mercredi 23 juillet 2014

L'Humanité - les condamnations à la suite des incidents de Sarcelles



L’Humanité   (humanite.fr)

Tolérance zéro pour les manifestants pro-Palestiniens

Benoit Delrue
Mercredi, 23 Juillet, 2014
manifestation paris 19 juillet
Crédit: 
Henri le Roux

Jugés en comparution immédiate, les jeunes interpellés ce week-end à Barbès et Sarcelles ont tous été condamnés à de la prison. Le parquet a fait appel de toutes les peines de sursis prononcées mardi à Paris.

Taper vite, et taper fort. C’est l’impression que donnent les décisions de justice à l’encontre des jeunes interpellés lors des manifestations pro-Palestiniennes interdites, à Barbès samedi et à Sarcelles dimanche. Agés de 18 à 33 ans, avec un casier vierge pour la plupart, ils ont tous ont écopé de peines de prison. Et le parquet de Paris vient de faire appel de toutes les condamnations de sursis prononcées à l’encontre des jeunes arrêtés à Barbès.
Hier à la 23ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, le déroulement même de l’audience faisait peu de cas du droit des prévenus à un procès équitable. A l’ouverture, vers 13h30, la présidente a du rappeler les faits reprochés à tous les mis en cause, un à un, pour respecter les délais de la comparution immédiate ; puis elle les a renvoyés, pour examiner d’autres affaires tout à fait étrangères. Les procès ne se sont véritablement ouverts qu’aux alentours de 16 heures, et moins d’une heure était consacrée à chacun d’eux. Croulant sous la quantité de dossiers à examiner, la présidente a décidé de réaliser une audience-marathon de près de six heures avant d’ordonner la première suspension – pour juger, en une poignée de minutes, six affaires simultanément.

L’impression d’arrestations arbitraires

Les prévenus n’avaient pas tous le même profil. Mais ils ont un point commun : ils sont tous poursuivis pour violences sur policiers (jets de projectile, toujours); parfois, pour des faits d’outrage et de rébellion. La plupart des jeunes mis en cause ont refusé d’être assimilés aux manifestants pro-Palestiniens. Parmi eux B., 20 ans, en deuxième année de droit et vacataire au tribunal de Bobigny. S’il était sur les lieux, ce samedi 19 juillet, c’est parce qu’il habite Barbès ; il était sorti « par curiosité ». Sur place, il discute avec les policiers, fait un « selfie » (photographie prise soi-même) avec l’un d’eux. Un chef de brigade le moquera sur son maillot du PSG. Ce même maillot qui lui vaut d’être reconnu, plus tard par un agent de police, comme un caillasseur. « On a eu beaucoup de supporters de foot dans le lot des interpellés » raille la présidente, non sans un certain mépris de classe. « J’ai le sentiment qu’il fallait faire du chiffre et qu’on a arrêté ce qui nous tombait sous la main », plaidera Me Cochain, l’avocate du jeune homme. « Les personnes qui comparaissent ne sont pas des casseurs. Mais les médias en ont trop parlé, donc il fallait en trouver coûte que coûte. » B. écopera de trois mois de prison avec sursis.
Un autre cas renforce l’impression d’arrestations arbitraires : celui de M., 18 ans, sous le régime de la curatelle renforcée. Souffrant de lésions cérébrales depuis un accident de voiture, reconnu invalide à 80%, il a été interpellé, placé en garde à vue, et amené au procès sans qu’à aucun moment les services de police ne se rendent compte de son handicap. Sa curatrice ne pourra jamais assister à la procédure, comme le veut pourtant la loi. Pour ce profil exceptionnel, le tribunal a demandé le renvoi du procès au 22 octobre, le temps d’effectuer une expertise psychiatrique. Un autre jeune homme a vu son procès renvoyé au 3 septembre, car l’heure tardive ne permettait plus l’examen serein du dossier. Le tribunal a ordonné son placement en détention provisoire d’ici cette date, portant à un mois et demi le temps de son incarcération avant son procès en comparution immédiate.

