Le chef de l’Etat
extraits du dernier
chapitre des mémoires d’espoir, tome I – éd. Plon Octobre 1979
Mais moi, c’est sans droit héréditaire, sans
plébiscite, sans élection, au seul appel impératif mais muet, de la France, que
j’ai été naguère conduit à prendre en charge sa défense, son unité et son
destin. Si j’y assume à présent la fonction suprême, c’est parce que je suis,
depuis lors, consacré comme son recours. Il y a là un fait qui, à côté des
littérales dispositions constitutionnelles, s’impose à tous et à moi-même.
Quelle que puisse être l’interprétation que l’on veuille donner à tel ou tel
article, c’est vers de Gaulle n tout cas que se tournent les Français. C’est de
lui qu’ils attendent la solution de leurs problèmes. C’est à lui que va leur
confiance ou que s’adressent leurs reproches. Piur vérifier que l’on rapporte à
sa personne les espérances aussi bien que les déceptions, il n’est que
d’entendre les discours, les conversations, les chansons, d’écouter les cris et
les rumeurs, de lire ce qui st imprimé dans les journaux ou affichés sur les
murs. De mon côté, je ressens comme inhérents à ma propre existence le droit et
le devoir d’assurer l’intérêt national.
pp. 283.284
Certes, il existe un Gouvernement qui « détermine
la politique de la nation ». Mais tout le monde sait et attend qu’il
procède de mon choix et n’agisse que moyennant ma confiance. Certes, il y a un
Parlement, dont l’une des deux Chambres a la faculté de censurer les ministres.
Mais la masse nationale et moi-même ne voyons là rien qui limite ma
responsabilité, d’autant mieux qu je suis juridiquement en mesure de dissoudre,
e cas échéant, l’assemblée opposante, d’en appeler au pays au-dessus du
Parlement par la voie du référendum et, en cas de péril public, de prendre toutes
les mesures qui me paraîtraient nécessaires. Cependant et précisément parce que
ma fonction, telle qu’elle est, résulte de mon initiative et de ce qui se passe
à mon égard dans la conscience nationale, il est nécessaire qu’existe et se
maintienne entre le peuple et moi un accord fondamental. Or, cet accor, les
votes d’ensemble qui ont lieu pour répondre à ce que je emande le traduisent
manifstment. Bref, rien, ni dans mon sprit, ni dans le sentiment public, ni
dans les textes constitutionnels, n’altère ce que les évènements avaient
naguère institué quant au caractère et à l’étendue de ma tâche. pp. 284.285
. . . mon action consiste avant tout à tracer des
orientations, fixer des buts, donner des directives, à l’organisme de
prévision, de préparation, d’exécution, que constitue le Gouvernement. Cela a
lieu normalement en Conseil. pp.
285
Si, dans le champ des affaires, il n’y a pas pour moi
de domaine qui soit ou négligé, ou réservé, je ne manque évidemment pas de me
concentrer sur les questions qui revètent la plus grande importance générale. pp.
286
Avec mon gouvernement, je me trouve donc en rapports
constants et approfondis. Cependant, mon rôle n’absorbe pas le sien. Sans
doute, l’ayant entendu, ai-je à fixer la direction d’ensemble qu’il doit
suivre. Mais la conduite de l’administration est entièrement laissée aux
ministres et jamais je n’adresse par-dessus leur tête aucun ordre aux
fonctionnaires. Sans doute les Conseils que ke tins donnent-ils lieu à des
décisions. Mais tous ceux qui y prennent part s’y font entendre librement et
complètement et, au surplus, on n’est ministre que parce qu’on l’a bien voulu
et on peut, à son gré, cesser de l’être. Sans doute, s’il m’arrive de
téléphoner à Michel Debré (alors,
le Premier ministre – période sous revue du tome I des mémoires d’espoir : avec le renouveau, 1958.1962) ou à l’un
de ses collègues, ne suis-je jamais appelé à l’appareil ar aucun d’entre eux,
mes collaborateurs recevant les communications. Mais tout membre du
gouvernement, quand il m’adresse un rapport, est sûr que je le lirai et, quand
il me demande audience, est certain que je le recevrai. En somme, je me tiens à
distance, mais non point dans une tour d’ivoire. p. 287
Le ministère … Scerts, ceux qui en furentmembres étaient entre eux très différents. Si
beaucoup provenaient de groupes divers du Parlement, nombre d’autres sortaient
