Depuis l'été de 1960, j'ai souvent séjourné en Espagne. J'en lis et en parle assez bien la langue. Et depuis le début de Septembre 1975, je vis proche d'elle - adjoint du conseiller commercial et économique près l'ambassade de France au Portugal. Dix ans plus tard, je me découvrirai des aïeux andalous par mon arrière grand-mère maternelle, née Olin, comme l'héroîne d'un suspense de Hitchcock à Cuba. Où je dois avoir encore de la famille. - Jacques Fauvet m'écrivait l'étonnement au journal que causa ce papier, cependant publié. Il me fut dit que Franco me recevrait s'il... Au contraire de lui, son successeur désigné, le roi Juan Carlos ne mourra pas sur le trône.
Combien sont morts à cause de lui ? « Caudillo »
par la grâce de Dieu ? Mais qui, depuis Charles Quint, donna à l’Espagne –
fût-ce au prix du sang – « treinte y seis anos de paz » ? Et
Santiago Carillo, secrétaire général du parti communiste espagnol, déclarant,
samedi matin depuis Paris, que le successeur désigné du général Franco n’avait
pas sa trempe pour tenir tête, comme ce dernier, à l’opposition démocratique,
aux menées autonomistes et à l’indignation internationale, ne rendait-il pas
hommage à cet homme qui était tête de liste de ceux que le général de Gaulle
voulait visiter avant de mourir ? Mao, Tito, ne venaient qu’après …
C’est sans doute que, pour les Espagnols comme pour
ceux qui ont fait l’histoire ces dernières années, il est deux sortes de chefs
d’Etat, tout jugement moral à part : ceux qui inscrivent leur action dans
une continuité historique et nationale quelles que soient leurs options
politiques et économiques – souvent de pures circonstances – et les autres qui
croient tout changer par leur seul avènement, sans finalement avoir prise ni
sur les événements ni sur les mentalités, alors que, de leur part, ce serait
déjà grand de seulement incarner une situation difficile ou un équilibre
indécis.
Il est peu de pays en Europe qui aient su placer –
même quand on fusille il n’y a pas un mois, même quand un million d’hommes
tombent dans une horrible guerre civile – l’indépendance et la fierté
nationales au-dessus de tout. Pas un pays peut-être aujourd’hui qui, en Europe,
n’ait fléchi en son âme devant les modèles d’importation américaine ou
soviétique, sauf cette Espagne de l’éternelle « croisade », naguère
contre les « Maures », hier contre les « communistes »,
demain sans doute contre les « fascistes ». Pas un, peut-être qui
n’ait maintenu asusi fort son unité nationale, alors que sa substance
économique est partout à sa périphérie, qu’artificielle est sa capitale,
déserte une part énorme de son territoire.
Pas un non plus qui – en ce siècle comme les
précédents – n’ait donné avant tous les autres comme l’Espagne le signal des
problèmes et des révoltes du temps : après avoir constitué la base
exemplaire des empires d’antan, colobiaux et découvreurs aux quinzième et
seizième siècles, puis continentaux, c’est l’Espagne qui sonna la première dans
l’Europe napoléonienne le tocsin des réveils nationaux ; c’est l’Espagne
qui, la première et depuis presque toujours, a posé les questions régionale,
autonomiste, populiste, face aux Etats centralisateurs des monarchies et des révolutions
européennes ; c’est l’Espagne, enfin, qui a montré la première la férocité
de la lutte idéologique et pour l’hégémonie mondiale qui allait, juste quand
elle se termina sur son sol, déchirer l’Europe et le monde à partir de 1939.
C’est l’une de ces quatre ou cinq nations – seules à
exister depuis plus d’un demi-millénaire dans leur unité actuelle – qui incarna
pendant près de quarante ans ce petit homme dont le physique faisait sourire,
mais dont la détermination ne faiblit jamais. Quand on parcourt la Meseta espagnole, quand
vers Burgos ou vers Grenade, on franchit venant de Madrid les dernières
« sierras », quand s’alternent en des journées et des emplois du
temps aussi contrastés que le pays lui-même les foules et les silences en ville
ou à la campagne, quand se taisent ces voix rauques à l’admirable langue d’un
peuple plus paysan et soldat, plus avide d’espace et de plein air que de
consommation urbaine, quand les condamnés à mort du vert et farouche Pays
basque ou dans son lit doré le généralissime égrènent leurs derniers instants,
il me semble que l’Espagne est la seule nation qui veuille, dans notre monde, rester
une nation.
La mort de Franco sera seulement la mort d’un Espagnol
de plus, mais combien, ailleurs qu’en Espagne, veulent encore mourir sous leur
drapeau ?
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