Lever la voix face au massacre perpétré à
Gaza
par Dominique de Villepin, ancien Premier ministre,
texte diffusé par le Mouvement politique d’émancipation populaire (M’PEP).
Le 3 août 2014.
Le M’PEP approuve l’appel lancé par l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin et condamne l’attitude du gouvernement français.
Lever la voix face au massacre
qui est perpétré à Gaza, c’est aujourd’hui, je l’écris en conscience, un devoir
pour la France, une France qui est attachée indéfectiblement à l’existence et à
la sécurité d’Israël mais qui ne saurait oublier les droits et devoirs qui sont
conférés à Israël en sa qualité d’État constitué. Je veux dire à tous ceux qui
sont tentés par la résignation face à l’éternel retour de la guerre qu’il est
temps de parler et d’agir. Il est temps de mesurer l’impasse d’une France
alignée et si sûre du recours à la force. Pour lever le voile des mensonges, des
omissions et des demi-vérités. Pour porter un espoir de changement. Par
mauvaise conscience, par intérêt mal compris, par soumission à la voix du plus
fort, la voix de la France s’est tue, celle qui faisait parler le général de
Gaulle au lendemain de la guerre des Six-Jours, celle qui faisait parler
Jacques Chirac après la deuxième intifada. Comment comprendre aujourd’hui que
la France appelle à la « retenue » quand on tue des enfants en
connaissance de cause ? Comment comprendre que la France s’abstienne
lorsqu’il s’agit d’une enquête internationale sur les crimes de guerre commis
des deux côtés ? Comment comprendre que la première réaction de la France,
par la voix de son président, soit celle du soutien sans réserve à la politique
de sécurité d’Israël ? Quelle impasse pour la France que cet esprit d’alignement
et de soutien au recours à la force.
Je crois que seule la vérité
permet l’action. Nous ne construirons pas la paix sur des mensonges. C’est pour
cela que nous avons un devoir de vérité face à un conflit où chaque mot est
piégé, où les pires accusations sont instrumentalisées.
L’État israélien se
condamne à des opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie
terrifiante parce qu’elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à
la souffrance, terrifiante parce qu’elle condamne Israël peu à peu à devenir un
État ségrégationniste, militariste et autoritaire.
Ayons le courage de dire une
première vérité : il n’y a pas en droit international de droit à la
sécurité qui implique en retour un droit à l’occupation et encore moins un
droit au massacre. Il y a un droit à la paix qui est le même pour tous les
peuples. La sécurité telle que la recherche aujourd’hui Israël se fait contre
la paix et contre le peuple palestinien. En lieu et place de la recherche de la
paix, il n’y a plus que l’engrenage de la force qui conduit à la guerre
perpétuelle à plus ou moins basse intensité. L’État israélien se condamne à des
opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante
parce qu’elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à la
souffrance, terrifiante parce qu’elle condamne Israël peu à peu à devenir un
État ségrégationniste, militariste et autoritaire. C’est la spirale de
l’Afrique du Sud de l’apartheid avant Frederik De Klerk et Nelson Mandela,
faite de répression violente, d’iniquité et de bantoustans humiliants. C’est la
spirale de l’Algérie française entre putsch des généraux et OAS face au camp de
la paix incarné par de Gaulle.
Il y a une deuxième vérité à
dire haut et fort : il ne saurait y avoir de responsabilité collective
d’un peuple pour les agissements de certains. Comment oublier le profond
déséquilibre de la situation, qui oppose non deux États, mais un peuple sans
terre et sans espoir à un État poussé par la peur ? On ne peut se
prévaloir du fait que le Hamas instrumentalise les civils pour faire oublier
qu’on assassine ces derniers, d’autant moins qu’on a refusé de croire et
reconnaître en 2007 que ces civils aient voté pour le Hamas, du moins pour sa
branche politique. Qu’on cite, outre les États-Unis, un seul pays au monde qui
agirait de cette façon. Même si les situations sont, bien sûr, différentes, la
France est-elle partie en guerre en Algérie en 1995-1996 après les attentats
financés par le GIA ? Londres a-t-elle bombardé l’Irlande dans les années
1970 ?
Troisième vérité qui brûle les
lèvres et que je veux exprimer ici : oui il y a une terreur en Palestine
et en Cisjordanie, une terreur organisée et méthodique appliquée par les forces
armées israéliennes, comme en ont témoigné de nombreux officiers et soldats
israéliens écœurés par le rôle qu’on leur a fait jouer. Je ne peux accepter
d’entendre que ce qui se
passe en Palestine n’est pas si grave puisque ce serait pire
ailleurs. Je ne peux accepter qu’on condamne un peuple entier à la peur des
bombardements, à la puanteur des aspersions d’« eau sale » et à la
misère du blocus. Car je ne peux accepter qu’on nie qu’il y a quelque chose qui
dépasse nos différences et qui est notre humanité commune.