directement de la fonction publique. S’ils étaient tous, au même titre, saisis
par l’attrait du pouvoir, emmpressés à leur fonction, passionnés pour l’intérêt
national, ils se montraient inégaux en savoir-faire et en capacité. Si l’aîné
approchait de ses soixante-dix ans, le plus jeune en avait trete-deux. Mais les
voyant confrontés à des problèmes aussi brûlants et enchevêtrés que ne le
furent, à aucune époque, ceux qui se posèrent à l’Etat et, d’autre part,
toujours entravés par les limites des moyens, je les jugeais, dans leur
ensemble, comparables à ce que furent les meilleurs ministres de la France. Ayssi longtmps
qu’ils furent en place, j’ai porté sincèrement à tous estime et amitié. De tous
j’ai reçu des témoignages d’attachement. Chez tous j’ai senti la cconviction qu
l’œuvre de renouvau mné à mon appel par leur équipe était à la dimension de
l’Histoire. pp. 289.290
En somme, j’exerce ma fonction de manière à conduire
l’exécutif, à maintenir le législatif dans les limites qui lui sont imparties,
à garantir l’indépendance et la dignité du judiciaire. Lais, en outre, j’ai
activement affaire aux grands Corps qui conseillent l’Etat, au lieu de n’avoir
avec eux que des rapports de forme et de convenance. p. 297 … ils apprécient l’espèc de révolution qui
donne une tête à la
République. Un sentiment d’allègre contentement plane sur les
réunions qui groupent leurs représentants autour du général de Gaulle, comme à
l’Elysée pour le vœux de nouvelle année, ou dans les départements à l’occasion
de mes visites. Chacun y est fort aise de sentir que l’édifice de l’Etat a
désormais sa clef de voûte, cimentée avec les piliers. p. 301
Mais c’est au peuple lui-même, et non seulement à ses
cadres, que je veux être lié par les yeux et les oreilles. Il faut que les
Français me voient m’entendent, que je les entende et les voie. La télévision
et les voyages publics m’en donnent la possibilité.
Pendant la guerre, j’avais tiré beaucoup de la radio. Ce que j pouvais
dire et répandre de cette façon avait certainement compté dans le resserrement
de l’unité nationale contre l’ennemi. Après mon départ, les ondes m’étant
refusées, ma voix n’avait plus reteni que dans des réunions locales. Or, voici
que la combinaison du micro et de l’écran s’offre à moi au moment même où
l’innovation commence son foudroyant développement. Pour être présent partout,
c’est là soudain un moyen sans égal. A condition toutefois que je réussisse
dans mes apparitions. Pour moi, le risque n’est pas le premier, ni le seul,
mais il est grand.
Si, depuis les temps héroïques, je m’étais toujours
contraint, quand je discourais en public, à le faire sans consulter de notes,
au contraire, parlant dans un studio, mon habitude était de lire un texte.
Mais, à présent, les téléspectateurs regardent de Gaulle sur l’écran en
l’entendant sur les ondes. Pour êtr fidèle à mon personnage, il me faut
m’adresser à eux comme si c’était les yeux dans les yeux, sans papier et sans
lunettes. Cependant, mes allocuations à la nation étant prononcées « ex
cathedra » et destinées à toutes sortes d’analyses et d’exégèses, je les
écris avec soin, quitte à fournir nsuite le grand effort nécessaire pour ne
dire devant les cameras que ce que j’ai d’avance préparé. Pour ce
septuagénaire, assis seul derrière un table sous d’implacables lumières, il
s’agit qu’il paraisse assez animé et spontané pour saisir et retenir
l’attention, sans se
commttre en gestes excessifs et en mimiques déplacées.
Maintes fois en ces quatre ans, les Français, par
millions et par millions, rencontrent ainsi le général de Gaulle. Toujours, je
leur parle beaucoup moins d’eux-mêmes que de la France. (…) Le soir, le spectacle paraît sur la scène
universelle sans que murmures ni applaudissements me fassent savoir ce qu’en
pense l’immense et mystérieuse assistance. Mais ensuite, dans les milieux de
l’information, s’élève, à côté du chœur modeste des voix favorables, le bruyant
concert du doute, de la critiqu et du persiflage, stigmatisant mon
« autosatisfaction ». Par contre, il se découvre que, dans les
profondeurs nationales, l’impression produite est que : « C’est du
sérieux ! », que : »
De Gaulle est bien toujours pareil ! », que : « Ah !