Passé à tabac, il est condamné pour rébellion

Un seul prévenu a revendiqué, hier après-midi, sa participation à la manifestation parisienne pour Gaza, qu’il souhaitait pacifique. A., 28 ans, a un physique imposant, mis en valeur par son marcel noir. Grand, cheveux très courts avec une petite barbe, bâti comme une armoire, l’impression change dès qu’il prend la parole. C’est d’une voix douce et calme, dans un Français excellent – presque raffiné – qu’il explique avoir été « tabassé par la BAC ». Sur les lieux, il observait les échauffourées sans y prendre part. Un instant, il appelle sa copine, dans le centre de Paris, pour convenir d’un point de rendez-vous dans la soirée. Le combiné raccroché, le portable à la main, il est alors violemment pris à parti par un agent de la Brigade anti-criminalité (BAC), en civil comme ses collègues. « Il me répétait, ‘Qu’est-ce que tu filmes ? Qu’est-ce que tu filmes ?’ sur un ton toujours plus agressif. » Le jeune homme range son portable dans sa poche, plutôt que de le donner à l’homme dont rien n’indiquait qu’il s’agissait d’un policier. « C’est alors que ses collègues l’ont rejoint. L’un d’entre eux a d’ailleurs eu un regard d’hésitation, ne sachant pas s’ils allaient m’interpeller. Mais le premier m’a plaqué contre le grillage, et ils se sont tous mis à me tabasser sauvagement. » Plaqué au sol, A. reçoit des coups au ventre, au visage, aux jambes. Un policier lui fait une manœuvre d’étranglement, un autre lui passe les menottes. Un troisième fouille ses poches, jette le contenu à terre, l’écrase avec ses pieds. « Ils ont jeté ma carte de pompier volontaire. Je l’avais depuis 2007. Je ne l’ai plus » souffle-t-il, encore sous le coup de l’émotion.

La « rébellion » dont il sera reconnu coupable consiste, selon le jeune homme, à s’être raidi pour éviter d’être complètement étouffé par l’étranglement, et à s’être débattu, comme une réaction naturelle. Aucune blessure n’a été constaté sur les agents de police ; là où un médecin a établi une incapacité totale de travail (ITT) chez le prévenu. Dans l’examen de sa personnalité, le jeune homme est décrit par tout son entourage comme « sympathique, sociable, pas nerveux, opposé aux injustices, surtout celles qui touchent les plus faibles ». « Jamais interpellé, jamais en garde à vue. C’est un sportif professionnel, pour qui l’intégrité du corps est très importante. Il était venu ici pour manifester pacifiquement sa solidarité pour une cause en laquelle il croit », plaidera son avocate, Me Mohammad. Pas de quoi décourager la partie civile, qui n’y voit qu’ « un concentré de mauvaise foi. Il minimise, il conteste, alors que des services de police ont été agressés toute cet après-midi du 19 juillet à Barbès ». A. est également reconnu coupable d’outrage, ce dont il s’est vigoureusement défendu durant son – très court - procès. « Ce n’est pas dans ma nature d’insulter, encore moins chez un représentant de l’autorité » précise celui qui a été assistant d’éducation dans un lycée, entre 2011 et 2013. « Je suis choqué, je n’oublierai jamais. Je ne sais pas quoi dire. » Le procureur, Anne Bouchet, réclame 6 à 8 mois ferme et le placement immédiat en détention. Le tribunal condamnera A. à dix mois d’emprisonnement avec sursis.

Prison ferme pour les jeunes interpellés à Sarcelles

Outre les peines prononcées à Paris, le tribunal correctionnel de Pontoise a également voulu faire des exemples en prononçant, cette fois, des peines de prison ferme à l’encontre de quatre prévenus, interpellés dimanche lors des violences à Sarcelles. Un homme de 29 ans, père de famille, est condamné à trois mois de prison ferme pour avoir été arrêté en possession d’un Tazer, « acheté 30 euros sur le marché de Sarcelles ». Alan, 21 ans et venant d’avoir un enfant, assure qu’il « ne participait pas à la manifestation » mais a avoué, alors qu’il traversait Sarcelles, avoir lancé une canette de bière sur les policiers. Il est condamné à six mois de prison ferme avec mandat de dépôt – soit avec une application immédiate de la peine, sans passage au domicile. Enfin, deux frères de 25 et 28 ans, jamais condamnés, étaient sortis « acheter le pain » à la demande de leur mère. Ils nient les violences sur policiers qui leur sont reprochés. « On a commencé à courir, mais on n’a rien fait. » Le délibéré tombe : trois mois ferme pour chacun d’eux.

Lundi, trois peines de prison avec sursis et une relaxe avaient été décidées par le tribunal correctionnel de Paris. Un ingénieur de 33 ans, père de famille au casier vierge, a été condamné à dix mois de prison avec sursis pour rébellion et participation à un attroupement. Le procureur l’avait qualifié de « meneur » ; néanmoins, la juge a prononcé la non-inscription de sa condamnation au casier judiciaire. Un autre homme, 33 ans également, informaticien et trois enfants, a reçu quatre mois de prison avec sursis pour les mêmes délits et pour dissimulation du visage, et doit verser 1 150 euros de dommages et intérêts au policier blessé lors de son arrestation. Une femme de 31 ans, pour avoir rejeté une bombe lacrymogène arrivée à ses pieds, a été condamnée à six mois de prison avec sursis et 105 heures d’intérêt général.

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