Il n’y a aujourd’hui ni plan
de paix, ni interlocuteur capable d’en proposer un. Il faut tout reprendre
depuis le début. Le problème de la paix, comme en Algérie entre 1958 et 1962,
ce n’est pas « comment ? », c’est « qui ? ». Il
n’y a pas de partenaire en Palestine car les partisans de la paix ont été
méthodiquement marginalisés par la stratégie du gouvernement d’Israël. La
logique de force a légitimité hier le Hamas contre le Fatah. Elle légitime
aujourd’hui les fanatiques les plus radicaux du Hamas voire le Djihad
islamique. Se passer de partenaire pour la paix, cela veut dire s’engager dans
une logique où il n’y aurait plus que la soumission ou l’élimination.
Il n’y a plus de partenaire
pour la paix en Israël car le camp de la paix a été réduit au silence et
marginalisé. Le peuple israélien est un peuple de mémoire, de fierté et de
courage. Mais aujourd’hui c’est une logique folle qui s’est emparée de son
État, une logique qui conduit à détruire la possibilité d’une solution à deux
États, seule envisageable. La résignation d’une partie du peuple israélien est
aujourd’hui le principal danger. Amos Oz, Zeev Sternhell ou Elie Barnavi sont de plus en plus seuls à crier
dans le désert, la voix couverte par le vacarme des hélicoptères. Il n’y a plus
non plus de partenaire sur la scène internationale, à force de lassitude et de
résignation, à force de plans de paix enterrés. On s’interroge sur l’utilité du
Quartette. On désespère de la diplomatie du carnet de chèques de l’Europe qui
se borne à payer pour reconstruire les bâtiments palestiniens qui ont été
bombardés hier et le seront à nouveau demain, quand les États-Unis dépensent
deux milliards de dollars par an pour financer les bombes qui détruisent ces
bâtiments.
Face à l’absence de plan de
paix, seules des mesures imposées et capables de changer la donne sont
susceptibles de réveiller les partenaires de leur torpeur. C’est au premier
chef la responsabilité de la France.
Le premier outil pour
réveiller la société israélienne, ce sont les sanctions. Il faut la placer
devant ses responsabilités historiques avant qu’il ne soit trop tard, tout
particulièrement à l’heure où il est question d’une opération terrestre de
grande envergure à Gaza. Cela passe par un vote par le Conseil de sécurité de
l’ONU d’une résolution condamnant l’action d’Israël, son non-respect des
résolutions antérieures et son non-respect du droit humanitaire et du droit de la guerre. Cela signifie
concrètement d’assumer des sanctions économiques ciblées et graduées, notamment
pour des activités directement liées aux opérations à Gaza ou aux activités
économiques dans les colonies. Je ne crois guère aux sanctions face à des États
autoritaires qu’elles renforcent. Elles peuvent être utiles dans une société
démocratique qui doit être mise face aux réalités.
Le deuxième outil,
c’est la justice internationale. L’urgence aujourd’hui, c’est d’empêcher que
des crimes de guerre soient commis. Pour cela, il est temps de donner droit aux
demandes palestiniennes d’adhérer à la Cour pénale internationale, qui demeure
aujourd’hui le meilleur garant de la loi internationale. C’est une manière de
mettre les Territoires palestiniens sous protection internationale.
Le
troisième outil à la disposition de la communauté internationale, c’est
l’interposition. À défaut de pouvoir négocier une solution, il faut l’imposer
par la mise sous mandat de l’ONU de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem
Est, avec une administration et une force de paix internationales.
Cette administration serait soumise à de grands périls, du côté de tous les
extrémistes, nous le savons, mais la paix exige des sacrifices. Elle aurait
vocation à redresser l’économie et la société sur ces territoires par un plan
d’aide significatif et par la protection des civils. Elle aurait également pour
but de renouer le dialogue interpalestinien et de garantir des élections libres
sur l’ensemble de ces territoires. Forte de ces résultats, elle appuierait des
pourparlers de paix avec Israël en en traçant les grandes lignes.
Nous n’avons pas le droit de
nous résigner à la guerre perpétuelle. Parce qu’elle continuera de contaminer toute
la région. Parce
que son poison ne cessera de briser l’espoir même d’un ordre mondial. Une seule
injustice tolérée suffit à remettre en cause l’idée même de la justice.
Dominique de Villepin
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