tout de même ! la France, c’est quelque chose ! ». L’effet voulu
est donc atteint, puisque le peuple a levé la tête et regardé vers les
sommets. pp. 301 à 303
Un millier de participants sont assis dans la
« salle des fêtes » pour assister à cette espèce de cérémonie
rituelle à laquelle les souvenirs du passé et les curiosités du présent donnent
une dimension mondiale. Je m’y trouve devant la sorte d’assistance qui est la
moins saisissable, formée de gens que leur métier blase au sujet des valeurs
humaines, dont les jugements ne portent qu’à condition d’être acérés et qui,
souvent, en vue du titre, du tirage, de la sensation, souhaitent d’avoir à
décrire des échecs plutôt que des réussites. Il n’empêche, qu’à travers leur
réserve, leur ironie, leur scepticisme, le discerne l’avidité de ces
informateurs et la considération de ces connaisseurs. A l’intérêt qu’ils me
témoignent répond celui que je leur prête. Il en résulte qu’une atmosphère
d’attention soutenue enveloppe la conférence et souligne le caractère qu’elle a
d’être, à chaque fois, un événement. p 303
Par le son et par l’image, je suis proche de la
nation, mais en quelque sorte dans l’abstrait. D’autre part, les cérémonies
publiques, les prises d’armes, ls inaugurations, auxquelles je donne assurément
toute la solennité voulue, mais où je figure entouré du rituel qui est de
rigueur, ne me mettent guère au contact des personne. Pour qu’un lien vivant
s’établisse entre elles et moi, j’entends m rendre dans tous les départements (…) Chaque dépaartement est parcoru tout entier
du matin au soir. (…) où
ont toujours lieu le passage à l’Hôtel de Ville, l’adresse ssolennelle de la
municipalité, l’allocution aux habitants rassemblés. Traversée de multiples bourgs
et villages, où le cortège fait halte afin que, devant tout le monde, le maire
salue le général de Gaulle et que celui-ci lui réponde. (…) hhDans toutes les localités, grandes ou
petites, où je m’arrête, l’attroupement populaire est chaleureux, l’ambiance
joyeuse, le pavoisement touchant. Sur les routes que je suis, les gens viennent
en grand nombre pour applaudir. Où que je prenne la parole en public
retentissent d’ardentes acclamations. Toutes les Marseillaises que j’entonne sont chantées en chœur par toutes les
voix. Quand je me mêle à la foule ou vais à pied par les rues, tous les visages
s’éclairent, toutes les bouches crient leur plaisir, toutes les mains se
tendent vers moi. (…) Au total, il se produit autour de moi, d’un bout à
l’autre du territor, une éclatant démonstration du sentiment national qui émeut
vivement les aassistants, frappe fortement les observateurs et apparaît ensuite
partout grâce à la
télévision. Dans chacune de ses contrées, notre pays se donne
ainsi à lui-même la preuve spectaculaire de son unité retrouvée. Il en est ému,
ragaillardi, et moi j’en suis rempli de joie.
D’ailleurs, des moissons d’impressions et de
précisions pratiques sont récoltées au cours de ces tournées. Sur le relief
immuable de la France et le fond permanent de ses populations, je vois sur
place comment est accompli et peut être améliorée la transformation que … pp.304 à 306
Du vieil Elysée, la République nouvelle va donc tirer,
quant à son fonctionnement et à sa réputation, le meilleur parti possible.
On y travaille méthodiquement, en dehors de toute
agitation. A mon bureau, que j’ai installé dans la pièce capitale du premier
étage, j’arrive chaque jour à neuf heures et demie, ayant déjà pris
connaissance des principales nouvelles et parcouru les journaux. (…) A huit heures du soir, je quitte ma tabl de
travail. Il est extrêmement rare que j’y revienne avant le lendemain. Par
principe et par expérience, je sais en effet, qu’à mon plan, pour conduire les
événements, il ne faut pas se précipiter. (…) La résidence du Président est
naturellement le cadre de continuelles visites, invitations et cérémonies.
Comme tout compte, s’il s’agit du prestige de l’Etat, je tiens pour important,
qu’à cet égard, les choses se passent avec ampleur et mesure, bonne grâce et
dignité. C’est bien aussi ce que veut la maîtresse de maison, ma femme. (…) ces
devoirs de représentation ajoutent beaucoup aux astreintes intellectuelles et
physiques de ma charge, tout en me permettant d’aborder, d’homme à homme, bon
nombre de gens de valeur.
Le temps, bien court, que ne me prend pas l’exercice
de mes fonctions, je le passe avec ma femme en toute intimité. Le soir, la télévision
et, quelquefois, le cinéma font défiler devant nos contemporains, au lieu que
ce soit l’inverse. Le dimanche, viennent nous voir nos enfants et
petits-enfants s’ils sont présents à Paris et que mes obligations le
permettent. (…) Cette harmonie familiale m’est précieuse. Chaque fois
que cela est possible, nous gagnons notre maison de La Boisserie. Là, pour
penser, je me retire. Là, j’écris ls discours qui me sont un pénible et
perpétuel labeur. Là, je lis quelques-uns des livres qu’on m’envoie. Là,
regardant l’horizon de la terre ou l’immensité du ciel, je restaure ma
sérénité. pp. 308.311
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