empire des Habsbourg. Le jeu de mots le dirait mieux : de l’emprise des Habsbourg. Dans chacune des capitales, sauf à Vienne – significativement la géologie l’a refusé – le palais principal, symbolisant l’Etat, la dynastie, le lien fédéral est en hauteur, et il y a un fleuve. Il y a une ville haute, avec la cathédrale comme enserrée par les bâtiments politiques : Prague, Budapest, Agram (Zagreb), Cracovie. Evidemment la catholicité, mais aussi, secret des Habsbourg, la diversité, le pluralisme, le don des langues quoique le ciment entre les différents peuples et nationalités de la Monarchie (le mot n’était pas germanisé) n’était pas la langue. François-Joseph, se vivant prince allemand, avait été élevé sur le pavois pour couvrir une dictature militaire, réprimant partout la révolution de l’Adriatique à la Vistule et loin sur le Danube. Vienne était avant 1914 la métropole la plus peuplée d’Europe continentale et l’Autriche-Hongrie en était territorialement le second Etat après la Russie. Guillaume II ne pouvait qu’insupporter son aîné de quarante ans de règne quand il succèda précocement au premier empereur allemand, son grand-père Guillaume Ier, après le règne de quelques mois de Frédéric III mourant d’un cancer de la gorge. Tempérament et titre lui déplaisait. François-Ferdinand, le « thronfolger » était contemporain du Kaiser, mais au contraire de celui-ci passionné du paraître que prétexte toute politique extérieure, avait compris les conditions de survie de la Double Monarchie. C’est patent dans le portrait que m’en faisaient deux amis chers et intimes que la Providence me fit cultiver pendant mon séjour à Vienne et mes prégrinations à travers toute l’Europe centrale de l’Est. L’un, d’origine nobiliaire autrichienne mais avec bercau familial en Pologne, l’autre cambiste de la Banque centrale m’initièrent à ce qu’était l’ensemble. J’ai dit le plan des villes, il faut y ajouter une architecture baroque assemblant sans peine l’extraordinaire et harmonieuse combinaison de toutes les cultures et toutes les histoires. L’Autriche de Marie-Thérèse et du mariage français, que Napoléon avait tenté de redoubler, avançait vers le sud-est et avait perdu ses terres de Bâle et d’Alsace, les germanités helvétique et française n’ont jamais été allemandes à la prussienne [1]mais Habsbourg, peu militaires, très commerçantes et culturelles, civilisations du vin et non de la bière. François-Ferdinand avait le projet d’une fédération bien plus multi-forme que ce dont il allait incessamment hériter et d’une organisation politique bien plus proche des quelques vingt-et-une nationalités de la Double Monarchie. Le futur empereur Charles qui faillit retrouver son trône au moins royal par la Hongrie alors que l’Autriche se faisait interdire l’union avec l’Allemagne de Weimar, avait été éduqué en tchèque et à Prague.

La France des diplomates et de la plupart des politiques en 1914 et en 1991 ne considérait que l’Allemagne, parce qu’elle craignait celle-ci. En 2014, c’est peu différent. Elle oubliait d’une part les affinités de Frédéric II avec nos philosophes, sa parfaite francophonie et ce qui, de génération en génération, a ensuite perduré : Siegfried et le Limousin, Le silence de la mer, et d’autre part les ententes politiques tentées en 1911 (Caillaux) et en 1928 (Briand-Stresemann), enfin réussies à partir de 1958. La guerre de Yougoslavie, atroce, qui combina les guerres génocidaires d’autres siècles avec celles d’à présent : télécommandées, aériennes avec dommages collatéraux (concept apparu pour la guerre du Kosovo) et zéro mort du côté de la coalition, a – selon moi et suivant les reconnaissances qu’à titre personnel, mais dont je rendais compte à l’Elysée et à Roland Dumas, je fis dans presque tout le pays, à partir de Vienne – eu pour cause principale la crainte française que l’Allemagne prit le pas sur tout en Yougoslavie, au lendemain de l’absorption de la République démocratique par la République fédérale. C’est également la crainte qu’une tolérance de l’annexion du Koweit par l’Irak (qui n’avait envahi cette province sans tradition nationale véritable que par un malentendu causé par la représentante trop évasive des Etats-Unis alors à Bagdad) ne fasse jurisprudence dans une Europe rendue peu prévisible par le subit retrait soviétique.


pensé le soir du samedi 28 juin et écrit d’un trait le soir du lundi 14 juillet 2014


[1] - erreur aux plus grandes et durables conséquences que commit Talleyrand au congrès de Vienne – il me faut vérifier dans la correspondance, qu’il entretint avec Louis XVIII pour compte-rendus et instructions, et que j’ai, si le roi le comprit, laissa faire par compromis sur d’autres points où il avait satisfaction ou si la France fut carrément contrainte à accepter l’établissement de la Prusse sur le Rhin

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