Nous sommes en
juillet 1954, alors que les congés payés estivent, Pierre Mendès France
atterrit ce beau matin à Tunis. Flanqué du Maréchal Juin, il se rend chez le
Bey annoncer sa décision d'accorder l'autonomie interne à la Tunisie. A Paris
et dans le monde entier, la surprise est générale. La France décolonise, c'est
incroyable ! L'irrévocable processus aboutira le 20 mars 1956 à
l'indépendance. Depuis, pour tous les Tunisiens, la
France, c'est Mendès, l'ami fidèle, pour l'éternité.
Ce 20 mars 2015,
la Tunisie célèbre tristement sa fête nationale. Elle est endeuillée par des
barbares qui ont fusillé des touristes dans le musée du Palais du Bardo, le
lieu même où Pierre Mendès France s'était incliné devant le Bey. Le ministre
français de l'intérieur est venu déposer une
gerbe de fleurs sur les flaques de sang à peine séché. Le Président Hollande ne
s'est pas déplacé. Emploi du temps chargé, autres priorités, « gouverner,
c'est choisir », peut-être même que nul n'y a pensé...Encore un
rendez-vous manqué avec l'histoire !
La Tunisie est la
seule démocratie arabe. Une sur 22. La seule démocratie musulmane. Une sur 56.
Cette singularité vertueuse mériterait que la bien pensante communauté
internationale se cotise pour transformer cette petite nation de 10 millions
d'habitants en modèle universel. Mais la France est fauchée, l'Europe regarde
ailleurs, l'Amérique du Nord est aux abonnés absents. L'Occident fidèle
à sa politique du double standard n'a toujours pas décolonisé son
inconscient. La France cache la réalité de son devenir commun avec l'Afrique du
Nord alors que des millions de citoyens portent leur nationalité en doublon.
Paris refuse de constater que le feu gagne et que la Tunisie, au train où vont
les choses, risque de tomber sous la coupe de l'État Islamique comme l'Irak,
comme la Syrie, comme la Libye voisine...
Car l'attentat du
Bardo est l'étape d'un processus de conquête territoriale et non pas comme ceux
de Paris une forme hideuse de chantage. Au terme d'une campagne de terreur et
de déstabilisation des institutions, il est probable que les Toyota
mitrailleuses surgiront à l'assaut des villes selon un scénario rodé.
Le pays est
fragile, fracturé entre le littoral du nord qui prospère et le reste qui
désespère. Un taux de désœuvrement record contraint la jeunesse à s'exiler vers
l'aventure à risque. Le choix est simple : tenter la traversée vers
Lampedusa ou partir au jihad. Le chemin vers l'Europe est humiliant et
incertain, celui du Levant offre la gloire et la solde. Dans les deux cas, on
risque sa peau par noyade ou par balle. Le passeur exige 2000 dollars pour prix
de l'évasion vers l'Europe, le recruteur de l'IS offre 600 à 1000 dollars par
mois et la garantie de l'emploi. Voici pourquoi, six mille mercenaires
tunisiens combattent aux côtés de Daech en Libye et au Syrakistan où plusieurs
d'entre eux occupent des postes au sommet du commandement.
Mais si le Califat
veut occuper la Tunisie, ce n'est pas pour s'approprier des richesses qu'elle
n'a pas, ni pour la punir d'avoir osé la démocratie, c'est parce qu'elle figure
sur la carte de la reconquête de l'empire arabe et que l'entité théologique a
besoin d'une capitale qui sera le centre géométrique de son rayonnement
universel.
La Mecque, Médine et Al Qods (Jérusalem) sont totalement
inaccessibles, reste Kairouan, quatrième ville sainte de l'islam.
Cette ville située à 160 km de Tunis au milieu de nul part est
« un désert jaune, illimité... horizon infiniment vide et triste et
plus poignant que le Sahara lui-même. " C'est une étape sur la route de Sidi Bouzid, Gafsa et vers les
palmeraies du Jérid. C'est une excursion à une heure des plages de Hammamet.
Les touristes vont y admirer la plus belle et la plus ancienne des mosquées
fondée en 670 par le Général Aqba Ibn Al Fihri, qui islamisa l'Afrique du Nord
à la tête d'un « peuple fanatique, errant, à
peine capable de construire des murs, venu sur une terre couverte de ruines
laissées par ses prédécesseurs, y ramassa partout ce qui lui parut le plus
beau, et, à son tour, avec ces débris de même style et de même ordre, éleva, mû
par une inspiration sublime, une demeure à son Dieu, une demeure faite de
morceaux arrachés aux villes croulantes, mais aussi parfaite et aussi
magnifique que les plus pures conceptions des plus grands tailleurs de
pierre... "
Guy de Maupassant « De Tunis à Kairouan »
Les
touristes de passage s'attardent aussi, le temps d'un selfie devant l'imposant
bassin des Aghlabides, du nom de la dynastie d'émirs qui régnèrent sur
l'Ifriquiya - Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Sicile, Sardaigne, Malte - avant
de céder la place aux Fatimides chiites dont l'empire se déploya au Maroc, en
Egypte et au Levant.
Lieu de
pèlerinage, la Sainte Kairouan est dans l'inconscient collectif arabe le
quartier général des campagnes militaires victorieuses de l'âge d'or de la
civilisation islamique.
Qui défendra
Kairouan contre les hordes de barbares ?
La ville n'est pas
gardée par une puissante garnison et quand bien même ; Mossoul était
défendue par 35 000 soldats irakiens, l'équivalent de l'armée tunisienne tout
entière ! Qui viendra à son secours et dépêchera des troupes au sol ?
L'armée algérienne n'a pas constitutionnellement le droit de sortir de ses
frontières. Le Maroc est à trois mille kilomètres. La fantomatique force
d'action rapide européenne ? Les USA derrière l'OTAN ?... Les enfants
de la France de Mendes ?
Pour défendre Kairouan, il faudra comme aux temps héroïques, compter sur le seul rassemblement des tribus, les Zlass, Fraichis, Methaliths, Hamama, Souassi, Ouled Ayar et autres Ouled Aoun qui retenant l'histoire de leurs ancêtres, se lèveront en masse pour protéger l'unité et l'indépendance de notre vaillante Tunisie.
« Car
c'est ainsi qu'Allah est grand ! »
Hedy Belhassine
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