mardi 24 mars 2015

il y a encore Kairouan



Nous sommes en juillet 1954, alors que les congés payés estivent, Pierre Mendès France atterrit ce beau matin à Tunis. Flanqué du Maréchal Juin, il se rend chez le Bey annoncer sa décision d'accorder l'autonomie interne à la Tunisie. A Paris et dans le monde entier, la surprise est générale. La France décolonise, c'est incroyable ! L'irrévocable processus aboutira le 20 mars 1956 à l'indépendance. Depuis, pour tous les Tunisiens, la France, c'est Mendès, l'ami fidèle, pour l'éternité.

Ce 20 mars 2015, la Tunisie célèbre tristement sa fête nationale. Elle est endeuillée par des barbares qui ont fusillé des touristes dans le musée du Palais du Bardo, le lieu même où Pierre Mendès France s'était incliné devant le Bey. Le ministre français de l'intérieur est venu déposer une gerbe de fleurs sur les flaques de sang à peine séché. Le Président Hollande ne s'est pas déplacé. Emploi du temps chargé, autres priorités, « gouverner, c'est choisir », peut-être même que nul n'y a pensé...Encore un rendez-vous manqué avec l'histoire !

La Tunisie est la seule démocratie arabe. Une sur 22. La seule démocratie musulmane. Une sur 56. Cette singularité vertueuse mériterait que la bien pensante communauté internationale se cotise pour transformer cette petite nation de 10 millions d'habitants en modèle universel. Mais la France est fauchée, l'Europe regarde ailleurs, l'Amérique du Nord est aux abonnés absents. L'Occident fidèle à sa politique du double standard n'a toujours pas décolonisé son inconscient. La France cache la réalité de son devenir commun avec l'Afrique du Nord alors que des millions de citoyens portent leur nationalité en doublon. Paris refuse de constater que le feu gagne et que la Tunisie, au train où vont les choses, risque de tomber sous la coupe de l'État Islamique comme l'Irak, comme la Syrie, comme la Libye voisine...

Car l'attentat du Bardo est l'étape d'un processus de conquête territoriale et non pas comme ceux de Paris une forme hideuse de chantage. Au terme d'une campagne de terreur et de déstabilisation des institutions, il est probable que les Toyota mitrailleuses surgiront à l'assaut des villes selon un scénario rodé.

Le pays est fragile, fracturé entre le littoral du nord qui prospère et le reste qui désespère. Un taux de désœuvrement record contraint la jeunesse à s'exiler vers l'aventure à risque. Le choix est simple : tenter la traversée vers Lampedusa ou partir au jihad. Le chemin vers l'Europe est humiliant et incertain, celui du Levant offre la gloire et la solde. Dans les deux cas, on risque sa peau par noyade ou par balle. Le passeur exige 2000 dollars pour prix de l'évasion vers l'Europe, le recruteur de l'IS offre 600 à 1000 dollars par mois et la garantie de l'emploi. Voici pourquoi, six mille mercenaires tunisiens combattent aux côtés de Daech en Libye et au Syrakistan où plusieurs d'entre eux occupent des postes au sommet du commandement.

Mais si le Califat veut occuper la Tunisie, ce n'est pas pour s'approprier des richesses qu'elle n'a pas, ni pour la punir d'avoir osé la démocratie, c'est parce qu'elle figure sur la carte de la reconquête de l'empire arabe et que l'entité théologique a besoin d'une capitale qui sera le centre géométrique de son rayonnement universel.

La Mecque, Médine et Al Qods (Jérusalem) sont totalement inaccessibles, reste Kairouan, quatrième ville sainte de l'islam.
Cette ville située à 160 km de Tunis au milieu de nul part est « un désert jaune, illimité... horizon infiniment vide et triste et plus poignant que le Sahara lui-même. " C'est une étape sur la route de Sidi Bouzid, Gafsa et vers les palmeraies du Jérid. C'est une excursion à une heure des plages de Hammamet. Les touristes vont y admirer la plus belle et la plus ancienne des mosquées fondée en 670 par le Général Aqba Ibn Al Fihri, qui islamisa l'Afrique du Nord à la tête d'un « peuple fanatique, errant, à peine capable de construire des murs, venu sur une terre couverte de ruines laissées par ses prédécesseurs, y ramassa partout ce qui lui parut le plus beau, et, à son tour, avec ces débris de même style et de même ordre, éleva, mû par une inspiration sublime, une demeure à son Dieu, une demeure faite de morceaux arrachés aux villes croulantes, mais aussi parfaite et aussi magnifique que les plus pures conceptions des plus grands tailleurs de pierre... " Guy de Maupassant « De Tunis à Kairouan »
Les touristes de passage s'attardent aussi, le temps d'un selfie devant l'imposant bassin des Aghlabides, du nom de la dynastie d'émirs qui régnèrent sur l'Ifriquiya - Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Sicile, Sardaigne, Malte - avant de céder la place aux Fatimides chiites dont l'empire se déploya au Maroc, en Egypte et au Levant.
Lieu de pèlerinage, la Sainte Kairouan est dans l'inconscient collectif arabe le quartier général des campagnes militaires victorieuses de l'âge d'or de la civilisation islamique.

Qui défendra Kairouan contre les hordes de barbares ?

La ville n'est pas gardée par une puissante garnison et quand bien même ; Mossoul était défendue par 35 000 soldats irakiens, l'équivalent de l'armée tunisienne tout entière ! Qui viendra à son secours et dépêchera des troupes au sol ? L'armée algérienne n'a pas constitutionnellement le droit de sortir de ses frontières. Le Maroc est à trois mille kilomètres. La fantomatique force d'action rapide européenne ? Les USA derrière l'OTAN ?... Les enfants de la France de Mendes ?


Pour défendre Kairouan, il faudra comme aux temps héroïques, compter sur le seul rassemblement des tribus, les Zlass, Fraichis, Methaliths, Hamama, Souassi, Ouled Ayar et autres Ouled Aoun qui retenant l'histoire de leurs ancêtres, se lèveront en masse pour protéger l'unité et l'indépendance de notre vaillante Tunisie.
« Car c'est ainsi qu'Allah est grand ! »
Hedy Belhassine

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